CHAPITRE IV
 
La proie de la proie

 

Alexandre

Je sentais le moment venu de me refaire une solitude. La solitude est chose fragile qui vieillit vite. D’abord pure et dure comme diamant, elle subit atteinte sur atteinte. Légères, le sourire du garçon de café qui vous reconnaît, les trois mots de commentaire sur le temps qu’il fait de la marchande de fruits, puis plus appuyées quand telle ou telle de vos habitudes a été repérée – « le steak à point, comme vous aimez » – « votre journal n’est pas encore là, la livraison est en retard aujourd’hui » – enfin, c’est l’irréparable outrage lorsque votre nom ayant été décelé, des commerçants zélés vous l’assènent à tout propos « Monsieur Surin par-ci, monsieur Surin par-là. »

Mais comme briseur de solitude, rien ne vaut le sexe. Moi, sans sexe, je ne vois vraiment pas de qui j’aurais pu avoir besoin. Un anachorète dans le désert, un stylite debout jour et nuit sur sa colonne. Le sexe, c’est la force centrifuge qui vous chasse dehors. Hors d’ici ! Va baiser dehors ! C’est le sens de la prohibition de l’inceste. Pas de ça ici ! Monopole de papa ! Et si on sort, ce n’est évidemment pas pour des promenades solitaires. Le sexe ne vous expulse de chez vous que pour vous jeter dans les bras du premier venu.

Me refaire une solitude. Cela consiste à me laisser tomber dans une sous-préfecture un peu grise, comme Roanne, par exemple – vierge, absolument vierge, pas un souvenir, pas une trace de moi – à prendre une chambre dans l’hôtel Terminus, et là à attendre. Attendre qui, quoi ? D’abord le bonheur. La porte refermée derrière la bonne qui m’a accompagné, ma petite valise posée sur les sangles de l’X, je me laisse aller sur le dessus-de-lit en crochet blanc.

J’entends la lointaine rumeur de la ville, le ferraillement et le timbre d’un tramway, le flot des voitures qui s’écoule, des appels, des rires, un aboiement, tout cela fondu dans une rumeur familière. Ils sont nombreux, ils sont tous là, je les entends, je sens leur présence, mais eux ne savent pas que j’existe. Présence à sens unique, absence unilatérale. Le bonheur luit dans ma poitrine comme la flamme d’une lanterne sourde. Divine toute-puissance ! N’est-ce pas le privilège de Dieu de connaître tous les êtres sans se dévoiler lui-même ? Il y a certes les croyants, les mystiques, ces indiscrets qui prétendent remonter le courant et jeter un œil dans le divin secret. Pas de risque dans mon cas. Tout le monde m’ignore qui suis à l’affût. La chasse est ouverte.

PORTRAIT D’UN CHASSEUR

Des pieds à la tête, c’est la sécheresse qui domine. Du nerf et de l’os, des tendons et des articulations. Des muscles décharnés, câbles et filins plutôt que masses travailleuses. Le profil aquilin, tout en crâne et en mâchoires, l’air carnivore, mais plus prédateur que digestif. Digéré-je ? Je ne m’en aperçois guère. Au reste, je me demande où passe la nourriture que j’absorbe en quantité pourtant notable. Car je suis de surcroît un peu porté sur la constipation. En tout cas l’euphorie défécatoire n’est pas mon fait. J’écris cela avec une ombre de regret. J’aime jeter, rebuter, détruire, nettoyer par le vide. Je pense notamment que la plupart des maisons souffrent d’un système d’évacuation insuffisant. Si j’avais une grande demeure, je veillerais à ce que chaque mois une quantité notable de meubles, tapis, tableaux, vaisselle, lingerie, etc. fût livrée aux éboueurs. Faute de cette purge régulière, notre milieu domestique s’engorge, s’encrasse, et il faut attendre un déménagement pour que soit enfin accompli le grand massacre devenu à la longue indispensable.

Cette sécheresse qui résiste à un régime alimentaire généreux, je vois bien ce qui l’entretient. C’est une sorte de feu intérieur, de forge intime, une passion nerveuse, une tension trémulante de mes muscles et de mon attention qui brûlent sans cesse en moi, ne m’accordant la nuit qu’un sommeil léger et épisodique. Mes muscles et mon attention. Bien malin qui fixerait la part de ma carcasse et celle de mon cerveau dans cette fermentation qui est toute ma vie. Certes le sexe s’y taille la part du lion, mais le sexe, c’est tout l’homme, et je crois que chez moi il est de nature grandement cérébrale.

Le sexe, la main, le cerveau. Trio magique. Entre le sexe et le cerveau, les mains, organes mixtes, intermédiaires, petites servantes de l’un et de l’autre, caressent pour le compte du sexe, écrivent sous la dictée du cerveau.

DE LA MASTURBATION

Le cerveau fournit au sexe un objet imaginaire. Cet objet, il incombe à la main de l’incarner. La main est comédienne, joue à être ceci, puis cela. Elle devient à volonté pince, marteau, visière, sifflet, peigne, machine à calculer pour les primitifs, alphabet pour les sourds-muets, etc. Mais son chef-d’œuvre est la masturbation. Là, elle se fait à volonté pénis ou vagin. Au demeurant rien n’est plus naturel que la rencontre de la main et du sexe. La main abandonnée à elle-même, balancée au hasard à bout de bras, tôt ou tard – en fait presque aussitôt – rencontre le sexe. Se toucher le genou, les reins, l’oreille demande un effort de contorsion particulier. Pour le sexe point. Il n’est que de laisser aller. En outre le sexe par sa dimension et sa configuration se prête admirablement à la manipulation. Qu’on songe à quel point une tête, un pied, et même une autre main offrent moins de prises ou des prises moins satisfaisantes à la main ! De toutes les parties du corps, le sexe est à coup sûr la plus maniable, la plus manipulable.

Pour en finir avec ce sujet. L’objet sexuel fourni par le cerveau et incarné par la main peut entrer en concurrence avec ce même objet – réel cette fois – et le surclasser. L’homme en état de masturbation rêvant d’un partenaire sera gêné par la survenue intempestive de ce partenaire, et préférera retourner à ses rêves, le trompant en quelque sorte avec sa propre image.

Voilà qui fait justice de l’idée entretenue par la plupart des hétérosexuels qui se figurent les relations homosexuelles comme une double et réciproque masturbation. Il ne s’agit pas de cela. La vraie masturbation est solitaire, et son emblème est le serpent qui se mord la queue. Toute relation sexuelle – homo- comme hétéro- – implique une offrande à un partenaire, une dédicace de l’orgasme à une certaine personne. Il est vrai que cette personne peut se trouver éloignée, la dédicace se faire à distance, et alors la vraie masturbation reprend ses droits, si ce n’est qu’alors la prestation de l’imagination est personnalisée.

