CHAPITRE XVI
STRATÉGIES COMMERCIALES
Il y avait une plante qui poussait au ras du sol et ressemblait à une succession de saucisses à rayures vertes et jaunes entre lesquelles se trouvaient de petites racines. Valavirgillin en coupa quelques-unes en tranches dans un pot. Elle ajouta de l’eau, puis quelques gousses provenant du véhicule. Elle posa le pot sur le feu.
Tanj, Louis aurait pu faire cela lui-même. Le dîner allait être frugal.
Le soleil avait complètement disparu. Un groupe d’étoiles serrées les unes contre les autres, à bâbord, devait être la ville volante. L’Arche lançait à l’assaut du ciel nocturne ses bandes horizontales lumineuses, bleues et blanches. Louis eut l’impression de se trouver sur un gigantesque jouet.
« Si seulement nous avions de la viande, » fit Vala.
Louis dit :
— « Donne-moi les lunettes. »
Il tourna le dos au feu avant de mettre les lunettes. Il augmenta l’amplification lumineuse. Les paires d’yeux qui le fixaient, en dehors de la lueur du feu, prirent forme. Louis fut content de n’avoir pas tiré au hasard. Les trois formes, deux grosses et une petite, étaient une famille de Nécrophages.
Mais l’ombre aux yeux étincelants était petite et couverte de fourrure. Louis lui coupa la tête avec le rayon mince et lumineux de sa lampe laser. Les Nécrophages reculèrent. Ils s’entretinrent à voix basse. La femelle se dirigea vers l’animal mort, mais s’arrêta, laissant la priorité à Louis. Louis ramassa le cadavre et la regarda s’éloigner.
Les Nécrophages semblaient très timides. Mais ils occupaient, dans l’écologie, une place de choix. Vala lui avait raconté ce qu’il se passait lorsqu’un peuple se donnait la peine d’ensevelir ou de brûler ses morts. Les Nécrophages attaquaient les vivants. La nuit leur appartenait. On disait que, grâce aux pouvoirs magiques glanés dans une vingtaine de religions locales, ils étaient capables de se rendre invisibles. Vala elle-même avait tendance à le croire.
Mais ils n’ennuyèrent pas Louis. Pourquoi l’auraient-ils fait ? Louis mangerait l’animal à fourrure et, un jour, Louis mourrait, si bien que les Nécrophages pourraient réclamer leur dû.
Tandis qu’ils le regardaient, il examina la créature : comparable à un lapin, avec une longue queue à l’extrémité plate et pas de pattes antérieures. Pas un hominidé. Bon.
Lorsqu’il leva la tête, il aperçut une flamme violette, luisant faiblement, à bâbord.
Retenant son souffle, se forçant au calme, Louis augmenta l’amplification lumineuse et le grossissement. Son pouls, au niveau des tempes, troublait sa vision, mais il comprit ce que c’était. Avec le grossissement, la luminosité de la flamme violette faisait mal aux yeux, et elle se déployait comme une fusée mise à feu dans le vide. Le bas était coupé par une ligne noire et nette : le sommet du mur d’enceinte de bâbord.
Il retira les lunettes. Lorsque ses yeux furent adaptés, la flamme violette était à peine visible, mais elle était toujours là. Fine… et formidable.
Louis retourna près du feu et jeta l’animal aux pieds de Vala. Il s’éloigna dans l’obscurité, vers tribord, et remit ses lunettes.
La flamme, à tribord, paraissait beaucoup plus grande mais, naturellement, le mur d’enceinte était plus proche.
Vala écorcha l’animal à fourrure et le mit dans le pot sans retirer les entrailles. Lorsqu’elle eut terminé Louis la conduisit, par le bras, dans l’obscurité.
« Attends quelques instants et dis-moi si tu vois une flamme bleue, au loin. »
— « Oui, je la vois. »
— « Sais-tu ce que c’est ? »
— « Non, mais je crois que mon père le sait. Il y a quelque chose dont il refusait de parler, après sa dernière visite à la ville. Il y en a d’autres. Regarde la base de l’Arche, à l’orient. »
La ligne horizontale, bleue et blanche, du jour, l’aveugla et il battit des paupières. Louis la cacha avec le bord de la main… et, avec l’aide des lunettes, il aperçut deux petites flammes, sur les bords de l’Arche et deux autres, au-dessus, plus petites encore.
