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Un Minotaure crétois au Nebraska
La Jurifiction est le nom donné à l’institution qui exerce la police à l’intérieur des livres. Forts du service des renseignements du Grand Central du Texte, les agents de la Jurifiction travaillent sans relâche au maintien de la continuité narrative dans tous les livres existants, mission quelquefois ingrate. Le plus souvent, ils ne peuvent compter que sur leurs ressources personnelles pour tenter de concilier le projet initial de l’auteur avec les attentes des lecteurs dans le cadre strict et largement inutile des règles bureaucratiques édictées par le Conseil des Genres. Moi qui ai dirigé la Jurifiction pendant plus de deux ans, j’ai toujours été frappée par la diversité des tâches : un jour, il fallait convaincre Darcy, maladivement timide, de sortir des toilettes, et le lendemain, je devais déjouer les plans des Martiens prêts à envahir pour la énième fois Barnaby Rudge. C’était un défi permanent, aux multiples rebondissements. Mais une fois que l’étrange et l’insolite devient monnaie courante, c’est l’ordinaire qui finit par vous manquer.
THURSDAY NEXT
Chroniques de la Jurifiction
Le Minotaure nous créait des problèmes qui dépassaient largement son importance littéraire. Tout d’abord, il s’était évadé du livre-prison L’Épée des Zénobiens, un roman de fantasy, pour nous mener en bateau de récit en récit. Toutes les tentatives de le capturer se révélaient vaines. La créature mythologique, mi-homme mi-bête, fils de la reine crétoise Pasiphaé, avait été repérée dans Au Galop ! un mois seulement après son évasion. Comme, à l’époque, nous tenions encore à le prendre vivant, nous lui avions injecté à l’aide d’une fléchette une petite dose de Grossefarce. En principe, il suffisait de suivre à la trace les tartes à la crème et autres collisions avec un lampadaire survenant dans les livres pour arriver jusqu’au monstre cannibale. Il s’agissait d’un procédé expérimental qui, malheureusement, se solda par un échec retentissant. Outre la fameuse réplique de Lafeu à propos de la crème anglaise dans Tout est bien qui finit bien et l’absurde épisode de la chaise à roulettes dans Pickwick, on ne releva pas grand-chose. Soit la Grossefarce n’était pas assez forte, soit elle avait été désamorcée par l’aversion innée du Monde des Livres pour les gags visuels.
Quoi qu’il en soit, nous le cherchions toujours deux ans plus tard dans les romans-westerns, parmi les troupeaux de bétail où le Minotaure se sentait le plus à l’aise. Ce fut ainsi que le commandant Bradshaw et moi-même arrivâmes au sommet de la page soixante-treize d’un obscur roman populaire des années trente intitulé La Mort au ranch Double X.
— Qu’en dites-vous, ma grande ? demanda Bradshaw dont le casque colonial et le costume de safari étaient parfaits pour les étés chauds du Nebraska.
Il avait une bonne tête de moins et quarante ans de plus que moi. Sa peau tannée et sa moustache blanche comme neige étaient un héritage de longues années en Afrique coloniale ; il était le héros d’une série de vingt-trois romans dont la dernière publication remontait à 1932 et la dernière lecture à 1963. Contrairement à la plupart des personnages de fiction, le commandant Bradshaw ne se définissait pas en termes de popularité. Après une existence tumultueuse et entièrement fictive passée à défendre l’Afrique de l’Est contre une horde d’ennemis improbables et à tuer tous les animaux possibles et imaginables, il jouissait à présent d’une retraite bien méritée et était très demandé à la Jurifiction, où sa bravoure et sa connaissance du Monde des Livres constituaient un atout inestimable.
Il désignait un panneau défraîchi qui indiquait la proximité d’une bourgade au nom optimiste de Providence, 2 387 habitants.
La main en visière, je regardai autour de moi. Un tapis de sauge s’étendait à perte de vue, jusqu’aux montagnes distantes d’une petite dizaine de kilomètres. L’aspect répétitif de la végétation trahissait ses racines fictionnelles. La nature chaotique du monde réel composée de paysages doucement vallonnés, de forêts et de haies cédait la place ici à un ordre fondé sur les descriptions initiales de l’auteur. Dans le monde imaginaire où j’avais élu domicile, une forêt comptait seulement huit arbres différents, une plage cinq galets différents, un ciel douze nuages différents. Une haie se répétait tous les cinq mètres, une chaîne de montagnes tous les six sommets. Au début, ça ne m’avait pas gênée, mais après avoir vécu deux ans dans l’univers de la fiction, je me languissais d’un monde où chaque arbre, chaque rocher, chaque colline, chaque nuage avait sa propre forme et son identité. Et les couchers de soleil. C’était ce qui me manquait le plus. La meilleure des descriptions était toujours en deçà de la réalité. J’avais envie de revoir les délicates nuances du ciel, au moment où le soleil descend sur l’horizon. Du rouge à l’orange, au rose, au bleu, à l’indigo, au noir.