C’est ce que m’exprimait si gentiment un petit copain qui m’envoya un jour une carte postale avec ces simples mots : « Salut l’ami ! Je viens de vider une burette à ta santé ! »

*

Roanne rejette par jour en moyenne 30 773 kilos d’ordures ménagères. J’en conclus que cette ville doit avoir exactement 38 467 habitants. Cinq camions à benne basculante, accomplissant chacun deux tournées par jour transportent ces matières dans une décharge située à deux kilomètres sur la route de Digoin en bordure de la Loire. Ces bennes ne comportant pas de système compresseur, j’en conclus qu’il s’agit d’une population d’un niveau économique modeste. Mes observations m’ont montré en effet que si le poids des ordures ménagères augmente médiocrement avec l’élévation du niveau de vie, en revanche leur volume a vite fait de doubler ou de tripler pour peu que la richesse moyenne s’accroisse. C’est ainsi que le mètre cube d’oms{1} de Deauville ne pèse que 120 kilos alors qu’il atteint 400 et même 500 kilos à Casablanca. C’est pourquoi mes petits bicots pourront longtemps encore se contenter de la benne basculante à couvercle pouvant contenir entre 12 et 14 mètres cubes de matières.

Après Casablanca, Roanne est la plus pauvre de mes six villes. C’est ainsi. Les pauvres ont l’ordure dense. Ils rejettent des épluchures de légumes, des boîtes de conserve, des objets d’usage achetés bon marché et aussitôt inutilisables, et surtout l’inévitable seau de mâchefer et de cendres de charbon qui grève lourdement les gadoues. Deauville, la plus huppée de mes villes, a exigé la première l’intervention des bennes-presseuses pour évacuer ses emballages sophistiqués, ses bouchons de bouteilles de champagne, ses mégots de cigarettes à bout doré, ses carcasses de langoustes vides, ses bouquets d’asparagus, ses chaussons de danseuse, ses lanternes vénitiennes à demi brûlées. Rebut bouffant, volubile, brillant, léger et volumineux que des machines coûteuses doivent broyer, écraser, comprimer pour les transporter, parce que l’espace qu’encombrent ces futilités n’est plus de mise désormais. Mortes, il faut qu’elles se limitent à la place des gadoues pauvres.

Tout opposé est le portrait ordurier de Roanne. Deux membres du conseil municipal sont venus me chercher ce matin au Terminus, et m’ont conduit en voiture à la décharge sauvage pratiquée jusqu’à présent et que la municipalité veut désaffecter – en raison d’une cité-jardin qui va s’édifier à proximité – et remplacer par un dépôt contrôlé. On compte sur ma compétence pour mener à bien l’opération.

Je me garde d’exprimer mon sentiment en présence de ces braves gens dont les idées sur la beauté, la création, la profondeur et la liberté doivent relever de la plus pure confection, voire du plus absolu néant. Mais conduit jusqu’au bord du Trou du Diable – comme on l’appelle ici – où Roanne exprime par le truchement de cinq camions ce qu’il y a en elle de plus intime et de plus révélateur, c’est-à-dire en somme son essence même, je suis saisi d’une émotion et d’une curiosité intenses. Je m’aventure seul dans le « trou ». J’enfonce dans une épaisseur blanchâtre que je reconnais en habitué et qui est à base de papier mâché et de cendres, mais présentant ici une densité inaccoutumée. À certains endroits, la matière devient fibreuse, filandreuse, feutrée, et l’un de mes guides m’explique – de loin – que deux usines de textile rejettent des ballots de bourre de laine qui ne s’incorporent que lentement à la gadoue.

– Il devrait bien exister une méthode de récupération pour toute cette bourre, remarque-t-il avec une nuance de blâme pour ce qu’il considère sans doute comme un gaspillage.

Cloporte petit-bourgeois ! Toujours cette peur de jeter, ce regret avare en face du rebut. Une obsession, un idéal : une société qui ne rejetterait rien, dont les objets dureraient éternellement, et dont les deux grandes fonctions – production-consommation – s’accompliraient sans déchets ! C’est le rêve de la constipation urbaine intégrale. Au lieu que moi, je rêve d’une déjection totale, universelle qui précipiterait toute une ville au rebut. Mais n’est-ce pas justement ce que nous promet la prochaine guerre avec les bombardements aériens qu’on nous annonce ? N’insistons pas. Il reste que j’apprécie la bourre roannaise qui donne des airs de tweed à sa gadoue et qui m’oblige à réviser mon jugement sur le standing de cette ville. Gadoue grise et sans éclat, mais de bonne qualité sans aucun doute…

Un peu plus loin l’indignation de mes conseillers municipaux devient tout à fait vertueuse devant un monceau de livres, toute une bibliothèque jetée là, pêle-mêle. Chacun de nous est bientôt plongé dans la lecture de l’un de ces pauvres bouquins souillés et déchirés. Pour peu de temps toutefois, car il s’agit d’ouvrages de chimie en latin, selon quels détours venus terminer leur docte carrière en ces lieux ? Le livre, très recherché par les chiffonniers, n’est pas courant dans les gadoues, et je dois dire que c’est ma première trouvaille de ce genre. Or voici ce qu’il y a de remarquable : mes compagnons s’indignent de la grossièreté d’une population qui n’hésite pas à jeter des livres, objets nobles par excellence. Moi, au contraire, je m’émerveille de la richesse et de la sagesse d’une décharge où l’on trouve même des livres. Voilà bien le malentendu qui nous sépare. Pour mes conseillers municipaux enracinés tout d’une pièce dans le corps social la décharge est un enfer équivalant au néant, et rien n’est assez abject pour y être précipité. Pour moi, c’est un monde parallèle à l’autre, un miroir reflétant ce qui fait l’essence même de la société, et une valeur variable, mais tout à fait positive, s’attache à chaque gadoue.

Je note une autre particularité. Il va de soi que pas plus à Roanne que dans une autre ville, il n’est habituel qu’on jette des livres aux ordures. Pourtant la présence de ces livres m’a paru intéressante, révélatrice, instructive, et je les ai aussitôt inscrits dans les armoiries ordurières de Roanne. Je me souviens maintenant qu’il en fut déjà de la sorte pour plus d’une ville. Quand j’ai mis le pied pour la première fois à Miramas dans la grandiose décharge de Marseille – la plus vaste de France – j’ai été frappé par la présence d’un camion entier de rascasses avariées qu’une nuée de goélands se disputaient à grands cris, et depuis, les poissons crus de Méditerranée sont inséparables des collines lunaires de Miramas. C’est que le hasard et l’accident n’existent pas en ces matières, tout y est essentiel, les objets les plus hétéroclites ont ici un rendez-vous fatal décidé au moment de leur fabrication. Ce qu’il y a d’admirable dans les gadoues, c’est cette promotion généralisée qui fait de chaque débris l’emblème possible de la cité qui l’a enfanté.

Roanne – ville grise et de bon aloi de par sa bourre de laine et ses livres anciens – attendait donc d’Alexandre Surin, roi et dandy des gadoues, que le Trou du Diable fût comblé selon la méthode du dépôt contrôlé et devînt stade, pépinière ou jardin public. Ce sera chose faite, Messieurs les Conseillers, mais il faudra me concéder la régie intéressée de la collecte, du transport et du traitement de vos résidus avec le monopole de toutes les récupérations possibles.

