CHAPITRE II

C’est le lendemain, tandis qu’on taille de la route sur nos scootélecs silencieux, que me frappent totalement la justesse et l’ampleur de cette analogie entre notre situation et celle des tribus indiennes massacrées jadis.

Les Indiens étaient peu nombreux, disséminés sur de grands espaces.

Nous aussi.

En ce sens que la concentration des moyens de production, élevage et agriculture, dans des centres industriels où toutes les denrées comestibles sont « forcées » scientifiquement, rationnellement, à proximité des mégalopoles surpeuplées, a restitué les deux tiers du pays aux déserts broussailleux semés de petites exploitations gérées par des poignées d’irréductibles attachés aux vieilles méthodes, aux modes ancestraux d’utilisation de la terre.

Dans ces déserts de sable et de végétation folle et de buissons épineux, subsistent également les ruines des bourgades et des villes abandonnées, depuis plusieurs décennies.

Au sein desquelles nous élisons parfois domicile, pour quelque temps. Tels des Indiens dans les restes des vieilles missions espagnoles.

Les Indiens se déplaçaient à cheval. Nous avons nos scootélecs, ces « scooters électriques » qui ne sont pas grand-chose de plus que des jouets. Légers. Animés par une « pile » pratiquement inépuisable. Mais capables de transporter leur passager, plus, occasionnellement, une personne en croupe, sur des distances incroyables. À une vitesse qui dépasse rarement le quatre-vingts-quatre-vingt-dix à l’heure, et en silence. Nous sommes loin des monstres puissants, pétaradants et malodorants de naguère. Bien sûr que moins de cent à l’heure, ce n’est pas énorme, mais qui se déplace encore, de nos jours ?

À part nous, s’entend. Les nouveaux Indiens. Les nouveaux nomades. Chassés par le nouveau régime de ces « Quartiers Balkanisés » des mégalopoles où pouvaient survivre, entre eux, les marginaux de tout poil, nous n’avions d’autre alternative que de reprendre la route, regagner la « prairie », sous sa forme nouvelle de déserts et de champs de décombres reliés par des fantômes de chaussées défoncées, envahies de mauvaises herbes…

Irréversible, irrépressible, la célèbre « ruée vers l’Ouest » avait fini par faire, des derniers Indiens, des prédateurs.

Nous sommes des prédateurs !

Qui vivons sur le gibier, mais aussi sur l’habitant du désert et devons parfois, pour survivre, prendre par la force ce qu’il refuse de nous donner. Je n’aime pas cette solution. J’y ai recours aussi peu souvent que possible. Et veille, dans ces cas-là, à ce que les choses se passent aussi bien que possible. Dans ma réputation, entre également celle d’interdire toute violence, tout vandalisme inutile. Quand on ne peut pas être accueilli comme un bien, qu’on le soit comme un moindre mal !

Nous arrivons, vers le soir, en vue d’une de ces fermes à l’ancienne exploitée, occupée par une communauté mixte qui nous a reçus, déjà, un certain nombre de fois, au cours des trois dernières années. Les corps de bâtiment répartis en carré permettent une défense des lieux on ne peut plus efficace, et les cinquante bonshommes et bonnes femmes qui vivent là-bas dedans disposent d’une puissance de feu assez redoutable.

Je vais en avant pour les avertir de notre retour et me trouve, dès l’entrée de leur enceinte, confronté à plusieurs carabines braquées vers ma personne. Surmontées de regards dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont rien d’hospitalier. Je m’immobilise, les mains en l’air, et gueule vers la grande porte à claire-voie :

— Ici, Chris Boyd… Avec son clan augmenté de celui d’un nommé Wolf… Tous animés d’intentions pacifiques…

Claque une détonation. Coup de semonce qui miaule méchamment à quelques centimètres de mon oreille. Puis une voix :

— Reste où tu es ! N’avance plus ! Tu veux répéter ton nom ?

— Boyd. Chris Boyd. Vous nous connaissez, moi et mes gars. On ne vous a jamais causé d’ennuis. Appelez plutôt Mark Gordon.

