Parvenu au troisième, il s'en faut de deux mètres pour pouvoir visionner le dessus de l'échafaudage. Je me mets en quête d'une échelle. Celle-ci devrait se trouver à proximité afin de permettre, dès demain, aux nettoyeurs de verrières, d'accéder à la plate-forme.
Connaissant les arcanes (sourcilières) de l'établissement, je me rue vers la porte destinée au service et découvre ce à quoi j'aspire, couché le long du couloir. L'escabeau est métallique, léger et à double révolution, aurait dit Robespierre que, merde ! on ne fait pas la « Terreur » en portant une perruque !
Ça commence à radiner ferme dans le secteur. En bas, la vieille ensanglantée continue de pousser ses cris plus persans que l'Ayatollah Comédie.
Une rumeur moutonne.
N'écoutant que ma curiosité, je place mon ustensile contre le praticable et escalade les barreaux plats avec la vélocité d'un plombier-zingueur gagnant la bordure du toit.
Quelque chose m'avertit que je vais tomber sur du peu banal, proche de l'irrationnel.
Une fois encore, mon pressentiment est justifié. Ma stupeur n'a d'égale que celle de Beethoven le jour où il apprit qu'il faisait de la musique et non de la peinture, comme on le lui avait laissé entendre.
Es-tu prêt à recevoir la dure vérité ?
Un homme gît sur les planches. Un homme dont la tempe est creusée d'un trou susceptible de servir de coquetier (10). Et cet homme n'est autre qu'Alouf Zagazi, le père de Nouhr. Effarant, non ?
Ma cervelle est tuméfiée par l'ahurissement. Je risque la rupture d'anévrisme, dis-tu ? Et moi qu'ai pas fait mon testament !
Un presque ululement retentit, poussé par Salami. D'où sort-il, ce vaillant ? Un moment que je ne l'ai vu. Sa longue plainte funèbre monte du hall, tragique.
Je passe sur la plate-forme pour m'approcher du corps. Une praline de forte pointure lui a ravagé la pensarde ; en y regardant de près, je m'aperçois que ce trou dans l'oreille droite a été provoqué par la sortie (et non l'entrée) de la bastos. Je bouge la tronche, constate qu'on a bien composté la tempe gauche. La quetsche est ressortie après avoir dévasté les méninges. Finis, les rhumes de cerveau pour le diamantaire. Exécution impec, comme un coup de grâce. Consolation dérisoire : il n'a pas dû souffrir.
« San-Antonio ! m'interpellé-je sans manquer de familiarité, puisque ton citron à toi est intact, presse-le et essaie de piger ! »
Facile à décider ; duraille à réaliser, surtout avec ce tohu qui bohute alentour. L'instant de surprise surmonté, ils veulent tous savoir ! Rien d'aussi bordélique qu'une horde de désœuvrés bénéficiant d'un fait divers.
Stoïque, Messire Magueule inspecte, détecte, envisage, conclusionne. Le dabe devait déjà être allongé sur l'échafaudage lorsque le tueur lui a bricolé ce massage d'encéphale. D'où le coup est-il parti ? me demanderais-tu si tu possédais pour deux francs de jugeote. Je vais te répondre : d'une lucarne pratiquée entre le troisième étage et la toiture. Il en existe quatre à intervalles réguliers. Comment ? Intervalle se dit intervaux, au pluriel ? Ah bon ! pardon ! Ces petites ouvertures sont probablement chargées de ventiler un volume thermique sous le toit.
Tentons de comprendre le déroulement des faits.
Les ennemis de l'Egyptien l'ont hissé sur le praticable au cours de la nuit. L'infirme devait être vachement médicamenté pour rester inconscient si longtemps. Ce soir, alors que le dîner regroupait tout le monde en bas, dans un joyeux brouhaha, le tueur est monté dans les combles et a fait craquer la tronche de Mister Zagazi.
Je me fais-je-t-il bien comprendre ou dois-je-t-il recommencer pour les retardataires ?
Ce qui me perplexite un chouïa, c'est cette attente entre le dépôt du vieux sur les planches et sa mise à mort. On aurait eu meilleur compte de l'assaisonner tout de suite. Ça ne mangeait pas de pain et ça évitait des risques superflus. Et puis, en fait, qu'est-ce qui a bien pu décider ses assassins à le transporter sous la coupole ? Cette témérité excessive, grandiloquente, m'abasourdit. Alors ? Un meurtre de fou ? Une mort sacrificatoire ?
Je largue la plate-forme pour chercher l'accès au sous-toit. Le déniche sans grand mal. Quelques marches et me voici sur une étendue cimentée. Les murs sont bruts, pas même blanchis à la chaux. Je m'approche de la lucarne repérée. Scrute l'endroit avec toute la sagacité dont un limier de ma trempe dispose.
Je sais qu'un être vivant, séjournant peu ou prou en un lieu, y laisse des marques. L'individu est constamment en cours d'émiettement. Pourquoi ? Parce qu'il est en vie et que toute combustion est résiduelle. Cet espace baignant dans la pénombre, j'en appelle à ma loupiote de fouille, balaie de son faisceau blême le sol avoisinant le fenestron. Une épaisse couche de poussière s'y est déposée. J'espère dénicher la moindre des choses : une douille de balle ou la carte de visite du tueur, mais zob !
Ma déconvenue est si vive que j'en lâche ma lampe. Cette brusque lumière rasante me permet de dégauchir des empreintes de pas, lesquelles restaient indécelables dans une clarté verticale. J'y lis les miennes, naturellement, produites par mes tatanes ritales (que je préfère aux pompes britiches, trop péniches de débarquement à mon goût), plus une série d'autres qui me médusent du radeau, comme l'aurait dit Géricault (11).
Quoi ?
Tu me parlais ?
Non ?
Ah bon ! j'ai cru.