PORTRAIT D’UN CHASSEUR (suite)

Prenons un certain recul. Je m’imagine au milieu des conseillers municipaux roannais, sautant les tas d’ordures, en m’aidant par-ci par-là de ma fidèle Fleurette. Il y a du mousquetaire dans mon personnage. C’est dire que j’oscille entre deux extrêmes. Au mieux le condottiere, au pire la chèvre. J’aime le mouvement. Le mouvement gratuit – horreur du travail physique – et de surcroît ascendant. Une brève expérience dans les Alpes m’a convaincu que, sans le sexe, je ne trouverais d’émotions brûlantes et substantielles que dans l’alpinisme. Quand je parlais de chèvre à mon propos, je péchais par excès de haine-propre. C’est de chamois que j’aurais dû parler. L’escrime et l’alpinisme. Deux modes d’exaltations musculaires. L’un vise à la maîtrise d’un adversaire, l’autre à la conquête d’un paysage. Mais le paysage montagnard se défend avec des armes qui ne sont pas mouchetées et menace à tout moment de vous briser les os. La synthèse des deux est réalisée dans le plus sublime des exercices : la chasse, car alors l’adversaire-proie se cache dans le paysage, en est inséparable, au point que l’amour du paysage le dispute dans le cœur du chasseur à la convoitise de la proie.

J’ai un indiscutable coup de fourchette, mais sélectif, exclusif. Je n’ai jamais compris le peu d’attention qu’accordent les psychologues, psychiatres, psychanalystes et autres Diafoirus de l’âme, aux dégoûts alimentaires des uns et des autres. Quel champ d’observation pourtant, et quelles trouvailles y sont à faire ! Comment expliquer par exemple que depuis ma plus tendre enfance j’aie en exécration le lait et tous ses dérivés, crèmes, beurres, fromages, etc. ? À deux ans, si on me faisait avaler une boule de pain à l’intérieur de laquelle on avait dissimulé une infime parcelle de fromage, j’étais pris aussitôt de vomissements incoercibles. Voilà un trait qui ne touche pas que le bout des lèvres, mais qui plonge au contraire au tréfonds des viscères !

J’aime les nourritures apprêtées, sophistiquées, méconnaissables. Je ne veux pas d’un plat qui s’avoue tout crûment tripailles, langue de bœuf ou tête de veau. Je déteste les nourritures cyniques qui semblent n’avoir fait qu’un bond de la nature brute dans votre assiette, et prétendent vous sauter de là en pleine figure. Les crudités, coquillages, fruits frais et autres naturalia, très peu pour moi. Qu’on me parle de cuisine orientale ! J’ai un faible pour le travesti alimentaire, les champignons, ce végétal déguisé en viande, la cervelle de mouton, cette viande déguisée en pulpe de fruit, l’avocat à la chair grasse comme beurre, et plus que tout j’affectionne le poisson, cette fausse chair qui n’est rien, comme on dit, sans la sauce.

Mon grand nez fouineur et aquilin n’est pas que l’ornement principal de mon visage et l’expression de mon esprit, de mon courage et de ma générosité. En vérité l’odorat tient une place éminente dans ma vie – ce qui n’est pas surprenant si l’on songe à ma vocation cynégétique – et j’écrirais volontiers un traité des odeurs, si j’en avais le temps et le talent. Ce qui m’intéresse le plus, c’est évidemment ma position particulière dans une société où la plupart des gens n’ont pas d’odorat. L’homme, c’est bien connu, appartient – avec l’oiseau et le singe – à ces espèces animales dont le nez est d’autant plus atrophié que l’acuité visuelle est chez elles plus exaltée. Apparemment, il faut choisir : ou l’on voit, ou l’on sent. L’homme ayant opté pour l’œil n’a pas de nez.

À ces généralités, je pourrais apporter toutes sortes de restrictions. À commencer par celle-ci : moi qui suis doué d’une acuité visuelle remarquable, j’ai également un nez exceptionnel. Est-ce à dire que je sois un surhomme ? Certes oui, d’un certain point de vue, j’en conviens ! Mais justement pas sous cet angle de la sensibilité. Car mon acuité visuelle, c’est plutôt chez moi affaire de coup d’œil que de vision panoramique large et contemplative. Mettez un chat dans un jardin. Croyez-vous qu’il appréciera le tracé des allées, la perspective des frondaisons, l’équilibre des pelouses et des bassins ? Il n’en aura cure, il ne verra rien de tout cela. Ce qu’il verra d’un coup d’œil infaillible, c’est la vibration insolite d’un brin d’herbe qui trahit le passage d’un mulot.

Je suis ce chat. Ma vision n’est que la petite servante de mon désir. Ancilla libidinis. Tout est flou autour de moi hormis l’objet de mon désir qui brille d’un éclat surhumain. Le reste ? Bof ! Dans un musée, je bâille, sauf si la nature morte, la corbeille de fruits, est embrassée par les bras nus et pulpeux de l’adolescent caravagien dont la tête joufflue, crépue et pâle s’incline au-dessus des grappes et des poires. Les femmes notamment existent si peu pour moi que je parviens difficilement à les distinguer les unes des autres, comme les nègres, comme les moutons d’un troupeau. Cette petite infirmité m’a joué d’ailleurs plus d’un tour. Mais qu’un jeune homme surgisse derrière moi, je me retourne, aussitôt averti par un secret instinct, et le balayant d’un regard apparemment distrait, dans l’instant, je le flaire, je le déshabille, je le reconnais centimètre par centimètre, je le pèse, le soupèse et le baise. Si c’est un veau, il ne s’aperçoit de rien, et cette innocence met le comble à ma jubilation. Si c’est un fleuret, il sent passer dans ses nerfs comme une secousse électrique. Il a vu comme un coup de flash dirigé sur lui, il est alerté, et dans le même temps, il répond par une onde – positive ou négative.

Cette acuité de mon coup d’œil s’accommode donc d’une myopie assez générale, et mon univers personnel est semblable à un paysage noyé dans un crépuscule obscur où seuls de rares objets, de rares personnages seraient doués d’une intense phosphorescence.

Il en va tout autrement de mon flair. J’ai le nez intelligent. Aucun autre mot ne qualifie mieux le pouvoir séparateur, la capacité d’interprétation, la sagacité de lecture de mon organe olfactif. Les autres ne doivent à leur nez que des impressions vagues, un total grossier des odeurs ambiantes dont seul se dégage finalement un signe plus ou un signe moins. Ça sent bon, ça sent mauvais, ça ne sent rien. C’est tout ce que leur misérable odorat leur apprend. Or tel est le paradoxe : plus on a de nez, moins on est sensible aux bonnes et aux mauvaises odeurs. La parfumerie ne doit d’exister qu’à une clientèle sans odorat. Car l’odorat dissipe d’autant plus la qualité bonne ou mauvaise qu’il renseigne plus finement sur la composition du milieu olfactif où il baigne. Plus distinctement il informe, moins il flatte, moins il révolte, moins il émeut. C’est une règle générale qui vaut pour tous les sens. Les myopes qui baignent dans des luminosités vagues, sans contours précis, sans linéaments solides offrant un appui consistant à l’intelligence, ne peuvent les juger que comme agréables ou désagréables. Alors que le clairvoyant oublie la tonalité affective de ce qu’il détaille et mesure.

