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« Vous avez soif d’aventure ? Vous rêvez peut-être de voyager sur les sept continents pour vous offrir le sommet d’une haute montagne ? Maximum Adventures est votre solution. Nous savons comment transformer vos rêves en réalité et vous aiderons à atteindre votre but. Certes, vous devrez fournir beaucoup d’efforts personnels, mais nous nous engageons à vous donner les meilleures chances de succès et de sécurité pendant votre aventure.

Alors, pour ceux qui osent regarder leurs rêves en face ou relever des défis, nous vous invitons à escalader la montagne de votre choix avec nous. Rejoignez-nous très vite ! »

 

Brochure publicitaire présentant Maximum Adventures, société créée par Max Beck en 1985 et qui déposa le bilan en 1992, un an après sa mort tragique…

IIII I. Sixième jour.

Avec la nourriture, les forces reviennent, et le moral aussi. Pour la première fois depuis notre présence sous terre, j’ai le sentiment d’une véritable cohésion au sein du groupe. Nous allumons le réchaud seulement dans l’absolue nécessité, et non plus pour nous éclairer ou nous laver. Nous ôtons nos chaussures en entrant dans la tente, exerçons un tas de gestes qui font désormais partie de notre quotidien et assurent notre survie. Ranger les gobelets, éviter la condensation en chauffant dehors, laver la vaisselle avec la glace pilée pour économiser le gaz, nous soulager le plus loin possible de la tente… Avec les serviettes en éponge, Michel et moi avons nettoyé notre lieu de vie de fond en comble, c’est si agréable de dormir sur un sol propre et presque sec. Puis nous avons nettoyé les serviettes elles-mêmes à l’eau froide. Le sang n’est pas parti, elles ne sécheront sans doute plus jamais mais peu importe : nous vivons désormais en quasi-harmonie avec un endroit on ne peut plus hostile. À peu de chose près, tout comme Bienvenue, nous nous adaptons.

Puisque nous disposons à présent d’une nourriture riche et grasse, j’ai réduit les quantités d’eau à un litre chacun par jour, environ, ce qui amoindrit considérablement le délai de fonte, la consommation de gaz et notre travail auprès du glacier. Je bois aussi, à chaque repas, une bonne dose de vodka. Elle aide à oublier ce que je mange. La deuxième et dernière bouteille est à moitié vide.

Eau, sommeil, nourriture. Nos organismes retrouvent leurs sensations et se remettent à fonctionner correctement. Le cerveau respire, le cœur pompe, les reins vidangent. Je ne boite plus quand je marche, et seuls quelques bleus de ma lutte avec Pok marbrent encore mon dos. Je redeviens enfin un être humain.

Si le jeune beur va un peu mieux, la fièvre est toujours là, se manifestant par pics violents. Tandis que mes pieds résistent à peu près au froid, les siens continuent à garder leur teinte pâle de craie. L’extrémité de ses orteils s’est mise à craquer. Michel lui a ramené un épais mélange à base d’eau tiède et d’huile, de couleur plutôt jaunâtre, qui devrait nourrir les tissus nécrosés. Je n’ai pas cherché à connaître le mode de fabrication d’une telle mixture.

Farid n’a plus reparlé de cette histoire d’homosexualité. Tous les deux, on reste en permanence devant la tente, à tourner les molettes du cadenas et observer l’ombre lointaine de Michel dans la galerie. Volontairement, l’homme au masque a placé le réflecteur juste au bord de la caverne pour que, nous aussi, nous disposions de quelques grains de lumière. J’ai le sentiment qu’il évolue dans le bon sens et que, progressivement, il s’érige en véritable chef. Tandis qu’il passe son temps à fabriquer des « vêtements » à partir de la fourrure de Pok, Farid me pose un tas de questions sur mon ancien métier. Il est abasourdi quand je lui explique avoir vaincu l’Everest, en 1986. Je lui signale clairement qu’il n’y a là aucune gloire. L’organisme de prise en charge était « Maximum Adventures », celui créé par Max Beck, et nous n’étions que les occupants d’une pouponnière qui garantissait une ascension à succès.

— Toi, t’es quelqu’un de grand et droit, il rajoute. Un mec bien.

— Effectivement, j’ai grimpé l’Everest, mais qui le sait, et qui s’en soucie ? Aujourd’hui, n’importe qui peut prétendre attaquer le toit du monde, à trois conditions. Avoir de l’argent, être assez bien entraîné et quitter les siens pendant deux mois. Quand tu vois comment l’Everest s’est prostitué, tes rêves de gosse se brisent.

— N’empêche, faut quand même le faire. J’aime bien les mecs modestes qui se la pètent pas. L’abbé Pierre et compagnie, tu vois ? Les seuls trucs que j’ai grimpés, moi, c’est des terrils. Et c’est déjà bien assez.

Je contemple la bouteille d’alcool et décide de la reposer devant l’entrée. Assez picolé pour l’instant.

— Tu sais, en 86, je n’étais qu’un suiveur. Comme les autres, j’avais acheté un ticket pour le sommet ou plutôt, c’est Extérieur qui l’a fait à ma place, moi je n’avais pas un rond. Bref, rien de glorieux. Mais cette ascension, elle m’a permis de… de faire le point sur… sur ma sexualité, comme tu as compris.

Il se tait, se contentant de me regarder.

— Quand j’ai eu une érection, dans ton dos… ce n’est pas parce que j’avais envie de toi. Je suis clairement hétéro, aujourd’hui, mais… je ne sais pas, ça venait du fin fond de mon ventre.

— Les instincts primaires, comme on dit. Laisse tomber.

— L’Himalaya, c’est là aussi que j’ai rencontré ce fameux Max Beck dont je parle tant dans mes rêves. Il était notre guide. C’est lui qui m’a véritablement formé à la montagne. C’est lui qui, pour la première fois de ma vie, m’a fait comprendre qu’atteindre le sommet d’une montagne est bien moins important que la façon d’y parvenir.

Farid sort les deux dernières cigarettes de son paquet qu’il jette par terre. Le Fumer tue, inscrit en gros sur la face avant, me donnerait presque envie de rire.

— Vous sembliez vraiment potes. Comment il en est venu à te planter avec un piolet, ce Max Beck ?

Je ramasse le paquet vide, le chiffonne, et le fourre dans ma poche.

— J’étais en train de tomber amoureux de sa femme. Et il l’a découvert.

Farid lâche un petit sifflement en allumant l’une des deux clopes.

— Eh bé, t’as pas perdu de temps, pour un ex-homo.

— Ex-bi… Je ressentais de l’attirance pour les hommes et les femmes…

— Ouais, eh bien, la femme d’un autre, c’est chasse gardée. Et ça s’est fini comment ? T’as continué à la voir, cette femme ?

— Je me suis marié avec elle deux ans plus tard.

— Attends, tu es en train de me dire que ta femme d’aujourd’hui…

— Françoise, elle s’appelle Françoise.

— … Que Françoise, c’était la meuf de ce Max, ton meilleur pote ?

— Oui.

— Oh ça, mec, c’est pas cool de ta part. Se marier avec la meuf d’un mort… ça fait de toi un beau voleur, ça, non ?

Je regrette immédiatement mes paroles. Qu’est-ce qui m’a pris de parler autant ? La tête en vrac, titubant un peu, je rentre à l’intérieur de la tente et m’assieds, le front dans les deux mains. Je ferme les yeux. Max… La haute montagne… Les coups de piolet… Les images affluent. Je me revois jeune, en route vers le passé…