Chapitre
1
Sur quelles valeurs engager un projet national ?
Paradoxalement, la grande oubliée de la politique française, c’est la France. Alors que c’est d’abord sur elle, grande puissance vingt fois séculaire, que nos dirigeants devraient s’appuyer pour gouverner, ce n’est plus le cas depuis des décennies déjà.
Je l’ai dit sans détour : nos dirigeants, et plus généralement nos élites, ne croient plus en la France. Ne donnant aucune preuve tangible de leur amour pour notre pays, ils semblent plutôt tout essayer pour que le peuple français désespère de sa propre patrie.
Oui, bien sûr, on parle aux Français de la France en période électorale ! Ségolène Royal s’est souvenue en 2007 que la France avait un drapeau national, et s’est prise subitement d’une tendre affection pour lui, au point qu’elle demanda à tous les Français de l’accrocher à leur fenêtre… Nicolas Sarkozy a lui aussi ses « crises de France », généralement durant les quelques mois qui précèdent les élections.
Marseillaise, identité nationale, Jeanne d’Arc, élans patriotiques des discours d’Henri Guaino : les fumées tricolores sont envoyées vers l’électeur afin de le plonger dans la brume et l’empêcher d’y voir clair. François Bayrou lui-même, l’ultra-européiste, n’avait pas manqué en 2007 de se peindre en bleu, blanc, rouge, jusqu’à dévoiler au pays un vibrant slogan de campagne : « La France de toutes nos forces ! »… Cette fois-ci, il se fait le chantre du « Produire français », comme si les traités européens qu’il soutient n’existaient pas… Oui, la France, ils l’ont oubliée ces gens-là, et de toutes leurs forces.
Depuis des décennies, et je date cette dérive de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, le projet politique qu’on offre aux Français n’est plus véritablement français. Il n’est plus français en ce sens qu’il ne s’inscrit plus dans un principe de confiance en la France. Durant son septennat, le président Giscard n’a eu de cesse de rappeler que notre pays n’était qu’une « puissance moyenne », « représentant 1 % à peine de la population mondiale ». Après lui, François Mitterrand eut cette formule si terrible, mais si révélatrice : « La France est ma patrie, l’Europe est mon avenir »… Oui, c’est bien cette idée, même implicite, qui irrigue la politique française depuis plus de trente ans : la France est une idée qui appartient au passé, qui ne se conjugue pas au futur. L’avenir des Français ne peut être qu’européen, et mondial. D’où la course à l’Europe, la promotion incessante du modèle mondialiste, pourtant désincarné. Ce peu de foi en la France pénalise notre langue nationale, que nos dirigeants ont renoncé à défendre dans les enceintes internationales, qu’ils ne font plus l’effort de parler correctement eux-mêmes, et dont le déclin organisé affecte jusqu’aux publicités qui s’affichent en anglo-américain sur les murs de nos villes.
Je suis convaincue que notre malaise national s’explique en grande partie par le sentiment, souvent confus, que le peuple peut avoir de cette situation. Notre peuple est dans le fond extrêmement attaché à son pays, mais il pressent qu’on lui réserve un autre avenir, dans lequel la France n’a plus sa place, ou alors à titre subsidiaire, réduite à un vague héritage culturel, un musée certes magnifique, mais un musée, voire un mausolée…
Mon projet se pose en rupture avec cette conception de notre pays. À mes yeux, la France est un principe supérieur, celui qui doit inspirer l’ensemble de nos actions, un principe d’avenir aussi, parce que je crois en elle, que je l’aime de toute mon âme, et que j’ai foi en son destin. Cette conviction politique se fonde d’abord sur un inépuisable amour pour mon pays, un sentiment enfoui au plus profond de moi-même qui m’envahit à chaque moment de communion nationale. Comme l’amour maternel, l’amour de la France ne s’explique pas, il se vit. Ce sentiment m’emplit d’espérance pour l’avenir et constitue le carburant inépuisable de mon engagement politique. La France, ses paysages, ses trésors architecturaux, ses clochers, ses campagnes, ses fleuves, ses traditions et son génie national, la France, c’est chaque jour une émotion renouvelée, le sentiment si fort de vivre dans un pays hors du commun, dont la lumière continue de briller au-delà de nos frontières, pays à la fois singulier et capable de faire vibrer les cœurs de tous les hommes.