La gadoue n’est pas – comme on croit – une puanteur massive, indifférenciée et globalement pénible. C’est un grimoire infiniment complexe que ma narine n’en finit pas de déchiffrer. Elle m’énumère le caoutchouc brûlé du vieux pneu, les remugles fuligineux d’une caque de harengs, les lourdes émanations d’une brassée de lilas fanés, la fadeur sucrée du rat crevé et le fifre acidulé de son urine, l’odeur de vieux cellier normand d’une camionnée de pommes suries, l’exhalaison grasse d’une peau de vache que des bataillons d’asticots soulèvent en vagues péristaltiques, et tout cela brassé par le vent, traversé de stridences ammoniaquées et de bouffées de musc oriental. Comment s’ennuyer dans un pareil étalage de richesses, comment être assez grossier pour les repousser en bloc parce que malodorantes ?

*

La matière grise. L’expression est tombée tout naturellement de ma plume pour évoquer les ordures roannaises, et je m’enchante du rapprochement qu’elle suggère. Car cette gadoue gris-rose, dense et riche, feutrée en épaisseur par la bourre de laine dont une pastille comprimée va garnir le médaillon aux armes de Roanne (un croissant de lune surmonté de la médaille de guerre) du cinquième gousset de mon gilet brodé, cette substance fibreuse et aux reflets nacrés a une affinité certaine avec la matière cousue de synapses du cerveau humain. Roanne, la ville aux gadoues cérébrales ! Il ne manquait que cela à ma collection, et après Rennes, Saint-Escobille, Deauville, Miramas et Casablanca, Roanne vient compléter comme il convient mon sextuor. Il n’est pas jusqu’aux vieux livres – venus ici non certes par quelque bizarrerie coupable, mais en vertu d’un processus logique – qui ne soient à leur juste place. Ils sont la flore obligée de ce fumier intelligent, ces grimoires, ils ont poussé sur lui comme des champignons, ils en sont l’émanation sublimée.

J’ai demandé dix hommes à l’Office de placement. Il s’en présente trente. À la fin de la semaine, ils ne seront sans doute plus que six ou sept. C’est la lie habituelle des trimards, arabes, piémontais, catalans, français que les gendarmes viendront peut-être réclamer tout à l’heure. Comme s’il fallait ces rebuts de l’humanité pour triturer les déchets de la société ! Je les engage en bloc. Je suis leur frère – malgré mes beaux vêtements et mon odeur de lavande – comme eux délinquant, asocial, ennemi de l’ordre au plus profond de ma chair.

Un sondage du Trou du Diable révèle une épaisseur de 6 à 7 mètres de gadoue, et une température de 80°. C’est plus qu’une fièvre cérébrale, c’est une perpétuelle menace d’incendie. Pour stopper la fermentation, il n’est que de couper l’arrivée d’air, et pour cela constituer entre chaque couche de gadoue de 2,50 mètres d’épaisseur au maximum un lit de sable de 50 centimètres au moins. Je fais poser un platelage en madriers jusqu’au bord du trou pour éviter l’enfoncement des roues des camions de sable beaucoup plus lourds que les bennes collecteuses. Les hommes étalent le sable qui croule à leurs pieds. Contraste de cette matière pure et dorée avec le sol pourri et les hommes noirs qui s’agitent dans le trou. Je mesure notre abaissement à l’admiration presque douloureuse que suscite en moi ce simple sable, parce qu’il est différent des immondices où nous vivons. Sable, plage, île déserte, vagues cristallines qui déferlent en murmurant… Assez rêver ! La semaine prochaine mon camion à trommel sera en place, et à travers son gros crible cylindrique les gadoues filtrées de Roanne arroseront les bords du trou où elles seront récupérées pour faire de l’engrais, cependant que les éléments les plus grossiers basculeront au fond du cratère.

ESTHÉTIQUE DU DANDY DES GADOUES

L’idée est plus que la chose, et l’idée de l’idée plus que l’idée. En vertu de quoi l’imitation est plus que la chose imitée, car elle est cette chose plus l’effort d’imitation, lequel contient en lui-même la possibilité de se reproduire, et donc d’ajouter la quantité à la qualité.

C’est pourquoi en fait de meubles et d’objets d’art, je préfère toujours les imitations aux originaux, l’imitation étant l’original cerné, possédé, intégré, éventuellement multiplié, bref pensé, spiritualisé. Que l’imitation n’intéresse pas la tourbe des amateurs et des collectionneurs, qu’en outre elle soit d’une valeur commerciale très inférieure à celle de l’original, voilà qui est à mes yeux un mérite supplémentaire. Elle est par là même irrécupérable par la société, vouée au rebut et donc destinée à tomber entre mes mains.

Parce qu’il ne contient pas un seul objet authentique – sauf peut-être ma collection de cannes-épées – mon intérieur parisien est entièrement du second degré. J’ai toujours rêvé de l’élever de là au troisième degré, mais s’il existe des exemples d’imitations d’imitation, la chose est si rare, elle est vouée par le mépris-au-carré de la foule stupide à une disparition si rapide que je ne pourrais en garnir entièrement ma demeure qu’au prix d’immenses efforts. J’ai cependant trouvé rue de Turenne au magasin de meubles neufs Le Bois Joli une chaise longue en osier copiée sur un modèle antillais, lui-même visiblement inspiré par le canapé Empire du type Récamier. J’ai aussi sur ma table un bouddha en verre dont j’ai vu le frère jumeau en cristal ancien chez un antiquaire lequel m’a assuré qu’il s’agissait de la maquette de la statue grandeur nature du bouddha de Sholapur. Mais ce sont là des exceptions. Pour les multiplier et me donner un décor d’une puissance encore plus élevée – car rien n’empêche de passer de la troisième puissance à la quatrième, à la cinquième, etc. – il faudrait une patience et un temps dont je ne dispose que pour un autre objet. En vérité je n’ai le goût ni des objets, ni de la décoration, ni des collections, toutes choses trop stables, contemplatives, désintéressées pour mon humeur inquiète et avide.

Au demeurant, qu’est-ce que la gadoue, sinon le grand conservatoire des objets portés par la production de série à une puissance infinie ? Le goût des collections d’objets originaux est absolument réactionnaire, intempestif. Il s’oppose au mouvement de production-consommation qui s’accélère de plus en plus dans nos sociétés – et qui débouche dans la gadoue.

Autrefois chaque objet était façonné par l’artisan comme un original pour durer en droit éternellement. Sa destruction n’était que le fait d’un accident. Usé une première fois, il devenait objet d’occasion (c’était vrai même pour les vêtements revendus par les fripiers). Il faisait partie des héritages et avait droit à des réparations indéfinies.

Aujourd’hui l’objet est déclaré de plus en plus vite usagé, inutilisable, et jeté au rebut. C’est dans ce rebut que le collectionneur vient souvent le chercher. Il le sauve, il le recueille, il le restaure, enfin il lui donne chez lui une place d’honneur où ses qualités s’épanouissent. Et l’objet sauvé, réhabilité, magnifié rend ses bienfaits au centuple à son bienfaiteur. Il fait régner dans la maison une atmosphère de paix raffinée, de luxe intelligent, de calme sagesse.