Haussant un sourcil, Bradshaw me lança un regard interrogateur. En tant qu’« Homme à la Cloche » – à la tête de la Jurifiction –, je n’avais pas à me rendre sur le terrain, mais le travail administratif n’avait jamais été ma tasse de thé, et il était important de capturer le Minotaure. Il avait tué l’un des nôtres… on avait donc un compte à régler.
La semaine précédente, nous avions exploré sans succès six épopées de guerre civile, trois récits de pionniers, vingt-huit westerns de premier ordre et quatre-vingt-dix-sept histoires courtes d’une qualité douteuse avant de nous retrouver dans La Mort au ranch Double X, aux confins de ce qu’on pouvait considérer comme une prose potable. Dans chacun de ces livres, nous avions fait chou blanc. Pas de Minotaure, même pas le moindre relent, or croyez-moi, des relents, il en dégage.
— Une possibilité ? s’enquit Bradshaw en montrant le panneau de Providence.
— On peut toujours essayer.
Je chaussai une paire de lunettes noires et consultai ma liste de cachettes potentielles pour un Minotaure.
— Si on ne trouve rien, on s’arrêtera pour déjeuner avant de passer dans Terreur à l’Ouest.
Hochant la tête, Bradshaw ouvrit la culasse de son fusil de chasse pour y glisser une cartouche. C’était une arme conventionnelle, mais les munitions ne l’étaient pas du tout. Notre position dans les forces de l’ordre nous donnait un accès autorisé à la technologie abstraite. Un coup de dégommeur, et le Minotaure serait réduit aux composants de base de son existence fictive : du texte et une brume bleutée… tout ce qui reste quand on tranche les liens entre signifiant et signifié. Et ne parlons pas de cruauté ; au dernier recensement du Bestiaire, on avait inventorié plus d’un million de minotaures quasi identiques, bien à l’abri dans les centaines de livres, d’illustrés et d’urnes qui le représentaient. Le nôtre était différent. C’était un fugitif. Un Saute-Pages.
Bientôt, les bruits d’une petite ville de colons nous parvinrent aux oreilles. Un nouveau chantier était en cours, et le martèlement ponctuait le cliquetis des sabots, le crissement des harnais et le grincement des roues de chariots sur la terre battue. L’écho métallique du marteau du forgeron se mariait aux bribes du psaume chanté par le chœur dans une église en bardeaux, et le tout se perdait dans le brouhaha ambiant. Arrivés à l’angle de la pension pour chevaux Eckley, nous risquâmes un coup d’œil dans la grand-rue.
Providence, telle que nous la voyions maintenant, vivait paisiblement sa vie en attendant l’apparition du personnage principal, d’ici deux pages. Comme il n’était pas question de débarquer en pleine narration pour nous retrouver mêlés à l’intrigue, et que par ailleurs le Minotaure évitait de se manifester pendant le récit de peur d’être découvert, notre seule chance résidait dans un contexte comme celui-ci. Et si, pour une raison ou une autre, la narration se rapprochait, le Détecteur de Proximité Narrative que j’avais dans ma poche donnerait l’alerte. Nous pourrions nous cacher, le temps que ça s’éloigne.
Un cheval passa au trot ; la banquette en bois qui courait le long du saloon craqua sous nos pas. Devant les portes battantes, j’arrêtai Bradshaw juste au moment où un poivrot se faisait jeter dehors. Le barman apparut, s’essuyant les mains sur un torchon.
— Et ne reviens pas, hein, tant que t’auras pas payé ! glapit-il, nous lorgnant soupçonneusement du coin de l’œil.
Pendant que Bradshaw surveillait les alentours, je lui montrai ma plaque de la Jurifiction. Il y avait un peu trop de tireurs dans les westerns ; au moment de l’inauguration du genre, le nombre requis n’avait pas été clairement spécifié sur le bordereau de commande. Du coup, on avait quelquefois jusqu’à vingt-neuf fusillades en une heure.
— Jurifiction, annonçai-je. Lui, c’est Bradshaw, moi, c’est Next. Nous recherchons le Minotaure.
Le barman me toisa avec froideur.
— M’est avis que vous vous êtes trompée de genre, camarade.
Dans un livre, tous les personnages ou Génériques sont classés de A à D, et de un à dix. Les A font les Gatsby et les Jane Eyre ; les D, la piétaille qui compose la foule. Le barman, vu qu’il avait des répliques à lui, devait être un C-2. Suffisamment futé pour nous répondre, mais pas assez pour avoir une personnalité.
— Il se peut qu’il utilise le nom de Norman Johnson, poursuivis-je, lui montrant une photo. Grand, un corps d’homme, une tête de taureau, friand de chair humaine ?
Le barman examina la photo et secoua lentement la tête.
— Je peux rien pour vous.
