Chapitre 23
Lorsque Sélène s’éveilla, très tôt, le lendemain, elle se sentait à la fois abattue, en colère et curieusement rassurée. Après le départ de Gaïlen, elle s’était assoupie presque immédiatement, mais s’était réveillée en fin de soirée pour passer une bonne partie de la nuit à se tourner et se retourner dans son lit, l’esprit tourmenté par son incapacité à déterminer ce que l’incident de la veille signifiait exactement. Gaïlen lui avait assuré que Tristan ne savait pas si oui ou non Siwan était la femme qui lui était destinée et que ce baiser n’avait été qu’une basse vengeance de sa part pour la meurtrir. Comme elle voulait croire à cette théorie qui signifierait qu’elle avait une importance pour Tristan, qu’il avait souhaité se venger des mots qu’elle lui avait dit ! Qu’il avait voulu la rendre jalouse !
Les images de Tristan se penchant sur la jeune femme, du sourire qu’il lui avait offert, et la passion qu’il avait montrée, étaient la cause essentielle de son cafard et de sa colère. Encore que son courroux soit également dirigé contre elle-même. Elle qui s’était promis de tout faire pour prendre soin de Tristan, en mettant ses sentiments de côté, s’était laissée submerger par ce qu’elle ressentait pour lui, au détriment de Tristan qui faisait ce qu’il pouvait pour refaire surface. Il avait besoin de temps pour reconstruire sa vie, savoir où il en était, et certainement pas d’une enquiquineuse amoureuse qui l’en empêchait. D’autant qu’il devait être terrifié de se retrouver avec deux femmes qui le menaçaient. L’une parce qu’elle l’aimait, et l’autre parce qu’il risquait de l’aimer sans aucune réserve.
Que faire ? Sélène était totalement incapable de le concevoir.
Pourtant, elle savait qu’elle avait pris la bonne décision en refusant la proposition de Tristan de devenir sa maîtresse pour un temps, quand bien même crevait-elle d’envie de sentir ses mains sur elle.
Sélène se leva. Une journée chargée l’attendait. Outre le programme qu’elle s’était fixé, elle s’était également renseignée sur le Net pour trouver un médecin qui lui prescrirait, sans rendez-vous, une prise de sang qui établirait de façon certaine si elle était enceinte ou pas. Il lui faudrait également trouver un laboratoire qui accepterait de la lui faire immédiatement. Si elle se trouvait être effectivement enceinte, elle n’avait aucune intention de le dire à Rogan, même si cela devait l’obliger à partir. Elle aviserait le moment venu, comme elle l’avait toujours fait. Il était désormais temps pour elle aussi de reprendre sa vie en main.
Dès qu’elle fut prête, elle sortit de sa chambre le plus silencieusement possible et se faufila dans le couloir, comptant sur l’heure matinale pour être seule jusqu’à son départ. Passant devant la chambre de Siwan, Sélène se rendit compte qu’elle ne parvenait pas à la détester. Bien plus, sans la connaître, elle avait l’impression de déjà l’apprécier comme une sœur. Qu’adviendrait-il de ce sentiment si la jeune femme s’avérait être celle que « les Dieux » avaient réservée à Tristan ?
En pénétrant dans la cuisine, elle vit que Rogan avait tenu parole. Sur la table, un trousseau de clés l’attendait. Elle s’en empara, puis se dirigea vers le réfrigérateur. Son cœur se pinça au souvenir des paroles du familier. Lui aussi l’avait rejetée et cela lui faisait mal.
N’ayant aucune intention de s’attarder plus que nécessaire, elle se contenta d’un verre de jus de fruit pour ne pas rester l’estomac vide. Elle aurait tout loisir de prendre un vrai petit-déjeuner une fois en ville. Sélène posa son verre sur la table, rouvrit le réfrigérateur qu’elle venait à peine de refermer pour prendre le saladier rempli de fruits des bois qu’elle y avait vus et qu’elle, dans un ultime sursaut de colère, jeta rageusement dans la poubelle.
Un glapissement de surprise lui échappa lorsque la voix de Rogan résonna juste derrière elle.
– Tu n’étais pas obligée de faire ça, lui dit-il sur le ton du reproche.