Je comprends assez cette démarche et ses charmes, mais j’en prends le contre-pied. Bien loin de vouloir bloquer le processus production-consommation-rejet, j’attends tout de lui puisqu’il débouche à mes pieds. La gadoue n’est pas le néant où s’engloutit l’objet, mais le conservatoire où il trouve place ayant traversé avec succès mille épreuves. La consommation est un processus sélectif destiné à isoler la part indestructible et véritablement nouvelle de la production. Le liquide de la bouteille, la pâte du tube dentifrice, la pulpe de l’orange, la chair du poulet sont éliminés par le filtre de la consommation. Restent la bouteille vide, le tube aplati, l’écorce de l’orange, les os du poulet, parties dures et durables de la production, éléments de l’héritage que notre civilisation léguera aux archéologues futurs. Ces éléments, il m’appartient par la méthode de la décharge contrôlée de leur assurer une conservation indéfinie dans un milieu sec et stérile. Non sans m’être exalté avant leur inhumation devant la puissance infinie de ces objets produits en masse – et donc copies de copies de copies de copies de copies de copies, etc.

*

Il s’appelle Eustache. Eustache Lafille. Lorsqu’il m’a donné cette précision à l’Office de placement, je n’en croyais pas mes oreilles. On lui pardonnera son nom par égard pour cet admirable et si rare prénom qui fait de lui mon proche parent, Eustache et Surin signifiant mêmement en langue verte le couteau méchant.

J’avais repéré quelque chose de fort et de juvénile dans la silhouette lointaine de « l’éventreur » qui s’activait au fond du trou. Au pied de la pente, armé d’un marteau et d’une sorte de machette, l’éventreur guette les objets volumineux dégorgés par le trommel et rebondissant vers lui. Il s’agit d’abord de les éviter comme des bêtes qui chargent, puis de les attaquer pour les détruire. Les paquets contenant papiers et chiffons doivent être éventrés, les tapis qui arrivent roulés, soigneusement étalés sur le sol, les caisses défoncées, les bouteilles brisées. Le but est d’éviter la formation de vides pouvant constituer des poches d’air en profondeur. Eustache s’acquittait de sa fonction d’éventreur avec une sorte d’entrain sportif qui m’a touché au cœur et même au-dessous du cœur. Je devinais son corps puissant et souple dans chacun de ses mouvements, et ce qui me choquait délicieusement, c’était quand il avait accroché une proie en se penchant en avant, le coup de rein qui le rejetait en arrière, l’ouvrait, le ployait, comme un bel arc inversé.

Je l’ai convoqué en fin de journée dans la roulotte qui me sert de bureau et de lieu de repos provisoire. Il ne s’est pas présenté, et le lendemain matin, il avait disparu. Voilà bien ma punition pour avoir employé les méthodes de la société normale et coercitive qu’il doit avoir en exécration. Je ne commettrai pas l’erreur supplémentaire d’interroger ses compagnons de travail. Ma seule chance, c’est de parcourir tous les hôtels borgnes et tous les bougnats (vins-liqueurs-bois-charbon) de Roanne pour essayer de le retrouver. Dans une ville plus grande, je n’aurais aucun espoir. Ici peut-être, peut-être…

. . .

Eustache, Eustache ! Non, ce n’est pas possible qu’avec un nom aussi sublime tu m’échappes encore longtemps ! J’ai dû néanmoins trouver un autre éventreur pour le Trou du Diable, mais il faut vraiment que je me fasse violence pour prêter encore une ombre d’intérêt à cette entreprise. Pourtant elle est saine, vigoureuse, de nature à me satisfaire, et la « substance grise » roannaise tient ses promesses à mesure que mon matériel de criblage arrive à pied d’œuvre. Nous avons déjà terminé deux couches de détritus dans le fond du Trou, séparées par une couche de sable, et nous savons où nous allons.

Mais je n’aurai la paix de l’esprit, du cœur et du sexe – noûs, thumos, epithumetikon, comme disait notre professeur de grec – que lorsque j’aurai retrouvé Eustache. Il m’arrive même de frôler la détresse. Un Alexandre en détresse parce qu’il lui manque un Eustache ! Si ce cri retentissait, qui s’en soucierait ? Et pourtant ma détresse en vaut bien une autre, peut-être ?

Je me figure volontiers que chaque homme est une certaine formule – unique – essayée par la nature, comme on prend un billet de loterie. Le numéro étant composé, elle lâche l’individu ainsi défini dans un certain milieu. Que va-t-il en sortir ? Dans l’immense majorité des cas, il n’en sort rien de notable. Mais parfois c’est le gros lot, et ça s’appelle J.-S. Bach, Michel-Ange ou Einstein. Le numéro ayant épuisé ses possibilités, on l’efface pour donner ses chances à une autre formule, car la place est limitée. Ainsi viendra – bientôt j’espère – le moment où Dame Nature décidera « L’expérience Alexandre Surin a assez duré. Il n’y a plus rien à en attendre. Qu’il disparaisse ! » Et aussitôt je mourrai. Et ce sera très bien ainsi. Car le verdict de mort tombera au moment où mes instants cesseront d’être autant d’attributs nouveaux venant enrichir ma substance pour n’être plus que les points successifs d’une translation sans altération.

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Je l’ai ! Le beau poisson noir aux blancs bras nage encore, mais dans le seul espace que lui laisse ma nasse. Merci, Seigneur, dieu des chasseurs, providence des pêcheurs !

J’étais à la dernière extrémité. Ou du moins, je croyais y être. La vie est faite de dernières extrémités. Mais vrai, ce soir-là, je n’en menais pas large. La détresse. Une boule dans la gorge. L’impression de marcher depuis des années dans un désert aride. La morne hétérosexualité étalant partout sa quincaillerie. Un monde inhospitalier, inhabitable. C’est que je suis tout d’une pièce moi, un homme entier ! Amour = sexe + cœur. Les autres – la plupart des autres – lorsqu’ils partent à la chasse, ils laissent leur cœur à la maison. Dans le tablier de bobonne ou celui de maman. C’est plus prudent. L’amour malade ou vieux se décompose en ses deux éléments. Parfois – c’est le sort commun des hétérosexuels – le désir s’éteint. Il ne reste que la tendresse. Une tendresse fondée sur l’habitude et la connaissance de l’autre. Parfois c’est l’inverse : la faculté de tendresse s’atrophie. Il ne reste que le désir, d’autant plus brûlant et impérieux qu’il est plus sec. C’est le sort habituel des homosexuels.

Je ne suis pas menacé par ces deux sortes de dégénérescence. Désir physique et besoin de tendresse sont fondus en moi dans un même lingot. C’est la définition même de la force, de la santé. Éros athlète. Oui, mais force redoutable, santé dangereuse, énergie sujette à explosions et retours de flamme. Car l’absence de proie qui ne signifie chez d’autres que désir inassouvi provoque chez moi désespoir, et la présence de la proie qui n’apporte aux autres que l’assouvissement du désir suscite dans mon cas le déploiement des pompes de la passion. Avec moi, tout devient toujours pathétique.

Ayant achevé la tournée des tavernes, brasseries, bars, bistrots, cafés, estaminets, assommoirs et autres débits de tord-boyaux, l’estomac décapé par les petits blancs secs qu’il avait bien fallu absorber pour mener mon enquête, je me suis retrouvé vers onze heures à proximité de la Place des Prom-Populle où une fête foraine déployait ses fastes naïfs et ses girandoles multicolores.