La France ? « Une idée nécessaire à la civilisation » nous dit l’écrivain anglais Charles Morgan ! La France des écrivains et des poètes, sa douceur angevine, ses nuits rhénanes, la diversité française admirablement dépeinte par Braudel, les souvenirs de Pagnol, l’Histoire nationale de Bainville, de Michelet, c’est bien cette France riche, féconde, complexe, qui rayonne depuis des siècles dans la conscience universelle. C’est bien la France éternelle qui inspire mon action.
Cette conviction repose également sur une analyse raisonnable du
monde actuel. La nation est la seule réponse crédible à la
mondialisation. « À ceux qui n’ont plus rien, il reste la
patrie » nous disait Jaurès. Cette phrase est d’une
actualité brûlante. La nation est le seul cadre politique en mesure
de proposer une alternative au magma mondialiste. Elle est la seule
à avoir la taille suffisante et la légitimité démocratique
nécessaire pour représenter une protection et un cadre de vie pour
nos concitoyens. Je pense que plus la mondialisation sauvage
progresse, plus l’exigence de nation se renforce. Cadre naturel des
solidarités, c’est au sein de la nation qu’on peut aider les plus
démunis, c’est elle qui peut protéger les travailleurs et incarner
un espoir pour tous ceux que la vie n’a pas épargnés.
Ce n’est certainement pas l’Europe qui peut jouer ce rôle, parce
qu’elle n’a aucune réalité charnelle, qu’elle ne fait vibrer le
cœur de personne, qu’elle est un espace sec et abs-trait qui ne
suscite aucun attachement, et qu’elle n’a d’autre objectif que
d’accélérer l’avènement du projet mondialiste.
Mettre la nation au cœur de son projet politique comme je le fais ne signifie pas choisir l’autarcie et le repli sur soi. La propagande des mondialistes de gauche comme de droite, de tous ceux qui ont renoncé à la France, de tous ceux qui ne l’aiment pas parce qu’ils ne la comprennent pas, et ne la comprennent pas parce qu’ils ne l’aiment pas, est la même : on assimile « national » à « ringard », et « mondial » à « moderne ». C’est une escroquerie intellectuelle et politique, parce qu’il existe depuis tout temps une articulation entre national et global, qu’on nommait jusqu’à peu « international ». Un État-nation peut par définition agir sur son territoire, mais il peut aussi le faire en dehors, en coopérant avec les autres États-nations, dans le cadre d’une collaboration internationale, qui peut d’ailleurs prendre des formes variées : souple ou structurée, voire très intégrée dans certains domaines. Il existe des enceintes prévues pour cela, à commencer par l’ONU. Une problématique mondiale, comme le terrorisme ou la pollution par exemple, peut donc parfaitement trouver une parade concertée face à elle, et à coup sûr de façon plus efficace, sans qu’on soit obligé d’installer une autorité globale au-dessus des nations et des peuples. C’est en coopérant, en concluant des accords, en s’engageant sur des objectifs communs que les États-nations répondent réellement à ce type d’enjeux. Il y eut d’ailleurs de tout temps des problèmes de dimension mondiale. Et de tout temps, les nations ont su réagir ensemble : face aux réseaux terroristes depuis des décennies déjà, face aux épidémies, ou pour organiser le transport international. Je refuse donc la fausse alternative mondiale/nationale qui sonne inexorablement comme une opposition, parfaitement idéologique, entre le moderne et l’archaïque. Il faut déjouer ce piège, qui vise à légitimer la mise en place d’autorités supranationales qui échappent au contrôle et à la légitimité démocratiques.
