13

 

 

Le mercredi matin, Herr Müller se rasa avec plus de soin que de coutume. Il ne voulait pas produire une mauvaise impression au consulat d’Israël. Il effectuerait sa rentrée avec dignité. Il choisit, dans ce but, ses chaussettes les moins reprisées. Sur le cadavre du bunker, on avait ramassé les lambeaux d’un tricot de jersey jaune, et Herr Müller en suffoquait encore. Ce garde-champêtre, si dévoué par ailleurs, n’était, en matière d’habillement, qu’un balourd, qu’un goujat. Sans prétendre aux mines d’un Brummell, Herr Müller ne portait pas de maillot de corps jaune. Jaune ! Cet imbécile l’avait ridiculisé !…

Carméli cogna discrètement à la porte.

— Oui ! Entrez !

Herr Müller se tourna vers l’agent secret :

— Suis-je présentable, Mordechaï ? Je ne voudrais pas vous faire honte.

— Vous êtes parfait. Très « vieux gentleman ».

— Évidemment, la coupe de ce costume de velours n’est plus très à la mode, mais que voulez-vous, je n’ai plus rien à me mettre !… Je n’aimerais pas qu’on vous lance à la figure : « Mais vous l’avez trouvé dans une poubelle ! Mais c’était devenu un clochard, votre soi-disant Führer ! »

— Vous êtes très bien, répéta Carméli. Ils seront très heureux de vous voir.

Dubitatif, Herr Müller murmura en brossant son chapeau :

— Ils ne me battront pas, au moins ?

— Oh ! s’écria Carméli, choqué, vous plaisantez !

— On ne sait jamais, reprit l’octogénaire, des rancœurs…

— N’ayez crainte. Vous serez reçu avec les honneurs dus à un ancien chef d’État. Nous prendrons l’avion ce soir. Demain au plus tard.

— Je ne l’ai pas pris depuis si longtemps ! rêva à voix haute Herr Müller. Tenez, je ne suis jamais monté dans un avion à réaction !

— Ils sont plus agréables que les autres.

Herr Müller sifflota, content de découvrir enfin l’aviation moderne. Tatillon, il s’effraya encore :

— Carméli ! Et si l’appareil vient à être détourné ! Vous me voyez, moi, chez les Arabes ! Chez les Égyptiens qui me vendraient aux Russes, m’échangeraient contre des armes ! Ils me pendraient à tous les coups, les Russes, car, entre nous, les vrais Untermenschen c’était eux, pas vous ! Ce qu’ils ont pu me créer d’ennuis, ceux-là !…

Carméli déclara, formel :

— Les appareils israéliens ne sont jamais détournés, Herr Müller, jamais ! Grâce à nos agents secrets, les meilleurs du monde.

— J’en sais quelque chose, fit aimablement Herr Müller.

Piteux, Carméli haussa les épaules :

— Parlons-en ! Si vous ne vous étiez pas dénoncé…

— Tsst, tsst ! Ta ta ta ta ta ! insista son ami. Vous m’avez brillamment démasqué, oui ! C’est ce que je leur affirmerai. Pensez à vos supérieurs, Carméli, à votre éclatante revanche sur ces minables ! Vous la prendrez, un point c’est tout !

— Je vous remercie, éclata Carméli rouge de plaisir.

— C’est la moindre des choses, cher ami, et elle ne me coûte rien.

Herr Müller jeta un dernier coup d’œil sur sa chambre :

— Tout est en ordre. Constatez, Carméli. J’ai cette valise et cette cantine. J’ai d’ailleurs dressé l’inventaire de mes affaires personnelles. Je l’ai dans mon portefeuille.

— On ne vous dérobera rien, assura Carméli.

Herr Müller, malin, hocha la tête :

— Je n’ai pas douze ans, mon ami ! Six mouchoirs, c’est vite envolé !

Il jeta son manteau de loden sur son bras et, gaillard, poussa Carméli dans le corridor en lançant :

— En voiture Simone !

Il expliqua que c’était là une vieille locution française pour imager la plate expression « Allons-y ».

