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Ce qu’avait dit la Gazette, qui a la langue bien trop longue, avait mis le feu partout. Le lendemain matin, maître Meulenot sortit la vieille Citroën :
— Où que tu vas ? lui demanda la Meulenot.
— J’irai voir cette chouette maigre de Gilbert, a-t-il répondu. Ce gnaulu de neveu qui ne se rase même plus et ne veut recevoir que ce pangnâs de Gazette! Ce Gilbert est tout de même le fils de mon propre frère et la Rouéchotte est le domaine dont nous sommes tous sortis, et j’enrage de la voir retourner aux étoules, aux épines et aux vipères ! Mon père, ma mère et leurs cinq enfants ont pu vivre sur ces terres et voilà maintenant quelles ne sont plus bonnes qu’à nourrir cinq renards et deux putois ! Je ne parle pas des sangliers qui sont obligés de retourner trois soitures pour trouver deux arnottes ! C’est sa faute, à votre Gilbert. Pendant que les autres travaillent, il écoute les fouteries de la Gazette, ce fils de curé et de putain qui lui mange ses dernières couennes ! Et il sculpte ! Oui mossieu : Gilbert sculpte ! Tudieu oui, j’y vais, à la Rouéchotte, et il va en entendre, le sculpteur !
Au moment de mettre en route, Jean Meulenot vit arriver Manon, sa fille : « Je monte avec toi, dit-elle. Moi aussi je veux arguigner mon cousin Gilbert !
— En route! On sera de retour tantôt, et nous le ramènerons. »
Pour aller de Saint-Romain à la Rouéchotte, il faut monter la montagne, passer les friches d’Auveney, quitter le pays du vin, tourné vers le Rhône, et culbuter vers Loire et Seine, au pays du bois et de l’herbe, car Gilbert loge entre les trois versants, au point le plus haut.
Dure montée.
La voiture se faufila par-dessus les grands bois, et, autour de midi, arriva au pied de Combe-Ravine.
C’est tout pierrailles et buissons par là, au-dessus des eaux brillantes de l’Ouche. Le chemin se tortillait dans les friches entre les chênes rouvres, les noisetiers et, un peu plus haut, les charmes. On montait lentement par la chaleur de fin septembre. Pourtant les bâtiments gris de la Rouéchotte sortirent bientôt des taillis. On -aurait dit une forteresse, rongée par les soleils, et envahie de ronces et d’épine noire.
Meulenot grondait : « Attends, mon neveu, tu vas déguster ! »
Un tournant. Un autre. Un autre encore et on passa sous la falaise et, d’un coup, ce fut le grand portail voûté, d’où l’on découvrait, comme d’un nid de buse, tous les monts de Bourgogne.
Le vantail était fermé. Meulenot appela : « Hoho ! Gilbert ! » Manon chanta : « Hoho ! Gilbert ! » Les chiens aboyèrent de l’intérieur, mais Gilbert ne répondit pas. Ils tambourinèrent de leurs poings sur la grande portée cloutée.
Il leur sembla entendre un verrou qu’on tirait quelque part et ce fut tout. Alors Meulenot se mit à faire le tour des bâtiments en lançant des « hoho ! »
Au fond de son taudis, parmi ses toiles d’araignée familières, Gilbert avait entendu monter la voiture. Sa combe était faite de telle sorte que si un chevreuil posait seulement un pied sur un caillou d’en bas, il le savait, par l’écho. Gilbert avait regardé par la lucarne du pigeonnier. Il avait vu la vieille Citroën attaquer les premiers virages. Au cinquième tournant, il avait reconnu son oncle et sa cousine. Il avait lâché sa gouge et s’était précipité pour fermer le portail et tirer la clenche, puis il était revenu dans sa turne et s’était assis près de la pièce qu’il .sculptait. Immobile, statue parmi les statues, il avait entendu le grincement des pneus sur les cailloux, puis les coups frappés à la porte. Les « hoho » de son oncle l’avaient durci. Ceux de sa cousine l’avaient fait tressaillir.
