CHAPITRE XI
Il s’était vraiment conduit comme un imbécile. Mais Cromar avait eu raison ; tout cela était dû à la fatigue. Une fois à bord du vaisseau, régénéré par l’atmosphère normale, il se rendit compte à quel point il avait été fatigué. Son équilibre mental même avait été affecté ; sinon, comment expliquer qu’il ait pu commettre l’imprudence d’exprimer en présence de Cromar les sentiments réels que lui inspirait la statue ?
Il se renfonça dans sa chaise longue et réfléchit à ce qu’il avait à faire. Un Ama avait-il eu jamais à affronter une telle situation ? Pouvait-il sauver quelque chose du chaos qui l’environnait ?
Il s’était fait de bons amis parmi les gens du camp. À présent, la plupart étaient désireux d’observer l’allégeance. Ils paraissaient presque définitivement gagnés au Keelong.
La sculpture révoltante qu’il avait découverte continuait à le hanter. Il ne pouvait pas s’empêcher de revoir ce corps tordu par la souffrance, ces filets de sang, ces clous transperçant les chairs et ce visage couronné par quelque instrument de torture. Quelles avaient été ces créatures pour oser infliger un tel supplice à l’un de leurs semblables ? Une présence si maléfique risquait d’anéantir toute son œuvre en faveur du Keelong. Il leur fallait absolument quitter cette planète avant d’être possédés par sa barbarie et d’en mourir. Il ressentait du fond de son être l’extrême urgence qu’il y avait à réparer le vaisseau pour que celui-ci pût les emmener loin de ce monde maudit.
Il quitta ses appartements et alla trouver le capitaine Mohre. La veille, dans l’après-midi, il avait entrevu celui-ci mais il ne s’était pas rendu compte, alors, à quel point le capitaine avait changé. Il avait à présent les joues creuses et ses yeux, enfoncés dans leurs orbites, étaient injectés de sang. Les écailles de son visage étaient ébouriffées comme le plumage d’un oiseau par grand vent.
Du bureau du capitaine, qui se trouvait juste au-dessus de la passerelle de commande, il pouvait voir les techniciens et les mécaniciens penchés sur le matériel endommagé. Celui-ci avait été démonté de son emplacement primitif et était éparpillé sur plusieurs tables et divers établis.
— Avez-vous obtenu quelque résultat ? demanda Toreg.
— Si peu que ce n’est même pas la peine d’en parler, répondit le capitaine Mohre. Nous n’avons qu’un bien faible espoir de voir de nouveau le Prohorus dans l’espace.
— Avez-vous souvent offert allégeance sur votre travail et sur les pièces à réparer ?
— Je crains que nous n’ayons pas prêté une grande attention au rituel d’allégeance, Ama. Nos gens n’estiment pas que ce soit une part très importante de leurs tâches dans une situation d’urgence comme celle-ci.
— N’est-il pas valable de requérir l’assistance du Keelong lorsqu’on a un tel effort à fournir ?
— Nos hommes ne doivent pas considérer le Keelong comme étant techniquement qualifié.
— Tout au long de notre existence, capitaine Mohre, on nous a enseigné que le Keelong pouvait efficacement nous secourir. On nous a enseigné qu’il avait connaissance de toute chose. Supposez-vous réellement que le Keelong en sache moins sur les mécanismes d’un ordinateur que vos jeunes mécaniciens avec leurs quelques années d’école ?
Le capitaine Mohre laissa échapper un profond soupir.
— Si jamais nous retournons sur Alcor, je présume que vous pourrez nous faire tous comparaître devant un tribunal ecclésiastique pour nous condamner à la plus sévère des réprimandes. Mais, en l’occurrence, vous ne pouvez pratiquement rien contre nous – à la limite, vous pourriez plus pour nous. Je n’ai jamais été quelqu’un de très croyant, Ama – de même que votre ami, le commandant Cromar. Et cet équipage est encore moins dévot que nous. Nous ne prêtons pas allégeance sur notre travail. Nous ne croyons pas que le Keelong ait à y voir quelque chose, ou qu’il ait une quelconque capacité de nous aider à résoudre nos problèmes. Ce vaisseau est une véritable fourmilière d’incroyants, Ama. Les réprimandes que vous aurez l’occasion de distribuer parmi nous vous permettront d’obtenir plus de primes honorifiques que vous n’en avez obtenu au cours de vos dix derniers voyages – à la condition, toutefois, que nous ayons la chance de retourner sur Alcor.
