UNE QUESTION DE PRINCIPE

Timothy Zahn

6 ap. BY

Chronologie

Oui, encore lui. Quelques temps avant que l’actualité de Timothy Zahn ne redevienne prolixe, l’auteur de La Croisade Noire du Jedi Fou et de La Main de Thrawn se permit un petit plaisir personnel qui prit la forme d’une novella. Le sujet ? La rencontre de deux de ses personnages fétiches, à savoir Mara Jade et Ghent.

Une Question de Principe, parue en 2002 dans le dixième et ultime numéro du Star Wars Gamer se situe deux ans après la Bataille d’Endor. Il nous présente la Main de l’Empereur, désormais à la retraite, fuyant dans la Bordure Médiane un empire qui n’est plus celui auquel elle avait prêté allégeance. C’est lors d’un rare moment de quiétude que Jade fait la rencontre du jeune garçon naïf et égaré, alors qu’il est sur le point d’avoir de gros soucis.

La raison pour laquelle les autorités de cette petite planète paraissent s’intéresser à Ghent n’échappera pas longtemps à l’ex-agent impérial, mais ce qu’elle ignore, c’est qu’elle est devenue un pion indépendant sur un plateau de dejarik dont le nombre de joueurs est indéterminé. Malgré tout, sans trop savoir pourquoi, Mara se met en tête d’aider celui qui allait devenir son futur collaborateur dans l’organisation de Talon Karrde.

Titre original : Handoff

 

De légers cliquetis accompagnaient les musiciens qui entraient sur scène par petits groupes dans un affairement très professionnel. Ils gagnèrent les sièges ou les emplacements qui leur étaient assignés et préparèrent leurs instruments avant de commencer à s’échauffer, chacun de leur côté, dans une cacophonie assourdie. Les habituelles conversations qui précédaient chaque concert et agitaient l’auditoire se calmèrent au fur et à mesure que les sons provenant de la scène montaient en puissance. Un sentiment d’impatience s’élevait de l’assemblée et s’y propageait comme un brouillard invisible.

Et cette impatience était justifiée. Le Coruscant Full Symphony était sur le point de se produire ici, sur cette planète de la bordure médiane plongée dans l’ignorance du nom de Chibias.

Assise au douzième rang en partant du fond de la salle, à deux sièges de l’allée la plus à gauche, Mara Jade inspira profondément et essaya de savourer cet instant. Elle avait toujours aimé cet orchestre et, par le passé, elle n’avait jamais manqué d’assister à leurs concerts à chaque fois que le temps et ses fonctions le lui avaient permis.

Quelquefois, elle était même allée jusqu’à se fabriquer une mission de toute pièce pour justifier sa présence, sélectionnant au hasard un haut fonctionnaire disposant d’une loge permanente et suggérant qu’il soit mis sous surveillance pour la soirée. Son maître cédait habituellement à ses désirs, bien qu’elle douta qu’il n’ait jamais été abusé par ses prétextes. En fait, il semblait toujours avoir tout su.

Tout, excepté bien sûr l’heure et les circonstances de sa propre mort.

Elle changea de position sur son siège, mal à l’aise : les souvenirs de cet instant assombrissaient son humeur malgré les accords subtils et fantaisistes qui lui parvenaient de la scène où les préparatifs se poursuivaient. Elle était venue ce soir, avec l’espoir de faire resurgir les souvenirs apaisants des jours meilleurs. Au lieu de cela, elle ne parvenait qu’à réaliser de nouveau à quel point son ancienne vie avait disparu pour ne laisser la place qu’à un vide béant.

C’était la faute de Skywalker, et celle de Vador.

Et bien sûr la sienne, pour ne pas avoir tué Skywalker quand elle en avait eu l’occasion.

Sur scène, l’orchestre était maintenant au complet et l’échauffement battait son plein, mais la magie avait disparu. Avec tristesse et colère, Mara sut qu’elle s’était attardée une soirée de trop sur ce monde. Il était temps de se remettre en route.

S’excusant à voix basse auprès des deux Duros assis à côté d’elle, elle passa devant eux. Non, avec Ysanne Isard et tous les Renseignements Impériaux à sa recherche, elle était vraiment restée trop longtemps sur cette planète.

Elle allait retourner à sa modeste chambre d’hôtel, emballer ses quelques affaires et quitter ce rocher. Des cargos arrivaient et repartaient du spatioport de la ville toute la nuit, et le centre de recrutement de la guilde qui s’occupait d’embaucher des équipages était ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il devrait être assez facile de trouver un travail temporaire.

Atteignant l’allée, elle commença à remonter la légère pente qui menait à la sortie. Devant, juste dans l’encadrement de la porte, trois hommes parlaient à voix basse avec un jeune homme mince aux cheveux en broussaille. La conversation était tendue. Un des hommes, d’âge moyen, aux cheveux noirs et courts parsemés de mèches blanches, portait une tenue adaptée aux soirées officielles, de celles qu’affectionnaient les hommes cultivés et les amateurs de concerts. Les deux autres avaient des tuniques identiques, le badge doré du personnel de la salle de concert, et la carrure d’agents de la sécurité.

Mara regarda le gamin, secouant mentalement la tête en voyant ses simples habits de voyage. Autrefois, sur Coruscant, on ne l’aurait jamais laissée assister à une représentation en soirée avec une tenue aussi minable. Et par-dessus tout, il traînait même son sac à dos avec lui.

Puis, alors qu’une nouvelle série de souvenirs doux-amers dérivaient devant ses yeux, elle vit l’homme en habit de soirée glisser quelque chose de la taille et de la forme d’une datacarte dans la poche latérale du sac à dos du gamin.

Mara ralentit son allure, ses réflexes d’investigatrice aguerrie soudain en alerte. L’homme n’était pas simplement en train de remettre en place un objet qu’il aurait pris plus tôt : le mouvement avait été furtif, de manière à ne pas être vu des deux agents de la sécurité. Ça ne ressemblait pas non plus à un transfert de courrier, pas avec ces vigiles attendant à côté du garçon, lequel se trouvait par ailleurs être au centre de toutes les attentions. Il semblait également peu probable que l’homme se débarrasse de quelque chose de compromettant avant d’être lui-même fouillé.

Il ne restait plus qu’une possibilité. Quel que soit l’objet glissé dans le sac à dos, il devait servir à attirer des ennuis au gamin.

Un des agents de la sécurité s’occupait maintenant du sac à dos, tandis que son collègue poussait gentiment mais fermement le gamin dans le hall. Au moment où ils disparaissaient par la porte, Mara accéléra de nouveau le pas tout en se demandant ce qu’elle allait faire exactement.

Que pourrait-elle bien faire, d’ailleurs ? Ce n’était pas ses affaires et en tant qu’ex-Main de l’Empereur sans aucune autorité légale, elle n’était guère en position de se mêler de cette histoire… Surtout avec Isard à ses trousses.

Mais le gamin lui avait semblé si désorienté et perdu, tout comme elle dernièrement.

Juste dans l’encadrement de la porte, en face de l’allée où s’était produite la discrète altercation, une ouvreuse attendait à son poste. Elle était en train de triturer sa pile de datacartes, détaillant le programme, la tête à demi tournée, tendant le cou en direction du hall et du groupe qui venait d’y pénétrer. Elle n’était donc pas préparée au choc lorsque Mara la percuta de plein fouet.

— Oh ! Excusez moi, souffla Mara en s’agrippant à l’ouvreuse.

Son geste permit aux deux femmes de conserver leur équilibre alors que le choc menaçait de les faire tomber toutes les deux sur le sol recouvert d’une épaisse moquette.

— Qu’est-ce que je peux être maladroite. Est-ce que vous allez bien ?

— Je vais bien, lui assura la femme qui essayait maladroitement de ne pas faire tomber ses datacartes. Et vous ?

— Moi aussi, dit Mara, lissant la veste de la femme à l’endroit où elle l’avait agrippée. C’est juste que je ne vois rien dans le noir.

— C’est bon, répondit l’ouvreuse. Vous feriez mieux de vous dépêcher ou vous allez manquer l’ouverture.

— Vous avez raison, acquiesça Mara qui la frôla en se hâtant de franchir la porte.

Une fois de l’autre côté, elle s’arrêta le temps d’épingler sur sa robe le badge qu’elle avait subtilisé à l’ouvreuse, puis elle poursuivit son chemin dans le hall.

Les quatre individus étaient toujours là, à l’écart, hors du chemin des quelques retardataires qui se dépêchaient d’entrer dans la salle de concert. L’agent de la sécurité tenait toujours le sac à dos du gosse, mais il n’essayait même pas de le fouiller. L’homme en habits de soirée, pour sa part, se tenait en retrait, à distance respectueuse des trois autres.

