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Nous avons tous des implants.
Nous dépendons tous de cette prothèse : notre téléphone portable.
Nous sommes tous des cyborgs : suffisamment humains, mais en partie machines.
Nous refusons néanmoins d’être des robots.
Le travail des employés d’Amazon est un travail de robot. Et ce depuis le début : en 1994, lorsqu’ils n’étaient que cinq à travailler dans le garage de la maison de Jeff Bezos à Seattle, ils étaient déjà obsédés par la rapidité. Cela a duré vingt ans, émaillés de stress, de harcèlement et de traitements inhumains pour obtenir cette maudite efficacité extrême qui n’est envisageable que si vous êtes une machine.
Aujourd’hui, les amazonians sont aidés par les robots Kiva, capables de lever 340 kilos et de se déplacer à un mètre et demi par seconde. Synchronisés avec les travailleurs humains grâce à un algorithme, ils s’occupent de soulever et déplacer les étagères pour faciliter la prise des produits. Une fois que les produits achetés par le client sont réunis, une autre machine, du nom de Slam, avec son grand ruban transporteur, se charge de les scanner et les empaqueter.
Kiva et Slam sont le produit de plusieurs années de recherche. Amazon a organisé des concours de robotique dans le cadre de l’International Conference on Robotics and Automation de Seattle, pour perfectionner son processus de commandes. Au cours d’une de ces éditions, les machines inventées par le MIT ou l’Université technique de Berlin devaient récupérer en un temps record un petit canard en plastique, un paquet d’Oreo, un chien en peluche et un livre. Pour Amazon il n’y a pas de différence substantielle entre ces quatre objets. Ce sont des marchandises équivalentes.
Mais pas pour nous.
Amazon a progressivement fait abstraction du facteur humain. À ses débuts, elle comptait dans ses rangs des rédacteurs qui écrivaient des critiques des livres en vente ; aujourd’hui il ne subsiste plus de médiation entre la mise en page et la mise en ligne d’un livre à compte d’auteur. Amazon a automatisé la chaîne de distribution et attend des consommateurs qu’ils agissent pareillement.
Mais non.
Parce que pour nous un livre est un livre est un livre.
Et sa lecture est un rite, l’écho de l’écho de l’écho de ce qui fut sacré.