— Gordon a été tué le mois dernier. Et y a pas mal de nouveaux dans les effectifs ! T’as pas un autre nom en tête ?

— Betty. La femme de Mark. Elle nous connaît. Elle peut répondre de nous.

Instinctivement, j’ai fait un pas vers la porte, et le second coup de semonce me frôle littéralement l’oreille. Je ressens une sorte de brûlure et quand j’y porte la main, elle revient tachée de rouge. Si ce n’est pas uniquement le fruit du hasard, j’espère que ces gens-là tirent aussi bien qu’ils se l’imaginent !

La voix rappelle :

— N’avance plus, on t’a dit ! Betty va venir. D’ici là, ne bouge pas. La décision dépendra de sa réponse.

Je ne bouge pas. Que puis-je faire d’autre ? Gordon mort. Et les effectifs renouvelés, comme ils disent. Une situation que je n’avais pas envisagée. Et dont j’ai eu tort de négliger la possibilité. Pourquoi Mark Gordon me paraissait-il increvable ? Personne ne l’est. Surtout pas moi, pour le quart d’heure ! J’ai commis une faute de jugement en m’amenant ainsi, la gueule enfarinée. Une faute deprévoyance qui risque de me coûter cher. Très cher. Le maximum.

La vie.

Jamais je n’ai été aussi mal dans ma peau. Cette perspective d’encaisser une balle, si la douleur – par exemple – a tourneboulé la cervelle de la pauvre Betty Gordon, ou si j’essaie de me tirer des flûtes… Un plongeon éclair, un roulé-boulé ultra-rapide… et la fuite ? Vues de l’esprit, bien sûr ! Il suffit de considérer le nombre d’armes braquées pour comprendre que j’ai toutes mes chances. Toutes mes chances de ne pas encaisser qu’une seule balle… mais plusieurs !

Quand la porte s’ouvre enfin, la toute petite porte inscrite dans la grande, je n’ai plus un poil de sec et j’ai appris une leçon importante : ne jamais rien admettre, a priori. Ne plus jamais estimer qu’une situation donnée, même apparemment très solide, sera forcément semblable à ce qu’elle était la dernière fois. C’est l’une, parmi beaucoup d’autres, des mille et une façons d’en prendre plein la gueule.

Pour pas un rond !

C’est rondement, d’ailleurs, qu’ils m’amènent en présence de Betty Gordon. À grand renfort de bourrades et de coups de pied dans le cul. Pas des tendres, les « nouveaux effectifs », mais j’écrase. Ce n’est pas le moment de chercher la bagarre.

Elle a beaucoup vieilli, Betty Gordon, en quelques mois. Mais quand j’imaginais qu’elle pouvait gâtouiller un brin, depuis la mort de son époux… C’est toujours la maîtresse femme qu’elle était, du temps de Mark. Plus blanche, simplement : cheveux de neige couronnant un masque ascétique dans lequel brillent, indomptables, deux yeux gris d’acier.

— Salut, Betty !

— Salut, Chris !

— J’ignorais, pour Mark, ou je serais venu plus tôt…

— N’en parlons pas, gamin. Mark est toujours là… et là !

Elle touche, successivement, son cœur et sa tête.

— Il y restera jusqu’à la fin. Jusqu’à ce qu’une autre balle m’envoie le rejoindre. Viens plutôt m’embrasser. Comme quand il était tout entier parmi nous !

Je m’exécute. Douce naguère, sa joue burinée possède à présent la consistance d’un vieux parchemin. Qu’est-ce qui la dessèche intérieurement de cette façon ? Le chagrin rentré ? La haine ?

Elle indique à ceux qui m’ont amené :

— C’est bien Chris Boyd. Un dur, mais un bon petit gars. Il n’a jamais rien exigé au-delà du nécessaire… jamais rien détruit par plaisir, et on peut compter sur lui, en cas de grabuge… Sois le bienvenu, Chris ! Qu’est-ce que vous attendez, vous autres, pour faire entrer ceux de son clan ?