Mara l’étudia tandis qu’elle marchait en direction du groupe. Il était plus jeune qu’elle ne l’avait d’abord pensé, elle s’en rendait compte à présent : il n’avait probablement pas plus de trente ans. Son visage et son attitude semblaient calmes et posés mais, cachée sous la surface, elle percevait une certaine tension. Il se passait quelque chose, c’était évident, et quelque chose d’important.

— … jusqu’à ce que les autorités compétentes arrivent, disait l’homme à l’air sérieux alors que Mara, avançant à grand pas, arrivait à portée de voix.

Les yeux de l’homme se posèrent brièvement sur l’intruse, glissant en un clin d’œil sur le visage de la jeune femme, sa tenue, et son badge, avant de détourner son regard avec désinvolture.

Les deux agents de la sécurité, en revanche, ne l’avaient même pas remarquée.

— Absolument, Conseiller, répondit l’un d’entre eux, le regard rivé sur le gosse. La loi impériale est claire sur la procédure à suivre lorsqu’une personne est arrêtée en possession d’armes illégales.

Mara grimaça intérieurement. Voilà donc à quoi il jouait. Il avait caché quelque chose d’incriminant sur le gosse avant de l’accuser de port d’armes illégales, ce qui lui allait lui valoir une fouille immédiate. La police finirait par trouver l’objet en question et le gamin se retrouverait dans les ennuis jusqu’au cou.

Mais pourquoi ? L’éclairage étant meilleur ici que dans la salle, elle put voir que le gosse avait l’air sale. Un léger duvet recouvrait son menton et il avait manifestement dormi avec les vêtements qu’il portait. Par l’Empire, en quoi ce gamin pouvait-il bien justifier un tel coup monté ?

Il n’y avait qu’une seule façon de le découvrir…

— Puis-je vous aider ? demanda-t-elle, adoptant un ton résolu et très officiel.

L’homme à l’air sérieux se tourna pour la regarder, ses yeux se posant de nouveau sur son badge.

— Qui êtes-vous ?

— Je suis Litassa Colay, lui répondit Mara, ajoutant un nom de famille imaginaire au prénom gravé sur le badge qu’elle venait d’emprunter. Directrice des Événements Spéciaux Extraplanétaires de cette salle de concert. Y a-t-il un problème… (Elle baissa les yeux sur le badge de l’homme qui tenait le sac à dos.) Jayx ?

— Nous n’en sommes pas sûrs, fit Jayx en la regardant d’un air incertain.

Mais le badge de son interlocutrice était en règle et, bien sûr, il ne pouvait pas espérer reconnaître tous les cadres supérieurs de la salle de concert.

— Ce monsieur est le Conseiller Raines de l’équipe du Gouverneur Egron, continua-t-il. Il dit qu’il a vu ce garçon en train de manipuler un blaster dans son sac à dos. Il a appelé les autorités et nous les attendons pour le dénoncer et procéder à une fouille en règle.

— Nous voulons être sûrs de bien respecter la loi, ajouta Tomin, le deuxième agent de la sécurité.

— Une attitude très louable, dit Mara, jetant un rapide coup d’œil derrière le groupe.

Le mur latéral du hall comptait trois portes battantes. Aucune n’était identifiée ; il s’agissait probablement de bureaux ou de petites pièces de rangement. Mara fit appel à la Force, espérant se faire une idée de ce sur quoi elles donnaient.

Mais il n’y avait rien. Elle n’apprit et ne vit rien de plus, n’entra en contact avec aucun autre esprit, ne ressentit rien du tout.

Apparemment, la Force n’était plus avec elle.

En attendant, elle faisait face à deux gardes chargés de la sécurité. Ces derniers étaient vraisemblablement entraînés et chacun pesait au moins dix kilos de plus qu’elle. Elle utilisait une identité d’emprunt qui pouvait maintenant être percée à jour par l’un d’entre eux d’une seconde à l’autre. Et cela alors qu’elle se trouvait au milieu d’une ville située sur une planète appartenant à l’Empire ; un Empire où elle était une femme recherchée.

L’arme qu’elle cachait habituellement dans sa manche et son sabre laser étaient restés dans sa chambre d’hôtel.

Mais, par l’Empire, que faisait-elle ici ?

Pour quelle raison idiote s’était-elle embarquée dans cette histoire ? Mais elle n’avait plus le choix : elle devait approfondir cette affaire et de préférence dans un endroit un peu moins fréquenté.

— Mais pas au milieu du hall, continua-t-elle en leur indiquant, au hasard, la porte la plus à gauche. Par ici, s’il vous plaît.

Tomin saisit le bras du garçon, et le groupe avança dans cette direction. Mara resta derrière eux, considérant le temps dont elle disposait. Une fois que Jayx eut avancé de trois pas, elle se plaça juste derrière lui et attrapa une des bretelles du sac à dos.

— Ouvrez la porte, lui ordonna-t-elle.

Par réflexe, il se laissa docilement prendre le sac et s’avança en sortant sa carte d’accès pour la glisser dans la fente. La porte bipa et il la tira pour l’ouvrir.

Il n’y avait là ni bureau ni salle de stockage, mais un long couloir sur lequel donnaient plusieurs autres portes. À son extrémité, il tournait vers la gauche, menant probablement aux coulisses.

Ce n’était pas exactement ce qu’elle avait espéré, mais il faudrait faire avec.

— Passez devant, fit-elle, invitant Tomin à avancer d’un signe de sa main libre. Nous allons les attendre dans la première salle de répétition.

Tomin plissa légèrement le front, mais il se retourna et s’engagea dans le couloir sans faire de commentaire. Mara fit signe au Conseiller Raines de le suivre. De nouveau, les yeux de l’homme se posèrent sur son visage comme s’il sentait le piège, mais les choses allaient trop vite pour lui et, à l’instar de Tomin, il avança sans discuter. Mara passa devant Jayx et le garçon, comme pour se joindre au cortège.

Au lieu de cela, saisissant le bord de la porte, elle la claqua derrière Tomin et Raines.

Jayx, stupéfait, était toujours figé au même endroit lorsqu’elle se retourna brusquement et lui plaqua le sac à dos du gosse en pleine face. Dans un mouvement réflexe, il leva les mains pour se protéger le visage ; Mara en profita pour lui donner un coup puissant au ventre avec sa main libre.

Il se plia en deux en gémissant de douleur. Mara envisagea de le frapper au cou pour s’assurer qu’il reste à terre mais elle décida finalement que ce n’était pas nécessaire. À la place, elle le fit pivoter et l’envoya violemment heurter la porte.

Juste à temps : la porte commençait à se rouvrir sous les coups de Raines ou de Tomin. La porte se referma de nouveau brutalement sous l’impact du corps de Jayx, assommant probablement la personne qui se trouvait derrière.

Le gosse la regardait d’un air ahuri.

— Viens ! lui ordonna Mara, attrapant son poignet pour l’entraîner vers les portes de sortie.

Pendant la première demi-seconde elle eut l’impression de traîner derrière elle une statue. Puis, soudain, il se décolla du plancher incrusté de marbre et se laissa entraîner à sa suite.

— Mais je n’ai rien fait, protesta-t-il.

— J’adorerais te voir leur prouver ton innocence, répliqua Mara par-dessus son épaule, tout en jetant un coup d’œil au travers des portes vitrées et délicatement ouvragées de l’entrée de la salle de concert.

Toujours aucun policier en vue. Poussant la porte, elle attira le gosse à l’extérieur dans l’air nocturne.

— Ton ami le Conseiller Raines a caché quelque chose dans ton sac.

Ils coururent à grandes enjambées jusqu’à ce qu’ils aient traversé la moitié du premier îlot de bâtiments puis ils ralentirent et se mirent à marcher afin de mieux se fondre dans le flot nocturne des piétons. Il n’y avait ni cri, ni aucun autre signe d’éventuels poursuivants et, alors qu’ils continuaient leur chemin dans cet îlot, Mara commença à se demander si Raines avait oui ou non appelé la police.

Mais, juste au moment où ils atteignaient l’angle de la rue, un petit transporteur de troupes en milieu urbain arriva en rugissant. Il descendait la rue en direction de la salle de concert.

Sauf qu’il ne transportait pas de policiers. Alors qu’il passait sous un réverbère, elle aperçut le reflet blanc de l’armure d’un stormtrooper.

Le garçon s’éclaircit la gorge.

— Vous n’auriez pas quelque chose à manger, demanda-t-il avec espoir.

Apparemment, il n’avait pas remarqué les stormtroopers.

— Bien sûr que si, fit Mara en soupirant.

Elle tourna dans une rue transversale et prit la direction de son hôtel.

Par l’Empire, dans quoi s’était-elle embarquée ?

