CHAPITRE 14
Dans sa voiture, Chase s’éloignait du complexe de la Lignée en proie à une grande frustration. Il ne serait pas de patrouille, cette nuit. Des missions en solo avaient été attribuées à chaque guerrier, laissant à Chase plusieurs heures à tuer, seul.
La mort, la nuit précédente, de l’ami de Camden continuait à le travailler et accentuait plus encore son sentiment que le temps était compté pour ramener son neveu vivant. Chase passa par quelques-uns des lieux où Dante et lui avaient patrouillé, ces endroits plus ou moins connus où il arrivait aux humains et aux vampires de se côtoyer.
Il parcourut les rues et les docks à la recherche de Camden, à l’affût du moindre signe de sa présence ou de celle de ses amis. Après plusieurs heures, il était toujours bredouille.
Il avait garé sa voiture dans le quartier chinois et s’apprêtait à rentrer au Havrobscur lorsqu’il aperçut deux jeunes vampires, accompagnés de femelles humaines, entrer dans un bâtiment quelconque devant lui. Chase coupa le moteur de sa Lexus et sortit du véhicule. Comme il s’approchait de la porte par laquelle les jeunes étaient entrés, il entendit de la musique en sous-sol. Il ouvrit la porte et se glissa à l’intérieur.
Un long escalier mal éclairé conduisait à une autre porte, gardée par un videur humain. Chase n’eut aucune difficulté à passer le balourd aux allures de gothique : il lui glissa un billet de 100 dollars.
Des basses profondes martelèrent le crâne de Chase lorsqu’il pénétra dans le club bondé. Des corps se trémoussaient partout ; les danseurs, masse compacte et mouvante, avaient pris possession de toute la pièce.
Chase balaya du regard la foule compacte malgré les lumières stroboscopiques bleues et rouges qui explosaient devant ses yeux.
Il heurta une femme saoule qui dansait avec des amis. Chase murmura des excuses qui restèrent probablement inaudibles dans le vacarme ambiant. Il se rendit compte un peu tard qu’il avait posé ses mains sur le cul rond et ferme de la fille pour l’empêcher de tomber.
Elle lui adressa un sourire aguicheur et passa sa langue sur ses lèvres, que la sucette qu’elle avait dans la bouche avait teintées de rouge vif. Elle s’était rapprochée et dansait tout contre lui avec des mouvements suggestifs.
Chase regarda sa bouche, puis la colonne blanche et élancée que formait son cou.
Il sentit comme un bourdonnement dans ses veines, son sang gagné par la fièvre.
Il ferait mieux de s’en aller. Si Camden était ici, il avait peu de chances de le retrouver. Trop de monde, trop de bruit.
La femelle glissa les mains le long de son dos et jusqu’à ses épaules, tout sourires devant lui, tandis que ses cuisses se frottaient aux siennes. Elle portait une jupe ridiculement courte, si. courte que, quand elle se retourna et cala ses fesses contre son bas-ventre, Chase se rendit compte qu’elle ne portait rien en dessous.
Nom de Dieu.
Il devait vraiment se tirer d’ici…
Une autre paire de bras surgit derrière lui, l’une des amies de la fille ayant décidé de prendre part au jeu.
Une troisième s’approcha et embrassa fougueusement la première ; elles ne quittaient pas Chase des yeux tandis que leurs deux langues se mêlaient comme des serpents.
Chase sentit son sexe se raidir instantanément dans son pantalon. La fille qui se tenait derrière lui descendit la main jusqu’au renflement et le caressa en longs mouvements appuyés de ses doigts habiles. Chase ferma les yeux. Il sentit son désir se mêler à une autre faim, qu’il n’avait pas assouvie depuis presque autant de temps que son besoin sexuel. Il était affamé ; son corps réclamait assouvissement et soulagement.
Les deux femelles se mirent à l’embrasser, se partageant sa bouche tandis que la foule autour d’eux continuait à danser sans se soucier des ébats qui se déroulaient au vu et au su de tous. Ils n’étaient pas les seuls ; Chase remarqua d’autres couples affairés, plusieurs vampires de la Lignée trouvant une Amphitryonne dans l’atmosphère de sensualité explicite du lieu.