— Je me fiche des réprimandes, capitaine. Ce qui m’intéresse, c’est de nous voir quitter cette planète. Il nous faut absolument partir d’ici ! Cette planète va nous anéantir si nous restons.
— Je suis sûr que ce n’est pas plus urgent pour vous que pour nous autres. Mais nos chances de retourner sur Alcor sont pratiquement équivalentes à zéro.
— Nous n’allons tout de même pas renoncer.
— Personne ne pense à renoncer. Mais nous ne voyons tout simplement pas d’espoir.
— Le Keelong…
— À votre place, Ama, je ne me hasarderais pas à faire mention du Keelong devant un de nos hommes. Ils risqueraient de prendre ça très mal.
— Il n’est guère étonnant que vous n’obteniez pas de bons résultats !
— Vous voyagez avec un équipage de mécréants. J’en suis désolé.
— J’accomplirai néanmoins l’allégeance pour vous. Il faut que ce vaisseau soit réparé, et vite.
— Sur ce dernier point, je suis d’accord avec vous, dit le capitaine Mohre. Mais que personne dans l’équipage ne puisse voir que vous faites allégeance pour eux.
Toreg, de retour dans ses appartements, s’arrêta devant le symbole rayonnant du Keelong suspendu au mur. Il resta un instant à contempler sa propre silhouette, réfléchie par la surface dorée, puis plia lentement le genou et inclina la tête. Il laissa toute sensation couler hors de lui, s’ouvrit à la paix, l’harmonie, la sagesse et l’unité qui sont les attributs du Keelong. Il ressentit la tension de tous ses camarades à bord du vaisseau, leur angoisse, leur frustration, leur découragement, et il leur souhaita confiance et harmonie. Il se laissa porter plus loin… et rencontra l’horreur de cette planète brûlée sur laquelle ils étaient échoués. Il vit une immense flamme gazeuse embraser en un instant d’un feu suffocant la planète entière. Il vit se consumer en crépitant les cadavres de dix milliards d’habitants anéantis par leur propre folie furieuse.
Il vit certains d’entre eux s’emparer d’un des leurs, d’un de leurs semblables, et le coucher sur une croix de bois. Il vit la victime se tordre de douleur et gémir pendant que de gros clous d’acier s’enfonçaient dans ses chairs. Et il vit les bourreaux dresser la croix debout et se réjouir du spectacle de la souffrance.
Il ferma son esprit. Il tremblait.
Jadak… Jadak, mon père… Comment en suis-je arrivé là ? Il commençait à comprendre le caractère farouche du vieux Grand Ama dont il était le fils. Il était inévitable qu’on en vînt à une telle attitude lorsqu’on avait compris quelle malédiction pesait sur la création, quelle était la bassesse des êtres doués de raison.
Mais ou se trouve le Keelong ? Pourquoi ne m’as-tu rien dit du Keelong, oh ! mon père ? Je suis dans l’ignorance et dans l’absence de foi. Je ne puis trouver mon chemin. Suis-je le serviteur d’une illusion ? Ou ne suis-je, simplement, qu’aveugle ? Est-il possible que je sois le seul à ne pas être capable de voir ?
Oh ! bien sûr, il y en avait d’autres… l’équipage du vaisseau, mais eux, au moins, voulaient croire en leurs propres prouesses. Quant au commandant Cromar, lui, il ne voulait croire qu’en ce qu’il choisissait de croire.
Mais Toreg, lui, que pouvait-il bien croire ?