Avec des stormtroopers probablement en train de se déployer dans les environs du théâtre, pousser la porte d’une cantina ou d’un café ne semblait pas être une bonne idée. Mais une fois dans sa chambre, elle ne trouva que quelques fruits pas très frais et un paquet de rations de survie.

Toutefois le gamin n’était pas difficile. Il se précipita sur ces piteuses victuailles comme s’il n’avait pas vu de nourriture de la semaine. Ce qui était probablement le cas, se dit Mara en étudiant ses joues creuses alors qu’il mangeait.

Deux fruits et trois barres de ration plus tard, il finit par s’arrêter, presque à contrecœur.

— Merci, dit-il en vidant son cinquième verre d’eau. Désolé. Je crois que j’avais plus faim que je ne le pensais.

— C’est sans importance, lui assura Mara. Dis-moi, que s’est-il passé, tout à l’heure, dans la salle de concert ?

Il secoua la tête.

— Aucune idée. Tout ce que je sais c’est que j’étais supposé rencontrer quelqu’un qui ne s’est jamais montré, et que je ne peux pas rentrer chez moi…

— Stop, fit Mara, en levant une main. On reprend depuis le début. D’où viens-tu ?

— D’une ville qui s’appelle Saraban, répondit-il. C’est sur Sibisime. Je, euh… faisais des petits boulots quand un homme est venu me voir. Il a dit que si je venais ici, sur Chibias, il aurait un travail très intéressant pour moi au palais du gouverneur. C’est bien là où vit le gouverneur, n’est-ce pas ?

— En effet, il est juste là, sous ces dômes et ces tours, fit sèchement Mara, indiquant d’un signe de la tête la fenêtre qui donnait sur le palais du gouverneur, à une douzaine de blocs d’immeubles de là.

Le gosse suivit son regard en plissant les yeux.

— Oh. Ouais. Enfin bref, je suis ici depuis une semaine. Il m’avait donné un billet pour un cargo spatial, mais il ne m’a pas rejoint au spatioport et l’adresse à laquelle il m’avait donné rendez-vous n’existait pas… Je me suis dit que ça ne devait pas être la bonne ville. J’avais juste un aller simple et pas assez d’argent pour retourner chez moi. J’ai fini par dépenser ma dernière pièce il y a deux jours.

— Où t’es-tu réfugié, demanda Mara.

— Dans le coin, dit-il, indiquant la fenêtre d’un geste vague de la main.

— Je comprends, acquiesça Mara. Qu’est-ce qui t’a poussé à venir au concert ? Et comment es-tu parvenu à entrer sans argent ?

— Oh, j’avais déjà un billet, lui expliqua le garçon. Il était dans le paquet qu’il m’a donné avec mon billet pour le voyage. J’ai pensé qu’il projetait peut-être de me rencontrer là-bas. (Il haussa les épaules.) Dans le cas contraire, j’aurais au moins pu dormir quelques heures.

Il passa une main dans ses cheveux qui étaient un peu gras.

— Je crois que je ne le saurai jamais maintenant.

— Oh, mais je pense qu’il était bien là, lui assura Mara en prenant le sac à dos du garçon. Peut-être pas en personne, mais il est derrière cette histoire. Tu as été piégé.

— Piégé ? répéta-t-il en fronçant les sourcils. Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que quelqu’un t’a attiré ici, t’a laissé sans repères et mourir de faim, puis t’a envoyé au devant de sérieux ennuis.

Elle lui montra la datacarte glissée dans son sac à dos par le Conseiller Raines.

— Avec ça.

Le garçon fronça davantage les sourcils, encore plus perplexe. Ou peut-être essayait-il simplement de lire l’étiquette.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Je ne sais pas, répondit Mara, étudiant les inscriptions. Mais elle porte le sceau officiel du Gouverneur Egron, et ce qui ressemble à un classement confidentiel de niveau deux.

Ses yeux s’écarquillèrent.

— Le sceau du gouverneur ?

— Exactement. (Mara lui lança la datacarte et se leva.) Ils voulaient que tu te fasses arrêter en possession de secrets gouvernementaux volés.

Elle se dirigea vers l’ordinateur de la chambre et le mit en marche.

— Mais c’est complètement dingue, protesta le gosse derrière elle. Qu’est-ce que… je veux dire, pourquoi ? Pourquoi moi ?

— Dans ce genre d’affaire, la réponse est toujours la même, dit Mara en se connectant à l’HoloNet.

Toute cette histoire n’avait aucun sens, mais au moins elle savait maintenant par où commencer à chercher ce mystérieux commanditaire.

— En clair, tu as quelque chose qu’ils veulent.

— C’est encore plus fou, insista-t-il. Je n’ai rien. Aucune famille, pas d’argent. Aucun ami.

Mara plissa les lèvres. Il était exactement dans la même situation qu’elle.

— Est-ce que tu as des compétences spécifiques ou une formation particulière ? suggéra-t-elle. (Une fois la connexion HoloNet établie, elle saisit un de ses codes d’accès spéciaux.) N’importe quoi qui puisse servir à quelqu’un ? Zut !

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il en se levant de sa chaise pour venir se planter derrière elle.

— J’espérais me connecter à l’ordinateur du palais pour essayer de localiser ce Conseiller Raines, lui expliqua-t-elle en essayant un autre code ; qui ne fonctionna pas plus. Je connais quelques codes d’accès prioritaires, mais il semble que les hommes du gouverneur se soient introduits dans le système et les aient changés.

— Oh, fit le garçon. Je peux essayer ?

Mara plissa le front. Mais il semblait parfaitement sérieux.

— Tu connais des codes d’accès impériaux ? lui demanda-t-elle, sarcastique.

— Eh bien, non, concéda-t-il. Mais je suis assez doué avec les ordinateurs.

Mara hésita. Ce serait probablement une perte de temps mais, d’un autre côté, elle n’avait pas de meilleure idée pour le moment. Elle avait déjà bloqué tous les systèmes de repérage qu’ils étaient susceptibles d’utiliser pour remonter jusqu’à elle, elle ne risquait donc rien à le laisser jouer avec s’il le voulait.

— D’accord, vas-y, dit-elle en se levant pour lui laisser la chaise.

Son estomac gronda, lui rappelant qu’elle n’avait rien mangé depuis le déjeuner. Elle se dirigea vers le paquet de barres de ration ouvert dans lequel le gosse avait pioché. Peut-être qu’un peu de nourriture l’aiderait à penser. Elle choisit une des barres et lui retira son emballage…

— C’est fait, fit le garçon.

— Qu’est-ce qui est fait ? demanda Mara, mordant dans la barre.

— Je suis entré, répondit-il. Qu’est-ce qu’on recherche déjà ?

Mara revint vers lui, un frisson glacé lui parcourant le dos. Un cryptage impérial de niveau trois à usage gouvernemental ou diplomatique… et ce gosse des rues venait de le craquer comme si de rien n’était.

— Nous recherchons l’homme de la salle de concert, dit-elle, les lèvres pincées. Je doute que Raines soit son vrai nom, il sera donc probablement nécessaire de trouver les photos du personnel.

— D’accord, fit le garçon, ses doigts martelant délicatement les touches du clavier. Les premiers fichiers du personnel s’affichèrent. (Il se pencha en avant pour étudier l’écran de l’ordinateur.) Voyons…

— Il n’est pas là, dit Mara. Continue.

Le gamin se tourna vers elle.

— Mais je n’ai pas eu le temps de les regarder.

— Moi je l’ai eu, répliqua Mara, attrapant une deuxième chaise pour la placer à côté de lui. Il n’est pas là.

— Mais…

— Hé ! Fais-moi confiance, l’interrompit doucement Mara en se forçant à sourire. (Ce gosse restait une énigme, mais maintenant elle savait au moins pourquoi on s’était donné la peine de lui faire traverser la moitié du secteur.) Toi, ton truc, c’est les ordinateurs. Moi, c’est ça.

— Oh. D’accord.

Il semblait toujours perplexe, mais il se retourna néanmoins vers l’ordinateur et afficha les fichiers suivants.

Le palais était assez grand et le Gouverneur Egron semblait avoir plus que sa part d’employés, de domestiques, de conseillers et de diverses autres personnes vivant aux crochets du gouvernement. Même avec l’œil entraîné de Mara et son esprit discipliné, il leur fallut plus de deux heures pour parcourir les fichiers.

À la fin, ils n’avaient toujours aucune piste.

— Du coup, je suppose qu’il n’est pas directement lié au gouverneur, dit le garçon en se calant contre le dossier de sa chaise tout en se frottant les doigts.

— Oh, il y est forcément lié, j’en suis sûre, répondit Mara. Sinon, comment aurait-il obtenu cette datacarte ? C’est juste que leurs relations ne sont pas officielles.

Le garçon sembla assimiler l’information.

— Alors qu’est-ce qu’on fait ?

