20
Il Y eut, pendant l’heure qui suivit, un chassé-croisé de coups de fil entre Venise et Padoue, Brunetti ayant décidé de contacter la police et les carabiniers, et d’entreprendre auprès de ses débiteurs (il avait accumulé pas mal de reconnaissances de dette au cours de toutes ces années) les délicates négociations qu’implique toute demande de retour d’ascenseur. Le moment était venu qu’on lui rende la politesse. La plupart de ces appels allèrent de son bureau de la Questure à d’autres bureaux. Délia Corte, pour sa part, accepta d’enquêter dans son secteur de Padoue et fut d’accord sur le principe de demander en échange, le moment venu, une faveur à Brunetti. Une fois cette question réglée, le commissaire quitta la Questure pour se rendre sur la riva degli Schiavoni, où se trouvait toute une batterie de cabines téléphoniques. Il se servit de cartes de téléphone à quinze mille lires pour appeler le portable de plusieurs délinquants mineurs – ou pas si mineurs que ça – auxquels il avait eu affaire par le passé.
Il savait, comme l’aurait su n’importe quel Italien, que nombre de ces coups de fil étaient peut-être interceptés et enregistrés par l’un ou l’autre des services de l’État, si bien qu’il ne donna jamais son nom et se contenta de parler de la manière la plus indirecte possible ; il expliqua qu’une certaine personne, à Venise, aurait bien aimé connaître les coordonnées d’un certain Ruggiero Palmieri, mais que cette personne ne désirait pas, absolument pas, entrer en contact avec le signor Palmieri, et encore moins que le signor Palmieri apprenne qu’on posait des questions sur lui. À son sixième appel – adressé à un dealer dont Brunetti, quelques années auparavant, n’avait pas fait arrêter le fils alors que celui-ci l’avait agressé après la dernière condamnation de son père –, quelqu’un répondit qu’il allait voir ce qu’il pouvait faire.
« Et comment va Luigino ? demanda Brunetti, pour montrer qu’il ne gardait pas rancune de l’incident.
— Je l’ai envoyé en Amérique. Pour étudier les affaires », répondit le père avant de raccrocher.
Ce qui voulait sans doute dire que Brunetti se verrait dans l’obligation de l’arrêter la prochaine fois que leurs chemins se croiseraient. À moins que, métamorphosé de petit voyou en grand caïd par un diplôme de commerce obtenu auprès de quelque université prestigieuse, il ne se soit élevé à de telles hauteurs dans l’Organisation qu’il ne soit plus pensable qu’un humble commissaire de police puisse l’atteindre à de pareils sommets.
Avec sa dernière carte et après avoir consulté le numéro inscrit sur un petit bout de papier, il appela la veuve de Mitri, mais il tomba, comme le lendemain de la mort de l’industriel, sur un message préenregistré expliquant qu’en raison de son deuil la famille ne désirait pas prendre de communications téléphoniques. Gardant l’écouteur coincé contre l’oreille, il dut fouiller dans ses poches pour retrouver le numéro du frère de Mitri, mais il tomba de nouveau sur un répondeur. Il décida alors, instinctivement, de passer à l’appartement des Mitri pour voir qui s’y trouvait.
Il prit le 82 jusqu’à San Marcuola et retrouva l’immeuble sans difficulté. Il sonna, et c’est une voix d’homme, cette fois, qui répondit presque aussitôt sur l’interphone, lui demandant qui il était. Il répondit : « Commissaire de police », mais ne donna pas son nom ; il y eut quelques secondes de silence, puis la voix lui dit qu’il pouvait entrer. Sur les murs, le sel poursuivait son œuvre corrosive et, comme la fois précédente, les marches étaient jonchées de débris de plâtre et de peinture écaillée.
En haut, un homme l’attendait dans l’encadrement de la porte. Grand, très maigre, il avait un visage étroit et des cheveux bruns coupés court qui commençaient à grisonner aux tempes. Il se recula pour laisser entrer Brunetti et lui tendit la main.