– Bon sang ! Arrête de faire ce genre de choses, s’énerva-t-elle. J’ai cru mourir de peur !
– Je suis désolé, chérie…
– Ah non ! Plus de ça non plus ! Pas après…
– Tais-toi ! ordonna Rogan d’un ton si dur que Sélène se révolta.
– Hé, je t’interdis de me parler sur ce ton !
– J’ai réfléchi, annonça le familier d’un ton légèrement radouci. Je veux te donner une dernière chance. Je refuse que tu abandonnes ainsi. Tu n’as pas le droit.
– Pas le droit ? s’écria-t-elle. Tu n’as qu’à aller te plaindre à Tristan si ça ne te plait pas.
– J’ai une meilleure idée. Je vais te faire un cadeau.
– Un cadeau ?
– Oui, souffla-t-il d’une voix soudain voilée. Ferme les yeux.
– Non !
– Si, Sélène ! Fais-moi confiance, s’il te plait.
Contre sa volonté, Sélène sentit ses paupières se fermer, ensorcelée par la voix caressante de Rogan… – Était-ce bien celle de Rogan ? Elle ne lui ressemblait plus tout à fait… – qui lui rappelait qu’il n’était qu’en partie démon, qu’il était Tristan aussi sûrement que Tristan lui-même.
Sélène se raidit en sentant le corps du familier se coller contre elle, puis ses bras s’enrouler autour de sa taille. D’une voix douce, il lui demanda de rouvrir les yeux. Elle obéit et hoqueta de surprise, ce n’était plus Rogan, mais Tristan qui la retenait contre lui.
– Rogan, non ! Je t’en prie, ça fait trop mal…
– Tristan ! Pas Rogan.
– Mais…
– Regarde-moi, Sélène. Regarde-moi et dis-moi qui je suis.
Troublée, Sélène leva les yeux et se perdit dans ce regard d’un bleu si pur et si intense qu’il avait le pouvoir de la bouleverser.
– Tristan ?
– Oui, Sélène.
Tristan caressa la joue de la jeune femme du dos de la main, provoquant un violent frisson chez elle.
– Ne t’est-il pas venu à l’esprit que tu pouvais être ma promise, mais que je ne m’en rendais pas compte ?
À dire vrai, Sélène n’avait jamais envisagé les choses sous cet angle.
– Non, avoua-t-elle dans un murmure.
– Me croirais-tu si je te disais que j’ai besoin de toi ? lui demanda-t-il en lui souriant tendrement.
– Peut-être…
Comme elle avait envie d’y croire !
– Et comment réagirais-tu si je te disais que je suis…
Tristan se pencha sur la jeune femme dont le cœur battait à toute allure.
– … follement…
Il se pencha encore. Sélène sentit ses genoux refuser de la porter plus longtemps.
– … éperdument…
Sa bouche touchait presque celle de Sélène dont le cœur était à la limite de l’explosion.
– … irrémédiablement…
Tristan caressa doucement les lèvres de la jeune femme avec les siennes.
– … amoureux de toi.
Il ne laissa pas à Sélène le temps de répondre et l’embrassa avec toute la tendresse dont il était capable. Des larmes de bonheur ruisselant sur ses joues, la jeune femme s’accrocha à Tristan comme à une bouée de sauvetage et se livra entièrement à cette étreinte, submergée par un bien-être presque douloureux tant il était intense.
Elle comprit alors le cadeau que Tristan venait de lui faire… enfin Rogan… Elle ne savait plus tant elle était troublée. Tout ce qui comptait était de se trouver dans les bras de Tristan et ce qu’il venait de lui dire. Elle renaissait, car elle savait, tout au fond de son cœur, qu’il pensait ces mots.
– Laisse-moi une chance de te le prouver, mon ange, la supplia-t-il presque en la buvant du regard. Donne-moi encore un peu de temps. Il ne me reste qu’à m’en rendre compte. Je m’en veux tellement de tout ce mal que je t’ai fait que je t’ordonne de me le faire payer, un peu. Punis-moi pour ma bêtise.
Sélène parvint à sourire à travers ses larmes d’émotion.
– Tu as déjà tant souffert…
– Si je te perds, alors oui, je souffrirai, c’est certain.