— Toi, tu vas rester ici, déclara Mara en se levant pour s’approcher du lit.

Sortant son sac de voyage qui se trouvait dessous, elle en retira son holster de manche et l’attacha à son avant-bras gauche. Récupérant le blaster sous son oreiller, elle l’y glissa. Puis, se dirigeant vers le petit placard à côté de la porte, elle prit une veste à la coupe classique, mais à l’aspect onéreux.

Le garçon n’avait pas manqué un seul de ses mouvements.

— Vous êtes de la police ? demanda-t-il, plus impressionné qu’inquiet. Ou un détective ?

— Ni l’un, ni l’autre, fit Mara, regrettant à nouveau son ancienne vie. Je reviens vite, lui dit-elle. (En mettant sa veste, elle s’assura que sa manche gauche ne la gênerait pas pour dégainer rapidement son arme.) N’appelle personne, ne réponds pas à ton comlink et n’ouvre pas la porte. Fais comme si tu n’étais pas ici. Prends une douche ou dors si tu veux. Je rentrerai dès que possible.

— Où allez-vous ?

— Quelqu’un, au palais, est impliqué dans cette affaire, lui dit Mara. Cette même personne s’attendait à ce que Raines te ramène de la salle de concert. En ce moment, il doit probablement s’inquiéter, se demander où tu es et ce qui n’a pas fonctionné dans son plan. (Elle esquissa un sourire.) Quand un arbre a déjà été secoué, il est beaucoup plus facile d’en faire tomber les fruits.

— Oh, fit-il. OK.

— Bien, poursuivit Mara, alors tu ne bouges pas.

Elle s’arrêta devant la porte comme si une idée venait soudainement de lui traverser l’esprit.

— Au fait, je ne connais pas ton nom.

Il haussa les épaules.

— On m’appelle Ghent.

— Ghent comment ?

Il sembla embarrassé.

— Juste Ghent. Je veux dire : avant j’avais un nom… mais personne ne m’appelle plus comme ça maintenant et…

— Bien, très bien, l’interrompit-elle. Je te verrai plus tard.

Elle sortit, s’assurant que la porte se ferme bien derrière elle. Si Ghent était à ce point impressionné par un simple blaster de manche, pensa-t-elle avec ironie, c’était une chance qu’il n’ait pas vu ce qu’elle cachait dans la profonde poche, sous son bras gauche.

Touchant la poche en question, elle s’assura que son sabre-laser était prêt et accessible, puis elle s’enfonça dans la nuit.

— Arica Pradeux, déclara Mara d’un ton brusque, obligée de se présenter pour la troisième fois de la soirée. (Cette fois c’était au capitaine de la garde en faction dans le hall d’entrée du palais.) Code d’identification : Hapspir Barrini. Informez le Gouverneur Egron que je veux le voir immédiatement.

La bouche du capitaine se contracta.

— Retournez à vos postes, ordonna-t-il aux stormtroopers qui avaient escorté Mara depuis la porte du palais. Vous : venez avec moi.

Il la conduisit à travers le hall d’entrée, puis ils franchirent de hautes portes coulissantes qui s’ouvrirent lorsqu’il murmura un mot. Ils débouchèrent sur une salle de réception privée, plus petite que le hall d’entrée, mais au décor plus élaboré. La pièce en forme de dôme, haute de deux étages, reposait sur un ensemble de colonnes et d’arches ; un balcon avec balustrade longeait le deuxième niveau.

— Donc vous êtes envoyée par un Grand Moff, n’est-ce pas ? fit remarquer le capitaine alors que les portes se refermaient derrière eux.

Un test, de toute évidence.

— Votre datapad doit avoir un court-circuit, répliqua Mara. Je vous ai donné le code d’identification d’un agent sous les ordres directs d’un Grand Amiral.

Le capitaine étudia son visage.

— Pas exactement, dit-il. Je crois savoir que le code que vous m’avez donné est incomplet.

— C’est exact, reconnut Mara. Je donnerai le complément au Gouverneur et à personne d’autre.

Le capitaine acquiesça en hochant lentement la tête.

— Très bien, attendez ici.

Il traversa rapidement la pièce et sortit par l’une des portes. Mara jeta un coup d’œil autour d’elle, s’imprégnant des détails de la salle…

— Peut-être puis-je vous être utile, s’exclama une voix familière depuis le niveau supérieur.

Mara leva les yeux. L’homme qui se faisait appeler Conseiller Raines se tenait juste au-dessus d’elle, appuyé contre la rampe alors qu’il regardait vers le bas.

— C’est possible, approuva Mara. Pouvons-nous parler ?

Il se redressa, un léger sourire aux lèvres, et avança sur le balcon circulaire. À quelques pas devant lui, un escalier en colimaçon permettait de rejoindre le niveau où se trouvait Mara. Elle l’observa tandis qu’il descendait, cherchant dans sa démarche et son attitude des indices sur son identité ou son statut. Ce n’était pas un militaire, décida-t-elle, ou alors d’un grade peu élevé. Mais ce n’était pas non plus un politicien de carrière. Un membre des Forces Spéciales ? Probablement.

Il atteignit l’étage inférieur et marcha vers elle.

— Je suis le Conseiller Raines, fit-il. Je ne pense pas que nous ayons été correctement présentés lors de notre dernière rencontre à la salle de concert.

— En effet, acquiesça Mara. (Elle remarqua un hématome récent sur son front. Apparemment c’était lui qui se ruait vers elle lorsqu’elle avait projeté Jayx contre la porte de la salle de concert.) D’ailleurs, nous ne le sommes toujours pas, ajouta-t-elle. Le Conseiller Raines n’existe pas.

Ses lèvres s’étirèrent en un sourire ironique.

— Vous avez donc déjà consulté les fichiers du gouverneur, n’est-ce pas ? (Il haussa les épaules, lui concédant le point.) Très bien. Appelez-moi Markko. Je suis une sorte d’attaché officieux au service du Gouverneur Egron.

— Qu’entendez-vous par officieux ? demanda Mara.

Markko sourit de nouveau, avec un peu plus d’ironie cette fois.

— Si nous ne faisions par partie de l’Empire, je pourrais probablement dire que je suis son ami, commença-t-il. Mais comme vous le savez, les fonctionnaires de haut-rang ne sont pas autorisés à avoir des amis.

Mara fit de son mieux pour rester impassible. Mais quelque chose dut tout de même transparaître sur son visage car elle le vit réagir.

— À propos d’amis, ajouta-t-il d’un ton doucereux, comment va le vôtre ?

— Il est sain et sauf, et en lieu sûr, répondit Mara, ennuyée d’avoir déjà perdu un point dans cette petite confrontation. Cependant, il est encore un peu confus. Pourquoi ne pas me raconter toute l’histoire ?

— Êtes-vous réellement envoyée par un Grand Amiral ? lui demanda abruptement Markko.

— Il m’est parfois arrivé de leur servir de messager, répondit Mara, ce qui s’avérait être la vérité. En ce moment, je suis entre deux emplois.

— Ce n’est donc pas une enquête officielle ?

— Disons que la situation a éveillé mon intérêt, continua Mara. Qu’a bien pu faire Ghent pour que vous jugiez bon de le faire tourner en rond de cette façon ?

Markko haussa les épaules.

— Le gouverneur a besoin de son aide pour un travail. Je me suis porté volontaire pour la lui obtenir.

— En le faisant chanter avec une datacarte volée ? Pourquoi ne pas l’avoir simplement embauché ?

Markko renifla avec mépris.

— Quoi, ce sale petit hacker tout droit sorti de la Frange ?

— Un sale petit hacker tout droit sorti de la Frange mais dont l’aide vous serait précieuse, le contra Mara. Alors, que m’offrez-vous en échange ?

Markko sembla déconcerté.

— Quoi ?

— Vous m’avez bien entendu, fit Mara. Vous avez besoin de Ghent et je l’ai. Comment dois-je le dire pour me faire comprendre ?

— Vous allez nous le vendre ? demanda Markko avec suspicion. Je pensais que vous étiez son amie.

— C’est vous qui avez dit qu’il était mon ami, pas moi, lui fit remarquer Mara. Mais ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Je vous propose de monnayer ses services. (Elle haussa légèrement ses sourcils.) Et après ce que vous lui avez fait subir, ne vous attendez pas à ce qu’il soit bon marché.

Le visage de Markko pris un air entendu.

— Hum… hum, fit-il. Et en tant qu’intermédiaire, je suppose que vous prendrez les dix pour cent habituels ?

— Vingt, corrigea Mara. Parce que je suis aussi son garant.

— Garant de quoi ?

— De sa sécurité, répondit doucement Mara. S’il est aussi bon hacker que vous le sous-entendez, l’Empire pourrait lui trouver d’autres utilités. Je ne voudrais pas qu’il trébuche sur quelque chose, en sortant du palais par exemple.