Coupant l’herbe sous le pied du grand type qui s’est montré le plus généreux, dans la distribution de coups en vache, je précise :

— Mon clan et celui d’un nommé Wolf, Betty, je t’expliquerai… En tout près de soixante garçons et filles… Mais je réponds de l’ensemble…

Betty Gordon signifie, d’un geste, que c’est O.K. pour elle, et le grand type se dirige vers la porte.

— Je m’appelle Johnny. Désolé pour tout à l’heure, Chris. Tant qu’on savait pas si t’étais du lard ou du cochon…

J’accepte la main tendue. Je suis en position rêvée. Une torsion, une projection rapide et il va voltiger dans les pattes de ses copains. Avec un peu de veine, je carambole le trio, vite fait, j’expédie tout ce petit monde cul par-dessus tête…

Mais est-ce bien le moment d’égaliser le score ? Par dépit. Par gloriole pure et simple. Ce ne serait pas conforme au nouveau Chris. Celui qui a laissé vivre le gars Wolf au lieu de lui trancher la gorge…

Je résiste à l’impulsion. Réponds à la poignée de main, sans histoire. En murmurant simplement, du ton le plus naturel :

— J’ai pas tellement de lard, Johnny. Et j’aime pas les tours de cochon. Tu programmes ?

Il éclate de rire.

— J’enregistre et j’intègre ! Je crois qu’on va s’entendre, tous les deux, Chris.

— Je le crois aussi.

Et je crois, par-dessus le marché, que j’ai fait plus, beaucoup plus pour mon image de marque, en me contrôlant, que je n’en aurais fait si je m’étais laissé aller à balancer la brochette. Tôt ou tard, vient le moment où il faut mûrir, de gré ou de force. Quitter la cour de récréation pour entrer dans le monde réel. Le monde où les chahuts sont à sens unique. Où les cow-boys, les Indiens ne se relèvent pas, quand ils sont à terre.

Sûr que ça, on l’a tous programmé, tous autant qu’on est ! En vivant dans les Q.B., d’abord, et puis en prenant le maquis, au lendemain du grand nettoyage. Programmé. Pas intégré, loin de là. C’est présent au fond de nous, ça conditionne certaines de nos réactions, ça participe à certains de nos raisonnements – quand on prend le temps de raisonner – mais ça n’est pas vraiment inscrit, enfoncé dans nos tripes et dans nos moelles !

Moi-même, avec mes quinze-seize ans, je reste foncièrement un môme. Un môme qui joue et regarde jouer, et cherche à comprendre. Pas facile de devenir adulte, même dans les cas les plus favorables. Beaucoup d’adultes par l’âge n’y arrivent jamais. Deviennent des casims, des marsups. Pas des adultes conscients. Responsables d’eux-mêmes et de leur action sur le monde. Ils ne mûrissent pas. Ils pourrissent !

Raison de plus pour ne pas les suivre dans la voie de l’inconscience tranquille et des préoccupations narcissiques, égocentriques, qui sont les leurs.

On ne peut pas vivre seul.

Encore moins survivre, à longue échéance.

Le monde existe, autour de nous. C’est une jungle où règne, impitoyable, la loi du même nom.

Pas un terrain de jeux où l’on peut se livrer, sans risques, à des ébats infantiles !

* *
*

Dans le genre infantile, l’exemple nous vient d’en haut, le soir même, par le canal de la télévision d’État, la « tridi » officielle.

Qu’on regarde en famille, tous réunis dans l’immense salle commune du rez-de-chaussée qu’une cloison abattue prolonge sur l’ancienne grange adjacente.

Apparemment, il s’agit d’une redite, mais ça faisait plusieurs jours que nous n’avions pas eu l’occasion de voir les infos gouvernementales.

Le rappel de cette information particulière concerne les mots « casims » et « marsups », qui doivent être bannis, désormais, du vocabulaire, sous peine de sanctions pouvant aller, en cas de récidive, jusqu’à plusieurs mois de travaux forcés.

Casims ou casimirs. Pour « quasi morts ».

Morsups ou marsups, par assimilation à marsupiaux. Pour « morts sur pied ».

Deux appellations très courantes désignant respectivement les adultes du second et du troisième âge. Sans que les limites de l’un et de l’autre soient exactement fixées. Comme au XXe siècle on disait les surplus, les croulants, les viocs et je ne sais quoi encore.