Mon projet est donc éminemment français, et d’abord patriote. Il croit en la France, a foi en elle, car dans ses profondeurs il y a le peuple français. Je refuse le masochisme national, qui ne produit rien d’autre que le ressentiment, la division et l’obsession mortifère d’un passé tronqué. Je suis convaincue que seul ce projet éminemment français permettra de redonner au vieux peuple que nous sommes la fierté de ce qu’il est. Un peuple n’avance pas s’il n’a pas confiance en lui, s’il n’est pas convaincu de ses propres atouts. C’est cette fierté, non pas cocardière mais dynamisante, que je souhaite éveiller. C’est elle qui rendra possible l’assimilation des nouveaux Français, ceux qui ont fait le choix sincère de notre pays et de vivre en harmonie avec ses traditions, ses lois et ses valeurs. Les Français doivent de nouveau croire en eux, croire en leur génie national et en l’avenir. La Chine, les États-Unis, l’Inde, la Russie, l’Argentine et même le Royaume-Uni ou la Suède avancent, parce qu’ils ne doutent pas de leurs forces. Nous n’avons pas, nous non plus, de raison structurelle de douter et de nous laisser aller au pessimisme, celui qui ouvre la porte à toutes les manipulations politiciennes. La France est la cinquième puissance mondiale. Tout fait d’elle un cas à part : sa cuisine, sa culture, son vin, ses habitants. Sa géographie exceptionnelle, sa superficie, qui fait d’elle le plus grand pays d’Europe, sa démographie, qui ne demande qu’à être soutenue, ses territoires ultra-marins et l’aura dont elle jouit encore partout dans le monde, lui donnent toutes les raisons d’espérer. Et de croire en ses propres ressources Si elle décide de se relever, et de prendre appui sur ce qui fait sa force, c’est-à-dire de faire se lever un peuple inventif et uni dans les grandes heures de son histoire, la France traversera le XXIe siècle dans la prospérité et la grandeur.
Le peuple français, acteur de son destin
Quatre février 2008. Une date qui ne vous évoque peut-être rien
sur l’instant. Et pourtant, ce jour-là est pour moi à marquer d’une
pierre noire. C’est en effet le 4 février 2008 que cinq cent
soixante parlementaires, réunis en Congrès à Versailles, ont voté,
comme je l’ai expliqué, la révision de notre Constitution,
nécessaire à l’adoption du Traité de Lisbonne. Ce jour-là, cinq
cent soixante parlementaires sur sept cent quarante et un exprimés,
venus de la gauche, du centre et de la droite, ont permis
l’adoption d’un traité presque en tous points conformes à la
Constitution européenne que le peuple français avait – oserait-on
dire souverainement ? – rejetée par référendum près de trois
ans plus tôt.
Ils ont rendu possible la ratification par la France, puis son
entrée en vigueur le 1er décembre 2009,
d’un traité dont Valéry Giscard d’Estaing estimait dans Le
Monde du 27 octobre 2007 qu’il avait été « rédigé
exclusivement à partir du projet de Traité constitutionnel, les
outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre a été changé dans la
boîte à outils ». Ce jour-là, le dernier fil qui reliait
le peuple à ses élites s’est rompu. Ce que le peuple avait fait,
celles-ci avaient osé le défaire dans les travées dorées du château
de Versailles. Seule la Toile s’est faite l’écho de ce déni de
démocratie, alors que la plupart des médias traditionnels furent
une nouvelle fois muets ou consentants, comme aux abonnés
absents.
Cet épisode succédait au déchaînement d’arrogance et de violence qu’avait suscité parmi les élites politico-médiatiques le rejet du Traité constitutionnel européen par 54,7 % des électeurs le 29 mai 2005. Qui se souvient de l’éditorial haineux de Serge July paru dans Libération le lendemain de ce vote honteux ? Ce bel esprit n’avait pas hésité à qualifier de « cons » les électeurs ayant choisi le « non ». La France vivra – je l’ai dit déjà – la même séquence antidémocratique quelques mois plus tard, à l’occasion cette fois du référendum Suisse sur l’interdiction des minarets. Le jour où 57 % des électeurs helvétiques approuvèrent cette mesure, ce qui est leur droit le plus strict, les médias français, ainsi que nos dirigeants politiques, n’hésitèrent pas à diffamer le peuple suisse, évoquant une attitude de « crispation » ou même d’« ignorance » (il est bien connu que le peuple ne sait jamais ce qui est bon pour lui…), allant jusqu’à condamner le principe même du référendum d’initiative populaire au prétexte, pour reprendre leurs termes, qu’il conduit à des « dérives populistes ».
Une nouvelle fois, Libération remporta la palme du
ressentiment antipopulaire en titrant sobrement « Le vote
de la honte ». Tout était dit.
