Des nouvelles du temps
Ce matin encore le bulletin météo était aussi lamentable que Dustin Hoffman et la Floride dans Macadam Cow-boy. On se demande parfois si ça vaut le coup de vivre dans une région dont tous les dépliants touristiques célèbrent l’ensoleillement exceptionnel, alors qu’il pleut sans cesse depuis deux mois sur le chapeau des champignons, l’âme des gueux et tous les potagers des environs. Ce n’est pas tout à fait l’endroit pour cela certes, mais je suis bien sûr que s’il y avait des pingouins dans le coin, ils périraient noyés juste en allant faire leur marché. Pour finir, cette pluie, qui sans discontinuer s’acharne à vous transpercer le plumage, me colle l’humeur chagrine et me ramollit le cerveau comme une gaufrette ; c’est le genre de situation encore plus féroce que si j’étais resté quinze jours sans retirer mes bottes (peut-être même qu’à l’intérieur j’ai déjà les pieds palmés ; il faudrait que j’aille y regarder de plus près).
Qu’imaginer d’autre, sous un tel court-bouillon, que patauger jusqu’à la boîte aux lettres dans l’espoir d’y trouver une enveloppe amie (je reconnais d’emblée l’écriture !) avec, dedans, un billet d’avion pour un de ces pays où l’on peut voir des hippopotames aux yeux d’insomniaques faire chavirer de jeunes piroguiers noirs sur le fleuve Niger, ou bien des sorciers animistes au regard halluciné envoûter des guerriers peuls ? Ou alors : direction Sydney ! En Australie, on me dit, le temps c’est le temps de boire une bière en compagnie des kangourous ; c’est le temps de s’allonger à l’ombre d’un eucalyptus et de découvrir, suspendu à une branche, un koala rigoleur. Oui, au pays des grands espaces le temps n’existe pas : vous quittez l’avion, il faut enlever votre montre ! C’est comme ça. En tout cas c’est ce que certifie la publicité dans ma boîte aux lettres ce matin, et aussi que Sydney n’a jamais été aussi proche de mon paillasson « à partir de 8 740 francs ». Bien sûr, à ce tarif, cela reste pour moi une affirmation tout à fait invérifiable.
De retour, le mégot détrempé et ma démarche flic flac à cause des pieds palmés, j’ai dit à ma femme tu vois nous n’irons sans doute jamais à Sydney ; jamais nous n’irons baguenauder sur la place de la Vieille-Ville, à Prague, entre la haute silhouette gothique de Notre-Dame de Tyn et le beffroi de l’Hôtel de Ville. La grande muraille de Chine, T’ien-tsin, Shanghai, Han-k’eou, ce n’est pas pour nous ; les îles et Zanzibar aux heures de pointe, nous n’en connaîtrons jamais ivoire ni clous de girofle ni noix de coco ! Nous ne sommes même pas membres d’« American Express » ; alors pour nous distraire ne nous reste plus qu’à placer du poil à gratter sous les plumes des petits oiseaux et tenter d’en rire. Voilà à peu près ce que je lui ai dit pour bien signifier toute ma détresse, cependant que dehors, imperturbable, la pluie s’acharnait malgré tous les prospectus de l’office du tourisme et les autocars qui, en ville, devaient certainement continuer à déverser leur cargaison de visiteurs transis devant la synagogue.
Je me suis interrogé un instant pour savoir s’il ne serait pas plus judicieux de mettre définitivement les pieds sur la table (avec mes chaussettes reprisées aux talons !) et, renversé sur ma chaise un cierge de La Havane au bec, attendre ainsi les siècles nécessaires à une amélioration météorologique. J’aurais placé sur le pick-up ce temps durant un vieux Dylan rayé, genre Times Are Changin’ ou quelque chose comme ça, histoire de ne pas perdre patience. (Un fond de mauvaise conscience m’entraînait cependant à penser que c’était sans doute là une solution de facilité.) Quatre heures sonnaient au carillon, il flottait toujours en abondance sur la Floride locale, Dustin Hoffman maintenant agonisait pour de bon recroquevillé en chien de fusil sur le carrelage de la cuisine et, à cent lieues à la ronde, on n’aurait déniché le moindre pingouin : tous submergés depuis longtemps sous cette tourmente céleste ! Il ne me restait plus dès lors qu’à sortir scier torse nu du bois sous la pluie ou partir à poil et sans panier à la cueillette des champignons, dans l’espoir insensé d’attraper la mort et d’en finir au plus vite.
C’est quand elle m’a dit en rigolant tu sais Sydney c’est zéro à côté de ton sourire triste ; deux fois la Chine communiste, Deng Xiao-ping et tout Zanzibar, noix de coco et chocolat, ça ne vaut pas tripette comparé à ton sérieux de zouave pontifical ; c’est précisément quand elle a dit ces trucs-là que ça m’a fait tout d’un coup comme si je venais vraiment de trouver des billets d’avion dans la boîte aux lettres ! Et nous voilà partis tous les deux voyager en hamsters frileux par-dessous le dessus-de-lit vert pomme de la petite chambre basse, sous les combles. Le temps s’est écoulé, comme ça, en attendant que les escargots et les grenouilles (qui sortent toujours dans l’herbe après la pluie) viennent frapper au carreau pour nous dire que c’est fini : le soleil revient à nouveau !