CHAPITRE VIII

Le taux d’oxygène de l’air était fort bas et, comme au sommet d’une haute montagne, respirer était un acte épuisant. Ils avaient néanmoins décidé de s’y accoutumer afin d’éviter le constant recours aux combinaisons. Ils ne firent d’abord, sans tenue protectrice, que de très courtes sorties, puis, à mesure que les jours passaient, en accrurent la durée.

Le climat se révéla désagréablement froid et humide. Ils avaient beaucoup de mal à s’y habituer car, sur Alcor, la population occupait principalement les régions chaudes et sèches. Pour les Alcorins, l’eau n’offrait d’intérêt que dans les mers et les oasis. Les régions pluvieuses de leur planète étaient pratiquement vides d’habitants, à l’exception de ceux qui avaient le malheur d’être employés au travail de ces terres.

Leur premier objectif fut de trouver des substances alimentaires auxquelles leur organisme pût s’adapter. Ils se préparaient déjà à prendre une des vedettes et à explorer la contrée quand ils s’aperçurent que de larges secteurs de la vallée dans laquelle ils avaient atterri étaient couverts d’une végétation sauvage qui, jadis, semblait avoir été cultivée.

L’aspect de cette végétation leur était totalement étranger mais, à l’issue d’un examen plus attentif, ils découvrirent que de petites graines et des plantes à tubercules étaient riches d’éléments nutritifs qu’ils se débrouillèrent pour extraire. Les plus jeunes membres de l’équipage furent affectés à cette tâche pendant que les techniciens et les mécaniciens s’attaquaient aux complexités de l’ordinateur et des circuits de navigation.

Toreg se proposa pour participer aux cueillettes. Après que Cromar eut violemment rejeté ses services en tant qu’Ama, il était resté imperturbable et avait gardé un maintien digne. Sa présence au milieu des hommes d’équipage avait quelque chose d’embarrassant, mais il ne paraissait rien remarquer lorsque les autres l’évitaient. Pouvaient-ils oublier qu’il était le farouche Ama Toreg, celui qui les avait dénoncés comme profanateurs et sacrilèges et qui avait condamné l’un d’entre eux à être exilé ? Le voir offrir docilement ses services pour le ramassage des plantes alimentaires avait de quoi surprendre : c’était un événement sans précédent. Certes, il n’était plus l’Ama, puisque ainsi en avait décidé le commandant, mais il n’était pas devenu pour autant un des leurs.

Le commandant Cromar se serait certainement senti plus à l’aise si l’Ama avait réagi comme il l’escomptait : par des cris, des menaces et des injures. Il dit à Toreg :

— Il n’est pas nécessaire que vous sortiez. Les jeunes sont parfaitement capables d’assurer, à eux seuls, la cueillette.

— Je pense que les choses ont beaucoup changé, dit Toreg. Des classifications telles que jeune, vieux, prêtre, technicien n’ont plus grand sens ; le travail que chacun doit accomplir, c’est celui qu’il fait le mieux. Pour le moment, je ne vois pas de meilleur moyen de me rendre utile que d’aider à la recherche de la nourriture. Vous n’allez quand même pas me l’interdire, commandant ?

— Non, bien sûr. Je ne pensais qu’à la vigueur que nécessite un tel travail dans une atmosphère aussi rigoureuse.

Il avait l’impression très nette que Toreg le faisait passer pour un imbécile.

— J’ai tout à fait l’habitude des travaux difficiles. La vie d’un Ama du Keelong n’est pas exempte de rigueurs.

— Vous pouvez faire comme bon vous semble, dit le commandant Cromar sur un ton plus nerveux qu’il n’aurait voulu. Votre contribution sera la bienvenue.

— Merci.

Toreg se joignit à une équipe formée des plus jeunes membres de l’équipage et de ceux qui n’avaient pas de qualification particulière. Auparavant, à une ou deux reprises, il était sorti du vaisseau, mais sans avoir à fournir d’efforts. Cette fois, le trajet vers les champs lointains se révéla très vite épuisant. Il haletait, tout en forçant l’allure pour ne pas se laisser distancer par le reste du groupe, et sentait ses poumons sur le point de se rompre.

