vingt et un
J’ai écarquillé les yeux, désorientée, incapable d’expliquer ce qui s’était passé. Nous n’étions pas aux jeux, et même loin du Colisée, d’après ce que je voyais. Ma seule certitude était que Messalina me manipulait. À défaut de me tenir sous son emprise, elle me garderait prisonnière de son labyrinthe.
Bodhi a penché la tête d’un air de compter sur moi pour la suite de l’itinéraire. Il pensait sans doute qu’étant donné le temps que j’avais passé ici, je devais connaître le chemin ; c’est là que, subitement, j’ai mieux compris son travail, la lourde responsabilité qu’impliquait le fait de guider les autres. J’ai aussi mesuré combien ça avait dû être pénible pour lui de m’avoir sur le dos alors que j’avais tendance à le critiquer à tout bout de champ, à faire en sorte que son rôle de guide soit tout, sauf une partie de plaisir.
À l’évidence, être coincée dans un dédale de pièces blanches désertes qui se ressemblaient toutes, et me sentir totalement paumée alors que mon chien et mon guide attendaient que je trouve une issue n’était qu’un retour de manivelle, une punition que je méritais largement. Cela dit, punition ou pas, je n’avais d’autre choix que de la surmonter, de faire tout mon possible pour nous sortir de là.
Je me suis efforcée de rester calme et immobile, à l’affût du moindre indice susceptible de nous aider, et très vite des éclats de voix se sont fait entendre non loin ; j’ai fait signe à Bodhi et Caramel de me suivre. À pas de loup, nous avons remonté plusieurs galeries suivies d’une enfilade de pièces identiques, guidés par le bruit des rires, de la musique et des bavardages qui semblaient devenir de plus en plus fort à mesure que nous avancions, mais qui malgré la distance parcourue restaient impossibles à localiser. En clair, nous tournions en rond.
Je me suis arrêtée d’un coup, si brusquement que Bodhi m’est rentré dedans et Caramel à sa suite, une réaction en chaîne qui m’a fait perdre l’équilibre et m’a obligée à me rattraper d’une main au mur pour ne pas tomber.
– Désolé, a chuchoté Bodhi.
Il s’apprêtait à ajouter quelque chose, mais j’ai mis un doigt sur ma bouche pour lui signifier, ainsi qu’à Caramel, le silence.
– Écoute, ai-je pensé ; je savais qu’il m’entendait aussi bien que si je parlais à voix haute.
– Écoute bien.
Bodhi s’est penché en avant tandis que Caramel l’imitait en dressant une oreille ; il a gardé la pause un instant puis il s’est tourné vers moi d’un air perplexe.
– À part des éclats de rire et des voix, je n’entends rien.
Il m’a dévisagée, profondément confus.
J’ai acquiescé avec assurance. Je percevais enfin dans son ensemble le tableau, que j’avais à peine entrevu jusqu’ici.
Bodhi a jeté un coup d’œil dans les deux directions qui se présentaient, devant et derrière nous, avant de se retourner vers moi.
– Le bruit est là pour nous distraire, pour nous empêcher d’atteindre notre but. Tout comme il empêche Theocoles de poursuivre son destin.
Il a soupiré, haussé les épaules, apparemment sans comprendre un traître mot de ce que je racontais, mais impatient d’en finir. Du pouce, il a montré la direction dans son dos.
– On repart plutôt par là, alors ?
– Oui. Direction le silence.
Je me suis faufilée devant lui pour ouvrir la marche.
– Allons là où le bruit n’est plus qu’un chuchotement. C’est là qu’on le trouvera… et aussi là qu’on devra le conduire.