Donc, plus de casims, plus de marsups, ou gare !

En revanche « fissap » et « fïssam », pour fils-à-papa et fils-à-maman, appliqués aux jeunes trop fragiles pour suivre l’entraînement des « hachis », restent des expressions légitimes, voire recommandées.

Les « hachis ». Déformation phonétique de « H.J. » Pour Hitlerjugend. Du nom d’un personnage de l’histoire mondiale, assez oublié, qui également au XXe siècle, a fortement contribué au déclenchement de la World WarII. Les Hitlerjugend ou « Jeunesses Hitlériennes » ou « H.J. » ou « hachis », c’est – par dérision – tous ces autres jeunes embrigadés sous la bannière du gouvernement et qui doivent accomplir une sorte de service civique et militaire réputé très dur. Qui doit faire d’eux, en trois ans, des futurs adultes aussi coriaces au physique qu’au mental.

À toute épreuve !

Inutile de préciser que Hitlerjugend, H.J. et hachis font également partie des appellations strictement prohibées.

Mais pas sous peine de travaux forcés. Sous peine de sanctions pouvant aller, en cas de récidive, jusqu’à la peine de mort !

Accessoirement « hachis » désigne, de surcroît, ce que les H.J. sont capables de faire, dans les grandes occasions, des ennemis du régime. Le journal tridivisé nous les montre à l’exercice. Des robots. Des mini-robots en culotte courte, chemise de soldat et baudrier de cuir portant une arme. Seul point de divergence avec les « Jeunesses Hitlériennes » qui, elles, n’étaient pas armées.

Au tableau d’honneur de la journée : une petite horreur de douze-treize ans, un petit monstre de dévouement à la cause, l’œil sournois, l’expression fanatique, gratifié d’un badge et de je ne sais quelles fanfreluches pour avoir dénoncé les propos « anti-civiques » de son propre père.

Exemple qui n’est pas sans précédent, non plus, dans l’histoire de la Hitlerjugend, et fournit un point commun supplémentaire entre elle et ces petites ordures.

Je chuchote, impressionné malgré moi :

— Merde. Il y avait un sacré bout de temps que je ne les avais pas vus à l’œuvre. Ils sont réellement horribles !

Le grand Johnny louche vers Betty Gordon endormie dans son fauteuil, le visage exsangue, la posture épuisée. Murmure avec le souci visible de ne pas la tirer de son sommeil :

— Alors, t’es pas au courant ? Je croyais que t’avais pigé.

— Pigé quoi ?

Il me raconte. Ce n’est pas, comme je le supposais, un autre clan de nomades du maquis, conduits par un salaud quelconque, qui a investi la F.A. (ferme à l’ancienne) des époux Gordon, décimé ses occupants et causé la mort de Mark. C’est bel et bien un détachement de hachis. Je m’insurge :

— Mais comment ont-ils pu…

Johnny hausse les épaules.

— Ils représentaient le gouvernement, Chris. Ils sont arrivés porteurs de documents officiels… Mark était trop sage. Il a voulu temporiser. Voir venir… Il a fait ouvrir les portes, et tout a paru bien se passer, au départ… Il était question, dans ces fameux documents, d’une codification de l’existence des F.A. Bonne, à première vue, puisqu’elle donnait aux fermes à l’ancienne une manière de statut légal…

Il observe, de nouveau, Betty Gordon qui s’agite, sans se réveiller, dans son fauteuil. Enchaîne à la tierce inférieure :

— Et pour t’écourter l’histoire, brusquement, ils ont dégainé leurs hacheuses et ils se sont mis à canarder dans tous les azimuts… Ils avaient pris le soin et le temps de bien se placer, les fumiers ! En quelques instants, Mark et la plupart des gars et même pas mal des filles sont tombés sans avoir pu se défendre… Et pendant ce temps-là, le même scénario se jouait des douzaines de fois, d’un bout à l’autre du pays… C’est drôle que tu n’en aies pas encore entendu parler !

Je soupire :

— C’est tout récent ?

— Dix-quinze jours.