Avec un grognement, Chase glissa ses mains sous la jupe courte de la première femelle. Il remonta le tissu d’un geste brusque, exposant la fille à son regard affamé tandis que l’autre laissait avec sa langue une traînée chaude le long de son cou.
Les crocs de Chase s’allongèrent dans sa bouche tandis qu’il explorait de ses doigts la fente humide qui chevauchait sa cuisse. L’amie de la fille s’occupait quant à elle de sa braguette qu’elle descendit pour libérer son érection et la prendre dans la paume de sa main. Le besoin de Chase se fit plus pressant, l’envie de sexe et de sang le submergea. D’un geste vigoureux, il saisit l’une des filles par les épaules et la força à se baisser.
Elle s’agenouilla devant lui et lâcha sa queue qu’elle prit dans sa bouche.
Tandis qu’elle le suçait avec ardeur et qu’il menait l’autre femme à l’orgasme avec sa main, Chase attira la troisième vers sa bouche. Ses crocs palpitaient plus encore que son sexe et sa vision s’aiguisa tandis que la faim rétrécissait ses pupilles et augmentait son acuité sensorielle. Il entrouvrit les lèvres comme il appuyait le cou de la femelle contre sa bouche. Il enfonça ses crocs avec force et lui ouvrit la veine, laissant couler dans sa bouche le sang riche et chaud.
Chase but rapidement, à grandes goulées, même s’il trouvait révoltante cette perte de contrôle, inhabituelle chez lui. Pourtant il ne pouvait s’arrêter. Il pompait le sang et, à chaque succion à la veine de son Amphitryonne, son désir se concentrait toujours plus dans son bas-ventre. Il remuait son bassin en rythme et agrippa d’une main les cheveux de la femme tandis qu’elle l’amenait à l’orgasme, qui arrivait vite, comme un rugissement dans tout son être…
La décharge, furieuse, fut comme une explosion.
Sa bouche était toujours vissée à son Amphitryonne. Il passa sa langue sur la morsure à son cou pour refermer ses blessures. Elle haletait après son propre orgasme ; les trois femmes continuaient à le caresser et gémissaient, en réclamaient encore.
Chase s’écarta de leurs mains avides, haïssant ce qu’il venait de faire. Il porta la main sur le front de son Amphitryonne et effaça ses souvenirs, puis il fit de même pour les deux autres. Il était si désireux de s’échapper de cet endroit qu’il en tremblait presque.
Tandis qu’il rajustait son pantalon, une sensation vint lui chatouiller la nuque.
Des yeux l’observaient depuis l’autre bout de la pièce.
Il balaya la foule… et finit par rencontrer le regard de l’un des guerriers de l’Ordre.
Tegan.
Au temps pour lui et sa prétendue supériorité sur les mâles de la Lignée et leur vie de violents justiciers.
Qu’avait-il vu exactement du manque de contrôle dégradant de Chase ? Probablement tout, bien que l’expression du vampire ne trahisse rien, ce dernier se limitant à lui adresser un regard froid, inexpressif et entendu.
Le guerrier le dévisagea encore un moment puis lui tourna le dos et quitta le club.
Deux yeux jaune vif aux pupilles effilées regardaient Dante depuis l’écran plat de l’ordinateur. La gueule de la bête était ouverte, les babines retroussées dévoilant un ensemble assez impressionnant de crocs. L’image évoquait un animal en furie, mais la légende sous la photo décrivait la bête comme « une diva douce et câline rêvant d’un chaleureux foyer ».
— Mon Dieu, murmura Dante avec un mouvement de rejet.
Ce regard sauvage, il le voyait toutes les nuits de patrouille à traquer les Renégats.
Bordel ! Il lui arrivait parfois de voir cette même laideur dans le reflet que lui renvoyait son miroir, quand le besoin de sang, de sexe ou la rage laissaient s’exprimer sa nature première. La souffrance causée par ses visions de cauchemar le plongeait souvent aussi dans un état similaire: pupilles rétrécies en fentes verticales, yeux d’habitude marron clair étincelant d’un éclat ambré flamboyant, crocs qui sortaient de ses gencives.
