CHAPITRE XLI

De la province d’Arciadam.

En sortant de la province de Caraiam, après avoir marché pendant cinq jours, nous trouvons la province d’Arciadam ou pays des dents d’or, qui est aussi sujette du Grand Khan. La capitale s’appelle Unchiam (Young-tchang) ; les habitants se servent de l’or au poids dans le commerce, car on ne trouve point d’argent dans ce pays-là, non plus que dans les pays voisins. Ceux qui en apportent d’ailleurs le troquent contre de l’or, et gagnent beaucoup ; ils boivent une boisson faite de riz et de parfums. Les hommes et les femmes de ce pays-là se couvrent les dents de lames d’or fort délicates, en sorte qu’on dirait qu’ils ont naturellement les dents d’or. Les hommes sont exercés à la guerre, ne s’adonnant qu’à cela ou à la chasse des bêtes sauvages et des oiseaux, et les femmes gardent la maison et s’attachent à leur ménage, ayant des esclaves pour les servir. C’est aussi une coutume pour ce pays-là que lorsqu’une femme a enfanté elle doit quitter le lit le plus tôt qu’elle peut pour vaquer au gouvernement de la maison ; et pendant ce temps-là le mari se met au lit l’espace de quarante jours, pour avoir soin du nouveau-né. Car la mère ne fait autre chose à l’enfant que de lui donner le sein, et les parents ou amis viennent rendre visite au mari, quoiqu’ils ne soient pas venus voir la femme. Il n’y a point d’idoles dans cette province, sinon que chaque famille adore le premier de la race. Ils font leur demeure la plupart dans les montagnes ou dans des lieux déserts ; les étrangers n’approchent point de leurs montagnes, parce qu’ils ne sont point accoutumés à l’air qui y règne et qui est fort corrompu. Ils n’ont point l’usage de l’écriture, mais ils se servent pour faire leurs obligations d’une certaine marque dont le débiteur et le créancier gardent chacun la moitié, qu’ils rejoignent ensemble suivant certains indices, pour preuve de la vérité de la chose. Il n’y a point de médecins en cette province, non plus que dans celles de Caniclu et de Cariam ; mais lorsqu’il y a quelque malade, ils assemblent les magiciens ou ministres des idoles, et le malade leur expose sa maladie. Après cela les magiciens font une danse et sonnent de certains instruments, et invoquent leurs dieux en criant à tue-tête, jusqu’à ce qu’enfin un de la troupe des sauteurs et des joueurs soit inspiré du démon.

La cérémonie finie, ils consultent le malade sur ce qu’il ressent, et demandent au démon comment cette maladie est arrivée au patient, et ce qu’il faut faire pour le guérir ; le démon répond par la bouche du malade que c’est parce qu’il a fait telle ou telle chose, comme par exemple pour avoir offensé tel dieu, que cette maladie lui est survenue. Alors les magiciens prient ce dieu de lui pardonner, promettant au nom du malade que s’il recouvre la santé il fera un sacrifice de son propre sang. Si le démon voit que le malade soit d’une nature qu’il ne puisse pas guérir, il a coutume de répondre : « Celui-là a si grièvement offensé ce dieu qu’il ne saurait l’apaiser par aucun sacrifice ; » mais s’il doit en réchapper, ils ordonnent au malade d’offrir tant de béliers à têtes noires, et telles ou telles boissons, ou bien qu’il invite des magiciens avec leurs femmes pour offrir par leurs mains ces sacrifices, et qu’alors il sera agréable au dieu. D’abord les parents et les amis ont soin de faire préparer ce que le démon a ordonné. Ils tuent des béliers et en jettent le sang en l’air vers le ciel, et ayant fait appeler des mages avec leurs femmes, ils allument beaucoup de lumières et brûlent de l’encens par toute la maison ; ils brûlent du bois d’aloès et jettent le jus des viandes en l’air, de même qu’une boisson faite de parfums. Cela étant achevé, ils se mettent de nouveau à chanter dans l’assemblée en l’honneur de l’idole galienne (médicale), ce que le malade prend pour la cause de sa guérison ; mais ils crient si horriblement en chantant qu’on dirait qu’ils vont s’égosiller. Cela étant fait, ils interrogent de nouveau le magicien pour savoir si l’idole est contente ; s’il répond que non, ils se disposent à faire ce qui leur sera ordonné pour l’apaiser ; s’il répond que l’idole est satisfaite, alors les enchanteurs et les magiciens se mettent à table et mangent en grande joie les viandes qui ont été sacrifiées à l’idole et boivent les boissons qu’on lui a consacrées. Après que le repas est fini, chacun s’en retourne chez soi ; et quand le malade a reçu la santé par la grâce du Dieu puissant, ces misérables aveugles en rendent des actions de grâces au démon.

Deux voyages en Asie au XIIIe siècle
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