Il avait fait fausse route quant à l’objet de sa quête, pensa-t-il soudain. Il avait toujours cherché quelqu’un. Mais le Keelong n’était pas quelqu’un. C’était là le grand secret. Le Keelong était une pensée – une pensée que chacun pouvait avoir en soi s’il le choisissait. Sa force était la force même que cette pensée avait dans l’esprit de ceux qui lui rendaient un culte.
Il se releva et son regard resta fixé sur le symbole doré. Il avait le sentiment d’avoir eu une révélation. C’était donc ça, le grand secret. Personne ne le lui avait jamais dit pour la simple raison que chaque individu devait le découvrir par lui-même. C’était ainsi, et seulement ainsi, que la grande idée du Keelong pouvait être partie intégrante d’un être, fondement même de toutes ses pensées et de tous ses actes.
Comment avait-il pu rester si longtemps aveugle à une telle évidence ? Comment une chose aussi simple pouvait-elle passer inaperçue de tous ? Il se sentait nettement plus idiot que la plupart des Amas pour avoir consacré son existence entière au service du Keelong sans même savoir ce que celui-ci signifiait. C’était seulement maintenant, tout près de la fin de sa vie, qu’il commençait à entrevoir le grand secret.
Et ce qu’il venait de comprendre, il n’était personne à qui il pût le révéler.
Ni Cromar. Ni le capitaine Mohre. Ni l’équipage. Personne.
Car c’était en eux-mêmes et par eux-mêmes qu’ils devaient le trouver.
Il retourna voir le capitaine Mohre.
— J’ai offert allégeance, dit-il. La situation devrait s’améliorer.
— Je souhaite que ce soit vrai, et je tiens à vous remercier pour votre gentillesse et votre prévenance, Ama. Si jamais nous avons la chance de revoir Alcor, j’espère que nos divergences ne feront pas de nous des ennemis.
— Nous ne serons pas ennemis, capitaine. Soyez-en certain.
Le lendemain, il retourna au camp et se présenta devant le commandant Cromar.
— Vous aviez raison. J’avais besoin de repos. Maintenant, j’aimerais reprendre le travail.
— Nous avons justement besoin de votre aide. Je suis content que vous vous soyez bien reposé. Comment vont le capitaine Mohre et son équipage ?
Toreg lui expliqua combien ils étaient découragés par le faible avancement des travaux.
— Mais ça va aller mieux, maintenant, ajouta-t-il.
— Qu’est-ce qui vous permet de dire ça ?
— J’ai fait allégeance pour eux.
On demanda à Toreg de se joindre à l’équipe des traducteurs. Il accepta à contrecœur, car il n’avait nul désir de voir ce travail réussir. Cependant, comme il aimait bien Barhnor, le jeune linguiste, il résolut de faire son possible pour garder une attitude neutre.
C’était, pour une large part, un travail de machines, mais la programmation des entrées et le classement des sorties réclamaient néanmoins une assistance manuelle. À ce stade des travaux, l’effort des linguistes portait sur le choix de référents linguistico-mathématiques aptes à faire la soudure entre l’alcorin et la langue étrangère utilisée dans le livre.
C’était un processus particulièrement lent et les hommes de Barhnor commençaient à s’énerver, incapables qu’ils étaient de parvenir même à ébaucher la moindre corrélation alphabétique.
Profitant de la pause de midi, Toreg monta jusqu’à la Salle de Guerre. À l’extérieur, les travaux de dégagement touchaient à leur fin. L’intérieur, supposa-t-il, devait être terminé lui aussi. Il pénétra dans l’édifice. Par contraste avec la lumière du dehors, il y régnait une obscurité dense à laquelle ses yeux mirent un certain temps à s’habituer. Ils avaient effectivement achevé de nettoyer la salle…
Ce fut alors qu’il vit l’horrible croix. Elle était accrochée en hauteur sur le mur, derrière la tribune, à l’emplacement même qu’elle avait jadis occupé. La statue avait été nettoyée ; le sang et l’expression de souffrance étaient plus visibles que jamais. Sur le coup, Toreg réprima un haut-le-cœur.