Valavirgillin dit :
« La première est apparue il y a sept falans, près de la base de l’Arche de l’orient. Puis d’autres, à l’orient, et ces grandes flammes à bâbord et à tribord, puis d’autres petites, sur l’Arche du ponant. À présent, elles sont vingt et une. Elles ne brillent que deux jours par tour, lorsque le soleil est très brillant. »
Louis poussa un profond soupir de soulagement.
« Louis, je ne sais pas ce que tu veux dire lorsque tu fais ça. Es-tu furieux, effrayé ou soulagé ? »
— « Je ne sais pas bien. Disons : soulagé. Nous avons plus de temps que je ne croyais. »
— « Du temps pour quoi ? »
Louis rit.
— « N’es-tu pas lasse de ma folie ? »
Elle prit la mouche :
— « Après tout, je peux choisir de te croire ou de ne pas te croire ! »
Louis enrageait. Il ne haïssait pas Valavirgillin, mais elle avait mauvais caractère et avait déjà essayé de le tuer une fois.
— « Bon. Si cette structure en forme d’anneau, sur laquelle tu habites, est livrée à elle-même, elle frottera les carrés d’ombre – les objets qui cachent le soleil quand la nuit tombe dans cinq ou six falans. Cela détruira tout. Et il ne restera plus rien du tout lorsque la structure frottera contre le soleil lui-même… »
Elle hurla :
— « Et tu poussais un soupir de soulagement ? »
— « Du calme, reste calme. L’Anneau-Monde n’est pas livré à lui-même. Ces flammes sont des moteurs qui le déplacent. Nous sommes presque au plus près du soleil et on est en train de le déplacer… on le pousse vers l’extérieur, on l’éloigne du soleil. Comme ça. » Il fit un dessin, dans la poussière, avec un morceau de bois pointu. « Tu vois ? On nous retient. »
— « Maintenant, tu dis que nous n’allons pas mourir. »
— « Les moteurs ne seront peut-être pas assez puissants. Mais ils nous retiennent. Il nous reste peut-être dix ou quinze falans. »
— « J’espère sincèrement que tu es fou, Louis. Tu sais trop de choses. Tu sais que le monde est un anneau, et c’est un secret. » Elle haussa les épaules comme on change de position un fardeau pesant. « Oui, j’en ai assez. Peux-tu me dire pourquoi tu n’as pas proposé le risharta ? »
Il fut étonné.
— « Je croyais que tu avais eu assez de risharta pour toute ta vie. »
— « Ce n’est pas drôle. Le risharta sert à sceller une trêve ! »
— « Ah. Très bien. Retournons-nous près du feu ? »
— « Bien sûr. Il nous faut de la lumière. »
Elle mit le pot un peu plus loin des flammes, pour que le contenu cuise moins vite.
« Il faut que nous nous mettions d’accord sur les termes. Acceptes-tu de ne pas me faire de mal ? »
— « J’accepte de ne pas te faire de mal, sauf si je suis attaqué. »
— « Je fais la même concession. Veux-tu autre chose ? »
Elle était brusque, terre à terre, et Louis se mit dans le ton.
— « Tu me conduiras aussi loin que possible, compte tenu de tes impératifs. Je suppose que cela signifie, euh, Retour du Fleuve. Tu reconnaîtras que les objets m’appartiennent. Tu ne les remettras à aucune autorité, ni ma personne non plus. Tu me conseilleras, en fonction de ton savoir et de tes compétences, afin de me faire entrer dans la ville volante. »
— « Que proposes-tu en échange ? »
Mais alors, cette femme n’était-elle pas complètement à la merci de Louis Wu ? Enfin, peu importait.
— « Je ferai tout mon possible pour sauver l’Anneau-Monde, » dit-il, constatant avec surprise que c’était son désir le plus cher. « Si c’est possible, je le ferai, quel qu’en soit le prix. Si j’arrive à la conclusion que l’Anneau-Monde ne peut être sauvé, je tenterai de m’échapper, et de t’emmener, si cela est réalisable. »
Elle se leva.
— « Une promesse vide de sens. Tu me proposes ta folie, comme si elle avait une valeur quelconque ! »
— « Vala, n’as-tu jamais fait de marché avec des fous ? » Louis s’amusait.