Autour de lui, des saints barbus, des prophètes cornus et tortus semblaient aussi écouter le tintamarre que faisaient ces gens d’en bas venus pour briser le beau silence de la combe.
Il entendait la voix de son oncle : « Sortiras-tu de ton terrier, blaireau ? »
Il entendait la voix de Manon : « Gilbert !… Cousin !… C’est moi, Manon, ta cousine ! »
Il était fou ; était-ce possible que ces gens de la Côte fussent venus pour lui manger sa joie de sculpter ?
— C’est la vendange ! disait l’oncle. On commence demain ! Toutes les femmes sont occupées à plumer !
— Je te ferai de la potée, Gilbert ! C’est la vendange ! Oh ! cette voix de femelle ! Il l’avait entendue bien des fois lui roucouler des « Gilbert » et des « Cousin », avant de sentir sa main se glisser sous sa chemise et lui caresser la peau, à l’aisselle, alors qu’il rêvait déjà de tailler une belle sainte Vierge dans un morceau de chêne.
L’oncle Meulenot, qui connaissait, bien sûr, la maison comme sa poche, avait longé le mur, dans les orties. Il avait bravement grimpé dans le vieux cognassier et s’était laissé tomber dans la cour, autrefois si animée, aujourd’hui pleine de yèbles et de ronces. Il avait jeté un œil par la lucarne de l’atelier où son grand-père tonnelier avait rangé ses outils et il restait figé de stupeur par ce qu’il voyait : son neveu, le grand Gilbert, amaigri par une barbe d’un mois, le cheveu dans l’œil, fantôme au milieu d’un peuple de fantômes. Il voyait aussi les assiettes sales et le linge crasseux mêlés aux copeaux, aux toiles d’araignée, aux rogatons.
Alors, d’un coup de pied, il avait ouvert la porte.
— Ça suffit comme ça, mon Gilbert ! Assez de songeasseries ! Fais ton balluchon, tu viens en vendange ! Et d’abord qu’est-ce que tu fais là ?
Gilbert se sentit rougir. L’oncle donna un coup de pied dans les copeaux :
— Tu ferais mieux de piocher tes betteraves plutôt que de sculpter tes guignols ! dit-il.
Gilbert devint comme un pétard désamorcé. Il se leva, mit des choses dans sa poche, d’autres dans une couverture qu’il noua aux quatre coins, et se montra prêt à partir.
— Va prendre au moins ton chapeau !
Gilbert disparut. Il revint drôlement coiffé d’un feutre frangé de toiles d’araignée.
— En route ! dit l’oncle.
Devant le portail, ils trouvèrent la Manon qui vint pour l’embrasser.
— Bonjour cousin !…
— Bonjour cousine !… .
Manon se mit à rire en lui tirant sa jeune barbe :
— Regardez-moi ce vieux bouc ! Il va les couper ses vilains poils, le cousin Gilbert ? Hein ? Sinon sa petite cousine ne l’embrassera pas !
— C’est pas raisonnable ! continuait l’oncle. A vingt ans te voilà paresseux comme un vieux cantonnier. Tu n’embats même plus ta faux et ton domaine devient un râchon d’épine! Ma parole, on croirait que tu viens d’hériter !
— J’ai hérité, tu l’as dit l’oncle !
C’était la première fois que Gilbert ouvrait la bouche depuis des semaines et sa voix était toute drôle, comme celle d’un muet.
— De quoi que t’as hérité, je te le demande ? Gilbert ne répondit pas. Il se contenta de dire : « La combe sent bon comme une miche fraîche, cousine ! » L’oncle haussa les épaules :
— Chante grillon! Tu n’es qu’un fainéant !
— N’est pas fainéant qui veut ! répondit Gilbert. Et ils partirent.
Aussitôt arrivé, le Gilbert fut mis aux futailles. Car il faut le dire, sa mère était une Barrault et, comme leur nom l’indique, les Barrault avaient été tonneliers depuis le temps où un barrault était un petit barril, dans le langage de nos pères. Le grand-père maternel était encore de la profession et Gilbert avait appris le métier dans son adolescence.
