Blandine ou La visite du père
 

« Nous autres célibataires, nous sommes à la fois fragiles et menacés ! »

Anselme avait lancé cette affirmation d’un ton péremptoire après un long silence pendant lequel il avait écouté les doléances et les revendications des autres convives non mariés. Puis il s’était saisi d’une bouteille de cidre et il avait entrepris de remplir les verres, comme pour s’assurer ainsi un auditoire calme et attentif.

« Nous nous plaignons des exigences du percepteur qui écrase le célibataire avec une prédilection sadique. Mais il y a aussi notre manque de mobilité. Dans les grandes entreprises, on s’imagine volontiers qu’un célibataire, parce qu’il n’a ni femme ni enfants à traîner derrière lui, peut être déplacé, affecté ici ou là, en province ou au bout du monde. Voyageur sans bagages, il serait transportable à moindres frais qu’un homme marié. C’est sans doute vrai pour l’entreprise qui l’emploie, mais pour lui, c’est un désastre. Car un père de famille possède un milieu humain minimum attaché à lui et qu’il peut emmener avec lui. Sa femme et ses enfants, c’est une petite société qui le suit tant bien que mal dans ses migrations. Le célibataire possède lui aussi un milieu humain : ses parents, ses amis, ses amies, ses terrains de chasse familiers, un club, des salons. Rien de tout cela ne s’emporte. Transplanté, il souffre d’une solitude totale, profonde. Il lui faudra des années pour reconstituer le terreau humain sans lequel il est déraciné et en état de manque social.

« Oui, vraiment, nous sommes fragiles et menacés, répéta-t-il, et je viens d’en faire une bien curieuse expérience. »

Puis il se tut un instant pour mieux rassembler notre attention.

*

Ma maison est proche à la fois de l’église et de l’école communale du village. L’un de ses charmes est la sonnerie des cloches, l’autre les piaillements lointains et rafraîchissants de la cour de récréation. C’est une maison ouverte à tout venant. Encore un trait de la vie du célibataire. C’est la femme qui ferme les portes d’une maison. Elle est la gardienne du foyer, une gardienne souvent jalouse, qui a un peu trop tendance parfois à faire le vide autour de son mari. Nous savons tous cela : une fois sur deux, un ami qui se marie est un ami perdu. Madame le veut pour elle seule, et elle répugne à la complicité créée par des relations antérieures au mariage de son époux.

Au contraire, ma porte est toujours ouverte. Quatre fois par jour, des petits groupes d’écoliers et d’écolières passent en pépiant devant les grilles béantes du jardin. Souvent, quand il fait beau, ils s’aventurent chez moi. J’ai des noisetiers, des pommiers, des cerisiers, un néflier. En cherchant bien au pied des murs, on trouve au printemps des fraises sauvages. Et puis il y a la curiosité suscitée par ce drôle de métier de photographe qui est le mien. Comment peut-on gagner sa vie comme ça ? Si encore j’avais une boutique avec des appareils et des pellicules à vendre, si on me voyait opérer dans les baptêmes, les mariages, les réunions de chasseurs ! Mais non, je suis « reporter ». Au fond, on ne sait pas très bien ce que je fais. Alors, n’est-ce pas, ce métier qui n’en est pas un, ces portes ouvertes, cette absence de maîtresse de maison, cela provoque le mépris des gens sérieux et la curiosité des enfants. On risque une expédition. On me rencontre, on fait connaissance. La maison est vite explorée, et on note avec satisfaction que le congélateur contient une provision de crèmes glacées. Je le regarnis en même temps et dans le même esprit que la mangeoire des petits oiseaux et l’écuelle du chat.

Notez que ces incursions sont presque toujours le fait des petits garçons, bien que l’école soit mixte. Les fillettes plus craintives – ou dûment chapitrées – s’aventurent moins volontiers chez l’inconnu. Il est remarquable au demeurant qu’en dépit de tous les discours « permissifs » comme on dit, les mœurs soient restées, sur ce point au moins, très traditionalistes. J’aimerais que des sociologues enquêtent dans les grandes villes, les jours de congé, et comptent le nombre de garçons et celui de filles en libre vadrouille dans les rues. Je suis sûr qu’ils trouveraient dix garçons pour une fille.