— « Je n’ai jamais fait de marché avec des gens venus des étoiles, même sains d’esprit ! Je ne suis qu’une étudiante ! »
— « Du calme. Que puis-je proposer d’autre ? Des connaissances ? Je partagerais mes connaissances pour rien, telles qu’elles sont. Je sais pourquoi les machines des Constructeurs des Villes sont tombées en panne et qui en est responsable. » Il semblait logique de supposer que les Constructeurs des Villes étaient le peuple d’Halrloprillalar.
— « Encore des folies ? »
— « Il faudra que tu te fasses une opinion personnelle. Et… je pourrai te donner ma ceinture et mes lunettes lorsque je n’en aurai plus besoin. »
— « C’est-à-dire quand ? »
— « Quand mon compagnon reviendra. » Il y avait une autre ceinture et d’autres lunettes, dans la navette, destinées à Halrloprillalar. « Ou bien te les léguer à ma mort. Et je peux te donner, immédiatement, la moitié de mon tissu. Tu pourras réparer les vieilles machines des Constructeurs des Villes avec. »
Vala réfléchit.
— « Je voudrais être plus compétente. Bien, j’accepte tes conditions. »
— « J’accepte les tiennes. »
Elle entreprit de quitter ses vêtements et ses bijoux. Lentement, apparemment en vue de l’exciter… jusqu’au moment où Louis comprit ce qu’elle faisait : elle se débarrassait de tout ce qui pouvait tenir lieu d’arme. Il attendit qu’elle soit complètement nue puis l’imita, posant sa lampe laser, ses lunettes et les pièces de son armure à impact hors de la portée de la jeune femme, y ajoutant même son chronomètre.
Ils firent l’amour, mais ce n’était pas de l’amour. La folie de la nuit précédente avait disparu avec les vampires. Elle lui demanda sa technique préférée, insista, et il choisit la position du missionnaire. Cela ressemblait trop à une formalité. Peut-être était-ce intentionnel. Après, lorsqu’elle alla tourner le contenu du pot, il s’arrangea pour qu’elle ne se trouve pas entre lui et ses armes. Cela lui parut nécessaire.
Elle revint près de lui et il expliqua que sa race pouvait faire l’amour plus d’une fois.
Il s’assit en tailleur. Vala sur les genoux, ses jambes serrées autour de ses hanches. Ils se caressèrent, s’excitèrent, s’apprirent. Elle aimait qu’on lui gratte le dos. Elle avait le dos musclé, le torse plus large que celui de Louis. Une bande de cheveux suivait sa colonne vertébrale. Elle contrôlait bien les muscles de son vagin. Sa frange de barbe était très fine, très douce.
Et Louis Wu avait un disque de plastique, sous les cheveux, au sommet du crâne.
Ils étaient couchés dans les bras l’un de l’autre et elle attendait.
« Même si vous n’avez pas l’électricité, tu dois savoir ce que c’est, » dit Louis. « Les Constructeurs des Villes faisaient fonctionner leurs machines avec. »
— « Oui. Nous savons faire de l’électricité avec le courant des fleuves. On raconte qu’un flot ininterrompu d’électricité venait du ciel, avant la chute des Constructeurs des Villes. »
Ce qui était tout à fait exact. Il y avait des générateurs solaires, sur les carrés d’ombre, et des faisceaux transportaient l’énergie sur l’Anneau-Monde. Naturellement, les collecteurs comportaient des superconducteurs et, naturellement, ils étaient tombés en panne.
— « Eh bien, si j’introduis un fil très fin dans mon cerveau, au bon endroit, ce que j’ai fait, alors un courant électrique de très faible puissance stimulera les nerfs qui produisent le plaisir. »
— « Quel effet cela fait-il ? »
— « Comme l’ivresse sans gueule de bois ni vertige. Comme le rishartay ou l’accouplement, sans avoir besoin d’aimer qui que ce soit, à part soi-même, et sans être obligé de s’arrêter. Mais je me suis arrêté. »
— « Pourquoi ? »
— « Un extra-terrestre s’est emparé de ma source d’électricité. Il voulait me donner des ordres. Mais, à ce moment-là, j’avais déjà honte. »
— « Les Constructeurs des Villes n’ont jamais eu de fil dans le crâne. Nous les aurions trouvés, lorsque nous avons fouillé les villes en ruine. Où cette coutume est-elle pratiquée ? » demanda-t-elle. Elle s’éloigna de lui et le regarda avec horreur.