— Un hasard. On a beaucoup bougé, la semaine dernière. Et toi ? Toi et ta bande, je veux dire. Tous ceux qui n’étaient pas là, lors de ma dernière visite…

— Un autre hasard… Qui nous a fait passer, juste quand il fallait, à portée d’oreille… On a entendu la fusillade. On a pigé que les Gordon avaient des emmerdes et on a foncé à la rescousse… Le temps qu’on réalise à qui on avait affaire, il était trop tard et d’ailleurs, ça ne nous aurait pas fait reculer… On en a buté plus de la moitié, sous le coup de la surprise, avant que les survivants ne puissent se tirer dans leurs camions-patrouilles… On aurait voulu les avoir tous, mais s’il y a une justice qu’on est obligés de leur rendre… ils savent se battre !

Je désigne la tridi, d’un geste vague.

— Ils sont à bonne école !

— Ouais…

M’invitant, d’un hochement de tête, à le suivre vers la cuisine :

— C’est pas reluisant, ce que je vais te dire, mais on en a chopé un… vivant… et on l’a fait parler. Je te passe les détails… C’était le début d’une opération d’ensemble, Chris…

— Contre les F.A. ?

— Pas seulement. Pas surtout ? Ce qu’ils visaient… ce qu’ils visent à travers les F.A., c’est nous !

— Comment ça, nous ?

Il me toise, le sourcil en accent circonflexe.

— T’es con ou tu le fais exprès ? Où est-ce qu’on prend l’essentiel de notre ravitaillement, nous autres, les maquisards ?

— Je craignais d’avoir compris. Je n’osais pas comprendre…

Je n’osais pas comprendre parce que la pensée d’avoir indirectement causé ce massacre me culpabilisait, d’une certaine manière. Nous, les maquisards, les nomades d’une campagne bouffée par la brousse et semée de ruines, nous avons bien dû réapprendre les arts ancestraux de la cueillette des fruits sauvages et de la chasse et de la pêche. Le gibier ne manque pas. (À commencer par les chiens et les chats redevenus sauvages.) Le poisson non plus, dans certaines rivières négligées par les usines. Mais naturellement, beaucoup d’entre nous crèveraient, en hiver, sans les F.A. Entre elles et nous, s’est établi une sorte d’équilibre écologique. Nous : les clans « raisonnables », s’entend. Ils nous abandonnent une part de leurs récoltes, et nous les protégeons contre les clans « pas raisonnables », ceux qui tuent, rectification : ceux qui tuaient, avant qu’on ne se soit occupés d’eux. Certains fermiers-à-l’ancienne irascibles rapprochent plutôt ça des antiques « rackets de protection » des périodes de grand gangstérisme. Je préfère, personnellement, la notion d’équilibre écologique. Nous avons besoin d’eux et ils ont besoin de nous.

Pour survivre.

L’ingérence du gouvernement, dans cet équilibre toléré, jusque-là, remet beaucoup de choses en question.

Tout, en fait !

Jamais le gouvernement n’a eu l’intention de nous laisser grandir et vivre notre vie.

En créant et dressant le corps des « hachis », il préparait ses armes.

Je relance à mi-voix :

— Et à la suite de cette bagarre, bien sûr, vous êtes tous restés…

Johnny hausse les épaules.

— Fallait bien… Il n’y avait plus assez de monde pour défendre la ferme… et puis on ne savait pas quand les hachis nous retomberaient sur le poil… avec des renforts… On préférait les attendre ici… plutôt que d’être surpris en rase campagne…

— Et tu dis que ça fait dix-quinze jours de ça ?

Il réfléchit une seconde.

— Treize jours, exactement.

— Alors, ça m’étonnerait qu’ils tardent bien davantage… Si personne ne s’y oppose, on va rester aussi, Wolf et moi et nos gars… On va les attendre, ces ordures… Tous ensemble !

Une nouvelle poignée de main scelle notre accord. Et cette fois, je n’éprouve même pas la tentation de le balancer – fût-ce en petit comité – pour satisfaire mon amour-propre.

L’heure n’est plus à ces enfantillages. Il y a mieux, beaucoup mieux à faire.

Avant la prochaine attaque.