– Je t’aime tant, soupira Sélène en se blottissant contre lui… manquant de tomber par terre.
Il n’y avait plus personne ! Ni Rogan, ni Tristan. Elle était totalement seule au milieu de la cuisine.
Et voilà ! Elle avait perdu la raison, rêvait tout éveillée, trahie par son esprit qui ne parvenait plus à compenser tout ce qu’elle avait subi.
– Non ! se révolta la jeune femme.
Elle sentait encore la chaleur de Tristan sur elle, son parfum, le goût de son baiser, la pression de ses mains sur son corps. Tous ses sens lui hurlaient qu’elle avait bien vécu cet instant merveilleux, mais ce qu’elle ne comprenait pas, c’était pourquoi il – qui qu’il soit – s’était évaporé aussi brusquement.
Plus perplexe qu’effrayée par ce qu’elle venait de vivre, Sélène se sentait forte également, galvanisée par cette idée que peut-être Tristan avait effectivement des sentiments pour elle… Elle en avait été persuadée lorsqu’elle s’était trouvée dans ses bras, mais ne parvenait plus à y croire, plus aussi si fort. Ce qu’elle savait en revanche, c’est qu’elle aimait Tristan et qu’elle devait se battre, contre tout ce qui se mettrait entre elle et lui, contre le démon s’il le fallait. Elle avait une chance sur deux et Tristan valait la peine qu’elle prenne ce risque.
La jeune femme ne put se rendre compte qu’elle était positivement métamorphosée, rayonnante, depuis ce… cette chose étrange qui venait de se produire. Le démon, caché dans l’ombre, lui le perçut. Il contempla Sélène tandis qu’elle sortait de la maison, d’un pas léger. Cette petite était véritablement fascinante. Sortant de l’obscurité, il sourit. Il s’amusait comme un fou et le délicieux corps de Sélène l’avait mis dans un tel état d’excitation qu’il se dépêcha de regagner son antre afin de retrouver sa nouvelle amie. Ses envies lubriques ne pouvaient plus attendre.
Tristan se réveilla en sursaut. La voix douce de Sélène venait de lui dire... quelque chose… qu’il n’avait pas saisi. Mais c’était quelque chose d’important, de doux, adressé à son cœur, comme une caresse, de celles que seule Sélène pouvait lui prodiguer. Il avait beau se torturer l’esprit, rien ne revenait.
Tristan se leva, plus déterminé qu’il ne l’avait été depuis longtemps. Il devait impérativement parler à Sélène, qu’elle le veuille ou non, et affronter son mépris justifié. Elle avait eu raison de le traiter ainsi, il avait été en dessous de tout.
Après s’être préparé rapidement, il descendit les escaliers quatre à quatre et se rua dans la cuisine. Il fronça les sourcils en percevant le parfum de la jeune femme dans la pièce vide. Logique, elle avait toujours été matinale. Elle devait être allée faire un tour, prendre l’air. Il ne s’inquiéta donc pas. Pas immédiatement.
Son humeur s’assombrit à mesure que le temps passait. Sélène n’avait pas réapparu. Il s’était déjà levé plusieurs fois pour guetter son retour par la fenêtre de la cuisine.
Elle n’était tout de même pas partie ? Définitivement…
Tristan fit volte-face lorsque Rogan qui venait d’entrer dans la pièce s’adressa à lui. Il savait ce qui tourmentait son ami.
– Je crois qu’elle avait quelque chose à faire en ville aujourd’hui. Elle m’a demandé une voiture hier.
– Ah ? Très bien. Sais-tu quoi ?
– Non. Peut-être pour son travail ?
– Oui, sans doute, répéta Tristan pensivement.
Rogan pensait qu’il aurait dû mettre Tristan au courant, mais ne pouvait s’empêcher de garder le secret. Du moins pour le moment. Inutile de dire quoi que ce soit tant qu’il ne saurait pas de quoi il retournait. D’ailleurs, ce n’était pas normal qu’il ne perçoive rien. Il enrageait d’être ainsi coupé de son maître. Il avait, juste avant de descendre rejoindre Tristan, décidé de vérifier qu’il possédait toujours les aptitudes propres à sa nature. Rassuré sur ce point, il ne comprenait pas ce qu’il se passait. Nul doute que cet état de fait était dû au démon, mais pourquoi celui-ci s’amusait-il à le laisser dans le noir ? Était-ce une manière de lui faire comprendre qu’il devait se mettre en retrait et ne pas – plus – se mêler de tout ça ?