Il avait fait l’un de ces rêves démoniaques encore ce jour-là. Son cauchemar l’avait tiré d’un sommeil de plomb vers midi, pour le laisser en sueur et agité pendant plusieurs heures. Ces fichues visions se répétaient à une fréquence plus soutenue ces derniers temps et devenaient aussi plus intenses. Quant aux migraines cuisantes qu’elles laissaient dans leur sillage, elles étaient insoutenables.
Dante actionna la souris sans fil posée à côté du clavier et fit défiler la catégorie « Félins » pour accéder à celles des « Canidés ». Il cliqua sur le bouton pour afficher les animaux disponibles puis consulta rapidement les photos. Quelques-unes semblaient prometteuses, notamment un chien à l’air triste répondant au nom de Barney qui « avait besoin d’attention et recherchait un bel endroit pour vivre le restant de ses jours ».
Ça pourrait le faire. Dante ne visait en aucun cas le long terme.
Il ouvrit son portable et composa le numéro du refuge. Au bout de la cinquième sonnerie environ, une jeune femme qui mâchouillait un chewing-gum lui répondit avec un fort accent de Boston.
—Refuge animal de Boston, bonjour.
— J’ai besoin de l’un de vos animaux, déclara Dante.
—Pardon?
—Le chien sur votre site Web, le vieux. Je le veux.
Le silence se fit à l’autre bout de la ligne, interrompu par le bruit d’une bulle de chewing-gum qui éclatait.
—Oh, vous parlez de Baah-ney ?
—Oui, celui-là.
— Je suis désolée, mais il a été adopté. Il est toujours en page d’accueil ? On a dû oublier de mettre à jour le site. Quel genre de chien recherchez-vous ? Nous en avons d’autres qui recherchent un foyer.
— Il me faut un animal ce soir.
La fille eut un petit rire hésitant.
— Euh, ce n’est pas exactement comme cela qu’on fonctionne. Vous devez vous déplacer et remplir un formulaire, puis rencontrer l’un de nos…
— Je peux payer.
— Euh, c’est très bien, car nous avons effectivement besoin d’une participation pour couvrir les frais de traitement et…
— Est-ce que 100 dollars ça irait ?
— Euh…
— Deux cents ? demanda-t-il. (Peu lui importait ce que ça lui coûterait.) C’est très important pour moi.
—Oui, répondit-elle, je… euh… je vois ça.
Dante baissa la voix et se concentra sur l’esprit humain malléable à l’autre bout du fil.
— Aidez-moi. J’ai vraiment besoin de l’un de vos animaux. Réfléchissons et voyons ensemble comment trouver une solution.
Elle hésita de longues secondes puis déclara :
—Écoutez, je pourrais me faire virer pour ça, mais nous avons un chien qui vient d’arriver. Il n’a pas encore été examiné mais il n’a pas vraiment l’air au mieux de sa forme. Nous n’avons pas vraiment de place pour lui en ce moment, alors il est sur la liste des animaux à euthanasier dans la matinée.
— Je le prends.
Dante regarda l’heure. Il était un peu plus de 17 heures ; il faisait déjà nuit dehors, puisque la Nouvelle-Angleterre était située sur le méridien de la côte est. Harvard n’arriverait pas au complexe avant quelques heures. Dante avait tout le temps nécessaire pour mener à bien cette petite transaction avant de rejoindre l’agent pour leur patrouille de nuit. Il se leva, attrapa sa veste et ses clés.
— J’arrive. Je serai chez vous dans une vingtaine de minutes.
—D’accord. Nous fermons à 17 h 30 mais je vous attendrai. Faites le tour par-derrière et demandez Rose. C’est moi. (Elle fit claquer une autre bulle de chewing-gum puis reprit ses mastications audibles et énergiques.) Ah, pour l’argent, les 200 dollars, vous pouvez payer en espèces ?
Dante sourit alors qu’il se dirigeait vers la porte.
—Ça marche.