— Et des manifestations de Grossefarce ? demanda Bradshaw. Un gant de boxe qui jaillit d’une boîte, quelqu’un qui se prend un poids de seize tonnes sur la tête, des choses comme ça ?
Le barman s’esclaffa.
— Je n’ai vu aucun poids tomber sur qui que ce soit, mais paraît que l’autre mardi, le shérif s’est reçu une poêle à frire en pleine poire.
Bradshaw et moi échangeâmes un regard.
— Où trouve-t-on le shérif ?
Suivant les indications du barman, nous longeâmes la banquette et dépassâmes une échoppe de barbier et deux chercheurs d’or grisonnants qui baragouinaient l’authentique langage des pionniers. J’arrêtai Bradshaw à l’entrée d’une ruelle. Il y avait une fusillade, ou du moins il y aurait eu une fusillade, si les tireurs ne s’étaient pas disputés sur le temps alloué à leurs échauffourées respectives. Les deux équipes – deux hommes vêtus de couleurs claires et deux autres en noir, avec des ceinturons ornés de rangées de cartouches brillantes – étaient en train de se chamailler sur leurs créneaux horaires sous l’œil inquiet de deux demoiselles identiques. Le maire intervint pour leur dire que s’ils continuaient à se quereller, ils seraient tous interdits de fusillade et devraient revenir le lendemain. Du coup, ils acceptèrent à contrecœur de le jouer à pile ou face. Les gagnants foncèrent dans la grand-rue pendant que tout le monde courait obligeamment se mettre à l’abri. Ils se firent face, la main sur la crosse de leur colt 45, à vingt pas de distance. Deux déflagrations plus tard, l’un des hommes en noir s’effondra dans la poussière, sous l’œil impassible de son adversaire dont le coup de feu avait seulement soufflé le chapeau. Sa belle se jeta à son cou tandis qu’il rengainait son revolver d’un geste théâtral.
— C’est n’importe quoi, marmonna Bradshaw. Rien à voir avec le véritable Ouest !
Écrit en 1908, La Mort au ranch Double X se situait en 1875. L’écart étant faible, on aurait pu croire que la vérité historique serait d’autant plus respectée. Que nenni. La plupart des westerns avaient tendance à enjoliver l’image de l’Ouest. Dans le vrai Ouest, une fusillade était chose rarissime, toucher quelqu’un à distance avec un colt 45 était pratiquement impossible : dans les années 1870, la poudre provoquait énormément de fumée ; deux coups de feu dans un bar bondé vous faisaient tousser… et vous rendaient quasiment aveugle.
— La question n’est pas là, répondis-je tandis qu’on emportait le cadavre. La légende est toujours plus lisible, et puis, n’oubliez pas que nous sommes dans un roman populaire : la mauvaise prose est bien plus abondante que la bonne, et il serait vraiment trop beau que notre ami taurin se cache dans Zane Grey ou Owen Wister.
Nous passâmes devant l’hôtel Majestic, où une diligence nous doubla dans un nuage de poussière, le cocher faisant claquer son long fouet au-dessus de la tête des chevaux.
— Par là, fit Bradshaw en indiquant la bâtisse d’en face dont la façade en brique tranchait sur la rue en bardeaux.
Au-dessus de la porte, il était écrit « Shérif ». Nous traversâmes rapidement. Notre tenue vestimentaire détonnait parmi les robes longues, capotes, culottes de cheval, gilets, ceinturons et bottines à lacets. Seuls les agents en mission permanente prenaient la peine de s’habiller en costume d’époque, mais comme c’étaient souvent des personnages de westerns qui patrouillaient à l’intérieur de leurs propres livres, ils n’avaient même pas besoin de se chercher un déguisement.
Nous frappâmes et entrâmes. Il faisait sombre là-dedans après l’éclatant soleil du dehors, et nous clignâmes des yeux avant de nous habituer au manque de lumière. Sur notre droite, il y avait un tableau d’affichage tapissé d’avis de recherche : ils ne concernaient pas seulement le Nebraska, mais le Monde des Livres en général. Une notice jaunie offrait trois cents dollars à quiconque fournirait des informations sur le Grand Martin. Une cafetière en émail ébréché trônait sur un fourneau en fonte, et sur le mur de gauche, il y avait un râtelier d’armes. Un gros chat tigré était vautré sur une commode. Au fond de la pièce, on apercevait des cellules grillagées ; l’une d’elles était occupée par un ivrogne qui ronflait bruyamment sur la banquette. Le bureau était jonché de dossiers : circulaires administratives de l’État du Nebraska, amendements aux lois narratives du Conseil des Genres, bulletin d’information de la société des carillonneurs et catalogue Sears/Roebuck de vente par correspondance ouvert à la page « articles de luxe ». Il y avait aussi, sur ce bureau, une paire de bottes élimées avec, au-dedans, des pieds appartenant au shérif. Les habits du shérif, à dominante noire, avaient bien besoin d’être lavés. Une étoile en étain était épinglée au revers de sa veste et, de son visage, on ne distinguait qu’une large moustache grise émergeant de sous le bord de son stetson. Il dormait à poings fermés, se balançant sur les pieds arrière d’une chaise qui craquait au rythme de ses ronflements.