Rogan en était incapable, il était bien trop impliqué et ce depuis le début. Depuis l’arrivée de Sélène. À moins que son maître ne lui fasse ainsi comprendre qu’il avait laissé la part trop belle à son côté surnaturel, oubliant qui il était vraiment également.
Il regretta son comportement de la veille avec Sélène. Il n’aurait pas dû la brusquer ainsi ! Il se comportait exactement de la même façon que…
Rogan se figea sous le choc de la révélation.
– Tristan, que ressens-tu en présence Siwan ? lui demanda-t-il à brûle-pourpoint.
– Elle est charmante, intelligente, cultivée…
– Et ?
– Et rien du tout, maugréa Tristan en se remémorant ce à quoi il s’était livré la veille. Siwan était indéniablement séduisante, mais…
– Moi non plus, rien du tout, s’exclama le familier.
– Que veux-tu que ça me fiche !
– Mais réfléchis deux secondes. Je suis une partie de TOI, mais une qui n’est pas celle du meneur que tu es devenu, une parcelle de celui que tu étais AVANT de le devenir. Tu me suis ?
– Pas vraiment…
– Ce que je veux t’expliquer c’est que si Siwan était ta promise, moi je l’aurais su. Or je ne capte rien. RIEN DU TOUT !
Tristan avait du mal à assimiler l’information, à y croire plutôt. Pourtant, un sourire radieux naquit sur ses lèvres. Il se sentait tout à coup tellement rassuré, plus libre aussi. Pour un peu il aurait bondi de joie, la nouvelle était trop… trop… merveilleuse. Il pourrait désormais consacrer son temps et son énergie à Sélène.
– Je dois le lui dire ! s’écria-t-il tout à coup. Tout de suite !
Tristan se leva d’un bond.
– Dire quoi à qui ? demanda Gaïlen en pénétrant dans la cuisine.
– Rogan t’expliquera ! lui lança son frère en quittant précipitamment la pièce sans plus faire attention à lui.
Gaïlen, complètement effaré par le comportement de Tristan, regarda Rogan qui souriait.
– J’ai manqué un épisode ?
– Il vient de réaliser que Siwan n’était pas…
Rogan s’interrompit.
– Que je n’étais pas quoi ? s’enquit l’intéressée, entrant à son tour dans la pièce, et vaguement agacée que l’on parle d’elle dans son dos.
– … pas faite pour lui, compléta Rogan.
– Oh ! J’aurais pu le lui dire, insinua-t-elle en jetant un coup d’œil à Gaïlen qui détourna vivement les yeux de la jeune femme pour qu’elle ne se rende pas compte qu’il l’observait.
La légère coloration des pommettes de la jeune femme lui indiqua qu’elle avait eu parfaitement conscience de son examen attentif. Il fut tenté de quitter la pièce, mais se fut elle qui, après s’être servie une tasse de café, abandonna Rogan et Gaïlen. Elle s’installa dans le salon pour le siroter tranquillement. Et réfléchir.
Gaïlen se détendit dès que la jeune femme fut sortie, allant jusqu’à expirer bruyamment, s’apercevant ainsi qu’il avait retenu sa respiration tout ce temps.
– Un souci ? s’enquit Rogan en levant un sourcil, une lueur moqueuse dans les yeux.
– Oui, vous êtes beaucoup trop perspicace ! lui répondit Gaïlen d’un ton boudeur. Expliquez-moi donc comment Tristan peut être aussi certain que S… qu’elle n’est pas…
– Grâce à ce que JE suis, répondit le familier.
Le familier entreprit d’expliquer au frère de Tristan ce qu’il venait de comprendre puis les deux hommes discutèrent un moment. De Tristan essentiellement, et de Sélène.