J’ai toujours aimé l’atmosphère clinquante et le robuste artifice des fêtes foraines. Tout ce qui est faux m’attire et j’ai pour le strass les yeux du Grand Mogol pour le Koh-i-Noor. Et puis, bien sûr ces lieux sont propices à la chasse. Cela seul est capable de me faire sortir de chez moi, je l’ai déjà dit. Les baraques et les manèges attirent une foule d’adolescents, souvent en bandes – alors difficilement prenables – mais parfois aussi isolés, intimidés, désargentés, et cependant éblouis, transportés exceptionnellement par cette atmosphère au-dessus d’eux-mêmes, à un niveau esthétique et aventureux où tout est plus facile que lorsqu’ils sont enfoncés dans leur routine quotidienne. Les frustes ne rêvent pas par eux-mêmes. Il leur faut la violence d’un spectacle ou d’une fête. Ils sont plus disposés alors à s’ouvrir au miracle Surin.

J’en avais repéré un déjà, et son air frileux, souffreteux, la blancheur de sa face maigre barrée par une lourde mèche noire m’avaient touché de pitié, sentiment nouveau pour moi et dont je me demande s’il n’est pas la forme la plus sophistiquée et la plus secrètement virulente du désir. Je l’avais vu et j’avais vu qu’il m’avait vu le voir, délicieux et vertigineux miroitement qui fait du chasseur une proie et du gibier un prédateur.

C’est alors qu’a eu lieu le coup de théâtre qui m’a coupé le souffle, que je ne peux évoquer sans tressaillir encore de surprise et de joie – et je doute que la vivacité de cette impression s’amortisse jamais, tant elle est jaillissante. Surgissant de je ne sais où, un autre garçon plus âgé et plus fort s’approcha du petit blême, lui donna une tape sur l’épaule et le serra d’un bras sous son aisselle dans une brève et puissante étreinte qui le fit trébucher. J’avais aussitôt reconnu Eustache, et son image me frappa doublement parce qu’elle était exaltée par la gloire de lampions et de pétards qui l’environnait, et par la présence du petit blême qui la douait d’une épaisseur inattendue. J’ai dit le goût que j’avais en matière d’ameublement et de décoration non seulement pour les copies, mais pour les copies de copies etc. Je n’imaginais pas que mes terrains de chasse dans leur sublime et surprenante abondance me livreraient l’équivalent érotique de l’idée de l’idée, de la copie de la copie : la proie de la proie. Et j’y trouvais un subtil rapport avec le portrait ordurier de Roanne, cette substance grise si riche d’abstractions que les livres y poussent comme champignons.

La proie de la proie… Voilà qui change singulièrement les règles de mon habituelle cynégétique. Tout devient plus complexe, plus subtil, plus difficile. Tout fut d’abord, reconnaissons-le, plus facile. L’abordage en effet se fit en douceur grâce au petit blême. Seul, Eustache se fût méfié, dérobé sans doute devant cet inconnu qui lui voulait quoi au juste ? Mais parce qu’il était flanqué du petit, il s’est senti plus assuré, plus fort – allez donc savoir pourquoi ! C’est la psychologie, ça ! Et d’ailleurs le petit s’est montré intéressé, curieux de l’étranger que j’étais. Il y avait d’ailleurs de quoi les épater. Car évidemment Eustache n’avait aucun souvenir de moi, alors que je savais son nom, son prénom, et qu’il avait travaillé quelques jours comme « éventreur » dans le Trou du Diable. J’ai continué à en apprendre sur eux en les invitant sous une tonnelle à manger des frites avec un poulet rôti à la broche. Le petit blême s’appelle Daniel et il a dix-huit ans, tout en en paraissant quatorze. Il est le fils de la tenancière du garni où Eustache habite provisoirement. Provisoirement, comme tout ce qu’il fait, tout ce qu’il est. Tout est provisoire pour lui – et depuis toujours – en fonction d’un avenir vague, mal défini où les choses étant à leur place et lui à la sienne, tout deviendrait enfin définitif. Je n’ai pas eu la cruauté de lui demander si ce définitif ne revêtirait pas finalement les espèces d’un rectangle de terre dans un cimetière, mais je l’ai pensé – et, dois-je le préciser, avec un élan de sympathie. J’ai fini par lui dire que je travaillais au chantier de la nouvelle décharge municipale, et que c’était là que je l’avais aperçu. Aussitôt il s’est répandu en imprécations contre ce trou de malheur, ce boulot pourri, et il a juré qu’on n’était pas près de l’y revoir. Puis donc qu’il y avait peu de chances qu’il revînt à moi, c’était donc à moi d’aller à lui, ce que j’ai commencé à faire en m’enquérant auprès de Daniel du nom et de l’adresse de son garni, et de l’éventualité d’une chambre libre pour moi. Voilà qui promet des expériences assez juteuses.

Nous nous sommes quittés fort bons amis avant la minuit, mais j’ai éprouvé comme un pincement au cœur de m’en aller seul en les laissant ensemble, la proie et la proie de la proie.

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J’ai un ténia. Ce n’est pas la première fois, ce ne sera pas la dernière. Le ver solitaire est la maladie des éboueurs. S’agit-il bien d’ailleurs d’une maladie ? Je n’en souffre pas, je suis seulement encore plus maigre et je mange d’un appétit encore plus vif qu’à l’accoutumée. Autrement dit mon hôte me pousse dans le sens même de ma nature. On ne saurait être plus prévenant. Aussi je ne me presse pas de prendre l’extrait éthéré de fougère mâle grâce auquel je m’en débarrasse sans difficulté. En vérité, je m’accommoderais de cet élevage intime, si seigneur ténia n’avait parfois la fantaisie de laisser fuir un morceau de ruban fort long qui s’extériorise sans crier gare. Ces fugues incontrôlées sont souverainement gênantes en société, même dans notre corporation.

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Tout en conservant ma chambre à l’hôtel Terminus, j’en ai retenu une autre au Rendez-vous des Grutiers sur le bord du canal. Ma fenêtre donne sur la voie d’eau et surtout sur les abattoirs qui dressent leur masse de briques rouges à quelques mètres de l’autre rive. Paysage morne et brutal, mais qui s’accorde assez à l’entreprise de double séduction qui m’amène ici. Je ris de pitié en songeant aux exploits domestiques des Don Juan bravant le père noble ou le mari cornard. Toute l’hétérosexualité est dans ce genre d’imposture qui tient de ces contrefaçons de corridas où des vachettes remplacent le taureau. Moi, Monsieur, j’affronte des taureaux, des vrais, avec l’âpre et joyeuse certitude que j’y laisserai un jour ma peau !

C’est Daniel qui m’a montré ma chambre. La chambre numéro 11. Eustache, m’a-t-il précisé sans que je le lui demande, est au 22 à l’étage supérieur. Et toi, petit Daniel ? Il a eu un sourire pâle en repoussant de la main la mèche sombre qui lui barre le visage. Il couche au rez-de-chaussée, près de la chambre de sa mère. Me voilà donc pris en sandwich entre la proie et la proie de la proie, et c’est très bien ainsi.