Prendre des merrains, les refendre, les tailler, les assembler le consola quelque peu d’avoir été arraché; à son œuvre, car il retrouvait le bois, son odeur et son toucher.
L’oncle lui apporta des tonneaux à cercler, des sapines à foncer, et il s’installa dans la grange où la Gazette, invisible, couché dans la paille, sa bouteille à la main, le regardait faire, en marmonnant ses patenôtres.
Lorsque, la nuit tombant, Manon vint près de son cousin, le vieux, dans l’ombre, se signa, comme s’il avait vu paraître le diable en personne.
— Tu la couperas ta barbe, hein, Gilbert ? dit-elle. Tes cheveux aussi ? tu es si joli quand tu n’es pas refoux !
Gilbert maniait la plane et le maillet sans mot dire.
— Comment veux-tu que je t’emmène au bal de la Paulée de vendanges si tu ressembles à un trimardeur ? Moi, je veux un beau cavalier bien rose et bien poli !
— Poli, je ne le suis guère, Manon ! dit-il, alors que l’orage commençait à gronder au loin.
— Bien sûr, tu vis comme un hibou dans les pays où il n’y a plus que des busards! Bientôt tu ne sauras même plus parler !
— Pas besoin de parler, cousine !
— Tu ne m’as pas dit deux mots depuis que tu es là !
— Je pense, cousine.
— On ne peut pas penser toujours.
— Non. Quand je ne pense plus, je vois, dans ma tète.
— Et qu’est-ce que tu vois ?
— Des personnages.
— Des femmes ?
— Quelquefois des femmes. Des gens, des formes…
— Quelles formes ?
— Des belles formes… Comme des mains… Elle se rapprocha de lui.
— Des mains ? dit-elle en riant doucement. Puis elle répéta «… des mains… des mains… ! » Et elle avançait les siennes pour le toucher et les lui poser sur la poitrine. Il recula un peu. Elle fit un pas en avant, les bras toujours tenons et se mit à le tâter partout, comme lorsqu’ils jouaient à colin-maillard et qu’elle feignait de ne pas reconnaître les garçons pour faire durer le plaisir de les palper, au petit bonheur.
C’est alors qu’une sorte d’épouvantail barbu surgit de la paille. C’était la Gazette qui criait de sa voix de châtré :
— Arrière femelle ! Arrière piège du démon ! Vade rétro Satana, car il est écrit : « Tu ne tenteras pas l’homme au cœur pur !…
Il continuait sur ce ton, mais Manon était déjà loin. Elle avait poussé un grand cri et s’était enfuie dans la ruelle. On entendait ses cris d’effroi décroître et se confondre avec les clameurs des pintades qui, dans le soir chaud, annonçaient l’orage, pendant que le vieux déraisonnait, perché sur un chariot :
— Méfie-toi de la femme! Son parfum donne la grande soif des cimes défendues ! Dans son ventre énorme aux dimensions du monde, le serpent a pondu ses ferments et de sa vulve féconde jaillissent la ronce et l’ortie de nos tourments !…
Avant le jour, le lendemain, tout le monde était aux vignes, même les Belges qui, arrivés la veille au soir, avaient pourtant ripaillé toute la nuit.
Gilbert était porteur. Il passait dans les rangs avec son grand benaton sur l’épaule. Tout un chacun y versait son panier plein et il allait jeter les grappes dans la ballonge, sur la voiture. Un coup de fouloir, et il retournait faire un autre rang.
Manon, pour le faire endéver, fleuretait bruyamment avec trois grands Belges blonds comme la paille. Ils lui disaient des goguenettes et elle riait trois fois plus haut que ça ne le méritait, La Gazette, dès l’aube, avait prudemment quitté la place, de peur d’être embrigadé. Il avait lapé sa soupe, et il était allé s’embusquer tout en haut des vignes, sur la murée, d’où il dominait la région.
Il pariait :
— Seigneur, quel spectacle ! Quel triste spectacle, en vérité, que celui de ces pauvres hommes au travail sous le soleil du bon Dieu et devant ce panorama qui devrait les porter à la méditation ! Pauvres esclaves de l’ambition, de la cupidité… Libido, libido, libido, tu mènes l’humanité !