Un ami à qui je rapportais le fait de ces visites d’enfants chez moi et la rareté des fillettes parmi eux s’est exclamé : « Heureusement pour toi ! Prends garde aux fillettes ! Pas touche, bas les pattes ! Quoi qu’on en dise dans les milieux qui se croient évolués, tu peux tout te permettre avec les garçons. Les fillettes sont des pièges à… sots, des faiseuses d’embrouille, des petites poisons. »

Je ne l’avais cru qu’à moitié, connaissant son pessimisme invétéré et sa misogynie. Puis j’ai repensé à lui le jour de l’été dernier où j’ai fait la connaissance de Blandine.

J’avais sorti ma chambre 4 x 5 inch avec tout son attirail – trépied à crémaillère, châssis, cellule, télémètre, et même flash électronique pour éclaircir les ombres d’une prise de vue faite en plein soleil. Il s’agissait de photographier un couple de gros bourdons qui lutinaient à grand bruit les épis d’une touffe de lavande. Ce document pouvait intéresser une revue à demi-scientifique et fort luxueuse qui paie assez bien, mais il exigeait une patience infinie, car il va de soi qu’il n’y avait pas le moindre esprit de coopération à attendre de mes deux bestioles. À peine l’un des bourdons se trouvait-il dans mon collimateur, et la mise au point achevée, qu’il jugeait à propos de changer de fleur avant que j’aie pu prendre la photo. J’étais concentré, tendu, au bord de l’exaspération, quand un énorme intrus surgit presque entre mes jambes, bouscula mon trépied, renversa ma boîte de châssis. C’était un gros chien du genre briard, velu, noir et jovial, qui leva la patte sans cérémonie sur mes lavandes avant de s’empêtrer dans le fil de mon flash.

Aussitôt après j’entends des appels, des voix claires, des rires, et je vois surgir à leur tour deux fillettes. J’ai tout oublié de l’une, qui devait être grise, ou transparente, ou même invisible, car je ne pouvais avoir d’yeux que pour l’autre tant elle était fine et jolie. Les tabliers de lustrine noire soutachée de rouge des écoliers de jadis ont disparu, et je les regrette. Rien ne met mieux en valeur la fraîcheur et la gentillesse d’un enfant qu’un vêtement sombre et austère. Blandine avait un sarrau bleu clair, fort court, serré par une ceinture fleurie sur ses cuisses dorées. Elle a éclaté de rire en voyant son chien s’ébattre au milieu de mon matériel, et aussitôt j’ai pensé à l’un des anges musiciens de Botticelli. Elle se jeta à sa poursuite, réussit à se cramponner à son collier, mais il était plus lourd qu’elle, et il la fit rouler dans l’herbe. Moi, je buvais des yeux ce spectacle ravissant, et je me demandais quelle diable d’idée j’avais pu avoir de photographier des bourdons.

On fit connaissance. Elle habitait avec ses parents, ses deux frères aînés et sa petite sœur une fermette isolée à un kilomètre du village. « Mais, me dit-elle, on va bientôt déménager. » Son père était employé dans une usine de matériel électrique assez éloignée. Il partait tôt, rentrait tard. Pendant les vacances, on ne bougeait pas, puisqu’on habitait la campagne.

Je les fis entrer pour leur montrer mon laboratoire et certains de mes travaux.

— Il faudra revenir et je ferai votre portrait à toutes les deux, promis-je hypocritement. Mais la prochaine fois n’amenez pas le chien.

Car nous l’avions laissé dehors, et, affolé de solitude, il menait un train d’enfer pour rentrer.

On se quitta. Elles s’enfuirent en riant, entourées par les bonds joyeux du briard, et je restai seul, ébloui et un peu triste, avec ma chambre 4 x 5 inch et mes lavandes que les bourdons avaient définitivement abandonnées. Quoi de plus mélancolique qu’un photographe qui n’a plus rien à photographier, ayant laissé échapper la seule image qui compte désormais à ses yeux ?