Au bout d’un moment, il s’avança pour examiner de plus près la malheureuse victime clouée sur la croix. Les habitants de cette planète n’avaient pas été très différents des Alcorins pour ce qui était de l’apparence générale. Leur épiderme, au lieu d’être écailleux, se réduisait à une fine enveloppe de peau blanche. Leurs membres offraient une grande similitude, tant par leurs dimensions que par leurs fonctions probables, avec ceux des Alcorins. Des parties de leur corps étaient couvertes de poils, ce qui, bien sûr, n’était pas le cas chez les Alcorins ; cette particularité ne leur était cependant pas inconnue : ils l’avaient déjà rencontrée chez d’autres races.
Mais il y avait autre chose à voir dans cette sculpture. Il émanait d’elle, et de cet endroit dans son ensemble, une intense impression de souffrance qui, semblait-il à Toreg, excédait la simple douleur physique. Il percevait un déchirement moral plus atroce que celui des chairs transpercées par les clous. Et il se sentait presque gagné par ce déchirement tant l’efficacité artistique de cette sculpture était grande. En tant qu’œuvre d’art, c’était une merveille. Mais son impact sur les sens était une horreur sans nom.
Il se ressaisit. Si Cromar le surprenait dans cet état, il lui interdirait à jamais l’accès du camp.
Il entendit des pas derrière lui et se retourna. C’était justement le commandant Cromar qui approchait, accompagné de Mékal. Ils avaient tous deux les yeux fixés sur la croix.
— Et maintenant, Ama, qu’en pensez-vous ? demanda Cromar en s’apercevant de la présence de Toreg.
Celui-ci fit de son mieux pour dissimuler son écœurement.
— Je me demandais pourquoi on l’avait accrochée au mur.
— Parce que, manifestement, c’était sa place à l’origine, répondit le commandant. Voilà toujours une partie des restaurations que nous aurons pu mener à bien.
— Avez-vous émis quelque hypothèse concernant sa destination ? demanda Mékal à Toreg.
— J’estime que la première supposition du commandant était la bonne : ce bâtiment était utilisé à des fins militaires. À mon sens, cette sculpture était un moyen de propagande, un symbole destiné à enraciner dans le cœur des gens la haine de l’ennemi en montrant le traitement que celui-ci faisait subir aux captifs. Un tel objet ne pouvait que susciter horreur et désir de vengeance à l’égard d’un ennemi capable de brutalités aussi odieuses. Cela correspond assez bien au concept de barbarie que nous avons dégagé pour qualifier le type de civilisation que ce peuple a dû connaître.
Mékal hocha la tête :
— Cela paraît logique.
— C’est une Salle de Guerre. Là, je suis d’accord, dit le commandant Cromar. Mais pour ce qui est de la croix, cette explication me paraît simpliste. Je pense que nous finirons par découvrir quelque chose de plus complexe.
— Pensez-vous réellement que nous puissions jamais découvrir quelque chose ? demanda Toreg. Comment serait-il possible, sur la seule base d’une sculpture, d’arriver à des certitudes ?
— Le livre, dit le commandant Cromar. J’estime que le livre a un certain rapport avec cette statue. Sinon, comment expliquer qu’il ait été conservé dans un coffre situé à proximité ? D’ailleurs, il me semble que le dessin de la couverture et la sculpture de la croix représentent un seul et même personnage.
— Il se peut que le livre ait un rapport avec des tas d’autres choses liées à la guerre, et pas nécessairement avec ce seul personnage.
— Peut-être. C’est ce que le livre nous apprendra si les traducteurs obtiennent quelques résultats. Pour l’instant, ils ne sont arrivés à rien.
Mékal avait cessé de s’intéresser à la conversation et son regard errait sur le paysage ensoleillé qu’on pouvait apercevoir par les fenêtres.