« Je suis Sandro Bonaventura, le beau-frère de Paolo. »
Comme sa sœur, il avait préféré s’exprimer en italien, mais son accent vénitien transparaissait. Brunetti lui serra la main et, toujours sans donner son nom, entra dans l’appartement. Bonaventura le conduisit dans une grande pièce située à l’extrémité du couloir. Le plancher, remarqua le policier, était en chêne épais et semblait être d’origine ; aucun parquet n’était venu le remplacer. Quant aux rideaux qui retombaient devant les deux doubles fenêtres, ils avaient tout l’air d’être d’authentiques plissés Fortuny.
Bonaventura lui fit signe de prendre un siège, puis s’assit lui-même en face du commissaire.
« Ma sœur n’est pas ici. Elle est allée passer quelques jours chez ma femme avec sa petite-fille.
— J’avais espéré pouvoir lui parler, dit Brunetti. Pouvez-vous me dire quand elle compte revenir ? »
Bonaventura secoua la tête.
« Elle et ma femme sont très proches, proches comme le seraient deux sœurs, c’est pourquoi nous lui avons proposé de venir s’installer chez nous quand… quand c’est arrivé. »
Il baissa les yeux sur ses mains, secoua lentement la tête puis la releva ; son regard soutint celui de Brunetti.
« Je n’arrive pas à croire que cela soit arrivé. Pas à Paolo. Il n’y avait aucune raison, aucune.
— Il n’y a souvent aucune raison logique. Si par exemple un cambrioleur se fait surprendre et panique…
— Vous pensez que c’était un cambriolage ? Et le mot qu’on a retrouvé, alors ? »
Brunetti marqua un temps de réflexion avant de répondre.
« Le cambrioleur l’a peut-être choisi à cause de la publicité que lui avait value l’incident de l’agence de voyages. Il aurait pu avoir préparé ce message à l’avance dans l’intention de le laisser sur place.
— Mais pourquoi prendre cette peine ? »
Brunetti n’en avait évidemment aucune idée et il était le premier à trouver sa suggestion ridicule.
« Pour détourner notre attention des voleurs professionnels, inventa-t-il.
— Ça ne tient pas debout, répliqua Bonaventura. Paolo a été tué par un fanatique qui le tenait pour responsable de quelque chose avec quoi il n’avait rien à voir. La vie de ma sœur est fichue. C’est du délire. Ne venez pas me parler de voleurs qui arrivent munis de notes, et ne perdez pas votre temps à chercher de ce côté-là ! C’est le cinglé qui a commis cet acte qu’il faut retrouver.
— À votre connaissance, votre beau-frère avait-il des ennemis ?
— Non, bien sûr que non.
— Je trouve cela étrange, observa Brunetti.
— Que voulez-vous dire ? demanda Bonaventura d’un ton sec, se penchant en avant et pénétrant ainsi dans l’espace de son vis-à-vis.
— Je vous en prie, ne soyez pas offensé, signor Bonaventura ».
Brunetti s’était exprimé d’un ton conciliant, levant la main en un geste d’apaisement.
« Je veux simplement dire que le dottor Mitri était un homme d’affaires, et un homme d’affaires qui avait bien réussi. Je suis certain qu’au fil du temps il a dû prendre des décisions qui ont pu déplaire à certains, ou en mettre d’autres en colère.
— On ne tue tout de même pas quelqu’un à cause d’un contrat perdu », s’entêta Bonaventura.
Brunetti, qui était bien placé pour savoir que si, prit son temps pour répondre :
« Ne voyez-vous pas quelqu’un avec qui il aurait pu avoir ce genre de difficultés ?
— Non, répondit l’homme sur-le-champ, ajoutant, après quelques secondes de réflexion : Non, personne.
— Je vois. Êtes-vous un peu au courant des affaires de votre beau-frère ? Est-ce que vous collaboriez avec lui ?
— Non. Je gère mon usine de Castelfranco Veneto. Interfar. Elle m’appartient, mais elle est enregistrée sous le nom de ma sœur. »
Voyant que Brunetti ne se satisfaisait pas de cette information, il ajouta :
« Pour des raisons fiscales. »
Le policier hocha la tête avec, pensa-t-il, ou du moins espéra-t-il, toute l’onctuosité d’un prêtre. Il se demandait parfois si l’on n’aurait pas pardonné à quelqu’un, en Italie, les pires horreurs, les plus grandes énormités, en expliquant simplement qu’on avait agi pour des raisons fiscales. Débarrassez-vous de votre famille, trucidez votre chien, mettez le feu à la maison de vos voisins : du moment que c’est pour des raisons fiscales, il n’y aura pas un juge, pas un jury pour ne pas se montrer on ne peut plus compréhensif.