Markko sourit.

— Bien sûr, fit-il. D’accord, j’accepte. Combien voulez-vous ?

Mara fit un rapide calcul mental. Un bon expert en informatique pourrait exiger cinq ou six cents de l’heure dans une compagnie au travail honnête. Il était temps de voir à quel point Markko avait besoin de l’aide de Ghent.

— Deux mille, fit-elle.

Markko écarquilla les yeux.

— Deux mille ?

— Oui, confirma Mara. Par heure, bien sûr.

Markko secoua la tête.

— Vous êtes folle.

— Et vous, vous êtes désespéré, lui rappela-t-elle. Parce que le Gouverneur Egron ne vous a pas du tout demandé de louer les services de Ghent, n’est-ce pas ? Aucun gouverneur impérial ne suggérerait d’embaucher un hacker de la Frange.

Elle pointa un doigt vers lui.

— Non, Markko. Vous êtes celui qu’Egron a embauché pour faire le travail. Seulement voilà, vous n’êtes pas assez bon, n’est-ce pas ?

Cette fois, il eut une microscopique réaction, indiquant ainsi à Mara que sa remarque avait fait mouche. Et, comme elle auparavant, il reconnut qu’il venait de perdre un point :

— Très intelligent, fit-il avec aigreur. Pour quel Grand Amiral avez-vous dit travailler ?

— J’ai dit que j’étais entre deux emplois, répliqua Mara. Vous avez besoin de Ghent pour quoi faire ?

Les muscles des joues de Markko se crispèrent légèrement.

— Nous avons mis la main sur un système informatique Rebelle, fit-il, très doucement. Il ne s’agit pas d’un simple terminal d’accès : nous l’avons récupéré dans un centre de commandement. Si nous réussissons à le pirater, nous pourrons débarrasser cette région de l’espace de la vermine.

Mara inspira à fond. De sa main, elle chercha à attraper son sabre-laser. C’était l’occasion de frapper les amis Rebelles de Skywalker.

— Et vous ne pouvez pas le faire vous même ?

Markko grimaça.

— Je suis plutôt bon comme craqueur, fit-il. Mais là, ça dépasse mes compétences.

— C’est vraiment dommage pour vous, murmura Mara. Le visage de Skywalker flottait devant ses yeux…

— Je vous en donnerai huit cent, suggéra Markko.

Mara dut faire un effort pour chasser Skywalker de ses pensées.

— J’ai dit deux mille.

— C’est ridicule, s’emporta Markko. Je veux bien monter jusqu’à mille, mais je n’irai pas plus loin : c’est deux fois plus que ce qu’il gagnerait dans n’importe quelle société normale.

— Une société normale ne vous fait pas dormir dans la rue pendant deux jours et n’essaye pas ensuite de vous faire chanter, répliqua Mara. Deux mille. C’est à prendre ou à laisser.

Markko soupira, résigné.

— Je prends, siffla-t-il entre ses dents. Quand pourra-t-il commencer ?

— Oh, je ne sais pas. (Mara regarda brièvement la collection de chronos qui ornait le mur.) La nuit ne fait que commencer. Nous serons ici dans deux heures.

— Ce soir ?

Markko sembla surpris.

— Pourquoi pas ? l’interrogea Mara. Vous voulez qu’il pirate votre ordinateur, alors allons-y. Par quelle entrée devons nous passer ?

Markko pinça les lèvres.

— Par la porte sud-ouest, fit-il. Je vous y attendrai pour vous faire entrer.

— Nous y serons, promis Mara. Assurez-vous juste que l’argent soit prêt.

La ville bourdonnait toujours d’activité avec ses véhicules et ses piétons lorsque Mara fut escortée jusqu’à la sortie du palais. Elle pensa un instant à héler un transporteur, mais elle repoussa finalement cette idée et opta pour la marche à pied. Elle soupçonnait que Ghent serait enthousiasmé par l’affaire qu’elle venait de conclure.

En supposant, bien sûr, qu’elle décide de lui en parler.

Car il y avait quelque chose qui la dérangeait dans l’histoire de Markko. Quelque chose qui ne collait pas.

Pourquoi Markko avait-il voulu faire chanter Ghent, et maintenant accepté de l’embaucher, pour faire ce travail ? Et d’ailleurs, pourquoi le Gouverneur Egron avait-il commencé par engager Markko ? L’Empire disposait d’un certain nombre d’experts en informatique ; ils n’étaient peut-être pas aussi bons ni aussi rapides que Ghent, mais ils étaient néanmoins compétents. Pourquoi ne pas en avoir affecté quelques-uns à ce travail ?

Peut être avaient-ils déjà été sollicités, sans pour autant réussir. Mais alors pourquoi laisser Ghent mariner pendant une semaine ? Pourquoi ne pas l’avoir immédiatement traîné au palais et lui ordonner de faire le travail ? Après tout, le gouverneur Egron représentait l’Empire, au moins dans ce secteur. Il pouvait réquisitionner tout ce qu’il voulait, qu’il s’agisse de personnes ou de matériels.

Non, il y avait autre chose là-dessous. Une chose qui impliquait de multiples stratagèmes et beaucoup d’argent.

Et, apparemment, cette chose lui valait d’être suivie.

Elle l’avait repéré dès le premier bloc d’immeubles : un homme assez petit et quelconque, flânant derrière elle comme s’il venait juste d’arriver de la campagne pour profiter du spectacle et goûter aux sons de la grande ville. Il n’était pas mauvais, mais pas assez bon face à quelqu’un ayant la formation de Mara. Manifestement, Markko ne pensait pas qu’elle serait au rendez-vous comme promis.

Mais il l’avait également sous estimée.

Cela lui ouvrait des opportunités.

Elle maintint son allure, continuant toujours dans la même direction tout en gardant un œil sur son poursuivant. Devant elle, au niveau de la prochaine intersection, elle vit les entrées de deux des plus petits théâtres de la ville.

Et, vu l’heure, au moins l’un d’entre eux devait commencer à se vider.

Elle tourna au coin de la rue, ce qui la mit temporairement hors de vue de son poursuivant. Comme elle s’y attendait, des landspeeders étaient garés, alignés des deux côtés du passage pour piétons ; de l’autre côté de la rue, la foule du soir composée d’humains et d’autres espèces, sortait par les portes du théâtre.

Parfait.

Jetant un coup d’œil derrière elle afin s’assurer que l’angle de l’immeuble l’empêchait toujours d’être vue par son poursuivant, elle se laissa tomber sur le trottoir et roula sous l’un des véhicules garés. D’une certaine manière, cette technique était d’une simplicité évidente, mais les entraîneurs de l’Empereur lui avaient assuré que la plupart des personnes, y compris des professionnels, n’y pensait simplement pas.

Surtout quand d’autres possibilités étaient bien plus vraisemblables. Maintenant, des véhicules démarraient de partout et sortaient de leur place de parking, ramenant chez eux les clients du théâtre. Mara maintint son attention sur l’angle de l’immeuble et, quelques secondes plus tard, une paire de bottines apparut. L’homme s’arrêta un instant, puis se hâta d’avancer.

Mais sa mission était un échec et il le savait. Trop de véhicules, trop de gens et trop peu de lumière. Il dépassa le landspeeder qui servait de cachette à Mara et passa devant deux autres véhicules avant de renoncer, ralentissant son allure pour finalement s’arrêter à contrecœur. Jurant assez fort pour être entendu malgré le bruit de véhicules qui partaient, il rebroussa chemin.

Au moment où il repassait devant le landspeeder sous lequel se trouvait Mara, une autre paire de bottines le rejoignit depuis le coin de la rue.

— Qu’est-ce que tu fiches ? siffla la voix d’un homme, à peine audible à cause du grondement de la foule. Où est-elle ?

Intéressant, pensa Mara tout en s’approchant le plus possible du bord du véhicule. Ainsi elle avait un deuxième poursuivant, prêt à prendre la suite quand elle aurait réussi à se débarrasser du premier, plus facilement repérable. Peut-être Markko ne l’avait-il pas sous-estimée autant qu’elle le pensait.

— À ton avis ? répondit sèchement le premier. Quelque part, ici ou ailleurs.

Le nouvel arrivant jura, mais avec moins d’imagination que son partenaire.

— On devrait faire notre rapport. Markko ne va pas être content.

— « Markko ne vas pas être content », le singea l’autre avec hargne. Sans blague !

Le rapport fut bref et vif. Mara ne pouvait pas discerner les mots qui sortaient du comlink, mais du côté où elle se trouvait, il était clair que Markko n’était pas content du tout. Les deux hommes firent demi-tour et franchirent de nouveau le coin de la rue, revenant sur leurs pas.