Bref, la démocratie est malade. Nos élites ont un problème avec
le peuple, accepté du bout des lèvres à leur table, à condition
qu’il reste dans le coin, et qu’il apprenne bien chaque jour sa
leçon auprès des obligés du système. Lorsqu’on daigne lui demander
son avis, ce qui est rare, il est certes autorisé à voter, mais à
condition de le faire dans « le bon sens »…
Et si par malheur il ose exprimer une opinion dissidente dans les
urnes, on passera outre son vote en réunissant une assemblée en
catimini à Versailles, ou, pour suivre le modèle irlandais, en lui
demandant de revoter jusqu’à obtenir le résultat désiré.
« Ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? » se demandait avec ironie Bertolt Brecht il y a cinquante ans. Cette pensée a dû effleurer plus d’une fois nos élites…
Je suis pour ma part profondément démocrate. Je suis persuadée que le malaise très profond que ressent la société française à l’égard de ses médias et de sa classe politique tient en bonne partie au fait qu’elle sent qu’elle n’est plus la bienvenue dans le processus de prise de décision. Elle perçoit que, derrière l’apparence de démocratie, elle n’a en réalité plus prise sur grand-chose. Plus grave : l’idéal serait que la société française se taise et signe des billets à ordre, laissés en blanc. La démocratie est pourtant un bien extrêmement fragile, dont il convient de prendre soin chaque jour, parce qu’elle n’a rien de naturel, qu’elle n’est jamais acquise. Si on n’y prend garde, la démocratie peut disparaître, sous les assauts répétés d’une caste qui n’a pas intérêt à ce que le peuple ne s’investisse trop dans la conduite de ses affaires.
Pour combattre ce malaise, et la dangereuse désespérance qui gagne nos compatriotes, il semble donc vital de rebâtir la démocratie. Pour cela, il faut réhabiliter le peuple français comme l’acteur indispensable de la politique de notre nation, rôle qu’il n’aurait jamais dû perdre.
Là, c’est d’abord un état d’esprit qu’il convient de changer. Les élites, médiatiques, financières et politiques, doivent cesser de regarder le peuple comme un être mystérieux, imprévisible, sot, ignorant et presque effrayant. Elles doivent se réaccoutumer à lui pour cesser de considérer qu’elles doivent sur tous les sujets importants penser à sa place, quitte à prendre les décisions dans son dos.
Les élites ne modifieront pas d’elles-mêmes leur regard sur le peuple. Une série d’outils profondément démocratiques inscrits dans mon projet présidentiel rendront possible cette évolution vitale pour le pays.
D’abord, il convient de rétablir l’usage fréquent du référendum en France. Il est anormal qu’on n’ait recours à ce mode d’expression populaire directe qu’une fois par décennie. Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il ne ferait aucun référendum pendant son mandat. Mais de quel droit bafoue-t-il ainsi l’esprit de la Constitution ?
Sur un certain nombre de sujets, il nous apparaît que le référendum devrait être obligatoire : toutes les grandes questions qui touchent à la souveraineté du pays, à son identité, à l’éducation ou aux services publics doivent être tranchées par le peuple directement. Au contraire, Nicolas Sarkozy a supprimé en 2008 le référendum obligatoire pour tout nouvel élargissement de l’Union européenne.
Ensuite, il faut instaurer de vrais référendums d’initiative populaire dans notre pays, sur les modèles suisse ou italien, et ne pas se contenter de l’usine à gaz votée lors d’une récente réforme de la Constitution. Il faut aller directement vers le peuple, ne pas craindre ses verdicts. Seuls ces exercices de démocratie véritable permettront de faire tomber les tours d’ivoire dans lesquelles sont reclus nos dirigeants.
Enfin, il est nécessaire de rétablir de toute urgence le mode de scrutin proportionnel pour les élections législatives, notamment. Toutes les tendances politiques doivent être représentées à l’Assemblée nationale, y compris celles qui ne nous agréent pas pour une raison ou une autre. Il n’est pas normal par exemple que le parlement puisse défaire par un vote en catimini ce qui a été décidé par le peuple souverain, comme ce fut le cas pour la Constitution européenne. Une telle dérive n’aurait pas été possible si le parlement, grâce à la proportionnelle, avait été le reflet de l’arc politique en son entier.
Ces mesures de justice assureront en fait un véritable renouvellement des élites politiques. Elles feront émerger une vraie diversité des opinions, en redonnant le sentiment justifié à l’électeur que son vote a un réel impact, alors qu’il est sou-vent convaincu aujourd’hui – et pourrait-on lui donner tort ? – que son déplacement jusqu’à l’urne ne changera pas grand-chose.