Ils sortirent du bâtiment. Herr Müller ne le reverrait plus, cet hospice. Il ne reverrait plus Frau Kolledehof qui, munie d’un petit seau et d’une petite pelle de plastique, dessinait là-bas dans le gravier des croix gammées sur le chemin qu’emprunterait tout à l’heure Frau Richter. Il ne reverrait plus Herr Mündung ni Frau Christa Boehm la sous-directrice qui l’admonestait, près de la chapelle. Ils le reverraient, eux, avec quelle surprise mélangée de fierté, à la première page de tous les journaux, suivraient avec quelle passion son procès à la télévision.

Il se détourna de tout ce médiocre passé. L’avenir lui appartenait. Ce soir l’avion, au plus tard demain ! Eux ramperaient toujours dans leurs allées, dans leurs couloirs. Il souleva son chapeau, salua avec ironie ce peuple de vermisseaux.

— Attendez-moi là, dit-il à Carméli qui, lui, revivait son arrivée à la Glückhaus, alors qu’il était loin de soupçonner quelle extraordinaire aventure s’y déroulerait.

— Je reviens tout de suite ! cria Herr Müller en s’éloignant.

Il réapparut un quart d’heure après, alourdi par les cent deux pièces d’or qu’il était allé déterrer.

— Ne vous impatientez pas, Carméli, mais j’ai encore une chose à faire avant de partir. J’aimerais serrer la main de Wehrmacht, lui dire adieu. C’est un peu de la sensiblerie, je le sais bien, mais… mais c’était un soldat allemand. Mon dernier soldat allemand, mon soldat de plomb à moi…

— Je comprends cette sensiblerie, fit Carméli, touché. Cela s’appelle même de la sensibilité.

— Venez avec moi s’il vous plaît. Il doit manœuvrer autour de la pièce d’eau, comme à son habitude.

Ils se rendirent vers le bassin, y surprirent étonnés leur Wehrmacht qui pataugeait au beau milieu, de l’eau jusqu’au ventre et serrant contre lui une fourche à bêcher à quatre dents, instrument qu’il avait dû subtiliser dans la remise du père Brüning le jardinier. Wehrmacht, en sueur, passait le Rhin ou le Dniepr en jurant :

— Vorwärts, ma Wehrmacht ! Hardi, mes grenadiers, en avant ! Courage, les vieux Landser(8) ! Et vous, les mômes, chialez pas ! Mordez dans vos flingues ! Vous les reverrez, les Fräulein aux beaux nichons ! Vous vous les écraserez sur votre croix ; de fer, leurs doudounes ! Seulement, d’abord, faut passer le fleuve ! Et on va se le passer en beauté ! Avec le minimum de casse !

Il entonnait le Deutschland Über Alles pour se donner du nerf quand il aperçut Herr Müller et Carméli sur la rive.

Il explosa de rire :

— Salut, les renforts ! Mais pas un mot au docteur Depp, camarades ! Il me sonnerait dur, pour mon bain de pieds ! Il peut plus me piffer, ce feldwebel, il a peur que je devienne louf, à ce qu’il chante. Il l’est bien, lui, ça l’empêche pas d’embrocher les pèlerins avec sa seringue !

Il s’extirpa de ses marécages et, le pantalon dégouttant de vase, se présenta aux spectateurs, la fourche sur l’épaule droite, au garde-à-vous :

— Feldgrau Hassenstein Johann, Wehrmacht pour les copains. Repos ! Mission accomplie ! Sieg Heil ! Rhin franchi, Heil Hitler, Grossdeutschland sauvée une fois de plus !

Attendri par ce demi-fou, qui était davantage son œuvre que les tableaux qu’il peignait, Herr Müller lui tendit son manteau de loden :

— Tenez, Wehrmacht, c’est pour vous.

— Pour moi ? bredouilla le vétéran. Pourquoi faire, Herr Müller ?

— Vous ne voyez pas que c’est un manteau, Wehrmacht ?

— Ben oui, je vois bien que c’est pas un char T 34. Mais vous n’en avez plus besoin, vous ?

— Où je vais, non. Je pars, Wehrmacht. Je suis venu vous dire au revoir.