Siwan quant à elle essayait d’empêcher ses mains de trembler. Gaïlen était la cause de sa nervosité, sa simple présence ayant le don de lui faire perdre ses moyens. Elle aurait souhaité pouvoir discuter de cela avec Sélène. La famille de Tristan était certes sympathique, pour ce qu’elle en avait vu, mais montrait à son égard une certaine réserve. Même l’autre femme de la maisonnée gardait ses distances. Ils semblaient tous tellement unis. Peut-être même un rien renfermés sur eux, comme s’ils faisaient partie d’un clan plus que d’une famille.
Siwan assista d’ailleurs à leur arrivée. Ils passèrent les uns après les autres devant la porte du salon. Le dernier à descendre fut Dorian, le plus jeune et le seul qui s’arrêta sur le pas de la porte pour la regarder. Siwan n’était pas assez proche de lui pour en être totalement certaine, mais il lui sembla que les yeux du jeune homme étaient différents. Ou non, pas ses yeux, son regard.
Néanmoins, elle lui sourit et lui fit un petit signe de tête auquel il répondit pareillement.
Siwan décida de se mettre à l’ouvrage et de défaire ses valises. Elle n’avait plus très envie de trouver un logement et jugea que cela pouvait bien attendre un peu. Elle disposait d’une semaine avant de prendre son poste au Musée, une petite semaine de vacances dont elle entendait bien profiter, même s’il lui faudrait s’absenter le lendemain pour signer son contrat.
Comme un fait exprès, Siwan rencontra Gaïlen au pied des escaliers. Il s’effaça galamment. La jeune femme faillit refuser, mais se reprit, jugeant cette attitude parfaitement stupide.
Gaïlen se fit violence pour garder les yeux obstinément baissés après avoir aperçu le troublant balancement des hanches de la jeune femme tandis qu’elle montait les marches, là, juste devant lui. Il dut également serrer les poings pour se retenir de s’emparer de sa taille afin de l’attirer à lui.
S’arrêtant brusquement au milieu des marches, Gaïlen dut s’agripper à la rampe, soudain pris d’une violente nausée après que des images de ce qu’il avait fait se soient imposées à son esprit. Lorsqu’il parvint à reprendre son souffle comme s’il venait de recevoir un coup de poing dans le ventre, Siwan n’était plus là. Il s’en félicita et se demanda si ses fantômes ne venaient pas de lui donner un avertissement ou de lui faire comprendre qu’il leur devait fidélité éternelle pour ce qu’il leur avait fait.
Tristan, tous les sens en alerte, entra dans la ville au pas, au grand dam des conducteurs qui le suivaient. Sélène avait de l’avance, mais il savait pouvoir la retrouver, où qu’elle se trouvât. Il gara sa voiture en centre-ville. Appuyé contre son véhicule, il prit une profonde inspiration dans l’espoir de détecter, dans l’air frais du matin, le parfum de la jeune femme, s’aidant en cela de l’odorat surnaturel de son loup, ce qui l’obligea à fermer les yeux.
Il était encore relativement tôt, les rues n’étaient pas encore saturées d’humains. Il ne perçut rien et se mit donc en route tout en réfléchissant où, logiquement, Sélène avait pu se rendre, si elle était effectivement venue dans la cité pour son travail.
Elle devrait dans un premier temps, logiquement, chercher la bibliothèque, le Musée ou le Syndicat d’initiative. Tristan opta pour ce dernier, elle chercherait à connaître les lieux pittoresques des alentours.
Cependant, bien avant d’y arriver, Tristan perçut une trace du parfum de la jeune femme. Il se stoppa net et scruta la rue et les passants, mais ne la vit nulle part. S’adossant au mur de l’immeuble auprès duquel il se trouvait, il fit à nouveau appel à son loup, fermant les yeux et se concentrant tant sur son odorat que son ouïe. Rien. C’était pourtant bien son parfum qui flottait dans l’air, elle devait se trouver non loin d’ici. Rouvrant les yeux, il s’intéressa aux bâtiments qui l’entouraient : une pâtisserie faisant salon de Thé, un coiffeur, un point presse à sa droite, un pressing, l’enseigne dorée d’un Notaire, un magasin de vêtements sur sa gauche. Tristan se redressa et observa l’immeuble auquel il s’était appuyé. Rien d’intéressant à première vue, un immeuble de logements dont un qui abritait le cabinet d’un médecin à en juger par la plaque fixée au mur. Tristan déambula un moment dans la rue, regardant les vitrines d’un œil distrait pour finalement revenir lentement à son point de départ.