— Shérif ?
Pas de réponse.
— SHÉRIF !
Réveillé en sursaut, il voulut se lever, perdit l’équilibre et bascula en arrière. En tombant, il heurta la commode sur laquelle il y avait un broc d’eau. Le broc se renversa sur le shérif qui, trempé, poussa un rugissement. Affolé par le bruit, le chat miaula et grimpa aux rideaux, lesquels s’écroulèrent avec fracas sur le fourneau ; le café se répandit, et la toile sèche comme de l’amadou prit feu. Je me précipitai et trébuchai contre le bureau ; le revolver chargé du représentant de l’ordre tomba à terre et le coup partit, coupant l’attache de la tête d’élan empaillée qui atterrit sur Bradshaw. On était là, tous les trois… moi essayant d’éteindre le feu, le shérif tout mouillé, et Bradshaw se cognant aux meubles pendant qu’il s’efforçait de se débarrasser de la tête d’élan. C’était exactement ce qu’on cherchait : un accès inopiné et totalement incongru de Grossefarce.
— Désolée, shérif, marmonnai-je, contrite, après avoir éteint l’incendie, défait Bradshaw de son élan et aidé le bonhomme ruisselant d’eau à se remettre debout.
Il était grand, plus d’un mètre quatre-vingts, avec un visage buriné et des yeux bleu glacier. Je lui présentai ma plaque.
— Thursday Next, chef de la Jurifiction, et voici mon coéquipier, le commandant Bradshaw.
Le shérif se détendit et parvint même à sourire faiblement.
— J’avions cru que c’était encore eux, les Baxter.
Il rajusta ses habits et s’essuya les cheveux avec un torchon à l’emblème des « Lupanars de Dawson City ».
— Ben, j’suis drôlement content que ça soit pas eux. La Jurifiction, hein ? Ça fait un sacré bout de temps qu’on vous a pas vus dans les parages… la ferme, Howell.
L’ivrogne, Howell, s’était réveillé et réclamait un godet pour se « remettre d’aplomb ».
— Nous recherchons le Minotaure, expliquai-je au shérif en lui montrant la photo.
Il frotta pensivement sa barbe de trois jours.
— Jamais vu ce bestiau, ma p’tite dame.
— Nous avons des raisons de croire qu’il est passé récemment par votre bureau : il a été marqué avec de la Grossefarce.
— Ah ! dit le shérif, justement, j’me demandions… Howell et moi, on n’arrête pas de se prendre des pelles… pas vrai, Howell ?
— Je veux, mon neveu, acquiesça l’ivrogne.
— Il peut se présenter sous un déguisement et sous un faux nom, hasardai-je. Norman Johnson, ça ne vous dit rien ?
— J’vois pas. Des Johnson, on en a vingt-six par ici, mais des C-7… y sont pas assez importants pour porter un prénom.
Je dessinai un stetson sur la photographie du Minotaure, puis rajoutai une liquette, une veste et un ceinturon.
— Oh ! fit le shérif qui sembla le reconnaître d’un seul coup. Celui-là !
— Savez-vous où il est ?
— Pour sûr. La semaine passée, je l’ai eu en cellule pour cause qu’il avait mangé un voleur de bétail.
— Et alors ?
— Il a payé sa caution, et je l’ai relâché. Y a rien dans les lois du Nebraska qui interdit de manger les voleurs de bétail. Un moment.
Un coup de feu venait de retentir dans la rue, suivi de cris effrayés. Le shérif vérifia son colt, ouvrit la porte et sortit. Un jeune homme à la figure grave se tenait seul au milieu de la chaussée, la main frémissante sur la crosse de son arme dont le holster joliment ouvragé, notai-je, avait été rattaché – signe d’une fusillade à venir.
— Rentre chez toi, Abe, cria le shérif. C’est pas un bon jour pour mourir.
— Vous avez tué mon papet, déclara le garçon, et le papet de mon papet. Et le papet de son papet. Et mes frères Jethro, Hank, Hoss, Red, Peregrine, Marsh, Junior, Dizzy, Luke, Peregrine, George et tous les autres. Venez, qu’on s’explique entre hommes.
— Tu as dit Peregrine deux fois.
— Il comptait beaucoup pour moi.
— Abel Baxter, souffla le shérif, l’un des fils Baxter. Y sont réglés comme une horloge : dès qu’y en a un qui se pointe, je le descends aussi sec.
— Et vous en avez descendu combien ? chuchotai-je.
— Si je me trompe pas, ça doit faire soixante. Rentre chez toi, Abe, je te le répéterai pas.