Blandine revint. Seule, sans sa compagne, et dans mon aveuglement je ne songeai même pas à m’en étonner. Je fis d’elle une série de portraits qui sont sans discussion possible ce que j’ai réussi de mieux en vingt-cinq ans de photographie. J’eus un moment d’inquiétude, lorsque je lui en proposai un jeu pour ses parents et qu’elle refusa : « Oh non, ça ne les intéresserait pas ! » Je n’eus même pas le courage de lui demander s’ils étaient au courant de ses visites chez moi.

Un jour qu’il pleuvait, elle entra en secouant ses cheveux d’or emperlés de gouttes. Puis elle accrocha au mur un imperméable craquelant, translucide et léger comme une aile de libellule, et elle se dirigea d’autorité vers la cuisine. J’allumai une flambée dans la cheminée. Elle prépara un thé avec des toasts. Tea for two. C’était ravissant, radieux, idyllique. Je ne cessai de penser à Lewis Carroll, ce clergyman photographe d’il y a cent ans, qui organisait chez lui des réceptions exclusivement réservées à des fillettes de moins de douze ans. Il les maquillait, les déguisait, les disposait en groupes ou en tableaux vivants, et fixait sur la pellicule pour l’éternité leur éphémère, fragile et délicieuse immaturité. Je me persuade d’avoir moi-même entendu de sa bouche cette réponse murmurée sur un ton de pudeur offusquée à un ami qui lui demandait si toutes ces gamines ne finissaient pas quelquefois par l’excéder : « Taisez-vous, elles sont les trois quarts de ma vie ! » Et il mentait par timidité sur ce quatrième quart, lequel appartenait indubitablement aussi à ses petites amies.

Quel âge pouvait avoir Blandine ? Onze ans peut-être, douze au maximum. Mais je savais d’instinct que la puberté n’avait pas fait encore couler son sang. Je le voyais à cent détails qui ne trompent pas, une certaine franchise proche de la désinvolture dans ses mouvements, les cicatrices de ses genoux ronds et naïfs, et certains gestes, comme celui, dans l’attente ou l’ennui, de poser la semelle de son pied droit en travers, sur le dessus de son pied gauche, posture commune aux garçons et aux filles, mais typiquement impubère.

Oh, ne riez pas ! Je ne suis pas niais au point de confondre immaturité et innocence ! Blandine était rouée comme pas une, et je devais en faire l’expérience de façon assez cuisante. Je crois au contraire que l’enfant, parce qu’il n’est pas gêné et aveuglé par les fermentations du sexe et du cœur, est capable de plus de ruse parfois qu’un adolescent aux prises avec ses états d’âme. Il n’est pas rare que la puberté fasse d’une enfant vive et délurée une oie blanche assez ridiculement empruntée. Surtout, Blandine se montrait incroyablement femme. J’ai eu souvent l’occasion d’observer cette exquise précocité sur des fillettes si jeunes qu’il s’agissait presque de bébés. À moins de deux ans, certaines savent qu’un homme est un homme et a droit de leur part à un comportement que résume le seul mot de coquetterie. En comparaison, les petits garçons restent des benêts inconscients – sauf à coup sûr à l’égard de leur mère – jusqu’à l’âge des premiers épanchements. Blandine avait pris possession de la maison, du jardin, de moi-même avec un naturel souverain, et je me laissai glisser dans une situation qui tenait pour moi du conte de fées.

Un jour, elle ne vint pas. Le lendemain non plus. Je l’attendis en me rongeant toute la semaine. Du moins entendais-je le pépiement des récréations de l’école, et je me persuadais que sa voix y avait sa part. Le week-end fut d’autant plus lugubre qu’il faisait un temps glorieux. Le lundi, j’accomplis le geste d’une stupide maladresse que je m’efforçais de m’interdire depuis huit jours : j’allai l’attendre à la sortie de l’école, m’exposant ainsi aux commentaires de toute la commune.