Mara compta jusqu’à trente pour leur laisser le temps de s’éloigner. Ensuite, elle sortit en roulant de sous le speeder, épousseta sa robe et partit à leur poursuite.

Ils l’avaient suivie. Ce n’était que justice qu’elle leur rende la politesse.

Et qu’elle leur montre comment on faisait une filature.

Elle s’était attendue à ce que les deux hommes retournent au palais. Si tel avait été le cas, elle n’aurait rien pu faire d’autre que de vérifier si c’était bien Markko qui les attendait à la porte. Mais, à sa grande surprise, ils empruntèrent une rue latérale située deux blocs d’immeubles avant le palais. Une minute plus tard, ils disparurent par la porte d’entrée d’une grande maison.

Mara, qui essayait de comprendre ce que signifiait ce nouveau rebondissement, se dirigea vers l’arrière de la maison tout en restant de l’autre côté de la rue. Pourquoi Markko les aurait-il envoyés à l’extérieur du palais ? Est-ce qu’ils rentraient tout simplement chez eux ? Mais dans ce cas, pourquoi Markko les laissait-il faire alors qu’ils ne lui avaient pas fait de rapport complet ?

À moins que ce ne soit la maison de Markko ? Mais là encore, pourquoi ne faisaient-ils pas leur débriefing au palais ?

La porte de derrière était verrouillée, mais la serrure ne lui posa pas de problème. L’arrière de la maison était sombre et silencieux mais, alors qu’elle progressait dans un vestibule plongé dans l’obscurité, elle vit une lumière diffuse et entendit des chuchotements provenant de quelque part devant elle.

La lumière et les sons s’amplifièrent au fur et à mesure qu’elle traversait successivement une salle à manger, une salle de jeu et une chambre de méditation qui servait apparemment plus de salle de réception que de réel lieu de solitude.

Enfin, après un dernier virage, elle trouva ce qu’elle cherchait.

La pièce s’étendait sur environ cinq mètres le long du vestibule. La porte ouverte laissait passer la lumière et les bruits d’une conversation tendue. Elle reconnut deux des voix : celles de ses deux anciens anges gardiens. Il y avait au moins trois autres voix, mais aucune ne semblait appartenir à Markko. Elle tendit l’oreille, essayant de comprendre ce qu’ils disaient…

— Gardez vos mains en évidence, dit Markko derrière elle, sur le ton de la conversation.

Mara étouffa un juron. Trop concentrée sur la conversation, elle en avait complètement oublié de surveiller ses arrières.

Mais il fut un temps où elle n’aurait pas eu besoin d’être autant sur ses gardes. La Force lui avait toujours donné de subtils avertissements, attirant son attention sur des choses que ses yeux et ses oreilles n’avaient pas encore détectées, la dotant d’un niveau de vigilance supérieur et d’une capacité de protection accrue.

Mais, apparemment, la Force n’était plus avec elle.

Pourquoi cela ? Avait-elle oublié comment s’en servir depuis la mort soudaine de l’Empereur ? Ou bien était-ce le traumatisme de cet événement qui avait fermé son esprit à la Force, l’empêchant d’y avoir accès ?

À moins que la Force n’ait jamais réellement été avec elle ? Était-il possible que ce soit simplement l’Empereur qui agissait à travers elle ?

Mais l’heure n’était pas à ce genre de considération : pour le moment, elle avait des problèmes plus immédiats sur les bras.

— Vous voilà, fit-elle calmement tout en se retournant et en veillant bien à garder ses mains loin de son corps. (Markko se tenait debout dans l’encadrement de la porte ouverte d’un placard, environ trois mètres derrière elle, un petit blaster à la main.) Vous savez, tout aurait été beaucoup plus simple si vous aviez simplement commencé par m’inviter à cette petite fête.

— Vraiment très drôle, grogna-t-il, lui faisant signe d’avancer avec son blaster. Entrez. Et ne tentez rien.

— Qui ? Moi ? rétorqua Mara. (Elle fit demi-tour et se dirigea vers la pièce éclairée.) C’est vous le spécialiste de ce genre de petits jeux. Je pensais que nous avions un marché.

La conversation qui se tenait dans la pièce voisine avait pris fin quelques secondes auparavant. Mara franchit la porte et découvrit huit personnes installées en cercle, assises le dos bien droit sur des chaises ou des divans. Toutes s’étaient tournées pour lui faire face. Trois des hommes avaient une main sous leur manteau, de toute évidence pour se saisir du blaster qui y était caché.

— Salut, dit Mara. Bienvenue au jeu hebdomadaire de Markko : Faites comme le Chef.

Son premier poursuivant renifla.

— Hilarant, grogna-t-il.

— Je m’appelle Arica, continua Mara. Et c’est moi le chef.

Elle regarda Markko alors qu’il pénétrait dans la pièce derrière elle.

— Et si nous faisions à nouveau les présentations, Markko ? Commençons par vous.

— C’est vous le chef, lui rappela sèchement Markko. Pourquoi ne commenceriez-vous pas ?

Il leva son blaster d’une manière significative.

— Et avant que vous ne répondiez, je dois vous dire que j’ai vérifié les fichiers de l’ordinateur du palais après votre départ. Le nom d’Arica Pradeux n’est mentionné nulle part.

— Pradeux, murmura un des autres hommes. Il y avait un Alex Pradeux parmi les conseillers de Palpatine.

— Aucun lien, lui assura Mara. J’emprunte juste son nom de temps en temps. C’est très utile pour ouvrir certaines portes.

— Alors qui êtes-vous ? demanda Markko. Et dans quel camp êtes-vous ?

Mara haussa les épaules, faisant de son mieux pour sentir et définir l’ambiance de la pièce alors qu’elle se livrait à un pile ou face mental. Une rencontre en dehors du palais impliquait très certainement un rassemblement anti-impérial. D’un autre côté, si Egron avait des ennemis à l’intérieur même de son palais – et quel gouverneur n’en avait pas ? – il pouvait tout aussi bien s’agir d’un groupe pro-impérial créé avec sa permission.

Sa pièce de monnaie virtuelle retomba sur la tranche.

— En ce moment, je ne suis d’aucun côté, répondit-elle à Markko. Je suis un entrepreneur strictement indépendant.

— Vous travaillez avec Talon Karrde ? demanda quelqu’un avec suspicion.

Mara secoua la tête.

— Jamais entendu parler de lui. Qui est-ce ?

— Un soi-disant caïd dans le monde de la contrebande, fit un autre homme en grognant. Un parmi la centaine à faire des pieds et des mains pour combler le vide laissé par Jabba lorsqu’il s’est fait comprimer la graisse qui lui tenait lieu de cou.

Mara sentit sa gorge se serrer. Jabba le Hutt. Tué sur Tatooine par nul autre que Luke Skywalker. Peu importe ce qu’elle faisait, elle ne semblait jamais pouvoir se débarrasser de lui.

— Qu’est-ce que Karrde a à voir avec ça ?

— Absolument rien, répliqua Markko. Donc, vous n’avez aucun penchant politique du tout, n’est-ce pas ? Je pensais que seules les limaces au cerveau déficient refusaient d’avoir des opinions. Les limaces, ou les lâches.

— Les opinions politiques sont un luxe que je n’ai jamais pu me permettre, riposta calmement Mara. (Maintenant qu’elle avait analysé ses techniques de combat verbal, elle ne comptait pas dévoiler son jeu aussi facilement.) La plupart du temps, j’étais occupée à rester en vie. Je choisis mon camp en fonction de la personne qui me propose le meilleur marché. Ou de celle qui me braque un blaster dans le dos.

— Pour l’instant, c’est moi qui tiens le blaster en question, lui rappela Markko, agitant son arme pour souligner sa remarque. Est-ce que ça veut dire que vous travaillez pour moi ?

Mara haussa les épaules.

— Vous avez le blaster. J’ai Ghent. Et j’attends toujours que vous vous présentiez.

Markko l’examina pendant un long moment.

— Très bien, fit-il. Je m’appelle Markko. Je suis un agent de l’Alliance Rebelle.

L’Alliance Rebelle… Même si elle s’en était plus ou moins doutée, la nouvelle lui fit quand même un choc.

— Je vois, fit Mara, essayant de ne pas laisser transparaître le mépris qu’elle ressentait : ces gens avaient détruit sa vie… Et le système informatique ? demanda-t-elle. C’est le vôtre, non ?

— Oui, celui d’un autre groupe, répondit Markko avec un hochement de tête. J’ai été engagé pour gagner la confiance d’Egron afin d’être présent lorsque les systèmes de protection seront court-circuités. Une fois que j’aurai fait disparaître les informations les plus critiques, ils pourront disposer du reste.

— Très généreux de votre part. (D’une main, Mara désigna les autres personnes assises en cercle :) Quel est leur rôle dans cette histoire ?