Nous apercevant, Bradshaw et moi, le garçon lança :
— De nouveaux adjoints, shérif ? Z’allez en avoir bien besoin.
Nous remarquâmes alors qu’Abel Baxter n’était pas tout seul. Quatre personnages à la mine patibulaire venaient d’émerger des écuries d’en face. Je fronçai les sourcils. Ils semblaient déplacés dans La Mort au ranch Double X. Pour commencer, aucun d’eux ne portait du noir, ni le double ceinturon en cuir repoussé avec revolver nickelé. Leurs éperons ne cliquetaient pas quand ils marchaient, et leurs holsters tout simples étaient fixés haut sur la hanche. Quant à leurs armes, c’étaient des carabines winchester. Je constatai avec un frisson qu’il manquait un bouton sur la veste effrangée de l’un d’entre eux, et qu’une de ses bottes bâillait sur le devant. Des mouches bourdonnaient autour de leurs visages maculés de crasse ; sur leurs chapeaux, on distinguait des traces de sueur. Ce n’étaient pas des Génériques C-2 qu’on trouvait dans tous les romans à quatre sous, mais des A-7 issus d’un récit hautement descriptif. S’ils tiraient aussi bien que l’auteur les avait campés, on était dans un sacré pétrin.
Le shérif le sentit également.
— D’où qu’y sont, tes potes, Abe ?
Sa winchester au creux de son bras, l’un des hommes répondit avec l’accent traînant du Sud :
— C’est Mr. Johnson qui nous envoie.
Et ils ouvrirent le feu. Sans préambule, sans effet théâtral, sans aucun rythme narratif. Bradshaw et moi avions anticipé leur réaction : parader face à un professionnel de la gâchette peut avoir du panache, mais ce n’est pas le meilleur moyen de survivre. Malheureusement, le shérif ne le comprit que trop tard. S’il avait vécu comme prévu jusqu’à la page cent soixante-quatre, il se serait pris une balle, il aurait roulé dans la poussière après un suspense de deux pages et tenu le coup juste le temps de faire des adieux déchirants à sa chérie, qui l’aurait bercé dans ses bras durant son agonie. Hélas, une fin violente et réaliste venait de faire une entrée inopinée dans La Mort au ranch Double X. Le lourd projectile de plomb traversa la poitrine du shérif, laissant un trou de la taille d’une soucoupe. Il piqua inélégamment de la tête et demeura parfaitement immobile, un bras étalé à un angle impossible dans la vraie vie, et l’autre replié sous lui. Il n’était pas tombé à plat ventre, non. Il avait fini à genoux, les fesses à l’air.
Le tir cessa, faute de cible, mais Bradshaw, son instinct de chasseur en alerte, visa l’assassin du shérif et tira. Il y eut une détonation assourdissante, suivie d’un éclair et d’un épais nuage de fumée. Le dégommeur avait fait mouche : le tireur se désintégra en un fugace chrysanthème de texte qui se propagea dans la grand-rue ; le sens des mots se fondit en une brume bleutée qui flotta un instant au ras du sol avant de s’évaporer.
— Que faites-vous ? demandai-je, agacée par son impétuosité.
— C’est lui ou nous, Thursday, rétorqua Bradshaw d’un air sombre, abaissant le levier de culasse pour recharger son Martini-Henry. Lui ou nous.
— Vous avez vu tout le texte qui le composait ? m’emportai-je. Il faisait presque un paragraphe entier. Seuls les personnages de premier plan bénéficient de ce genre de description… quelque part, il va y avoir un livre avec un personnage en moins !
— Mais enfin, protesta Bradshaw, comment aurais-je pu le savoir, hein ?
Je secouai la tête. Il n’avait peut-être pas remarqué le bouton manquant, les traînées de sueur et les bottes éculées, mais moi, si. Mieux valait ne pas imaginer les tracas administratifs que représentait la suppression d’un personnage majeur. Entre les formulaires F36/34 (usage d’un dégommeur), B9/32 (remplacement du personnage) et P13/36 (évaluation des dommages narratifs), j’en avais au moins pour deux jours de paperasserie. J’avais cru que la bureaucratie était une plaie du monde réel, mais ici, dans le monde du papier, c’était la pierre d’angle de tout l’édifice.
— Alors, s’enquit Bradshaw, qu’est-ce qu’on fait ? On leur demande poliment de se rendre ?
— Je réfléchis.
Je sortis mon NDBDP-phone et pressai la touche « Chat ». À l’intérieur de la fiction, on communiquait principalement par notes de bas de page, mais dans ce trou paumé…
— Zut ! marmonnai-je. Il n’y a pas de réseau.
— Le relais le plus proche se trouve dans Le Virginien.
Bradshaw remplaça la cartouche et referma la culasse avant de jeter un œil à l’extérieur.
— Et il n’y a pas d’accès direct aux classiques depuis la littérature de masse.