Elles ne produiront cependant tous leurs effets qu’à condition qu’on assure à tous les niveaux de la société une plus grande diversité parmi les élites.
C’est bien l’enjeu actuel : c’est en permettant le renouvellement des élites, et donc l’ascension au pouvoir de personnes diverses, et notamment issues du peuple, que nous parviendrons à faire changer les mentalités, et à éviter que toutes les positions importantes ne soient confisquées entre les mains d’une caste repliée sur elle-même, toujours prompte à confisquer la démocratie dans son intérêt.
Il faut d’abord assurer une plus grande variété des profils dans les grandes écoles qui forment les dirigeants de demain. Seule la diversité sociale créera la diversité des opinions. Ce n’est pas en instituant la discrimination positive, qui consiste à donner des avantages et des passe-droits à des catégories de la population en fonction de caractéristiques ethniques, qu’on diversifiera les profils.
On aura des élites qui pensent différemment le jour où, de nouveau, on aura des élèves de grandes écoles filles et fils d’ouvriers, d’employés, d’agriculteurs, de petits fonctionnaires. Pour cela, il faut cesser les programmes de discrimination positive, et au contraire permettre aux élèves doués des classes populaires de réussir, à la loyale, en les informant davantage ainsi que leurs parents sur les voies d’excellence, en facilitant l’accès au logement étudiant, et en augmentant les bourses sociales pour les plus méritants. Il faut aussi diversifier les profils des jurys de concours, en s’assurant que leurs membres ne pensent pas tous la même chose sur tous les sujets, comme c’est trop souvent le cas. L’élite se reconnaît entre elle et se reproduit : il faut sortir de cette spirale infernale.
La discrimination positive mérite une réflexion particulière. J’ai annoncé publiquement mon soutien à l’association SOS Égalité créée à la fin de l’année 2009 par l’un de mes amis, le professeur d’université Jean-Richard Sulzer. J’approuve le principe de cette association, parce qu’elle assure la promotion du modèle républicain, fondé sur l’égalité, l’effort et la méritocratie, face la terrifiante dérive tribale que constituent les pratiques de discrimination positive. Celles-ci sont en train de se généraliser à tous les secteurs de la vie économique et sociale, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, et de son ancien commissaire à la diversité, l’idéologue Yazid Sabeg, auteur en 2004 d’un ouvrage au titre explicite : Discrimination positive. Pourquoi la France ne peut y échapper ? À l’entrée des grandes écoles, des entreprises, des administrations, pour progresser dans sa carrière, obtenir une bourse, un logement, il faut de plus en plus afficher la bonne couleur de peau. Parfois explicitement, parfois en se cachant derrière des critères prétendument « territoriaux » ou « sociaux ». La discrimination positive grignote inexorablement la République.
Je crois au contraire que le mérite vaut bien davantage que les caractéristiques absurdes de la couleur de la peau. Je crois que les vraies inégalités sont économiques et sociales, et que la discrimination positive est un prétexte très pratique pour s’exonérer de les combattre. Je pense aussi que c’est à l’école qu’il faut agir, en relevant dans tous les domaines nos exigences : la discipline, la transmission des savoirs et des valeurs, le respect dû au maître – car celui qui enseigne doit exiger le respect de celui qui apprend, et qu’il enrichit. Une école qui renonce, c’est une école qui pénalise en premier lieu les classes populaires. La discrimination positive n’est pas une solution, elle conduit à l’évidence au ressentiment, et constitue une grave menace pour les valeurs fondamentales de notre nation. Qui demain aura encore une chance de s’en sortir ? Plus grand monde, à l’exception des fils de la grande bourgeoisie et des quelques bénéficiaires des passe-droits accordés sur un fondement ethnoculturel quelconque. À l’instar de l’exemple américain, la discrimination positive se retournera même contre les groupes sensés en bénéficier. Certains élèves issus de l’immigration réussissent en effet par leur seul mérite via les voies traditionnelles, et souffrent de l’amalgame fait avec d’autres, présumés favorisés par la discrimination positive, dans le regard d’autrui.