Les autres aussi respiraient avec peine, mais leur fatigue n’était rien auprès du plaisir que leur procurait le spectacle de l’Ama pantelant. Du sein du groupe jaillit une voix :

— Une petite allégeance, maintenant ? Que diriez-vous, Ama, d’une petite allégeance ?

Quelqu’un fit taire l’insolent mais Toreg sentait bien qu’il était devenu pour tous un objet de dérision. Où était le complot, à présent ? Où était la conspiration ? Pourquoi ne le tuaient-ils pas tout de suite, si c’était là qu’ils voulaient en venir ?

Tout simplement parce qu’ils n’avaient plus la nécessité de le faire. Il était vaincu à leurs yeux. Ils pouvaient, à présent, se moquer de lui sans risquer la moindre réprimande. Cependant, entre deux halètements douloureux, il parvenait à sourire. Ils ne connaissaient pas le pouvoir du Keelong… la foi en la foi.

Il se traînait derrière eux. Lorsqu’il les rejoignit, ils étaient déjà en train de cueillir des graminées à courte tige. Il ne comprenait pas très bien ce qu’ils allaient pouvoir tirer de ces petites graines, minuscules et rares, qui apparaissaient au sommet des tiges, mais, à son tour, il se pencha vers la terre pour les aider dans ce labeur exténuant.

— D’abord, dit-il, que ceux qui, parmi nous, ont à cœur de le faire, offrent leur allégeance au Keelong afin que cette moisson nous soit profitable.

Avant que les autres n’aient eu le temps de se remettre de leur surprise, il avait déjà posé le genou à terre. Toreg était là, tête baissée, leur présentant son dos, et seule la force de l’habitude les empêchait de se moquer de lui. Pourtant, contre toute attente, ils se prosternèrent l’un après l’autre, tous sauf deux qui s’éloignèrent en fauchant rageusement les tiges pendant que leurs camarades accomplissaient l’allégeance.

Toreg, se redressant, jeta un coup d’œil derrière lui. Un sourire éclaira son visage pendant qu’à leur tour les autres se relevaient.

— Merci, leur dit-il d’une voix sereine. Le Keelong vous accordera sa bénédiction. Puisse votre poitrine être pleine de force… et que la lumière d’or du Keelong descende sur vous.

L’attitude humble qu’il avait adoptée en réponse aux moqueries les avait totalement décontenancés. Au cours de la journée, plusieurs vinrent travailler à ses côtés pour lui murmurer :

— Merci, Ama.

Il se sentait triomphant et heureux. Ceux-là venaient d’être gagnés au Keelong ; et c’était lui qui les avait gagnés. Telle était sa tâche en tant qu’Ama, et il l’accomplirait jusqu’à son dernier souffle.

Il se pencha et travailla avec les autres ; il coupa des tiges et les lia en gerbes. Chaque geste le faisait suffoquer et chaque souffle qui s’échappait en râlant de sa poitrine lui paraissait être le dernier.

 

Quand il fut de retour dans ses appartements, il était exténué. L’atmosphère normale du vaisseau commençait à calmer la brûlure de ses poumons ; il avait rarement éprouvé un sentiment de gratitude pareil à celui qui l’avait envahi tout à l’heure en inspirant la première bouffée de cet air.

Il ôta ses vêtements grossiers tachés de boue et de sève verte, prit un bain et s’effondra sur son lit.

Ama.

Toreg le Terrible.

Grand Ama du Keelong.

Que restait-il de ce Toreg ? Cromar, sous les yeux de tout l’équipage, l’avait dépouillé de son office. Les hommes, à présent, osaient ouvertement se moquer de lui. Il n’y avait pas si longtemps, ils auraient tremblé en sa présence. Et ils avaient effectivement tremblé et déclaré allégeance quand, pour la première fois, il était monté à bord du Prohorus. Combien de temps y avait-il de cela ? Quelques jours, à peine… qui lui paraissaient être des siècles.

Lazoro.

Il repensait à ce jeune homme qu’il avait exilé sur Zenk 12. À présent, c’était l’équipage tout entier qui connaissait l’exil. Lazoro était-il encore en vie ? Probablement. Il devait lutter pour survivre comme luttait à présent l’ensemble du vaisseau. Sauf que sa lutte à lui serait de plus courte durée.