C’était un péché qu’il lui arrivait souvent de regretter ne pas la fermer. Il dit :
— « Je m’excuse.
— « Tu as dit que des morceaux de ce tissu feraient – Qu’est-ce que ce tissu ? »
— « Il laisse passer le courant électrique et les champs magnétiques sans la moindre déperdition. Nous l’appelons superconducteur. »
— « Oui, c’est ce qui a provoqué la chute des Constructeurs des Villes. Les… superconducteurs ont pourri. Ton tissu pourrira aussi, n’est-ce pas ? Combien de temps durera-t-il ? »
— « Non. Il est différent. »
Elle hurla :
— « Comment es-tu au courant de ça, Louis Wu ? »
— « L’Ultime me l’a dit. L’Ultime est l’extra-terrestre qui nous a amenés ici contre notre volonté. Et, à cause de lui, nous ne pouvons pas rentrer chez nous. »
— « L’Ultime vous a réduits en esclavage ? »
— « Il a essayé. Mais les Humains et les Kzinti ne font pas de bons esclaves. »
— « Est-il de parole ? »
— « Non. Et il a volé le fil et le tissu superconducteurs, lorsqu’il a fui sa planète. Il n’a pas eu le temps de les fabriquer. Il devait savoir où se trouvait le stock. Comme les autres objets dont il dispose, les disques marcheurs par exemple : il devait être facile de s’en procurer. » Et il comprit immédiatement que quelque chose n’allait pas, mais il lui fallut quelques instants pour déterminer ce que c’était.
Le traducteur s’était tu trop tôt.
Puis il parla avec une voix différente.
« Louis, est-il prudent de lui dire tout cela ? »
— « Elle en a deviné une partie, » répondit Louis. « Elle était sur le point de me rendre responsable de la Chute des Villes. Rendez-moi mon traducteur. »
— « Dois-je vous permettre cet horrible soupçon ? Pourquoi mon peuple aurait-il commis une acte aussi malveillant ? »
— « Soupçon ? Fils de pute ! » Vala s’agenouilla, le regardant avec de grands yeux, l’écoutant parler tout seul en charabia. Elle ne pouvait entendre la voix de l’Ultime, dans les écouteurs. Louis dit : « On vous a chassé du poste d’Ultime et vous avez fui. Vous avez pris ce qui vous tombait sous la main et vous avez fui. Les disques marcheurs, le tissu et le fil superconducteurs, le vaisseau. Pour les disques, rien de plus facile. Vous devez les fabriquer par millions. Mais où trouver du tissu superconducteur immédiatement disponible ? Et vous saviez qu’il ne pourrirait pas, sur l’Anneau-Monde ! »
— « Louis, pourquoi aurions-nous fait une telle chose ? »
— « Pour faciliter le commerce. Rendez-moi mon traducteur ! »
Valavirgillin se leva. Elle éloigna le pot des flammes, tourna le contenu, goûta. Elle disparut en direction du véhicule, revint avec deux bols de bois qu’elle remplit avec une louche.
Louis, mal à l’aise, attendit. L’Ultime pouvait le laisser sans traducteur. Et les langues n’étaient pas le fort de Louis…
— « Très bien, Louis. Ce n’était pas prévu ainsi et c’est arrivé avant mon époque. Nous voulions étendre notre territoire en minimisant les risques. Les Outsiders nous ont vendu l’emplacement de l’Anneau-Monde. »
Les Outsiders étaient des êtres froids et fragiles, qui sillonnaient la Galaxie dans des vaisseaux moins rapides que la lumière. Ils vendaient des renseignements. Ils pouvaient très bien connaître la position de l’Anneau-Monde et l’avoir vendue aux Marionnettistes, mais…
— « Une minute. Les Marionnettistes ont peur de l’espace. »
— « J’ai vaincu cette peur. Si l’Anneau-Monde s’était révélé approprié, alors un voyage spatial dans l’existence d’un individu ne constitue pas un gros risque. Nous aurions effectué le trajet en stase, bien entendu. D’après ce que les Outsiders nous ont dit, et d’après les renseignements obtenus grâce aux télescopes et aux sondes automatiques, l’Anneau-Monde semblait idéal. Il nous fallait l’explorer. »
— « Une faction Expérimentante ? »
— « Bien sûr. Néanmoins, nous hésitions à entrer en contact avec cette puissante civilisation. Mais nous avons analysé les superconducteurs de l’Anneau-Monde par spectroscopie laser. Nous avons réalisé une bactérie capable de s’en nourrir. Des sondes ont déposé sur l’Anneau-Monde le fléau des superconducteurs. Aviez-vous deviné cela ? »
— « Ouais, effectivement. »
— « Nous devions venir, ensuite, avec des vaisseaux commerciaux. Nos marchands seraient arrivés opportunément à la rescousse. Ils auraient obtenu toutes les informations qui nous étaient nécessaires et, également, des alliés. » Claire et musicale, la voix du Marionnettiste ne contenait pas la moindre trace de culpabilité, n’exprimait pas le moindre embarras.