« Pourtant, regardez donc, taupes lubriques, la splendeur du monde ! Au loin là-bas, c’est le Jura, avec le mont Poupey, qu’on voit par-dessus la plaine de la Saône et la Bresse des ventres-jaunes ! Et tout près, nos monts…
«… Tiens je vois justement maître Meulenot qui goûte la grappe ! Du souci, qu’il se fait ! Sera bon ? Sera mauvais ? Le vendrai-je bien mon vin ? Ah ! que de tintouin pour le riche monde !
Je vois maintenant la Manon… Un flahut vient de lui pincer le gras du genou. Cachée par le rang de vigne, elle se pâme, la garce. Personne ne les a vus, mais moi, de mon perchoir, je la vois !… Que ce Belge la trousse donc une bonne fois et qu’il l’emmène au fond de sa Campine pour qu’elle laisse mon Gilbert tranquille !
« Gilbert ! Où est-il ce cher enfant ?… Le voilà : avec son benaton vide, il remonte le rang. Les cueilleurs et les cueilleuses l’appellent. Ils lui remplissent son benaton. Pauvre enfant, il ploie sous le faix ! Il redescend pour la centième fois, chargé comme un baudet. Il pense ! Oui pour sûr qu’il pense ! Il pense à ses gouges et à la petite vierge couronnée qui dort dans le quartier de merisier qu’il s’est choisi…
« Maître Meulenot, lui, est déjà en train de peser le degré de son jus pendant que sa fille se fait chatouiller la cuisse par un mène-que-ne-pisse ! Voilà bien comme va le monde !
« Gilbert doit pourtant bien comprendre qu’il perd son temps ! Oui, Gilbert, je te le crie : tu es ici en grand péril de perdre ta vie pour la gagner i Tu risques au bout du compte d’être saoulé par le parfum de cette fille qui te veut et qui te fera passer des nuits blanches et des jours inquiets à sulfater les vignes, à trembler pour tes raisins, à compter tes sous et à lui donner ta sève pour éteindre ses fureurs utérines ! Recommencer le péché d’Adam qui te fera le fourrier de Satan !…
« Mais voilà dix heures qui sonnent ! Les enfants apportent le jambon persillé et le fromage ! Tout le monde s’arrête de travailler ! Tudieu je sens la puanteur des femmes jusqu’ici ! Cré mille loups-garous qu’elles puent ! Ah ! mon Dieu quel beau cadeau vous m’avez fait lorsque vous m’avez donné la vocation du célibat ! La continence ! L’esprit de continence ! Quel trésor ! échapper aux halètements de l’engeance !…
« Les voilà qui s’installent tous à l’ombre des ceps… et Gilbert ? Où est Gilbert ?… Je le vois : Il a pris une tranche de pain, un quartier de fromage et un œuf dur. Il remonte le rang. Pour chercher l’ombre d’un pêcher, probable…
«… Il sort quelque chose de son paletot. C’est gros comme une chopine et blond comme une motte de beurre. Il ouvre son couteau !… et il sculpte ! le l’avais deviné ! Alléluia, il sculpte ! tout seul dans son coin ! Il sculpte un joli petit quartier d’érable, lisse comme l’ivoire !
«… Voilà la Manon qui le cherche maintenant. Elle l’appelle !… Il l’a entendue… Mais il fait la sourde oreille ! Bravo garçon !… mais elle le trouve… elle lui parle… elle le cajole…
« Ah ! Femme, comment te nommer ? Conque ou abcès ? Vasque ou abîme ? Plaie ouverte d’où s’écoule l’erreur sans fin recommencée? Femme ! Monstre cloué sur l’arbre de l’engeance ! Gibet où le mâle se crucifie pour la plus grande joie de Belzébuth !… « Vas-tu succomber, Gilbert ? « Non ! Tout le monde s’est remis au travail, mais Gilbert n’est pas là ! Tu as raison Gilbert : devant la femme, un seul salut : fuir! Je le vois qui gagne les roches en se cachant derrière les pieds de vigne ! Mais elle l’a vu ! Elle appelle les autres ! Les voilà tous à ses trousses, mais Gilbert court vite, il est léger, le Gilbert, comme son âme ! Ce n’est pas la graisse qui le gène ! Courez vous autres ! Il est arrivé à la murée, il disparaît dans les broussailles ! Il est sauvé ! »
La Gazette se mit à danser la gigue en levant bien haut ses deux bras. Puis, s’interrompant :
— Voyons s’il va revenir?… Non ! Vous ne le reverrez plus, bande d’otus ! N’est-ce pas lui que je vois là-bas, grimpant le sentier de Montre-Cul ? Mais si ! C’est lui ! Hosanna ! Au train qu’il mène, il sera à la Rouéchotte dans le tantôt ! Trente kilomètres, c’est pas pour lui faire peur, surtout avec une girie aux fesses !