Si telle était la façon dont leur existence s’achevait, quel bilan allait-il pouvoir rendre de ses réussites et de ses échecs ? C’était un problème que tous allaient devoir affronter ; mais la plupart, peut-être, ne se le poseraient pas. Quant à lui, cela faisait longtemps qu’il y pensait – tout en ne croyant pas que le moment de la décision fût si proche.

Il y avait pensé en prononçant ses vœux, bien des années auparavant, quand il était jeune… et craintif, comme disait Cromar. L’idée lui en était revenue beaucoup plus tard, mais il ignorait pourquoi. Il n’y avait rien après la mort. Tel était l’enseignement, et il n’avait jamais songé à le remettre en question. Mais il s’interrogeait parfois sur ce que l’on murmurait à propos d’un enseignement occulte du Keelong, un aspect ésotérique de la Tradition que seul connaissait le Triumvirat qui siégeait au sommet de la Hiérarchie. Personne ne savait en dehors du Triumvirat, ce qu’étaient ces enseignements, mais on racontait qu’ils avaient trait à ce qui se passait après la mort.

De telles choses se situaient au-delà de sa compréhension.

Pour lui, c’était simplement un problème de conclusion. Il n’avait pas seulement le désir que tout fût en ordre à la fin des choses, mais encore la volonté d’achever ce qu’il avait commencé. Et ce qui se passait sur Alcor n’entrait aucunement en considération ; que la rébellion réussît ou non à vaincre la Hiérarchie et à balayer le culte du Keelong ne changeait rien à son problème. Lui, Toreg, Ama du Keelong, avait son propre bilan à faire.

Toreg se remémora son père. Ce souvenir avait un poids énorme dans l’espèce de balance qu’il tentait d’établir. Il était rare qu’il évoquât consciemment la mémoire de son père, mais l’image de Jadak, l’Ancien, n’était jamais très lointaine.

À la naissance de Toreg, Jadak était déjà fort âgé et, cependant, il avait vécu assez longtemps pour voir Toreg ordonné Grand Ama. Et Toreg avait conscience d’avoir été pour Jadak le couronnement d’une longue vie dédiée au service du Keelong.

En ce jour glorieux, Jadak avait dit :

— Le Keelong est suprême, mais il ne règne dans le cœur de son peuple que par la vertu de ses serviteurs, et mon fils est l’un d’eux ; il est Grand Ama du Keelong.

Jadak était mort le lendemain. De la Hiérarchie, Toreg avait reçu ses habits sacerdotaux et les chartes de son investiture officielle ; mais l’investiture réelle, c’est de Jadak qu’il la tenait. Telle était la vérité qui l’avait accompagné toute sa vie durant.

Il n’avait aucun mal à se rappeler Jadak. À chaque moment de sa vie consciente, Toreg avait connu le vieux prêtre sous l’apparence d’un Grand Ama du Keelong. Il ne pouvait pas se souvenir de son père autrement. Chez eux, quand Jadak s’asseyait, il le faisait avec la dignité et la raideur requises chez un Ama. Quand il parlait à Mariel, la mère de Toreg, c’était avec la voix sonore d’un prêtre en haut de sa chaire. Lorsqu’il s’adressait à Toreg ou à l’un de ses frères, son ton ne souffrait pas de réplique, comme si le Keelong lui-même eût parlé par sa bouche.

Toreg n’avait jamais su qui était son père, le père qui devait être caché quelque part sous la robe du prêtre. À l’époque lointaine de son enfance, il avait cru voir là son père, et il avait brûlé du désir d’égaler son image grandiose. À présent, son seul désir était de savoir ce qui avait dû se tapir quelque part – à quelque profondeur que ce fût – derrière cette image.

Penser à son père suscitait toujours chez Toreg une grande lassitude. C’était un des grands mystères de sa vie : quelle avait été la réelle personnalité de son père ? Qui était-il ? Quelle avait été sa foi ?

Se pouvait-il que Jadak, le prêtre du Keelong, n’ait été rien d’autre que cette façade rigide ? S’il avait pu jeter un coup d’œil derrière, Toreg n’aurait-il découvert que l’envers d’une coquille vide ? Ou aurait-il trouvé quelqu’un, ce quelqu’un perdu depuis si longtemps, ce père qu’il n’avait jamais connu ?