Vala posa les bols et s’agenouilla en face de lui. Son visage était dans l’obscurité. De son point de vue, la traduction avait été interrompue au pire moment.
Louis dit :
— « Ensuite, si je comprends bien, les Conservateurs ont gagné les élections. »
— « Inévitable. Une sonde a découvert les propulseurs de position. Nous connaissions l’instabilité de l’Anneau-Monde, bien entendu, mais nous espérions qu’elle serait compensée par un système plus perfectionné. Lorsque les images ont été rendues publiques, le gouvernement est tombé. Nous n’avons pas eu l’occasion de retourner sur l’Anneau-Monde avant… »
— « Quand ? Quand avez-vous introduit votre bactérie ? »
— « Il y a onze mille quarante années terrestres. Les Conservateurs ont gouverné pendant six cents ans. Ensuite, la menace kzinti a ramené les Expérimentalistes au pouvoir. Quand le moment m’a semblé opportun, j’ai envoyé Nessus et son équipe sur l’Anneau-Monde. Si la structure était toujours là, onze mille ans après la chute de la civilisation qui en assurait l’entretien, son exploration pourrait être profitable. J’aurais envoyé une équipe de commerce et de secours. Malheureusement… »
Valavirgillin avait la lampe laser sur les genoux, pointée sur Louis Wu.
« malheureusement, la structure était endommagée. Vous avez trouvé des trous de météorites et des régions érodées jusqu’au scrith. Maintenant, il semble… »
— « Il y a urgence. Urgence. » Louis contrôla étroitement sa voix. Comment avait-elle pu faire ça ? Il l’avait vue s’agenouiller avec un bol fumant dans chaque main. Avait-elle réussi à ce coller l’objet dans le dos ? Peu importe. Elle n’avait pas encore tiré.
— « Je vous reçois, » dit l’Ultime.
— « Pouvez-vous éteindre à distance les lampes laser ? »
— « Je peux faire mieux. Je peux la faire exploser, tuant celui qui la tient. »
— « Pouvez-vous seulement l’éteindre ? »
— « Non. »
— « Dans ce cas, rendez-moi mon traducteur tanj vite ! Essai… »
La boîte parla la langue du Peuple des Machines. Vala réagit immédiatement.
— « À qui parlais-tu ? »
— « À l’Ultime, l’être qui m’a amené ici. Puis-je présumer que je n’ai pas encore été attaqué ? »
Elle hésita, puis répondit :
— « Oui. »
— « Dans ce cas, notre accord est toujours en vigueur et je tente toujours de réunir les informations qui me permettront de sauver le monde. As-tu des raisons d’en douter ? » La nuit était chaude, mais Louis se sentait très nu.
L’œil mort de la lampe laser resta mort. Vala demanda :
— « La race de l’Ultime est-elle responsable de la Chute des Villes ? »
— « Oui. »
— « Renonce aux négociations ! » ordonna Vala.
— « Il détient l’essentiel de notre matériel de traitement des informations. »
Vala réfléchit et Louis Wu resta immobile. Deux paires d’yeux brillaient, derrière elle, dans le noir. Louis se demanda dans quelle mesure les Nécrophages entendaient et comprenaient.