Arrêtons dès maintenant cette folie ! Tirons des leçons de son échec et de sa disparition progressive aux États-Unis. Quand je découvre que trois mille cinq cents entreprises françaises, parmi lesquelles plusieurs très importantes, ont déjà signé la charte de la diversité, imaginée par le duo Claude Bébéar et Yazid Sabeg en 2004 pour inciter les entreprises à mieux refléter « la diversité ethnique et culturelle dans leurs effectifs » (article 3), je frémis. Cette charte propose des « outils de gestion des ressources humaines » pour « réserver certains postes à des personnes issues de groupes identifiés ». Je suis plus inquiète encore quand je lis le directeur général de L’Oréal, Jean-Paul Agon, déclarer dans Le Monde le 12 juillet 2007 : « L’Oréal fait de la discrimination positive et l’assume. Aujourd’hui, lorsque nous rencontrons un candidat qui a un prénom d’origine étrangère, il a plus de chance d’être recruté que celui qui porte un prénom français de souche »… La discrimination positive rompt le principe d’égalité républicain, en substituant des considérations arbitraires aux mérites objectifs d’un candidat : ses diplômes, sa motivation et son expérience.
Enfin, le renouvellement des élites passe par des médias plus en phase avec la France. Trop souvent aujourd’hui, les élites médiatiques sont elles aussi très loin des réalités du pays, parce qu’issues du même monde et liées de trop près au pouvoir.
Aérons un peu les médias ! D’abord, il faut interdire aux grandes entreprises sous contrat avec l’État de posséder des groupes de presse ou des chaînes de télévision et de radio, pour redonner une liberté à leurs dirigeants. D’autres pays et non des moindres le font.
Quand Bouygues possède TF1, Lagardère Europe 1 et Dassault Le Figaro, qui peut imaginer une seule seconde que ces médias sont totalement libres et que leurs rédacteurs en chef peuvent user d’une liberté d’action et d’enquête totales ?
Ensuite, il faut renouveler les critères de sélection à l’entrée des écoles de journalistes selon les mêmes principes que je viens d’exposer : plus grande diversité d’opinion, et surtout plus grande diversité sociale. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel doit aussi avoir pour mission de faire respecter un vrai pluralisme des prises de parole politiques dans les médias. On devrait idéalement pouvoir entendre toutes les opinions, dans les mêmes proportions, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Il faudra notamment instaurer en période électorale l’égalité stricte des temps de parole deux mois avant le scrutin et l’organiser entre les camps du oui et du non en cas de référendum direct.
Enfin, comment peut-on rester libre et objectif dans ses analyses quand on est éditorialiste depuis trente ou trente-cinq ans, et qu’on côtoie forcément depuis des lustres tout ce que la France compte de dirigeants ? Par simple déontologie, il ne faudrait plus que ce soit possible, quelle que soit du reste l’opinion de l’intéressé, parce que journaliste politique n’est pas un métier comme un autre. L’influence qu’on a sur la population, et au final sur la démocratie, est trop grande pour qu’on puisse se permettre de tout tolérer.
L’État, fer de lance du redressement
L’attachement sans faille à la France et à la démocratie dans le seul cadre possible, national, amène à se tourner naturellement vers l’État, seul outil efficace au service de cette ambition démocratique.
Ma conviction profonde est que la France et le peuple fran-çais ont plus que jamais besoin d’un État fort. L’État et la nation sont en effet perçus dans notre pays comme indissociables. Dans d’autres, l’État est plus regardé comme un instrument d’action collective, un parmi d’autres. C’est la conception anglo-saxonne, pays où les nations sont plus anciennes que les États. Ces pays s’accommodent sans difficultés d’un État minimal, à qui l’on demande de ne pas perturber le libre jeu des marchés. L’économiste Christian Saint-Étienne nomme ce mode d’organisation « le marchéisme », qui résulte de la fascination pour le marché, associée à une marginalisation certaine et acceptée de l’État.
La France, je le pense, ne relève pas de ce modèle. La nation française a succédé à l’État. C’est l’État, à travers le domaine royal puis la République, qui a forgé la nation. Le peuple français est largement le résultat de quinze siècles, au moins, d’un travail sans relâche d’unification. Cette œuvre patiente et remarquable de minutie est le fruit de l’engagement de grands noms de notre Histoire, tous aussi visionnaires que patriotes. Le dernier en date est certainement le Général de Gaulle, qui a su rebâtir l’État et redonner son unité à un pays qui sortait d’un terrible conflit divisé et meurtri au plus profond de lui-même. Sept siècles plus tôt, Philippe IV Le Bel, « le roi organisateur », plaçait son règne sous le signe de l’accroissement de l’autorité royale et bâtissait les prémices d’un État moderne et libre. Il construit l’embryon d’une organisation administrative performante en s’entourant de légistes formés au droit romain, défiant les féodalités et les grands seigneurs. Henri IV, Louis XIV, Napoléon, voilà autant d’autres grands bâtisseurs de l’État : est-ce la raison pour laquelle ils ont tous précisément été sortis des livres d’Histoire de nos enfants ? On peut se le demander.