« Le dottor Mitri avait-il des intérêts dans votre entreprise ?
— Non, aucun.
— De quel genre d’entreprise s’agit-il, si je puis me permettre ? »
Bonaventura ne parut pas trouver la question étrange.
« Oh, pas de problème, vous pouvez poser la question. Produits pharmaceutiques. Aspirine, insuline… Nous fabriquons aussi beaucoup de médicaments homéopathiques.
— Êtes-vous vous-même pharmacien ? Vous occupez-vous de la production ? »
L’homme hésita avant de répondre.
« Non, pas du tout. Je suis simplement un entrepreneur, quelqu’un qui fait des affaires. J’additionne des colonnes de chiffres, je consulte les scientifiques qui préparent les formules et j’essaie de mettre au point les meilleures stratégies de vente possible.
— Et pour cela, vous n’avez pas besoin d’une formation en pharmacologie ? demanda Brunetti, pensant à Mitri.
— Non, ce qui compte, c’est l’aptitude à prendre des décisions de gestion. Pour cela, peu importe le produit, que ce soit des chaussures, des bateaux ou de la cire à cacheter.
— Je vois. Votre beau-frère, en revanche, était chimiste, si j’ai bien compris ?
— Oui, en effet, du moins au début de sa carrière.
— Mais pas depuis ?
— Non. Cela faisait des années qu’il ne travaillait plus en laboratoire.
— Quel était son rôle, alors, dans ses usines ? »
Brunetti se demandait si Mitri avait été lui aussi un partisan des stratégies commerciales.
Bonaventura se leva.
« Je suis désolé de devoir mettre fin à cet entretien, commissaire, mais j’ai des choses à faire ici et ce sont des questions auxquelles je ne peux pas vraiment répondre. Je crois qu’il vaudrait mieux que vous contactiez les directeurs des usines de Paolo. Je ne sais vraiment rien de ses affaires, ni de la manière dont il les gérait. Je suis désolé. »
Brunetti se leva à son tour. L’homme avait raison. Le fait que Mitri ait été autrefois chimiste n’impliquait pas obligatoirement qu’au quotidien il participait à l’élaboration des produits. Dans l’univers aux multiples facettes des affaires, on n’avait plus besoin de savoir ce que fabriquait une entreprise pour la diriger. Il suffisait de penser à Patta, songea-t-il, pour voir à quel point cela était vrai.
« Merci de m’avoir accordé un peu de votre temps », dit-il, tendant la main à l’homme.
Bonaventura la lui serra et le précéda jusqu’à l’entrée. Brunetti revint à la Questure par les petites rues de Cannaregio, à ses yeux le plus beau quartier de Venise. Ce qui signifiait, toujours à ses yeux, le plus beau du monde.
Le temps d’arriver, presque tout le personnel était déjà parti déjeuner et il se contenta donc de laisser une note sur le bureau de la signorina Elettra, lui demandant de voir ce qu’elle pourrait trouver sur le beau-frère de Mitri, Alessandro Bonaventura. Lorsque, se redressant, il prit la liberté d’ouvrir le premier tiroir pour y remettre le crayon qu’il avait emprunté, il regretta soudain de ne pouvoir lui laisser un message sur son ordinateur. Il n’avait aucune idée de la manière dont fonctionnait un e-mail, ou de la procédure pour envoyer un message, mais il aurait bien aimé pouvoir le faire, ne serait-ce que pour lui montrer qu’il n’était pas le Néandertalien technologique qu’elle se figurait. Après tout, Vianello s’y était bien initié, lui ; il ne voyait pas pour quelle raison il n’aurait pu acquérir une certaine compétence informatique. Il était diplômé de droit, ce qui n’était pas rien, tout de même…
Il regarda l’écran : silencieux, sans grille-pain se baladant dessus, noir. Est-ce que ce serait vraiment difficile ? À moins peut-être – réconfortante pensée – qu’il ne soit, comme Mitri, plus prédisposé au rôle de chef d’orchestre qu’à celui de préposé à la maintenance des machines au jour le jour. Ce baume versé sur sa conscience, il se rendit au bar près du pont pour y avaler un sandwich et un verre de vin, en attendant que ses collègues veuillent bien revenir de leur déjeuner.