Elle vint droit vers moi et me dit simplement : « Papa veut vous voir. »

C’était la menace qui planait sur nous depuis notre première rencontre et que j’aurais dû conjurer en prenant les devants, et que j’aurais sans doute conjurée si Blandine, inexplicablement, n’avait pas éludé toutes mes velléités de visite à sa famille.

— Quand il voudra. À quelle heure veut-il venir me voir ?

— Il rentre du travail à sept heures.

— Demain, sept heures et demi.

— Je lui dirai.

Et elle s’éloigna, très droite, très sérieuse, sans rien de la grâce enjouée qu’elle déployait habituellement chez moi, autour de moi. On sentait bien que désormais le fantôme du père veillait sur elle et l’entourait d’une atmosphère d’autorité sourcilleuse.

À partir de cette minute, j’attendis. Quoi que je fasse – une commande de cinq cents tirages couleurs exigeait tout mon temps, sinon toute mon attention – ce n’est plus que passe-temps et impatience rongeuse. Je suis ainsi fait que certaines attentes remplissent ma vie à l’exclusion de toute activité, de toute pensée qui leur serait étrangère, des attentes en vérité tyranniques. Ce père noble et vengeur, quelles accusations pourrait-il me jeter au visage ? Je repassais fiévreusement dans mon esprit le souvenir de toutes les visites de Blandine, des heures que nous avions passées ensemble, et en toute honnêteté je n’y trouvais rien de bien coupable. Mais Blandine était à l’âge délicieusement trouble où la tendresse se confond avec le désir et la bourrade amicale avec l’étreinte amoureuse. Nous autres célibataires, comme on a vite fait de nous traiter de séducteurs, alors que le plus souvent nous ne sommes que séduits, gibiers et non chasseurs, victimes et non bourreaux !

On sonna. C’était lui. Si j’avais attendu un patriarche courroucé, cambré, majestueux, je m’étais bien trompé. C’était un petit homme au visage triste et blême sous un béret basque enfoncé jusqu’aux oreilles. Une musette d’ouvrier – le casse-croûte de midi sans doute – complétait sa silhouette laborieuse.

Il se posa au bord d’une chaise.

— Blandine m’a dit que vous souhaitiez me parler, commença-t-il.

Ce mensonge sur lequel s’ouvrait l’entretien augmenta mon malaise, d’autant plus que je ne pouvais savoir s’il était le fait de Blandine ou de son père. Il pouvait néanmoins passer pour une perche que je saisis aussitôt.

— Bien sûr, n’est-ce pas. Elle vient me voir assez souvent. Il est tout de même normal que je me présente à ses parents.

Je lui demandai ce que je pouvais lui offrir. Il finit par accepter un verre de bière. Non merci, il ne fumait pas. Un silence énorme tomba. C’était incroyable ce que nous avions peu de choses à nous dire ! Je l’observais avec une attention incrédule, me répétant sans pouvoir y croire : « C’est le père de Blandine. Elle lui doit la vie. Il la voit et l’embrasse chaque jour. » Comme l’ordre naturel est bizarre parfois ! De son côté, il regardait autour de lui avec curiosité.

— Blandine m’a beaucoup parlé de votre maison, dit-il.

L’idée un peu douloureuse me traversa qu’en effet si Blandine m’était quelque peu attachée, c’était sûrement moins pour moi-même que pour cette maison où elle régnait et qui devait évidemment la changer du domicile familial. Je me levai en lui proposant de faire le tour du propriétaire. Cela contribuerait peut-être à nous mettre en confiance réciproque. Rez-de-chaussée. Pièce commune où nous étions. Bureau. Cuisine. Toilettes. Porte ouvrant sur l’escalier de la cave. Au premier étage, la salle de bains et quatre chambres. Mais l’espace principal, c’était au-dessus, le grenier aménagé, lambrissé de frisettes de pin. C’était mon atelier de prises de vues. Et c’est là aussi que j’ai mis mon lit, car il me plaît de dormir au milieu de mes spots, de mes gamelles, de mes trépieds, de mes appareils. Quand j’étais écolier, je mettais la nuit sous mon oreiller le livre où était imprimée la leçon du lendemain que je savais le moins. Je croyais qu’à la faveur du sommeil, le texte, si proche de ma tête, viendrait s’y inscrire par une sorte de télépathie. Sans doute est-ce en vertu d’une croyance analogue que j’aime placer mon repos à l’ombre des instruments auxquels je dois ma subsistance et ma liberté.