— Ce sont les agents de la cellule locale, répondit Markko en lui adressant un sourire ironique. Ils avaient pour mission de s’assurer que vous livreriez bien Ghent comme promis.

— Très bien, fit Mara. Considérez leur travail comme terminé.

Elle se tourna vers la porte.

— Où allez-vous ? demanda l’un des rebelles.

— Je serai à la porte sud-ouest avec Ghent dans une heure et demie, dit-elle à Markko tout en ignorant la question. Ne soyez pas en retard et préparez l’argent.

Elle lança un regard aux autres Rebelles par-dessus son épaule.

— Et n’essayez pas de me suivre, ajouta-t-elle. La prochaine fois je devrais me débarrasser de poursuivants, je risque de le faire d’une manière plus permanente.

Et, sans attendre de réponse, elle quitta la pièce.

Personne n’essaya de l’arrêter, pas plus que de la suivre.

Une minute plus tard elle se retrouva de nouveau dans l’air frais de la nuit, une multitude de possibilités tourbillonnant dans sa tête. Un ordinateur Rebelle capturé. Une cellule Rebelle complète.

Et un agent Rebelle important en infiltration pour compléter le tout.

Elle pouvait le faire. Elle savait qu’elle le pouvait. Ils avaient confiance en elle, ou tout au moins s’étaient-ils rendus compte que dans ces circonstances, ils n’avaient pas d’autre choix. Elle pouvait amener Ghent au palais, pirater l’ordinateur, puis livrer à la fois l’ordinateur et Markko au Gouverneur Egron.

Peut-être serait-ce suffisant pour lui permettre d’être engagée dans les services de renseignement du gouverneur local. Bon, ça ne suffirait probablement pas, mais elle pourrait peut-être au moins rejoindre la lutte contre la Rébellion. Ce serait une chance, pour elle, de se reconstruire une nouvelle vie. Peut-être même l’opportunité de ne plus avoir Isard sur le dos.

Oui, ça allait marcher. Et tout ça parce qu’elle avait décidé de rester sur Chibias assez longtemps pour assister à un concert.

La Force ne l’avait peut-être pas complètement abandonnée après tout. Néanmoins, cela ne l’empêcha pas de faire de nombreux détours pour rentrer à son l’hôtel, surveillant ses arrières pendant tout le trajet.

— Vous êtes sûre que c’est une bonne idée ? marmonna Ghent alors qu’ils se dirigeaient vers les lumières diffuses qui éclairaient la porte sud-ouest du palais.

— Tout ira bien, lui assura Mara en essayant d’avoir l’air sincère.

Sur le chemin qui la ramenait à l’hôtel, elle avait trouvé le plan génial. Elle en était toujours convaincue lorsqu’elle l’avait exposé à Ghent. Pendant qu’elle lui expliquait son idée, le gamin essayait de retrousser les manches de la combinaison qu’il avait empruntée dans le placard de Mara ; il avait les cheveux encore plus en bataille après avoir pris une douche.

Mais, maintenant qu’ils se rapprochaient du palais, son plan ne lui paraissait subitement plus si irréprochable que ça.

C’était dû en grande partie au fait qu’elle soupçonnait fortement les amis Rebelles de Markko de se tenir aux aguets, tapis dans l’obscurité qui les entourait. Si elle ne parvenait pas à convaincre le Gouverneur Egron qu’elle et Ghent étaient de son côté, une retraite rapide pourrait s’avérer difficile.

Les gardes de la porte les laissèrent entrer sans poser de questions. À l’intérieur, Markko les attendait, accompagné d’une demi-douzaine de stormtroopers. Il salua silencieusement Ghent d’un signe de tête, puis il regarda Mara.

— Suivez-moi, dit-il, laconique.

Alors que Ghent et elle obéissaient, Mara ne fut pas surprise de voir les stormtroopers leur emboîter le pas.

Markko les conduisit à travers un dédale de couloirs faiblement éclairés, changeant régulièrement de direction. Ce n’était probablement pas le chemin le plus direct pour atteindre leur destination ; leur itinéraire avait été soigneusement choisi pour qu’ils perdent leurs repères, sans possibilité de se situer avec précision ni de retrouver le chemin de la sortie, ce qui était plus important encore.

Finalement, ils arrivèrent devant une double porte sans aucune inscription. Markko poussa les deux battants et le groupe entra.

La pièce était beaucoup plus grande que les portes ne le laissaient penser. Construite dans le même style que la salle de réception dans laquelle elle s’était entretenue avec Markko quelques temps plus tôt, son plafond formait un dôme soutenu par des arches décoratives qui s’élevaient à partir du sol. Elle semblait conçue pour servir de salle d’audience ou de grand salon. Face à eux, à l’autre bout de la pièce, un fauteuil ressemblant à un trône reposait sur une estrade. Les murs de pierre taillée étaient habillés de grands tableaux et de tapisseries anciennes et des sculptures reposaient çà et là à l’intérieur de niches creusées dans les cloisons ou sur de petits socles. Cette pièce était sans l’ombre d’un doute faite pour impressionner les visiteurs ; pour exhiber la fortune, la position sociale, et l’érudition du Gouverneur Egron.

Au centre de cette salle, face au trône, se trouvait le système informatique dérobé aux Rebelles.

Il était plus grand que Mara ne l’avait imaginé suite à la description que Markko lui en avait faite. À moins que ce ne soit juste une fausse impression, causée par tout le matériel qui entourait l’ordinateur : racks informatiques, tables d’examens et autres équipements d’analyse. Un enchevêtrement de câbles multicolores reliait l’ensemble à l’ordinateur. Markko et ses petits camarades ne s’étaient pas contentés de s’asseoir autour en attendant que Ghent ne rapplique et ne fasse leur travail. Avant de renoncer, ils avaient fait de leur mieux pour casser cette noix de damak.

Ce qui signifiait que Ghent et elle les avaient réellement à leur merci. Elle aurait pu demander le double d’honoraires, et Markko n’aurait pas eu d’autre choix que d’accepter.

Elle regarda Ghent, se demandant s’il pensait aux mêmes choses qu’elle. Mais non. Il fixait l’ordinateur comme un amateur d’art regarderait l’une des peintures ou des sculptures de la pièce. Il n’avait probablement pas encore commencé à s’intéresser aux questions d’argent.

— Le voilà, fit une voix profonde derrière eux.

Mara se retourna pour voir un homme plus âgé, au visage très ridé, avancer dans la pièce à grand pas, dépassant les stormtroopers maintenant rassemblés à côté de la porte.

— Vous devez être Ghent, je suppose ? ajouta l’homme, étudiant le garçon avec un scepticisme évident.

— C’est bien lui, dit Mara, calmement. (Elle n’avait jamais rencontré ce haut fonctionnaire, mais son visage se trouvait dans les fichiers que l’Empereur lui avait fait mémoriser des années auparavant.) Et vous, je suppose que vous êtes le Gouverneur Egron.

Egron la toisa comme un plat qu’il n’aurait pas commandé.

— Markko ? demanda-t-il.

— Une amie de Ghent, lui expliqua-t-il. Elle a mené les négociations pour lui.

Egron lui lança un regard perçant.

— Les négociations ?

— Il n’y a pas de problèmes, répondit Markko en lui adressant un signe apaisant de la main. Tout est sous contrôle. Bien. Ghent, voici l’ordinateur. Mettez-vous au boulot.

Sans un mot, le regard toujours brillant, le garçon s’avança jusqu’à la machine. Pendant une ou deux minutes il continua de la regarder, ses yeux remontant le long de certains câbles de connexion. Puis, toujours en silence, il s’assit devant la console d’analyse principale. Lentement d’abord, puis de plus en plus vite, ses doigts se mirent à caresser les touches du clavier.

— Vous êtes donc son agent, c’est bien ça ? dit Egron à l’oreille de Mara.

— Ça n’a rien d’officiel, répondit Mara en se tournant pour lui faire face. C’est un travail temporaire qui, je l’espère, sera des plus profitables.

Egron renifla avec mépris.

— Essayer de soutirer de l’argent à un Gouverneur Impérial peut s’avérer risqué.

— Ce n’est pas exactement ce que j’avais en tête, fit Mara en regardant discrètement autour d’elle. (Markko se tenait derrière Ghent à une distance respectueuse et le regardait travailler ; quant aux stormtroopers, aucun d’entre eux n’était à portée de voix. C’était le moment ou jamais de tout lui révéler.) Dites-moi, Gouverneur…

— Gouverneur ? appela doucement Markko. Pourriez-vous venir, s’il vous plaît ?

— Certainement.

Egron salua Mara d’un signe de tête puis passa devant elle, la frôlant au passage, pour rejoindre Markko. Le rebelle lui murmura quelque chose et, un instant plus tard, ils étaient en pleine conversation.