Ce qu’ils firent, plutôt aux environs de 16 heures que de 15, mais Brunetti avait depuis longtemps perdu toute illusion sur le zèle déployé par ses collaborateurs, et il ne s’en formalisa nullement. Il alla s’asseoir tranquillement dans son bureau où, pendant une bonne heure, il eut le loisir de lire le journal et même de consulter son horoscope, lequel lui donna la joie d’apprendre qu’il allait rencontrer une inconnue blonde et recevoir bientôt de « bonnes nouvelles ». Il pouvait faire sans la blonde, mais des bonnes nouvelles, voilà qui lui aurait fort bien convenu.
Son Interphone retentit un peu après 16 heures et il décrocha, sachant qu’il s’agissait de Patta ; il se réjouissait que les choses aient pu aller aussi vite et il était curieux de savoir ce que désirait le vice-questeur.
« Pouvez-vous venir dans mon bureau, commissaire ? » lui demanda son supérieur.
Brunetti répondit poliment qu’il était déjà en route.
La veste de la signorina Elettra était accrochée au dossier de sa chaise, et une liste de noms accompagnée de chiffres, le tout impeccablement ordonné, était affichée sur l’écran de l’ordinateur ; mais la jeune femme elle-même n’était pas là. Il frappa à la porte de Patta et entra dès qu’il y fut invité.
La signorina Elettra était assise en face du bureau du vice-questeur, un carnet de notes posé sur ses genoux coquettement serrés, le crayon levé tandis que se prolongeait l’écho silencieux du dernier mot prononcé par Patta. Comme il s’agissait seulement du « Avanti ! » retentissant destiné à faire entrer Brunetti, la secrétaire ne l’avait évidemment pas pris en note.
C’est à peine si Patta salua son subordonné, à qui il se contenta d’adresser un signe de tête minimaliste, et retourna à sa dictée.
« Et dites-leur que je ne veux pas, non… Écrivez plutôt que je ne tolérerai pas… Je crois que cela donne plus de force, vous ne pensez pas, signorina ?
— Tout à fait, vice-questeur, dit-elle sans lever les yeux de son calepin.
— Je ne tolérerai pas, poursuivit Patta, que les membres de la police continuent d’utiliser les bateaux et les véhicules de service pour des sorties non autorisées. Si l’un d’eux…» Sur ce, il marqua un temps d’arrêt, puis continua d’un ton plus familier :
« Pouvez-vous vérifier qui est en droit, en fonction de ses titres et de son rang, d’utiliser nos véhicules, signorina ?
— Bien entendu, vice-questeur.
— Si l’un d’eux a besoin d’utiliser ces moyens de transport pour des raisons de service, il devra… excusez-moi, signorina ? »
Il s’était interrompu en voyant l’expression embarrassée qu’avait adoptée la signorina Elettra, qui venait de relever la tête.
« Il vaudrait peut-être mieux écrire cette personne, vice-questeur, pour éviter de donner l’impression d’un préjugé sexiste, comme si seuls les hommes avaient autorité pour réquisitionner un véhicule. »
Elle baissa la tête et changea de feuille.
« Bien sûr, bien sûr, si vous pensez que c’est mieux… Cette personne, donc, devra remplir le formulaire prévu à cet effet et veiller à ce que la mission soit approuvée par l’autorité compétente. »
Là-dessus, son attitude changea brutalement ; son expression devint moins impérieuse, comme s’il avait ordonné à son menton de cesser de ressembler à celui de Mussolini.
« Pouvez-vous avoir l’amabilité de vérifier qui est légalement en droit de donner ces autorisations, et joindre leurs noms à ce mémo ? Je vous en serais reconnaissant.
— Bien volontiers, monsieur », dit-elle, écrivant encore quelques mots.
Elle leva les yeux et sourit.
« Ce sera tout ?