— C’est grand, commenta le père de Blandine.

Grand ? Évidemment, une maison à la campagne est toujours plus spacieuse qu’un appartement à la ville. Mais, lui fis-je observer, j’étais assez « grand » moi-même avec mes activités professionnelles pour remplir tout cet espace.

— Ça ne fait rien, c’est grand, s’obstinait-il en hochant la tête.

Puis, tout naturellement, il enchaîna sur ses propres difficultés de logement. Sans doute Blandine m’avait-elle mis au courant. Ils allaient devoir bientôt déménager. La petite ferme qu’ils occupaient depuis onze ans – tiens, eh bien justement depuis la naissance de Blandine ! – leur était réclamée par le propriétaire, lequel, pour se débarrasser d’eux plus sûrement, leur avait trouvé une possibilité de relogement à une trentaine de kilomètres. Un de ces hameaux construits en série où les maisons toutes semblables se regardent par-dessus un rectangle de gazon grand comme une carpette.

— Alors voilà, conclut-il, je suis venu vous demander si vous ne connaîtriez pas quelque chose dans le coin. On ne sait jamais, une occasion qui se présenterait, une maison même un peu en ruine, que je me chargerai de réparer. Je ne suis pas difficile.

Je promis, touché par cet appel au secours, faisant mentalement le tour des gens que je connaissais, mais il était clair que dans cette campagne envahie par les résidences secondaires, la place est de plus en plus chichement mesurée aux gens modestes. Je promis de demander, oui, mais le ton de ma voix disait assez que je n’y croyais guère.

Lui non plus d’ailleurs, et ce n’était pas cela qu’il attendait de moi. Car soudain son visage gris s’éclaira d’un sourire, et, comme saisi d’une inspiration subite, il leva la main vers l’escalier.

— Mais vous ici ! C’est pas la place qui vous manque ! Puisque vous êtes toujours au second dans votre grenier, pourquoi vous nous loueriez pas le premier étage ?

Cette soudaine proposition me prenait de court. J’en avais le souffle coupé. Et lui se hâtait d’insister, comme si mon silence suffoqué eût été un début d’acceptation.

— On n’est pas encombrants, vous savez, moi, ma femme, les quatre gosses et Pipo.

— Pipo ?

— Oui, c’est le chien.

Celui-là, je l’avais oublié, et je revis cette grosse brute affectueuse bousculant mes châssis et levant la patte sur mes lavandes.

Je finis par reprendre pied. Non vraiment, c’était impossible. Il ne fallait pas y songer. J’étais moins seul que je n’en avais l’air. Des amis venaient me voir. De la famille aussi. Le reste du temps, mon travail exigeait le calme. Et cette maison – tout en hauteur – rendait l’isolement impossible. Dès qu’il y avait quelqu’un dans l’une des chambres, je le sentais, même s’il était d’une parfaite discrétion.

Je parlai ainsi longtemps, doucement, tout en laissant percer sous mes mots un refus définitif à sa folle proposition.

Son sourire ne s’effaçait que lentement, tandis qu’il baissait les yeux sur le fond de son verre où il faisait tourner machinalement un reste de bière.

— C’est dommage, murmurait-il, c’est dommage, c’est bien dommage.

Puis, tout à coup, il me regarda. Le bas de son visage souriait encore vaguement, mais ses petits yeux gris me fixaient avec une malice dure.

— Oui, c’est bien dommage. Parce que si on ne trouve rien, eh bien, il va falloir partir, n’est-ce pas ? Et Blandine, eh bien, elle partira aussi !