Veut-on faire oublier que nous sommes les héritiers de cette œuvre millénaire, et que nous en bénéficions chaque jour, sans même nous en rendre compte ? Aujourd’hui encore, c’est l’État qui assure en grande partie l’unité de notre nation. Grâce à son armée, son école, ses services publics, il est la colonne vertébrale de la France que nous aimons, la France que le monde admire. À l’heure où la crise et la mondialisation font rage, quand tout s’effondre, il y a encore l’État. Quand il faut réguler, protéger, innover, c’est vers l’État qu’on se tourne naturellement, parce qu’il a la taille suffisante pour agir, la légitimité démocratique indispensable, et qu’il est inscrit, en quelque sorte, dans notre ADN national. Je le crois, l’État est une composante essentielle de l’âme de la France.
Or l’État, depuis des années, est affaibli dramatiquement sous les coups du mondialisme. Il l’est à deux niveaux : par le haut en ayant cédé un nombre croissant de ses prérogatives à l’Union européenne, et bien sûr par le bas du fait des dérives d’une décentralisation non maîtrisée.
Ces deux évolutions se traduisent par un désengagement de l’État et furent soutenues aussi bien par des gouvernements de gauche que de droite.
Nous le constatons aujourd’hui, ces fronts sur lesquels l’État est attaqué sont autant de plaies pour la France et pour le peuple français. L’Europe de Bruxelles s’est construite en contournant la volonté des peuples, et a imposé partout le triomphe de l’ultralibéralisme et du libre-échange, au détriment des services publics, de notre croissance économique, la plus faible du monde puis plusieurs décennies, et de notre prospérité.
La décentralisation n’a pour sa part, il faut bien l’avouer, apporté aucune valeur ajoutée réelle. Elle a au contraire pesé très lourdement sur nos finances publiques (les dépenses des collectivités territoriales ont grimpé de 60 % depuis 2001, soit au minimum 80 milliards d’euros de plus par an !), et s’est traduite par une montée fulgurante des inégalités. Quand l’État se retire au profit des baronnies locales, c’est bien sûr la justice qui recule. Ce sont les inégalités entre régions pauvres et riches, entre villes et campagnes, et finalement entre Français, qui gagnent du terrain. Lutter contre les féodalités locales et la folie des grandeurs des petits barons est une exigence qui retrouve, sept siècles après Philippe Le Bel, toute son actualité ! Mais cette fois-ci, les autorités à la tête de l’État semblent peu disposées à agir.
Cette faiblesse de l’État est à l’évidence plus douloureuse encore en période de crise économique et sociale. Alors que le besoin d’État s’exprime, on ne trouve comme réponse que la fermeture de collèges, de commissariats, d’hôpitaux, de gendarmeries, de tribunaux et de casernes. L’État fait des économies de bout de chandelle, évaluées à deux milliards d’euros chaque année, pendant trois ans, alors que le prix à payer pour les Français, en termes de services rendus sur l’éducation dispensée à nos enfants, ou sur la qualité des soins, est très élevé. Dans le même temps, les grandes collectivités locales s’engraissent, embauchant toujours plus, déployant des budgets de communication pharaoniques, à coup de dépliants en couleurs, d’opérations marketing, toutes choses dont nul n’a un besoin pressant. Il y a plus grave : progressivement, l’organisation à laquelle les Français sont très attachés, parce qu’elle est performante et qu’elle incarne la France (commune – département – État) est remplacée par le triptyque intercommunalité obligatoire – région – Europe, présenté par nos élites comme nécessairement « moderne », alors qu’on en souffre au quotidien : moins de proximité, moins d’État, moins de France. Nous proposons au contraire de supprimer l’intercommunalité obligatoire, qui n’a pas fait ses preuves quand elle est subie, et qui se révèle à l’usage trop souvent coûteuse pour les finances publiques. Les départements peuvent assurer cette mission de péréquation, alors que l’État, via ses sous-préfectures notamment, devrait cesser de délaisser les maires des communes rurales.