— Oui, oui. »
Il se pencha en avant dans son siège quand la jeune fille se leva comme si, par un phénomène empathique, se dit Brunetti, son mouvement avait pu l’aider à se remettre sur pied. Une fois arrivée à la porte, elle se tourna et leur sourit.
« Ce sera prêt dès demain matin, monsieur.
— Pas avant ? S’étonna Patta.
— J’ai bien peur que non, monsieur. J’ai le budget de nos dépenses de bureau du mois prochain à calculer. »
Son sourire était un savant mélange de regret et d’intransigeance.
« Oui, évidemment. »
Elle sortit sans rien ajouter, refermant la porte derrière elle.
« Dites-moi, Brunetti, où en est-on avec l’affaire Mitri ? demanda Patta sans autre préambule.
— Je me suis entretenu aujourd’hui même avec son beau-frère », répondit le commissaire, curieux de savoir si le vice-questeur n’était pas déjà au courant.
Mais celui-ci conserva une expression impassible qui laissait supposer que non, et Brunetti continua.
« J’ai également appris qu’il y avait eu trois autres meurtres au cours des dernières années, commis en employant et la même méthode et le même type d’instrument, un câble, sans doute électrique et revêtu de plastique. Et toutes les victimes avaient apparemment été attaquées par-derrière, comme Mitri.
— De quel genre de crime s’agissait-il ? Semblable à celui-ci ?
— Non, monsieur. D’après les rapports de police, il semblerait que nous ayons affaire à des exécutions, probablement commanditées par la Mafia.
— Dans ce cas, le coupa Patta avec impatience devant ce qui lui paraissait être une piste sans intérêt, ça ne peut pas avoir de rapport avec notre affaire. Ce crime est l’œuvre de quelque fanatique poussé au meurtre par…»
À cet instant, soit le vice-questeur perdit le fil de ce qu’il voulait dire, soit il se rappela à qui il s’adressait, car il s’interrompit abruptement.
« Je comprends, mais j’aimerais toutefois ne pas rejeter la possibilité qu’il y ait un rapport entre tous ces meurtres, monsieur. Comme vous le savez, enchaîna-t-il avant que le vice-questeur ait pu soulever une autre objection – et sachant que “comme vous le savez” était la meilleure façon de lui clouer le bec –, les assassins professionnels s’en tiennent presque toujours à la même méthode, celle qui est à leurs yeux la plus sûre, celle qui a fait ses preuves. »
L’objection de Patta venait d’être balayée.
« Et… où ces autres crimes ont-ils été commis ?
— Le premier à Palerme, le deuxième à Reggio et le plus récent beaucoup plus près d’ici, à Padoue.
— Ah…» Dit Patta en soupirant.
Il réfléchit quelques instants. L’argument de Brunetti avait dû faire mouche.
« S’ils ont un rapport, cela voudrait dire que l’affaire ne nous concerne pas, n’est-ce pas ? Que c’est en réalité aux services de police de ces autres villes de voir dans ce crime le dernier d’une série ?
— C’est tout à fait envisageable, monsieur », répondit Brunetti, qui se garda bien de lui faire remarquer que ces autres services de police pourraient avoir la même réaction et estimer que Venise devrait, précisément pour cette raison, être la première à s’y coller.
« Eh bien, alertez-les tous, dites-leur ce qui s’est passé ici, et faites-moi savoir les réponses qu’on vous donnera. »
Brunetti dut admettre que la solution d’Il Cavaliere frôlait le coup de génie. L’enquête sur l’assassinat de Mitri avait été en quelque sorte déléguée, le paquet-cadeau expédié à la police des autres villes, et Patta avait agi selon un modèle « administrativement correct » qui aurait mérité de figurer dans les manuels : en renvoyant l’affaire sur le bureau de quelqu’un d’autre, il avait rempli son devoir ou, plus important, serait perçu comme ayant rempli son devoir, si jamais sa décision devait être remise en cause.
Brunetti se leva.
« Bien entendu, monsieur. Je vais les contacter immédiatement. »
Patta lui donna congé d’un mouvement poli de la tête. Il était rare que Brunetti, subordonné indocile et difficile à manier d’une manière générale, se montre aussi conciliant et sensible à la raison.