Il n’en avait jamais rien su, et ne pourrait, maintenant, jamais rien en savoir. Jadak était la seule personne à qui il eût pu poser ces maudites questions. Mais Jadak, le fier prêtre du Keelong, avait à jamais dissimulé sous un masque la personne que Toreg supposait être son père.

Toreg ne pouvait pas imaginer Jadak doutant de l’existence du Keelong. Certes, la chair est faible, et son père pouvait s’être posé des questions, comme lui-même l’avait fait au début. Mais il y avait une différence entre se poser des questions et savoir avec certitude.

Une sacrée différence.

Toreg, lui, savait que le Keelong n’était qu’un mythe.

Il sentait que les flammes auraient dû réduire ses yeux en cendres pour le punir d’avoir laissé son esprit formuler de telles pensées. Mais il n’y avait pas de flammes, et le seul fait qu’il pût encore se tenir debout, marcher, respirer et voir prouvait amplement qu’il ne se trompait pas.

Car le Keelong – s’il avait réellement existé – l’aurait frappé de cécité à l’instant même où pareille pensée s’était faite jour.

Et, pensait Toreg, il aurait préféré qu’il en fût ainsi car, alors, il aurait eu la preuve de la réalité du Keelong.

Longtemps auparavant, dans les profondeurs reculées de l’histoire d’Alcor, quelqu’un avait inventé le Keelong pour empêcher les créatures de chair de perpétrer leur propre destruction. Cette invention avait été nécessaire. Sans elle, Alcor aurait connu le destin de ces mondes sur lesquels ils relevaient à présent les traces de la guerre. Grâce à elle, ils avaient eu la chance d’atteindre les sommets qu’ils avaient atteints.

Il était certain que le Keelong était essentiel à leur salut comme il l’était de son inexistence. C’était la croyance au Keelong qui avait assuré la sauvegarde d’Alcor et sa puissance. Et se dévouer à cette cause méritait tous les sacrifices.

Lazoro, lui-même…

 

Avec le temps, les réserves de nourriture furent assurées. La moisson de grains avait été abondante. Ils n’avaient pas noté la moindre présence de vie animale sur la terre ferme mais, dans les rivières et les lacs qui se trouvaient à proximité, il y avait un grand nombre de poissons qui se révélèrent mangeables, quoique leur goût fût loin de satisfaire les palais alcorins.

Comme pour se racheter d’avoir déchu Toreg de ses fonctions officielles, le commandant Cromar le fit membre du comité qu’il avait constitué à partir des divisions administratives de l’équipage. Ce comité, qui comprenait entre autres le capitaine Mohre, ses pilotes, son mécanicien-chef et les divers responsables de secteur de l’équipage, se réunit sous la présidence du commandant dans le carré des officiers.

Cromar prit la parole :

— Je voudrais vous donner un premier rapport sur les dégâts que nous avons subis. La situation est grave mais n’est peut-être pas sans espoir. Il se peut que nos techniciens et nos mécaniciens réussissent à reconstruire une bonne partie des appareils endommagés, assez pour nous permettre de retourner chez nous.

» Mais ce n’est là qu’une possibilité – et en aucun cas, une certitude. Quoi qu’il en soit, nous resterons sur cette planète pendant un temps considérable.

Seuls un petit nombre d’entre nous sont compétents pour travailler à la réparation du vaisseau. Il nous faudra les prendre à notre charge afin qu’ils puissent s’y consacrer à plein temps.

» Des équipes assureront par roulement le ramassage et la préparation de la nourriture. Grâce aux plantes indigènes et aux poissons, nous disposons d’une base alimentaire inépuisable. Un supplément sera cependant prélevé en petite quantité sur les réserves du vaisseau. En effet, il nous faut les économiser en prévision du retour sur Alcor… si nous avons la chance de pouvoir effectuer ce voyage.

» Mon équipe scientifique va revenir à sa fonction première qui est d’enquêter sur cette planète, sur les causes de sa destruction et sur la nature du milieu qui nous environne. Nous allons établir un campement à l’extérieur du vaisseau car, de toute façon, si nous ne devions jamais quitter cet endroit, le Prohorus ne saurait être une demeure permanente.