Le « Landser », d’hilare qu’il était, s’abandonna à une tristesse tout animale :

— Vous êtes chic, Herr Müller. Mais j’aime pas que mes copains s’en aillent. J’en ai tellement enterré, de mes bons copains, et vous étiez un bon copain, Herr Müller… Et où que vous partez, comme ça ?

— Au soleil.

— A Cassino ?

— Plus loin.

— En Tunisie ?

— Plus loin encore.

— En Égypte, alors ?

— Vous vous rapprochez. Je vais en Israël.

Contrarié, Carméli souffla :

— Vous ne devriez pas lui raconter cela.

— Laissez, Carméli, pour tout le monde il ne sait plus ce qu’il dit. Moi, je veux qu’il sache. Tout. Pour qu’il finisse sa vie comme nous la finissons, sur un événement exceptionnel.

Carméli soupira :

— Ce n’est pas prudent, mais si vous y tenez…

— Oui, Carméli, j’y tiens. C’est mon vieux soldat.

Il s’approcha à le toucher de Wehrmacht ahuri, le fixa dans les yeux :

— Wehrmacht, écoutez-moi.

— Je vous écoute, Herr Müller !

— Je ne suis pas Herr Müller, Wehrmacht. Je suis votre Führer. Je suis Adolf Hitler.

Gêné par ce regard qui ne le lâchait pas, le paralysait, Wehrmacht rigola stupidement :

— Il est mort, le Führer. Avec son armée. Avec notre Allemagne.

Le regard se durcit, effraya presque l’ancien feldgrau :

— Ne ris plus, Wehrmacht. Je suis ton Führer. Ton Führer !

La tension, l’effort qu’il produisait pour convaincre son « vieux soldat » étaient si rudes qu’il se mit à trembler.

Il se tourna vers Carméli ;

— Dites-lui que c’est vrai, Carméli.

Herr Held ne s’appelait plus Herr Held, Herr Müller était Adolf Hitler, rien que cela, Wehrmacht perdait pied, riboulait des yeux de vache qui voit défiler un convoi de camemberts. Il ricana encore, de plus en plus mal à l’aise et dansant sur un talon :

— Moi, Wehrmacht ! Petit filou ! Fick Fick Fräulein !...

Herr Müller s’énervait, lui criait sous le nez ;

— Hitler, c’est moi, Hundsfott(9) ! Le Führer, Schweinehund(10), le Führer !

Tout l’hospice connaîtrait l’arrivée du Messie avant que Wehrmacht ne se décidât à y croire. Carméli, agacé, se mêla au débat pour mieux l’écouter, attrapa le vieux Landser par une épaule :

— Mettez-vous au garde-à-vous, Wehrmacht ! Hitler est vivant. Herr Müller est notre Führer !

Pour le décider, il rectifia lui-même la position et, pour parachever cette ironie du sort, exécuta un solennel salut nazi.

Les moustaches de Wehrmacht se mirent à vibrer ainsi que des élytres. Il pâlit enfin, rougit, hissa les couleurs, bégaya : « Mein Führer !… Mein Führer !…» et, laissant choir sa fourche à bêcher, tomba à genoux devant Dieu pour baiser l’étoffe de son pantalon. Herr Müller, empêtré par ces dévotions, grogna brutalement :

— Relève-toi ! Tu es un bon soldat. La place d’un bon soldat n’est pas à quatre pattes. Relève-toi, c’est un ordre !

— Ordre du Führer ! jappa Wehrmacht en se redressant.

Son garde-à-vous ne fut pas des plus impeccables, tant il grelottait de ferveur. Émerveillé, il osait regarder le soleil et le Fùhrer en face, osait même lui poser une question :

— Mein Führer, expliquez-moi… Comment… Comment que vous êtes là, moi j’y comprends plus rien du tout…

Herr Müller le coupa :

— Tais-toi. Tu n’as rien à comprendre. Tu n’as qu’à servir.