— « Dans ce cas, utilise-les. Mais je veux entendre ce qu’il dit, » déclara Vala. « Je n’ai même pas entendu sa voix. Il n’existe peut-être que dans ton imagination. »
— « Ultime, avez-vous entendu ? »
— « Oui. » Les écouteurs de Louis parlaient Interworld et la boîte fixée sur sa gorge parlait la langue de Valavirgillin. Couramment. « Je sais ce que vous avez promis à cette femme. Si vous pouvez stabiliser cette structure, faites-le. »
— « Sûr, la place serait bien utile à votre peuple. »
— « Si vous réussissez à stabiliser l’Anneau-Monde grâce à mon matériel, j’aurai droit à la reconnaissance des habitants. Peut-être même demanderai-je une récompense. »
Valavirgillin ricana et étouffa une réponse. Louis dit aussitôt :
— « Vous aurez la reconnaissance que vous méritez. »
— « C’est mon gouvernement, sous ma direction, qui a tenté de venir en aide à l’Anneau-Monde, onze mille ans après le désastre. Vous m’accorderez cela. »
— « D’accord, avec des réserves. » Louis parlait à l’intention de Vala. Il lui dit : « Conformément à notre accord, tu considères l’objet que tu as en main comme ma propriété. »
Elle lui jeta la lampe laser. Il la posa et poussa un profond soupir de soulagement, de fatigue ou de faim. Pas le moment. « Ultime, parlez-nous des propulseurs de position. »
— « Des propulseurs de Bussard, fixés sur des supports, sur le mur d’enceinte, régulièrement espacés, à quatre millions huit cent mille kilomètres les uns des autres. Il devrait y avoir un peu plus de deux cents assemblages sur chaque mur d’enceinte. En état de fonctionnement, ils devraient capturer le vent solaire dans un rayon de six à huit mille kilomètres, le comprimer électromagnétiquement jusqu’au point de fusion et le tirer, comme une fusée. »
— « Nous en voyons quelques-uns. Selon Vala, il y en a… vingt et un qui fonctionnent ? » Vala acquiesça. « Cela signifie qu’il en manque quatre-vingt-quinze pour cent. Bon sang ! »
— « C’est probable. J’ai pris des holos de quarante dispositifs, depuis notre dernière conversation, et ils étaient tous vides. Faut-il calculer la poussée développée par tous les propulseurs ? »
— « Oui. »
— « Je présume qu’il n’en reste pas assez pour sauver la structure ? »
— « Effectivement. »
— « Les Ingénieurs de l’Anneau-Monde ont-ils prévu un autre système de stabilisation, à votre avis ? »
Les protecteurs Pak ne raisonnaient pas ainsi, pas vrai ? Ils avaient tendance à trop faire confiance à leurs facultés d’improvisation.
— « Peu probable, mais il faut continuer les recherches. Ultime, j’ai faim et sommeil. »
— « Y a-t-il quelque chose à ajouter ? »
— « Surveillez les propulseurs de position. Repérez ceux qui fonctionnent et calculez leur poussée. »
— « Bien. »
— « Essayez d’entrer en contact avec la ville volante. Dites… »
— « Louis, je ne peux envoyer aucun message à travers le mur d’enceinte. »
Bien sûr, c’était du scrith pur.
— « Déplacez le vaisseau. »
— « Ce serait dangereux. »
— « Et la sonde ? »
— « La sonde qui est en orbite est trop loin pour couvrir toutes les gammes de fréquences. » À contrecœur, l’Ultime ajouta « Je peux envoyer des messages avec l’autre sonde. De toute manière, il faut que je la fasse passer par-dessus le mur, pour faire le plein de carburant. »
— « Ouais. Posez-la d’abord au sommet du mur d’enceinte, elle servira de relais. Essayez de contacter la ville volante. »
— « Louis, j’ai eu des difficultés à repérer votre traducteur. La navette se trouve apparemment à vingt-cinq degrés au ponant de votre position. Pourquoi ? »
— « Nous nous sommes séparés, Chmeee et moi. Je vais à la ville volante. Il va dans le Grand Océan. » Ce mensonge ne semblait pas risqué.
— « Chmeee ne répond pas à mes appels. »
— « Les Kzinti ne font pas de bons esclaves. Ultime, je suis fatigué. Appelez-moi dans douze heures. »
Louis prit son bol et mangea. Valavirgillin n’avait utilisé aucune épice. La viande bouillie et les racines ne flattèrent pas ses papilles. Peu lui importait. Il nettoya complètement le bol et il lui resta juste assez de bon sens pour prendre un cachet anti-allergique. Ensuite, ils gagnèrent le véhicule et s’endormirent.