» Nous devons nous accoutumer à ce monde et nous préparer à y vivre… pour le restant de notre existence, si besoin est.

Il venait de dire à haute voix ce que tous se refusaient à envisager : que, peut-être, ils ne pourraient jamais quitter cette planète. Sous le coup de cette révélation, ils n’avaient pas de questions à poser. Celles-ci viendraient plus tard. Pourquoi le vaisseau avait-il été endommagé ? Pourquoi avaient-ils fait ce détour sans signaler leur nouvelle position ? Pourquoi ?…

— Je voudrais ajouter une chose : ceux d’entre vous qui désirent continuer à rendre un culte au Keelong ne seront pas empêchés de le faire. Je crains, la dernière fois, de m’être laissé emporter au-delà de ce que je pensais. Mais ce culte sera totalement volontaire. Il ne saurait y avoir de réprimandes. L’Ama conduira les cérémonies pour ceux qui voudront y participer sans exercer de contrainte en faveur ou contre de telles activités.

Toreg avait éprouvé une grande satisfaction à être convié à cette réunion du comité ; et maintenant, une fois de plus, c’était comme si Cromar l’avait giflé en public. Il attendit que tout le monde se fût dispersé afin de rester seul avec Cromar.

— C’est très aimable à vous de me donner la permission d’accomplir mon office, dit-il.

Le commandant hocha la tête.

— J’ai pensé que cela valait mieux que de continuer à nous battre tout le temps que nous serons ici. Dans l’équipage, il en est qui veulent avoir une pratique religieuse, d’autres non. Comme ça, tout le monde a le choix.

— Vous y croyez vraiment, Cromar ?

— Que voulez-vous dire ?

— Vous et moi, nous sommes ennemis. Et nous ne serons jamais autre chose. Nous représentons deux modes de pensée qui ne peuvent pas exister côte à côte, que ce soit sur Alcor ou sur cette planète.

— Vous êtes fou !

— Si vous désirez cesser le combat, c’est parce que vous estimez avoir gagné. Je vous demande pardon ! Depuis quand un Ama a-t-il à demander la permission d’accomplir son office ? Vous me donnez la permission, dites-vous ; non, je la prends ! J’accomplirai ma tâche, quelles que soient les circonstances… mais personne n’a à me le permettre. Vous et moi, nous sommes toujours en guerre, Cromar ; ne l’oubliez pas. Avant que nous quittions cette planète, tous les membres de cet équipage seront de dévots adorateurs du Keelong. Et même vous, peut-être, Cromar. Je ferai mon travail, avec ou sans votre permission.

— Comme vous voudrez, dit calmement le commandant Cromar. Mais peut-être cela vous intéressera-t-il de savoir qu’il y avait, effectivement, une conspiration ?

— Il y avait ?…

— Ils ont réussi, Toreg. Leur but était de vous détruire, et c’est qu’ils ont fait.

— Ce que vous dites est absurde, Cromar.

— Non. Ils vous connaissaient assez pour savoir que, pour peu qu’on vous pousse dans la bonne direction, vous vous empresseriez de courir à votre propre perte. Ils vous ont provoqué par des actes sacrilèges et vous avez foncé tête baissée dans chaque provocation, répondant chaque fois avec plus de sévérité jusqu’à susciter l’indignation générale de l’équipage en condamnant Lazoro à l’exil. Ils lui ont promis, incidemment, de revenir le chercher sur Zenk 12, et il les a crus. C’est pourquoi il a refusé la grâce que je lui offrais. Bien entendu, ils n’avaient ni l’intention ni les moyens de tenir leur promesse.

» Mais le résultat final a dépassé de loin leurs espérances. L’exil de Lazoro a amené le second pilote au bord de la folie. Il a conçu l’idée de se débarrasser de vous en se débarrassant du vaisseau tout entier.

» Nous avons achevé de démêler toute l’affaire hier.

Il n’y avait qu’une douzaine de conspirateurs actifs ; ils sont aux arrêts. Le second pilote a été exécuté ce matin.

» J’estime que c’est une assez jolie victoire pour vos ennemis, ne pensez-vous pas, Toreg ?