Servir à quoi ? Le commandement était dérisoire, Herr Müller et Carméli en ébauchèrent un vague sourire. L’obtus Wehrmacht, ébloui, ne se résignait pas au silence, transgressait jusqu’aux augustes consignes :

— Je vous servirai, mein Führer, comme je vous ai toujours servi, fidèlement ! Vous allez reprendre la tête de l’Allemagne ?

La conversation menaçait de s’éterniser. Déjà, Herr Müller regrettait sa confidence et grommelait :

— Ne te mêle pas de cela. Au revoir, Wehrmacht.

Mais le fanatique, toute mécanique remontée, ne l’entendait plus d’une oreille docile, se rebellait :

— Pas si vite, mein Führer ! Je m’excuse de vous causer comme ça mais quoi, c’est vrai, vous me tombez dessus du ciel et c’est pour repartir aussi sec ?… Faut pas oublier que vous êtes l’Allemagne, que je suis l’armée allemande, et qu’elle a droit à la parole, l’armée allemande, après tout ce qu’elle a fait, Herrgott-Sakrament ! Pourquoi que vous allez en Israël, mein Führer ?

Il le retenait à présent par une manche de sa veste, répétait, les yeux ; papillotant dangereusement :

— Pourquoi, mein Führer ? Pourquoi, mein Führer ?

Il fallait s’en débarrasser. Herr Müller, pour l’impressionner, reprit sa voix d’acier :

— Lâche-moi, bourrique ! Comment oses-tu porter la main sur ton Führer !

Wehrmacht ne desserrait pas sa prise, ânonnait sans se lasser :

— Pourquoi, mein Führer ? Pourquoi, mein Führer ? Et qui c’est, ce Carméli, mein Führer ? Qui c’est, mein Führer ?

Herr Müller saisit qu’il n’avait plus aucune autorité sur cet être rudimentaire. Il tenta d’employer la douceur :

— Écoutez-moi, mon cher Wehrmacht. Les Israéliens m’ont arrêté. Je vais avoir un très beau procès, à Jérusalem. Un procès formidable. Vous me verrez à la télévision. Je parlerai de vous. Je dirai devant le monde entier : « Mon ami Wehrmacht. » Vous vous rendez compte : « Mon ami Wehrmacht ! »

L’« ami Wehrmacht » ne mordit pas à l’hameçon d’une réclame où il assumait le rôle pourtant glorieux de lessive. Lui aussi baissa le ton, ce qui, dans sa bouche édentée, devenait menaçant :

— Vous n’irez pas, mein Führer. Les juifs n’ont pas à vous juger. Votre place est ici, en Allemagne. Vous n’avez qu’à apparaître, qu’à grimper sur une table, qu’à crier : « Je suis le Führer », et toute l’Allemagne vous suivra comme un seul homme ! L’heure du IVe Reich sonnera ! L’Est et l’Ouest réunifiés ! Willy Brandt pendu ! On reprendra l’Autriche ! La Tchécoslovaquie ! La Pologne !

Excédé, Herr Müller se débattit :

— Le docteur Depp a raison, Wehrmacht, vous êtes fou. J’ai quatre-vingt-quatre ans. Je suis trop vieux pour tout cela.

Wehrmacht, halluciné, se cramponnait à lui, lui soufflait une haleine de mort au visage :

— C’est le monde qui est trop vieux, mein Führer, ce n’est pas vous ! Vous êtes éternel, mein Führer ! La preuve en est que vous renaissez de vos cendres quand ça vous amuse. Et l’Allemagne, pareil, sûr qu’elle va renaître avec vous ! Elle va se lever dès qu’elle vous verra, et on fera chier le monde comme on l’a fait chier, en dix fois pire s’il le faut ! On coupera les cheveux aux jeunes et on fera cramer les youtres comme au bon vieux temps ! Écoutez, mein Führer, écoutez, y a un truc, que je sais par cœur, écoutez-moi ça : « Ce n’est fini que lorsque le tout dernier désespère, mais s’il reste quelqu’un pour brandir le drapeau avec un cœur plein de foi, tout demeure possible. » C’est pas beau, ça, mein Führer, c’est pas beau ?

— Si, admit Herr Müller ennuyé pour Carméli qui suivait de l’œil, sans broncher, cette saynète mi-grotesque mi-pathétique.

