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Tout est parti d’une simple information.
En 1994, Bezos a appris que le World wide web croissait mensuellement à raison de 2 300 % d’utilisateurs supplémentaires. Il abandonna son travail à Wall Street, déménagea à Seattle et se mit à vendre des livres sur le Net.
Dès lors, les données se sont multipliées, elles se sont regroupées organiquement tel un monstre tentaculaire, un nuage orageux ou une seconde peau : nous sommes petit à petit devenus des données. Nous les laissons dans les milliers d’opérations quotidiennes qui dessinent nos empreintes digitales à travers la Toile. Elles sont émises par les capteurs de nos téléphones portables. Nous écrivons constamment notre autobiographie à l’aide de nos claviers, de nos actions ou de nos pas.
À l’occasion de la dernière Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, Amazon a révélé quelles étaient les phrases les plus soulignées ces cinq dernières années sur la plateforme Kindle. Quand vous utilisez ce dispositif, elle sait absolument tout de vos lectures. Quelles pages vous font abandonner un livre. Vos conclusions. À quel rythme vous lisez. Ce que vous soulignez. L’immense avantage du livre en papier n’est pas sa légèreté, sa durée de vie, son autonomie ni sa relation intime avec nos processus de mémorisation ou d’apprentissage, mais sa déconnexion permanente.
Lorsque vous lisez sur papier, l’énergie et les données émises à travers vos yeux et vos doigts n’appartiennent qu’à vous. Vous ne pouvez pas être espionnés par Big Brother. Personne ne peut s’approprier cette expérience, l’analyser, l’interpréter ; elle n’est qu’à vous.
C’est pourquoi Amazon a lancé la campagne mondiale Kindle Reading Fund : soi-disant pour promouvoir la lecture dans les pays pauvres mais avec pour réel objectif d’habituer une nouvelle génération de consommateurs à lire sur écran, les étudier et obtenir des données sur les cinq continents. Voilà pourquoi le groupe Planeta – le sixième groupe de communication dans le monde, regroupant plus de cent entreprises – investit dans des écoles de commerce, des instituts et des universités : afin de maintenir de hauts niveaux d’alphabétisation qui assureront dans le futur les ventes des romans lauréats du prix Planeta. Nous verrons qui en profite.
Et surtout : si nous en profitons tous.