Sur le coup de midi, la Gazette cacha son bras gauche sous sa besace et, l’air goguenard, descendit tranquillement chez Meulenot en chantant vêpres, sa crosse à la main.
Il en était au psaume : « In exitu Israël de Egypto » lorsqu’il arriva devant la tablée : « Alléluia, alléluia ! exulta-t-il, Israël est sorti d’Egypte, et Gilbert est sorti de captivité ! Il est retourné en terre promise! Et vous ne le reverrez jamais, bande de beuzenots.
— Et toi, si tu veux manger, tu iras lui demander une gamellée de soupe aux cailloux », cria maître Meulenot.
Dignement, la Gazette sortit. Sur le seuil, il se recueillit, puis :
— Aujourd’hui, le trente et un de septembre, fête de saint Jérôme. Le Gilbert de la Rouéchotte est retourné vers ses gouges et ses ciseaux pour tailler le bois et boire la sainte petite eau de ses friches ! L’amour de la forme, il le tient de son grand-père Barrault, qui le tenait de son grand-père, qui le tenait de son père Hippolyte, qui le tenait de Zacharie, fils de Denis, fils de Jérémie… Est-ce que je sais encore ? Et savez-vous d’où ils le tenaient tous, ce don de la forme trouvée, bande de corniauds ?… Ils le tenaient de Gislebert d’Àutun, celui qui a signé le tympan de Saint-Lazare d’Autun… Et pas un de vous n’est digne de dénouer le lacet de ses souliers !
— Amen ! répondit l’assistance en riant. Et la Gazette sortit dignement.
Vers les quatre heures de relevée, Gilbert, qui avait coupé par les Grands Bois, arrivait en vue de la Rouéchotte. La découvrir émergeant de la forêt du Vôtu, parmi les traînées grises de caillasses, lui fit du bien. Il se mit presque à courir pour descendre au fond du ravin et remonter de l’autre côté, parmi les baliveaux. Bientôt il ouvrit son vantail, traversa la cour où ses dernières poules prenaient leur bain de poussière et entra dans la grande salle où deux loirs grignotaient les croûtes qu’il avait laissées sur la table. Il alla cueillir huit œufs dans la genière, alluma la flambée, fit une omelette et pendant qu’elle frigoussait, se dirigea vers son trésor.
Le parfum du bois sec lui vint au nez. Il en aspira deux grandes bouffées et ses yeux s’habituèrent à la pénombre. Il vit bientôt la procession de ses personnages alignés, comme des fruits mûrs, sur les rayons.
Il prit machinalement l’ébauche qui dormait sur la sellette de tonnelier. Il la huma, la caressa, puis il saisit sa gouge et se mit au travail.
Pour maintenir l’ébauche, il la serra sur sa poitrine et, à chaque coup de lame, son thorax sonnait comme un tambour. Il eut bientôt la sueur aux tempes.
A cette heure, on l’aurait cru monté sur un piédestal, éclairé par le dernier reflet du soleil qui se couchait derrière Saulieu. Quand il n’y vit goutte, il s’arrêta. L’omelette brûlée, dans la poêle, ressemblait à deux crottes noires de blaireau. Alors, il alla se coucher, pendant qu’une vache, très loin du côté d’Antheuil, se mettait à appeler et que la grande salle commençait à résonner du chant d’un grillon.