Il avait raison. Depuis presque six jours nous passions de livre en livre, et même si nous disposions d’une issue de secours en cas d’urgence, le Minotaure en profiterait pour prendre la poudre d’escampette. Notre situation n’était pas brillante, mais pas dramatique non plus… enfin, pas encore.
— Ohé ! hurlai-je depuis le bureau du shérif. Nous voulons vous parler !
— Ah, vraiment ? répondit une voix claire au-dehors. Mr. Johnson dit que la parlote, c’est fini… sauf si vous lui offrez l’amnistie.
— On n’a qu’à en parler !
Un bip retentit dans ma poche.
— Flûte, bredouillai-je en consultant le Détecteur de Proximité Narrative. Bradshaw, il y a le fil du récit qui nous arrive par l’est, à deux cent cinquante mètres d’ici. Page soixante-quatorze, ligne six.
Bradshaw ouvrit à la hâte son exemplaire de La Mort au ranch Double X et suivit la ligne du doigt :
« … McNeil arriva dans la petite ville de Providence avec cinquante cents en poche et des envies de meurtre dans la tête… »
Je coulai un regard par la fenêtre. En effet, un cow-boy sur un cheval bai entrait lentement dans la ville. Strictement parlant, ce n’était pas bien grave si nous changions un peu l’histoire, vu que le roman avait été lu seulement seize fois durant ces dix dernières années, mais là-dessus, notre règlement était sans équivoque. « Respectez l’intention de l’auteur ! » m’avait-on seriné au tout début de ma formation. J’avais enfreint ce principe une fois et je l’avais payé… je n’étais pas près de recommencer.
— Je dois parler à Mr. Johnson ! criai-je en surveillant McNeil du coin de l’œil.
— On ne parle à Mr. Johnson que s’il l’a décidé lui-même, fit la voix. Mais si vous offrez l’amnistie, il l’accepte et promet de ne plus jamais manger personne.
— Une double négation ? siffla Bradshaw, méprisant. J’ai horreur de ça.
— On ne négocie pas tant que je n’aurai pas rencontré Mr. Johnson !
— Alors on ne négocie pas, me répondit-on.
Je regardai à nouveau dehors et vis surgir trois autres tireurs. Décidément, le Minotaure s’était fait plein de potes en séjournant dans les westerns.
— Il nous faut des renforts, murmurai-je.
Bradshaw avait l’air de penser la même chose. Il ouvrit son guide de voyage et en tira un objet qui ressemblait à un lance-fusées. C’était un marqueur de texte qui servait à envoyer un signal à d’autres agents de la Jurifiction. Le Guide de Voyage se trouvait être multidimensionnel : le marqueur lui-même était plus gros que le livre qui le contenait.
— La Jurifiction sait que nous sommes dans un western ; simplement, ils ignorent lequel. Je vais les prévenir.
Il composa un code à l’aide d’un cadran situé à l’arrière du pistolet, puis il alla à la porte, leva le marqueur et tira. La fusée jaillit avec un bruit mat et explosa silencieusement au-dessus de nos têtes ; l’espace d’un instant, le texte de la page s’imprima en gris clair sur l’azur du ciel. Les mots étaient à l’envers, bien sûr, et en regardant le bouquin de Bradshaw, je m’aperçus que « ProVIDence » s’était mis partiellement en majuscules. L’aide n’allait pas tarder : la démonstration de force suffirait à neutraliser les tireurs. Le tout était de savoir si le Minotaure allait se sauver ou rester et se battre jusqu’au bout.
— Votre feu d’artifice ne nous fait pas peur, ma p’tite dame, résonna la voix. Alors, vous allez sortir ou on vient vous chercher ?
Je lançai un regard à Bradshaw qui était en train de sourire.
— Quoi ?
— On rigole bien, vous ne trouvez pas ?
Le commandant gloussa comme un écolier surpris en train de chaparder des pommes.
— C’est beaucoup plus drôle que de chasser l’éléphant, lutter à mains nues avec un lion et rendre des colifichets tribaux volés par des étrangers sans scrupules.
— Je l’ai cru aussi, dans le temps, marmonnai-je dans ma barbe.
Deux années de missions comme celle-ci avaient été jouissives et excitantes, mais avaient comporté leurs moments de panique et d’incertitude… et j’avais un gamin de deux ans auquel je ne consacrais pas le dixième de l’attention qu’il méritait. Diriger la Jurifiction était une tâche éreintante, et j’avais besoin d’un break… d’un long break dans le monde réel. J’avais déjà ressenti cela six mois plus tôt, juste après l’aventure qu’on avait baptisée par la suite La Grande Débâcle de Samuel Pepys, mais je n’en avais pas tenu compte. Or voilà que ça me prenait à nouveau, et plus fort que la première fois.