Il s’arrêta brusquement en apercevant Sélène surgir de l’un des immeubles, visiblement très pressée. La voyant partir dans la direction opposée à la sienne, Tristan l’appela.
La jeune femme se stoppa net et se retourna, très lentement, comme si elle n’était pas sûre que ce soit bien elle que l’on venait d’interpeller. Il lui sembla la voir pâlir légèrement lorsque ses yeux se posèrent sur lui. Elle sembla hésiter une seconde avant de se diriger vers lui. Tristan, le cœur battant la chamade, attendit qu’elle s’arrête devant lui.
– Que faites-vous ici ? fut la seule chose qu’elle trouva à lui dire.
Elle rangea sa précieuse ordonnance dans son sac en voyant le regard de Tristan s’attarder dessus.
– Seriez-vous malade ? lui demanda-t-il, inquiet, en scrutant la moindre de ses réactions.
– Non, je… Juste un peu de fatigue, prétexta-t-elle en rosissant. Mais vous ne m’avez pas répondu.
– Je vous cherchais.
– Ah bon ? S’est-il passé quelque chose ? demanda Sélène, soudain très inquiète.
– Rien de grave, la rassura Tristan en faisant un pas vers la jeune femme. Venez, ne restons pas au milieu de la rue, ajouta-t-il en l’invitant à le suivre.
– Rien de grave, mais quelque chose d’important, ne put s’empêcher de songer Sélène, à peine remise du choc de voir Tristan et agréablement surprise qu’il ait pris la peine de venir jusqu’à elle.
La jeune femme se laissa conduire dans le salon de thé où Tristan les fit s’installer dans l’une des alcôves de l’établissement destinées aux clients qui souhaitaient un peu d’intimité.
– Avez-vous faim ? lui demanda Tristan.
Sélène sauta sur l’opportunité d’échapper au regard franchement troublant de Tristan et s’empara de la carte pour faire son choix. À la vérité elle mourrait de faim et malgré l’heure, ne put résister à la tentation d’une part de gâteau au chocolat noir accompagnée d’un cappuccino.
Tristan se contenta de la même boisson, bien qu’il ait noté la présence de tartelettes aux mures sur la carte. Mais il ne souhaitait pas provoquer la jeune femme. Il devait impérativement garder à l’esprit qu’il devait agir avec prudence.
Tristan se pencha vers Sélène qui lui faisait face, dès que la serveuse eut pris leur commande.
– Pensiez-vous réellement ce que vous avez dit hier soir ? lui demanda-t-il doucement en évitant de la regarder dans les yeux.
– À votre avis ? lui demanda Sélène en croisant les bras contre sa poitrine et en s’adossant à sa chaise.
Elle le fixa, mortifiée qu’il lui reparle de ce moment horrible.
– Oui, vous le pensiez, soupira-t-il.
– Mais non ! C’est tout le contraire ! s’irrita mentalement Sélène du manque de discernement de Tristan. N’était-ce pas ce que vous souhaitiez m’entendre dire ? demanda-t-elle à la place.
– Non ! s’écria Tristan. Vous auriez dû m’empêcher de…
– Comment aurais-je pu vous empêcher de l’embrasser ? l’interrompit-elle. Je me suis retirée du jeu pour…
– Ce n’est pas un jeu, Sélène ! Et cette femme n’est rien pour moi, vous comprenez ?
– Rien ? répéta la jeune femme qui n’osait croire à ce que ces mots signifiaient.
– Absolument rien, lui confirma Tristan en la fixant droit dans les yeux cette fois-ci.
– Comment pouvez-vous le savoir ? lui demanda-t-elle en fronçant les sourcils, pas encore totalement convaincue, et terrifiée qu’il lui mente peut-être pour l’amadouer.
Tristan expliqua à Sélène, en quelques mots, comment Rogan le lui avait prouvé ce matin même et ce qu’il avait espéré apprendre en embrassant Siwan.
– Mais je voulais aussi vous rendre jalouse, parce que vous m’aviez blessé, ajouta-t-il en toute sincérité.