Cet hôtel est du même âge et de même style que l’autre, le Terminus. La différence la plus notable est dans les dimensions. Tout est ici plus petit que dans un hôtel de catégorie supérieure, les chambres évidemment, mais aussi les escaliers, les w.-c., les cuvettes, les fenêtres elles-mêmes, de telle sorte que vues du dehors les personnes qui s’y montrent les remplissent entièrement et paraissent monstrueusement grandes. Les pauvres ont droit à moins d’espace que les riches. Ils n’ont qu’à se serrer, les pauvres. Mais il n’y a pas que cela, la vérité bizarre et à première vue peu croyable, c’est que les pauvres sont effectivement plus petits que les riches. Des statistiques comparées établies lors des conseils de révision le prouvent. Il n’est d’ailleurs pour s’en convaincre qu’à regarder la foule du métro parisien dans les stations huppées et dans les stations populacières. Le voyageur moyen de Champs-Élysées-Clemenceau mesure dix centimètres de plus que celui de Ménilmontant. Que si l’on grimpe les échelons sociaux d’une génération à l’autre, aussitôt les enfants dominent les parents de la tête et des épaules. En revanche le fils qui reprend le métier de son père en reste également à sa stature. C’est ridicule, c’est même un peu honteux, mais c’est la vérité.

Me voilà donc logé à double enseigne, Terminus et Grutiers. Au Terminus, je suis Monsieur Surin. Aux Grutiers, Monsieur Alexandre. Nuance. La politesse des pauvres – aussi sourcilleuse que celle des riches – s’accommode de leur prédilection pour les prénoms, voire pour les diminutifs, car je sais bien que dans peu de temps je vais devenir Monsieur Alex. Cette prédilection va souvent jusqu’à une curieuse inversion qui fait du nom un prénom et du prénom le patronyme. C’est ainsi d’ailleurs que la mère de Daniel m’a inscrit sur le grand registre noir : Monsieur Surin Alexandre.

J’ai interrogé Daniel sur l’origine de l’enseigne de l’hôtel. C’est qu’il y avait jadis des entrepôts de charbon sur les quais et une vraie futaie de grues à bennes pour charger et décharger les péniches. Mais lui n’a pas connu les grutiers. Quand il est né, Roanne avait déjà cessé d’être le port charbonnier du canal latéral de la Loire. C’est dommage. Cela aurait ajouté une assez belle note à l’ensemble. Et puis le mot même de charbonnier résonne chaudement à mon oreille. Quand j’étais enfant, l’une de mes émotions inavouables m’était donnée par les bras et les épaules des livreurs de charbon dont la blancheur prenait un éclat, une pâte extraordinaires grâce à la poussière d’anthracite qui les fardait. Il ne reste de cette époque que des sinistres hangars fuligineux et déserts qui font suite aux bâtiments des abattoirs.

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Ma fréquentation du milieu « grutier » continue à m’apporter toutes sortes de précisions sur cette faune particulière que je continuerai – faute d’un terme meilleur – à appeler les pauvres. En changeant d’hôtel, j’ai déjà noté la diminution de l’échelle générale du décor domestique qui fait du pauvre une sorte de miniature du riche. Depuis j’ai relevé des traits qui pourraient fournir l’ébauche d’une

PSYCHOSOCIOLOGIE DU PAUVRE

1. Le pauvre mange deux à trois fois plus que le riche. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait de compenser une dépense énergétique plus grande dans les métiers manuels et les travaux de force. Il n’en est rien pourtant, car ce régime se traduit par une obésité généralisée, et je vis ici entouré de femmes bouffies et d’hommes pansus et mafflus. La vérité, c’est que le pauvre, – alors même qu’il ne souffre d’aucune restriction – ne s’est pas libéré de la peur viscérale de manquer que des siècles de famine ont inculquée à l’humanité. Conjointement il est demeuré fidèle à une esthétique de la pénurie qui fait paraître belles et désirables les grosses femmes, virils et majestueux les hommes ventrus.

2. Le pauvre s’habille plus et plus chaudement que le riche. Le froid est après la faim le fléau le plus redouté des hommes. Le pauvre reste soumis à la peur atavique du froid et voit en lui l’origine de nombre de maladies (prendre froid = tomber malade). Manger peu et se mettre nu sont des privilèges de riches.

3. Le pauvre est un sédentaire-né. Ses origines paysannes lui font voir le voyage sous l’aspect d’un déracinement, d’une errance, d’un exil. Il ne sait pas voyager à la légère. Il faut qu’il s’entoure de préparatifs et de précautions, s’encombre de bagages inutiles. Avec lui le moindre déplacement prend des airs de déménagement.

4. Le pauvre est sans cesse pendu à la sonnette du médecin. Troisième terreur non maîtrisée chez lui : la maladie. Les médecins des quartiers populaires sont sans cesse harcelés pour des rhumes ou des indigestions. Le pauvre se demande parfois comment fait le riche pour n’être jamais malade. La réponse est simple : c’est qu’il n’y pense pas.

5. Parce que son travail l’exténue et le dégoûte, le pauvre caresse deux rêves qui n’en sont qu’un : les vacances et la retraite. Il faut appartenir à la caste des seigneurs pour ignorer ces deux mirages.

6. Le pauvre a soif d’honorabilité. Il n’est pas absolument sûr d’appartenir à la société humaine. Et s’il n’était qu’une bête ? De là son besoin de s’endimancher, d’avoir un chapeau, de tenir sa place – aussi modeste soit-elle – dans le corps social. De là aussi sa pudibonderie. La définition de l’honorabilité est facile : c’est la dégénérescence du code de l’honneur qui tenait lieu de morale à l’aristocratie. Le tiers état succédant à la noblesse en 1789 à la tête de la nation, l’honneur a cédé la place à l’honorabilité et à ses deux piliers, la pudibonderie et le culte de la propriété, choses que l’aristocratie ignorait assez superbement.

7. Le pauvre acceptant le corps social tel quel, et entendant s’y faire une place grandissante, est politiquement un invétéré conservateur. Il ne voit pas plus loin que la petite bourgeoisie à laquelle il espère bien accéder au plus tôt. Il en résulte qu’aucune révolution n’a jamais été faite par le peuple. Les seuls ferments révolutionnaires d’une société se trouvent dans la jeunesse estudiantine, c’est-à-dire parmi les enfants de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie. L’histoire offre régulièrement l’exemple de secousses sociales brutales provoquées par la jeunesse de la classe la plus favorisée. Mais la révolution ainsi amorcée est récupérée par les masses populaires qui en profitent pour obtenir des améliorations de salaire, une diminution du temps de travail, une retraite plus précoce, c’est-à-dire pour faire un pas de plus en direction de la petite bourgeoisie. Elles renforcent et aggravent ainsi le système social et économique un moment ébranlé, et lui apportent leur soutien en s’y incorporant plus intimement. Grâce à elles, les gouvernements révolutionnaires cèdent la place à des gardiens tyranniques de l’ordre établi. Bonaparte succède à Mirabeau, Staline à Lénine.

