PETITE INTRODUCTION DÉSASTREUSE
CHRONOLOGIE DE NOTRE APOCALYPSE

1945 a représenté d’une certaine manière l’apocalypse dure de notre civilisation finissante, avec ses 60 millions de morts et ses charniers d’horreur, avec cette volonté aussi, pour cette civilisation, de renaître sur ses cendres et des bases nulles, inexistantes du point de vue culturel et spirituel notamment. Le jazz et l’existentialisme, Hollywood et les peintres à la mode étant destinés à remplacer Vinci, le Parthénon, Purcell ou Nicolas Gogol. On gardera l’ancienne culture, mais congelée.

De 1945 sont sortis les programmes de sécurité sociale intenables, destinés à tenir l’être humain dans son cocon toute sa vie durant et aussi, et surtout, le baby-boom qui devait, sur fond d’explosion planétaire de la natalité et d’effondrement de la mortalité, nous mener au bord du gouffre. C’est chose faite avec la venue du papy-boom, ingérable sur le plan financier, qui a fait exploser toutes nos bulles des années 90 et 2000. Harpagon et Scrooge se sont donné la main pour détruire le monde en continuant de se remarier et de jouer au golf. Les crises démographiques ont pu être analysées comme celle de l’Antiquité par l’historien Polybe, mais aucune n’enseigne comment résister à la marée prochaine : un monde peuplé de vieillards. Un livre de science-fiction peut-être ?

L’histoire apprend qu’on peut l’oublier mais qu’on ne peut l’ignorer, dût-elle se répéter sous une forme ironique. 2005 est ainsi une autre année charnière de notre apocalypse douce. La génération du baby-boom, à qui nous devons La Guerre des étoiles, Modiano ou Iggy Pop, part massivement à la retraite. Mais les salariés trouvent l’addition bien salée et même le sel est avarié.

En 2007 prend fin le boom immobilier, dernière vaine tentative de créer artificiellement de la richesse dans un Occident qui n’en produit plus du tout depuis trente ans : seule l’Allemagne a continué à croire en ses usines, même le Japon d’Hiroshima y a renoncé. Et nous avons inventé la civilisation du « voleur ajouté », avec l’explosion du prix du mètre carré, de la consultation dermatologique et du terrorisme boursier. Les Chinois ou les musulmans du Golfe qui, aujourd’hui, vieillissent encore plus vite que nous (400 millions de septuagénaires pour 2050 dans l’empire du petit vieux…) nous ont emboîté le pas. On ne produit plus de richesses, on les crée. On décrète un prix et le troupeau suit, jusqu’à ordre nouveau ou crise finale. Le marché a toujours raison, comme le parti ou Mussolini !

Harpagon se fiait à sa cassette, nous à l’indice boursier. Ce dernier d’ailleurs est moins gaillard qu’il n’y paraît. Le CAC 40 a perdu 50 % en dix ans, le Nasdaq aussi et je ne parle pas du Down Jones ou des autres indices de la peur. La bourse, les marchés pardon – soit 10 000 banksters tout au plus, qui ont ordonné unilatéralement le désarmement et la désindustrialisation de l’Occident –, n’ont pas créé de richesse, bien au contraire. Ils l’ont détruite et ont vendu comme Néron à prix d’or les braises ardentes de la ville de Rome. De même l’euro, le mal nommé (pensons aux destins financiers d’Euro Disney ou d’Eurotunnel), qui nous a minés en quelques années, faisant tripler le coût de tout en Grèce ou en Espagne et qui ne vaut plus rien aujourd’hui, comme un bûcher deux jours après, une fois que le feu d’artifice destiné à ébaubir les foules est passé et que ne reste que la puanteur du bois mort.

Les soixante ans écoulés depuis 1945 correspondent aussi à Internet. En dix ans, cette « nouvelle voie initiatique », comme je la qualifiais à l’époque, a détruit l’industrie culturelle, limité l’information aux people, désexualisé les rapports humains, bref, a accompli le même rôle eschatologique que la presse à imprimer de Gutenberg, responsable de vingt guerres civiles dites de religion, de massacres et vandalismes sans nom et de la dépopulation d’une partie de l’Europe.

Trente ans après Coppola, il est possible enfin de bien décrire l’apocalypse molle et grise qui commence à inquiéter tous les idiots du village médiatique.

 

Nicolas Bonnal, en l’an 2010.