Enthousiaste, Wehrmacht secoua sans ménagements son Führer et brailla :

— C’est de vous, mein Führer ! De vous !

Herr Müller s’insurgea :

— Ça suffit, Wehrmacht ! C’est très joli, ce que vous me récitez là, mais je m’en fiche. Laissez-moi m’en aller, à présent. Soyez sage, Wehrmacht. Mignon tout plein. Couché, Wehrmacht ! J’ai dit : couché !

— Je ne me couche pas, rugit le vétéran enragé, je brandis le drapeau, mein Führer ! Bien haut !

Herr Müller essaya encore de le calmer :

— Vous garderez mon manteau, Wehrmacht. Je veux ; aussi vous faire cadeau de cent deux ; pièces d’or. Vous pourrez boire de la bière à ma santé jusqu’à la fin de vos jours.

— J’en veux pas, de vos pièces ! J’en veux pas, de votre capote ! Je vous veux Allemand ! Je veux vous voir foutre en l’air tout ce bordel ! Deutschland erwache(11), nom de Dieu !

Il le lâcha malgré tout, recula de deux pas de pantin et lui lança à la figure, hiératique :

— Hitler erwache !

Herr Müller, froissé, haussa les épaules, revint à Carméli :

— Partons, mon ami. Je m’excuse, Carméli, de vous avoir fait subir les réactions extravagantes de ce malheureux.

Écumant, Wehrmacht tendit le poing vers l’Israélien :

— Carméli ! J’y suis ! C’est un youpin ! Je me doutais qu’il y avait du crochu dans l’affaire !

— Soyez poli, Wehrmacht ! intima Herr Müller ulcéré.

— Vous l’avez dit, plaida Carméli, ce n’est qu’un malheureux. Je lui pardonne bien volontiers.

Le vieux soldat trépignait, ridicule, de la boue jusqu’à la ceinture :

— Tu n’as rien à me pardonner, saloperie ! Et je te défends de juger le Führer, fumier ! On ne juge pas le plus grand de tous les Allemands ! On ne juge pas l’Allemagne ! Il est au-dessus de tout, le Grossdeutsches Reich, et il vous écrasera encore, vermine, et on vous mettra encore dans la cheminée pour Noël, tous les Untermenschen !

Ils abandonnèrent là le pauvre diable, lui tournèrent le dos, prirent la direction d’Israël.

Bavant de fureur, Wehrmacht avisa la fourche à bêcher, la ramassa, se précipita derrière eux. D’un formidable coup de manche sur le crâne, il étendit l’Israélien sur la pelouse.

— Wehrmacht ! Que faites-vous ! hurla Herr Müller.

Mais déjà le dément, toutes forces décuplées par la haine, élevait la fourche, l’abaissait violemment, plantait les quatre dents d’acier dans la gorge de Carméli, en gueulant :

— Juden verrecket ! Que les juifs crèvent !

Titubant d’horreur, Herr Müller s’enfuit, et ses cris de « A l’assassin ! » emplirent le parc.

Ivre de joie et de sang, Wehrmacht élevait toujours sa fourche, la rabaissait toujours, la plantait et la replantait dans le cadavre martyrisé, déchiqueté de Mordechaï Carméli. Il en ferait une pitoyable bouillie, éructant ses Juden verrecket ! jusqu’à ce que l’on vînt le maîtriser, le ligoter pour le jeter dans un asile, d’aliénés celui-là.

On ne crut surtout pas que la vérité sortait de la bouche tordue de ce frénétique meurtrier :

— Il voulait emmener Herr Müller chez les juifs ! Herr Müller, c’est le Führer ! Le Führer ! Demandez-le-lui, Herrgott-Sakrament, s’il n’est pas Hitler ! C’est Hitler ! Il me l’a dit ! Heil Hitler ! C’est le Führer ! Mais c’est vrai, que c’est le Führer, nom de Dieu ! Bande de porcs, vous serez tous fusillés ! C’est le Führer ! Le Führer ! LE FÜHRER !

Non. Personne ne le crut.