— C’est si facile de tout oublier, dit-il. Regardez cette merveilleuse planète et dites-moi s’il n’est pas facile d’oublier que jadis, pendant quelques instants, elle a été ravagée par un feu d’enfer et que depuis, c’est une planète morte. De même, il est facile d’oublier la souffrance de celui qui est représenté sur cette croix ; comme il est facile d’oublier que nous ne sommes pas une simple expédition archéologique de routine. Mais en fait, à quoi bon se leurrer ; nous devons commencer à prendre conscience que jamais nous ne retournerons chez nous, que nous allons finir nos jours dans la solitude de cette planète brûlée et que nous aurons pour dernier compagnon cet étranger victime de la sauvagerie de ses semblables.
— Nous allons retourner chez nous ! s’écria Toreg. Ils vont réussir à réparer le vaisseau.
Une expression de surprise apparut sur le visage de Mékal.
— Je croyais qu’ils étaient sur le point de renoncer. Comment pouvez-vous avoir la certitude qu’ils vont réussir ?
— Il a effectué une allégeance pour eux, dit le commandant Cromar. Et il quitta la salle, entraînant le savant à sa suite.
Après leur départ, Toreg leva de nouveau les yeux vers la croix. Il contempla fixement les filets de sang qui parcouraient les pieds de la statue.
Il fallait la détruire.
Il devait trouver un moyen de le faire.
Barhnor, comme Mékal, n’avait aucune difficulté à oublier qu’ils étaient échoués sur ce monde. Il se plongeait dans son travail jusqu’à ne plus avoir conscience de rien d’autre. C’était comme un jeu gigantesque dont il aurait eu la passion. Un combat. Les caractères du livre étaient autant d’ennemis à l’assaut desquels il se ruait chaque jour et qui, suspectait Toreg, le hantaient dans son sommeil.
Mais l’Ama éprouvait une véritable fascination à le voir travailler. Chaque jour apportait une approche neuve du problème, approche à laquelle il avait réfléchi toute la nuit. Et, pendant une demi-journée, les machines à traduire crachaient le résultat de ses cogitations nocturnes.
Un torrent d’absurdités sans la moindre signification.
Barhnor, de son côté, éprouvait un grand respect pour Toreg.
— Quand on m’a annoncé que vous alliez travailler avec moi, je n’ai pas voulu y croire. Jamais je n’aurais osé espérer avoir un tel honneur. Quelle sorte de travail voulez-vous faire ?
Toreg avait souri. Quel plaisir c’était d’avoir un disciple dévot et dévoué. Il lui fallait penser à remercier Cromar de l’avoir affecté dans l’équipe de Barhnor.
— C’est à vous d’en décider. Personnellement, je ne suis familiarisé qu’avec les rituels et la science du Keelong. Je n’ai aucune formation particulière pour le type de travail que vous accomplissez. Je ne crois d’ailleurs pas que je puisse vous être d’une grande utilité.
— N’en croyez rien, Ama. Et puis-je vous demander de commencer par utiliser vos compétences ? Accepteriez-vous de prêter allégeance pour le succès de notre tâche ?
Sous de tels auspices avait débuté la collaboration avec Barhnor : Toreg avait invoqué le Keelong pour demander la réussite d’un travail dont il ne souhaitait que l’échec.
Toreg remarqua que les gens du camp commençaient à prendre l’habitude de se rassembler dans la Salle de Guerre dès qu’ils avaient un moment de libre et pendant leur temps de repos. Et ce comportement n’était pas sans lui inspirer les plus grandes craintes. Leur naturel enjoué semblait céder la place à une humeur de plus en plus taciturne et, quand ils s’asseyaient sous la croix, leurs yeux erraient sur l’image du supplicié et ils paraissaient se perdre dans une sorte de contemplation. Une transe même, se disait Toreg quand il les voyait si insensibles au monde extérieur.
De plus, leur pratique de l’allégeance commençait à nouveau à se relâcher.
La croix exerçait sur eux son emprise comme si elle était douée d’une puissance qui, après avoir survécu à l’holocauste, serait restée en sommeil dans l’attente des hommes d’Alcor.
Toreg frissonna et détourna son regard de l’image sanglante du crucifié.