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Si j’étais resté à l’hôtel Terminus, ma solitude se serait gardée plus longtemps. En m’installant chez les grutiers, j’ai plongé sur la trace d’Eustache et de Daniel dans la canaille qui est ma véritable famille. Je m’avise que l’exercice de mon épouvantable métier ne m’avait jusqu’à présent encanaillé qu’à moitié. C’est que ma vie privée – et singulièrement sexuelle – était demeurée à l’écart des gadoues. Je retirais mes cuissardes d’égoutier, et je redevenais le très fréquentable Monsieur Surin, rejeton d’une famille honorablement connue à Rennes. Bien malin qui aurait deviné que la recherche et l’éclat de ma mise, le choix de mes attributs obligés – mes six médaillons, Fleurette – provenaient – non de mœurs, comme on dit, équivoques – mais d’une surcompensation motivée par l’abjection de mon labeur quotidien.

À Roanne, tout a changé. J’ai découvert Eustache sur mon chantier, et les grutiers ont achevé de me compromettre. Voilà donc ma vie totalement investie par la gadoue. Cela devait arriver sans nul doute, et je sais gré au destin de m’offrir du même coup des compensations non négligeables. Cela a commencé par la substance grise roannaise et par les livres qui y fleurissaient. Quelque chose d’essentiel en moi – mon goût de l’idée de l’idée, de la copie de la copie – venait de trouver un écho dans la matière calomniée où je m’active. Eustache et Daniel – ces fleurs de gadoue – devaient ensuite me faire accéder à un amour ricochant vers l’abstraction par cet étrange objet, la proie de la proie. Au demeurant, ce n’est pas un hasard si Eustache a échoué dans ce médiocre garni, voisin du port charbonnier et des abattoirs. Le Rendez-vous des Grutiers est en vérité celui de tous les irréguliers de la ville, nomades, ou semi-tels, tâcherons, saisonniers, trimardeurs, et singulièrement pour tout ce qui touche aux domaines de la répurgation et de la récupération. Mon domaine, en somme, malgré que j’en aie.

J’ai une certaine expérience de ces lieux maudits. J’y ai souvent rencontré une faune humaine drolatique et bancale, mais il s’agissait d’individus isolés, à la rigueur de couples. Pour la première fois, je me trouve en face d’une petite société, complexe parce que ses membres tout en ayant des relations étroites entre eux sont individualisés, différenciés avec une force qui va jusqu’à la caricature. Ce phénomène d’agglutination tient sans doute à l’existence d’un centre d’attraction qui paraît être Haon-le-Châtel, et plus précisément une assez mystérieuse Fabienne de Ribeauvillé, propriétaire du « châtel » en question. Tout cela devra être éclairci. Ce qui me frappe, c’est que toute la racaille qui évolue autour du Rendez-vous des Grutiers et de ses aires m’a adopté spontanément malgré tout ce qui pouvait m’en séparer – mais n’est-ce pas illusion prétentieuse de ma part de me croire toujours foncièrement différent de tout le monde ? La vérité, c’est que ma délinquance charnelle – qui ne m’empêche nullement de faire figure dans les milieux huppés – me donne accès et m’assure une place parmi les marginaux. L’homosexuel n’est déplacé nulle part, tel est son privilège.

(On est délinquant par l’esprit, par la chair ou par le milieu. Le délinquants par l’esprit, ce sont les hérétiques, les opposants politiques, les écrivains, lesquels dérangent l’ordre établi dans l’exacte mesure où ils sont créateurs. Les délinquants par la chair sont opprimés ou massacrés pour des « raisons » biologiques : noirs, juifs, homosexuels, fous, etc. Enfin la majorité des prisonniers de droit commun ont été menés là par les agressions subies durant leur enfance ou leur jeunesse dans le milieu où le sort les a fait naître.)

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Je m’engageais dans l’escalier de l’hôtel hier soir, quand j’ai été soudain pris à partie par un personnage hirsute – tout en cheveux et en barbe, avec là-dedans un nez rouge et fleuri – qui s’empara de mon revers et me souffla au visage une haleine avinée, charriant un flot de paroles véhémentes. – Incinérer ! Incinérer ! répétait-il. Mais c’est bon pour les macchabées, ça ! Moi, j’ai toujours été pour l’incinération des macchabées, moi ! Un macchabée, y a rien à en tirer. Alors, hop ! Au feu ! C’est propre, c’est radical, et puis le mec, ça lui donne un avant-goût de l’enfer qui l’attend ! Pas vrai, Philomène ? éclata-t-il en se tournant vers la mère de Daniel. Puis soudain redevenu sérieux, furieux, il reprit possession de moi. Mais brûler des gadoues ! C’est un crime, ça ! Qu’est-ce que t’en penses, toi l’aristo ? Tu crois qu’on va les brûler, nos gadoues ? Puis soudain méfiant. Mais c’est peut-être bien pour ça que t’es ici, toi ?

Je lui ai juré mes grands dieux que j’étais là au contraire pour trouver une solution différente au traitement des ordures ménagères, que la méthode du dépôt contrôlé évitait justement l’installation d’une usine d’incinération. Il est parti en grommelant.

Tel est en effet le grand sujet qui agite furieusement les grutiers. Au cours d’une récente réunion du Conseil municipal, le problème du traitement des oms ayant été soulevé, la solution du feu a été envisagée parmi d’autres. Le journal local s’étant fait l’écho de cette délibération, le petit monde de la récupération est entré en effervescence. L’incinération en effet, c’est la fin de cent petits métiers touchant de près ou de loin la récupération. Mais quand on est de la corporation, on comprend que c’est bien pire encore. C’est une agression brutale, mortelle contre la substance même de la biffe, agression non seulement matérielle, mais morale, car le feu des usines d’incinération a de l’affinité avec le feu de l’Inquisition. Nul doute, à nos yeux, c’est notre corps et notre âme d’irréguliers que l’on complote de jeter à la flamme. Mais bien sûr, il faut voir. À Issy-les-Moulineaux au bord de la Seine fonctionne une usine d’incinération moderne. Il faut que j’y aille. À vrai dire, ce ne sont pas les occasions qui m’ont manqué. Le courage plutôt. J’y subodore une vapeur de soufre qui me fait cabrer. Voilà certes de quoi réfuter les imputations de mon frère Gustave (Gustave-le-bien-pensant) qui croyait voir le diable quand je me présentais. L’enfer n’est pas le lieu dont rêvent les chenapans, mais celui où les gens-de-bien rêvent de les jeter. Nuance ! Qu’importe. Dante sur le point de suivre Virgile dans l’au-delà a dû connaître des regimbements assez semblables aux miens. Mais j’irai, j’irai puisqu’il le faut !

P.S. Étrange et fatidique correspondance ! Au moment même où l’on parle de brûler les oms, des bruits sinistres parviennent d’Allemagne qu’Adolf Hitler est en train d’aménager à son idée. Les homosexuels sont arrêtés en masse, et – en dehors de toute action judiciaire – enfermés dans des camps de concentration où on les fait mourir à force de mauvais traitements. Bien entendu la racaille hétérosexuelle ne pipe mot sur ce crime collectif. Stupides salauds ! Comment pouvez-vous ignorer que ce premier pas franchi, le tyran s’attaquera à une autre élite minoritaire, et enverra à l’équarrissage les prêtres, les universitaires, les écrivains, les juifs, les chefs syndicalistes, que sais-je ? Mais alors votre silence d’aujourd’hui étouffera vos clameurs. Le souvenir de votre silence d’aujourd’hui dénoncera la gesticulation hypocrite de votre indignation.