Un sourd grondement se fit entendre au-dessus des toits. Les fenêtres tremblèrent dans leurs châssis, et un nuage de poussière s’éleva des chevrons. Une fissure s’ouvrit dans le plâtre ; une tasse vibra sur la table et alla se fracasser sur le plancher. L’une des vitres vola en éclats ; une ombre tomba sur la rue. Le grondement s’accrut, noyant le Détecteur de Proximité Narrative qui couinait plaintivement, jusqu’à n’être plus qu’une vibration qui ébranla le bureau du shérif à m’en brouiller la vue. Ce fut lorsque l’horloge tomba du mur et se cassa que je compris ce que c’était.
— Oh… NON ! me lamentai-je tandis que le vacarme infernal faiblissait pour se muer en un rugissement de fond. Vous parlez d’un canon contre un moustique !
— L’empereur Jark ? s’enquit Bradshaw.
— Qui d’autre oserait débarquer avec un croiseur cuirassé dans un western ?
L’énorme vaisseau spatial passa au-dessus de nos têtes ; ses propulseurs directionnels pivotèrent vers le bas, et le flux d’énergie concentrée souleva une tornade de poussière et de débris, mettant le feu à la pension pour chevaux. Suspendu dans les airs le temps de sortir le train d’atterrissage, l’engin finit par se poser délicatement… pile sur McNeil et sa monture qui furent réduits à la taille d’un demi-penny.
Mes épaules s’affaissèrent tandis que je voyais mon travail de paperasserie croître de façon exponentielle. Les habitants de la petite ville couraient dans tous les sens, affolés ; les chevaux s’enfuirent tandis que les tireurs A-7 canardaient sans succès la coque blindée du vaisseau. En quelques minutes, le croiseur interstellaire avait dégorgé une petite troupe de fantassins équipés d’armes jarkiennes dernier cri. Je poussai un gémissement. L’empereur avait toujours tendance à en faire trop. Le méchant incontesté d’une série de huit titres, le dieu-empereur le plus redouté de toute la galaxie ne semblait visiblement pas connaître le sens du mot « retenue ».
En un clin d’œil, ce fut terminé. Ceux des A-7 qui ne furent pas abattus se réfugièrent dans leurs propres livres, et les fusiliers jarkiens se déployèrent à la recherche du Minotaure. Ils auraient pu s’épargner cette peine : il avait dû filer depuis belle lurette. Il n’y avait plus qu’à recruter d’autres A-7 et un nouveau McNeil et remettre de l’ordre dans le roman afin de le débarrasser du vaisseau spatial du XXVIe siècle débarqué inopinément dans le Nebraska de 1875. C’était une infraction flagrante au code anti-mélange des genres que nous nous efforcions de faire respecter au sein de la fiction. Passe encore s’il s’était agi d’un incident isolé, sauf que Jark n’en était pas à sa première incartade. Je me contrôlais à peine quand l’empereur descendit du vaisseau accompagné d’un curieux assortiment d’extraterrestres et de Mrs. Tiggywinkle qui travaillait elle aussi pour la Jurifiction.
— MAIS À QUOI JOUEZ-VOUS, BON SANG ?!?
— Oh, fit l’empereur, décontenancé par mon éclat. Je croyais que vous seriez contente de nous voir.
— La situation était grave, mais pas désespérée.
Je balayai la rue d’un geste circulaire.
— Regardez ce que vous avez fait !
Il jeta un œil autour de lui. Les habitants commençaient à émerger, hagards, des ruines de leurs maisons. Le western n’avait rien connu d’aussi étrange depuis la capture dans L’Héritage du désert d’un extraterrestre échappé de la S.-F. et friand de cervelle humaine.
— Chaque fois, vous me faites le coup ! N’avez-vous aucune notion de discrétion et de subtilité ?
— Pas vraiment, répondit l’empereur, contemplant nerveusement ses mains. Je vous demande pardon.
Les extraterrestres de sa suite, ne tenant pas à se faire enguirlander à leur tour, regagnèrent le vaisseau qui en marchant, qui en rampant ou en planant.
— Vous avez envoyé un marqueur de texte…
— Et alors ? Vous ne pouvez pas entrer dans un livre sans tout saccager sur votre passage ?
— Du calme, Thursday, fit Bradshaw, conciliant, en posant la main sur mon bras. Nous avons réclamé de l’aide, et si notre vieux Jarky se trouvait dans les parages, on ne peut pas lui reprocher d’être venu à notre secours. Après tout, quand on pense qu’il a l’habitude d’anéantir des galaxies entières, avoir brûlé seulement la ville de ProVIDence et pas tout le Nebraska est un vrai exploit…
Il marqua une pause avant d’ajouter :
— … pour lui.
— AAHH ! hurlai-je, dépitée. J’ai parfois l’impression de…
Je m’interrompis. Il m’arrivait de sortir de mes gonds de temps à autre, mais rarement avec des collègues… ce n’était pas bon signe. Au début, j’avais été ravie de faire ce boulot, comme c’était toujours le cas de Bradshaw. Mais depuis quelque temps, le cœur n’y était plus. J’en avais assez. Je voulais rentrer chez moi.