L’État doit aussi retrouver des compétences négligemment transférées aux régions, sans succès. Je pense en particulier à l’aménagement du territoire, au soutien aux PME françaises et à l’innovation, ainsi qu’aux transports ferroviaires. Au niveau national, l’État devra jouer à nouveau ce rôle, aujourd’hui oublié, de bâtisseur de ponts entre les régions pauvres et les régions riches.
L’affaiblissement continu de l’État, et par là même de la démocratie locale, doit donc cesser, parce qu’il ne correspond pas aux attentes des Français, et qu’il faut savoir tirer des leçons de la crise économique et sociale, avant tout une crise du laisser-faire.
Les collectivités doivent être remises à leur place, l’Europe
profondément réformée, quitte à ce qu’en sortions si aucune
évolution n’est possible et si le conformisme et l’arrogance
continuent de prédominer. C’est ainsi que nous fixerons des limites
au règne du marché.
Cela suppose de bâtir un État fort, qui ne laissera pas comme
aujourd’hui le TGV Paris–Clermont-Ferrand se faire en vingt ans,
après vingt premières années de réflexion. Quel mépris pour nos
concitoyens qui habitent ces régions !
Nous proposons l’État fort, c’est-à-dire l’État régalien, qui assure aussi et partout l’ordre et la tolérance zéro, la vraie. L’État solidaire, qui vient en aide aux Français les plus modestes, et aux personnes âgées, ceux qu’on a oubliés dans les hautes sphères. L’État protecteur, qui soutient nos usines, nos emplois, et les travailleurs français face à la mondialisation débridée, aux délocalisations et à l’Europe qui les accélère. L’État stratège enfin, qui investit dans l’avenir, qui permettra à la France d’être une vraie puissance agricole, industrielle, informatique et scientifique du XXIe siècle.
L’État fort, ce n’est pas le gaspillage. Nous proposons au contraire de redonner des moyens à ceux qui en ont besoin, à ce que j’appelle la bonne dépense publique : l’hôpital, la police, l’armée, l’école, la justice. Les vraies économies, qui se chiffrent en dizaines de milliards d’euros, se feront ailleurs, sur l’immigration, sur la décentralisation et la gabegie des collectivités locales, mais aussi sur la fraude sociale ou sur les transferts financiers devenus indécents vers le budget européen. Chaque année, le différentiel entre ce que la France verse à l’Europe et ce qu’elle en reçoit, aides de la PAC comprises, s’élève à 7 milliards d’euros ! Il ne dépassait pas 1 milliard en l’an 2000 et devrait encore grimper. Ces chiffres ne sont jamais donnés aux Français, alors qu’ils illustrent l’escroquerie du projet européen actuel. On évoque la solidarité européenne, faisant mine d’oublier que cet argent devrait venir soulager la détresse croissante de millions de Français à la rue, au chômage, ou de ceux à qui on ose proposer d’aller travailler en Roumanie pour quelques dizaines d’euros par mois, ou dans un de ces pays qui profitent des mannes financières de l’Europe pour attirer nos entreprises…
Voilà la vérité. Notre contribution financière à l’Europe doit être sérieusement renégociée, en même temps qu’il faudra s’atteler à une redéfinition complète du projet européen.
Et parce que je crois en l’État, je crois à la fonction publique. Je ne la veux pas pléthorique, comme c’est aujourd’hui le cas dans nombre de grosses collectivités locales et d’intercommunalités, mais je ne la veux pas non plus démotivée, agressée, déconsidérée, comme c’est le cas de façon criante dans la fonction publique d’État. La plupart de nos fonctionnaires font un travail remarquable. Pour discuter souvent avec eux, j’ai la certitude que la majorité s’est engagée avec le noble objectif de servir l’intérêt général, que je crois intimement lié à l’intérêt national.
Ils sont nombreux aujourd’hui à se demander où va l’État, jusqu’où ira le massacre. Comme les Français en général, ils redoutent l’avenir.
Je leur demande de ne pas désespérer. Lors de la renaissance, qui viendra bientôt, la France aura besoin d’eux. L’État sera à rebâtir, y compris moralement alors que ceux qui le diri-gent en ont perdu le sens.