ÉPILOGUE

— Ici, ça ira ?

Claude Bochard effleura familièrement l’épaule de Sylvie.

— Si tu veux, dit-elle en souriant.

Il coupa le contact, serra le frein à main, sortit de la voiture. L’air était pur et doux. Dans le ciel d’un bleu profond, aucun nuage ne gonflait ses joues. Ah ! si… là-bas, loin vers le sud, presque au-dessus de l’horizon, une mince bande de brume coupait la frange d’un bleu plus clair du ciel. Mais tout de même, le temps était idéalement beau. Bien naturel, pour un 20 juin. Encore qu’il ait plu la veille au soir et que l’herbe gardât dans son scintillement vert un poudroiement d’humidité.

Claude emplit ses poumons d’air tiède. Après une semaine en ville enfermé dans un bureau, c’était presque enivrant de se sentir libre, avec le ciel au-dessus de ses épaules, le moutonnement vert acidulé des collines tout autour de soi.

Benoît et Florence, les deux enfants, tournaient déjà autour de la R4 en lançant des cris joyeux, et Sylvie avait sorti du coffre le panier du pique-nique.

— Attends, je vais t’aider !

Claude enleva le panier du bras de sa femme, rit tout haut en lui prenant la taille de l’autre main. Que cette journée était belle, qu’elle promettait d’être joyeuse, insouciante…

Ils partirent droit devant eux, dans l’herbe haute d’un pré en pente. Ils marchèrent une petite heure, puis s’arrêtèrent, installèrent sur le sol la nappe blanche à carreaux bleus, sortirent les provisions, mangèrent de bon appétit. Et tandis que les gosses s’éloignaient, mais pas trop, pour jouer encore et encore aux cow-boys et aux Indiens (comme à la télévision), Claude et Sylvie s’étendirent côte à côte pour goûter le plaisir indolent d’une bonne sieste. Claude avait tiré de sa poche son paquet de cigarettes, en alluma une.

— Tu ne devrais pas fumer à la campagne, dit Sylvie.

Mais elle le laissa faire, ferma les yeux, se concentra sur les sensations qui lui venaient de sa peau tiède arrosée par le soleil.

— Aïe !

L’exclamation de Claude l’extirpa de ses songes qui commençaient à se confondre dans un assoupissement qui aurait pu devenir sommeil véritable. Elle se redressa brusquement, cligna des paupières.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

— Une espèce de saloperie de bestiole m’a piqué ! grogna Claude.

Il se frottait l’avant-bras gauche avec vigueur.

— Ça te fait mal ?

— Pardi ! Bien sûr, que ça me fait mal. Sinon, je n’aurais pas crié.

— Fais voir.

Elle s’approcha à quatre pattes, appuya son menton sur l’épaule gauche de Claude. Il se pinçait le bras, montra un petit poing rouge qui apparaissait nettement sur la peau blême d’où le sang s’était provisoirement retiré.

— Ça n’a pas l’air bien grave. Qu’est-ce que c’était ?

— Je n’ai pas fait attention, je dormais à moitié. Peut-être une fourmi, ou alors une araignée. Mais ne t’en fais pas. Tu as raison : ce n’est rien.

Il lâcha son bras, sourit, s’étendit à nouveau sur le dos, répéta :

— Ce n’est rien…

Autour de lui, grouillaient les enfants de Pisauride.