— Thursday ? hasarda Mrs. Tiggywinkle, inquiète de ce silence subit. Est-ce que ça va ?
Elle se rapprocha et m’égratigna avec un de ses piquants. Je poussai un cri et me frottai le bras. Rougissante, elle s’écarta précipitamment. Les hérissons d’un mètre quatre-vingts ont leur propre savoir-vivre.
— Ça va bien, répliquai-je en m’époussetant. C’est juste que les choses… enfin, ont tendance à échapper à tout contrôle.
— Que voulez-vous dire ?
— Ce que je veux dire ? Ce que je veux dire ? Eh bien, ce matin j’étais sur les traces d’un animal mythologique en suivant la piste des tartes à la crème à travers l’Ouest, et cet après-midi, un croiseur cuirassé du XXVIe siècle atterrit dans le Nebraska. Vous ne trouvez pas ça insensé, vous ?
— C’est de la fiction, observa Jark avec candeur. Forcément, il arrive des choses bizarres.
— Pas à moi, déclarai-je d’un ton sans appel. J’ai envie d’avoir un semblant de… de réalité dans ma vie.
— Réalité ? répéta Mrs. Tiggywinkle. Vous voulez dire un endroit où les hérissons ne parlent pas et ne font pas la lessive ?
— Mais qui va diriger la Jurifiction ? s’exclama l’empereur. Vous êtes le meilleur chef qu’on ait jamais eu !
Je secouai la tête, levai les bras et m’approchai du texte du tireur A-7 éparpillé sur le sol. Ramassant un « D », Je le tournai entre mes mains.
— S’il vous plaît, réfléchissez, dit le commandant Bradshaw qui m’avait suivie. Vous allez vous apercevoir, ma grande, que la réalité est quelque chose de très surfait.
— Pas assez surfait, Bradshaw, répliquai-je avec un haussement d’épaules. La place du chef n’est pas toujours une sinécure.
— Lourde est la tête qui porte une couronne, murmura Bradshaw qui me comprenait probablement mieux que les autres.
Lui et sa femme étaient mes meilleurs amis dans le Monde des Livres ; mon fils et Mrs. Bradshaw étaient quasi inséparables.
— Je savais que vous ne resteriez pas indéfiniment, ajouta-t-il en baissant la voix. Quand comptez-vous partir ?
— Le plus tôt possible. Demain.
J’examinai les ravages que Jark avait causés dans La Mort au ranch Double X. Il y avait pas mal de nettoyage en perspective, une montagne de paperasse… et la possibilité d’une sanction disciplinaire, si le Conseil des Genres apprenait ce qui s’était passé.
— Il faut d’abord que je boucle le rapport sur cette débâcle, fis-je lentement. Alors, disons trois jours.
— Vous avez promis de remplacer Jeanne d’Arc pendant son stage de recyclage des martyrs, glissa Mrs. Tiggywinkle qui nous avait rejoints sur la pointe des pieds.
J’avais complètement oublié.
— O.K., une semaine. Je m’en irai dans une semaine.
Nous nous tûmes, moi songeant à mon retour à Swindon, et eux imaginant les conséquences de mon départ… sauf l’empereur Jark qui devait mijoter sa prochaine invasion de la planète Thraal, histoire de s’amuser un peu.
— Votre décision est prise ? demanda Bradshaw.
Je hochai la tête. J’avais d’autres raisons de vouloir retourner dans le monde réel, plus urgentes que la ferveur belliqueuse de l’empereur Jark. J’avais un mari qui n’existait pas, et un fils qui ne pouvait passer sa vie dans un cocon fictionnel. J’étais redevenue la Thursday d’autrefois, celle qui préférait les certitudes noir et blanc de la police des livres aux improbables nuances de gris des sentiments.
— Oui, ma décision est prise, acquiesçai-je avec un sourire.
Je regardai Bradshaw, l’empereur et Mrs. Tiggywinkle. Malgré leurs défauts, j’avais été contente de travailler avec eux. Il n’y avait pas eu que du négatif. Durant mon temps à la Jurifiction, j’avais vu et fait des choses dépassant tout entendement. J’avais observé des grammasites survoler les dômes de plaisir de Xanadu, ressenti l’étrangeté de ceux qui écoutent, pâles lueurs dans l’escalier sombre. J’avais chevauché à cru des licornes dans les forêts ombragées de Zénobie et joué aux échecs avec Ozymandias, le Roi des Rois. J’avais volé avec Biggles sur le front de l’Ouest, croisé le fer avec Long John Silver et parcouru les chemins qui mènent à la mer. Mais nonobstant ces moments enchanteurs, mon cœur était demeuré à Swindon, auprès d’un homme nommé Landen Parke-Laine. Il était mon mari, le père de mon fils, il n’existait pas et je l’aimais.