Mara se retourna, une alarme silencieuse commençant à raisonner au fond de son esprit. Markko la suspecterait-elle d’avoir prévu de les trahir, lui et ses amis Rebelles ? Si tel était le cas, il ferait tout pour l’empêcher de se retrouver seule avec Egron, tout du moins jusqu’à ce qu’il puisse fournir au gouverneur une histoire suffisamment convaincante et lui couper ainsi l’herbe sous le pied.

En fait, c’était peut-être bien ce qu’il était en train de faire en ce moment même. Or d’après les souvenirs qu’elle avait du dossier d’Egron, le gouverneur pouvait très bien choisir de croire son prétendu ami plutôt que ses codes d’identification Impériaux.

Elle regarda derrière elle, en direction de la porte. Et en plus tout cela se passait dans une pièce dont la seule sortie était gardée par six stormtroopers.

Il était temps de trouver un autre moyen de sortir.

Elle commença à flâner dans la salle d’audience, feignant d’étudier les œuvres d’art. Le bureau privé d’Egron et ses appartements possédaient certainement des issues secrètes, mais une salle destinée à recevoir du public comme celle-ci en était probablement dépourvue. Elle pouvait juste espérer trouver une porte de service qui aurait été recouverte par l’une des tapisseries et oubliée.

— Arica ? l’appela Markko.

Elle se retourna. Markko se tenait toujours derrière Ghent et faisait signe à Mara de le rejoindre. Le gouverneur s’était éloigné et rôdait maintenant autour de l’équipement informatique comme un wrix affamé cherchant un moyen de pénétrer dans un corral à banthas.

Mara s’avança vers Markko tout en gardant un œil sur les stormtroopers. Pour l’instant, ils ne semblaient pas faire preuve d’une vigilance particulière.

— Oui ?

— Le gouverneur a accepté votre proposition, lui dit Markko. Deux mille par heure. Je suppose que la monnaie impériale standard vous conviendra.

— Tout à fait, dit Mara. Si nous parlions maintenant de ce que vous allez nous verser.

Il fronça les sourcils.

— De quoi parlez-vous ? Je viens de vous dire…

— Vous avez dit que le gouverneur nous verserait deux mille, le coupa Mara. Mais vous avez vos propres objectifs, n’est-ce pas ? Pourquoi Egron devrait-il être le seul à devoir payer pour avoir ce qu’il veut ?

Markko expira bruyamment.

— Je ne peux pas le croire, grogna-t-il. Il y a des moyens plus simples, plus rapides… (Il s’étrangla avec les mots.) Très bien. Comme vous voulez.

Puis, regardant autour de lui, l’air de rien, il s’éloigna.

— Comme vous dites, murmura Mara à son attention en s’assurant que son sentiment de satisfaction ne transparaissait pas dans sa voix.

Comment écourter une conversation que vous ne voulez pas avoir en une seule leçon, facile à retenir : parler d’argent.

Tournant le dos à Markko qui enrageait, Mara se dirigea du côté de Ghent.

— Comment ça va ? demanda-t-elle.

Pas de réponse.

— Ghent ? essaya-t-elle de nouveau ?

Cette fois, il leva les yeux vers elle.

— Vous avez dit quelque chose ? demanda-t-il d’un air distrait.

— Je te demandais si ça allait, répéta-t-elle. Tu progresses ?

— Un peu, dit-il. Ça n’avance pas très vite. Je n’avais jamais rencontré ce cryptage auparavant.

— Je suis sûr que tu en viendras à bout, l’encouragea-t-elle.

— Oh, je sais, fit-il distraitement, le regard de nouveau rivé sur la console.

— Préviens-moi quand tu approcheras du but, ajouta Mara discrètement. Seulement moi. Tu as compris ?

— Bien sûr, dit-il. Hé ! Vous voulez voir quelque chose de vraiment cool ? Regardez ça.

Il appuya sur quelques touches et les lignes de charabia qui occupaient l’un de ses écrans furent remplacées par un logo rouge et bleu, à la forme arrondie, qui tournait et s’enroulait sur lui-même comme un serpent volant en train d’exécuter un ballet. En dessous, une série de nombres et de lettres se balançaient d’avant en arrière comme des spectateurs appréciant le spectacle.

— C’est génial, hein ? ajouta Ghent. Vous avez déjà vu ce genre de chose ?

— Oui, fit Mara entre ses lèvres subitement crispées.

Oui, elle avait en effet déjà vu ce logo. C’était l’emblème de la Compagnie des Chuchoteurs de Shasstariss, une petite société familiale engagée par l’Empire pour élaborer certains cryptages militaires spécialisés. Et, pour ce qui était du numéro de code affiché sous le logo…

Elle sentit un picotement au niveau de sa nuque lorsqu’elle regarda l’ordinateur. Il n’avait pas été volé aux Rebelles ; il n’avait rien à voir avec les machines que l’on pouvait trouver dans un centre de commandement ou ailleurs.

C’était le nœud de contrôle principal d’un Destroyer Stellaire Impérial.

Tout devint subitement clair dans son esprit. Markko ne cherchait pas à écraser des bases de données de la Rébellion avant que les informations contenues à l’intérieur ne puissent en être extraites par des moyens détournés. Ce qui l’avait attiré ici, ce n’était rien de moins qu’une série complète de matrices de contrôle pour Destroyer Stellaire, ainsi que des schémas de transmission et des codes de cryptage militaires.

Mara regarda Markko du coin de l’œil. Pas étonnant qu’il ait jugé nécessaire d’essayer de bousculer Ghent un maximum pour s’assurer que le gosse ferait le travail. Un coup comme celui-là, réalisé pour ses amis Rebelles, lui permettrait probablement de gravir sur-le-champ deux échelons dans la hiérarchie. Et juste sous le nez d’un gouverneur Impérial, pour couronner le tout.

Elle eut l’impression qu’une main invisible et glaciale la saisissait fermement à la gorge. Alors qu’ils étaient dans la maison des Rebelles, se rappela-t-elle tardivement, Markko avait mentionné le fait qu’il s’était servi des ordinateurs du palais pour faire une recherche sur Arica Pradeux, son nom d’emprunt. Or il ne devait pas avoir eu plus de quelques minutes pour cela, entre le moment où elle était partie du palais et celui où elle l’avait retrouvé dans la maison où se rencontraient les Rebelles.

Et pourtant, il avait lui-même admis à demi-mots que ses compétences en informatique avaient des limites. Comment avait-il fait pour casser aussi rapidement les cryptages spéciaux qui protégeaient les dossiers du personnel ?

Réponse : il n’avait pas eu à le faire, parce que quelqu’un d’autre s’en était occupé pour lui. Quelqu’un qui n’avait pas eu besoin de pirater le système parce que ce même quelqu’un avait déjà en sa possession les clés de décryptage nécessaires.

Ou, en d’autres termes, le Gouverneur Egron.

Tandis qu’elle regardait Egron qui continuait de tourner nerveusement autour de la pièce, elle sentit la main invisible accentuer sa pression autour de sa gorge. Il n’y avait aucune raison pour qu’un gouverneur Impérial ait besoin de codes de cryptage militaires ou qu’il cherche à s’en procurer. Et il n’y en avait encore moins pour qu’il veuille accéder aux autres informations stockées dans l’ordinateur d’un Destroyer Stellaire.

À moins, bien entendu, qu’il n’ait l’intention de le vendre.

Elle inspira profondément. C’était donc ça. Elle avait d’abord pensé qu’Egron, trop peu méfiant, se faisait mener par le bout du nez. Mais ce n’était pas le cas. Le gouverneur avait vu dans quelle direction le vent soufflait au sein de l’Empire, et il avait passé un marché avec la Rébellion pour prendre une retraite anticipée.

En fait, selon toute vraisemblance, c’était Egron lui-même qui avait tout arrangé. C’était lui qui devait avoir pris contact avec Markko ; lui qui avait fait le nécessaire pour obtenir l’ordinateur et lui qui avait localisé un hacker de la Frange capable de pénétrer ses défenses et d’en ressortir sans que personne ne le remarque.

C’était peut-être même la vraie raison pour laquelle ils avaient laissé Ghent se débrouiller dans la rue pendant une semaine. Le fait qu’il n’ait pas essayé de prendre contact avec quelqu’un alors qu’il se trouvait en difficulté avait démontré de manière satisfaisante qu’il n’avait personne pour l’aider. Ce qui signifiait qu’une fois son travail achevé, il pourrait disparaître discrètement sans que personne ne le remarque ou ne s’en soucie.

Et si Ghent était voué à disparaître, toute personne connaissant son existence était certainement sur la liste d’attente pour effectuer le même voyage sans retour. Et cela, même si la personne en question connaissait des codes d’identification Impériaux.

Surtout si la personne en question connaissait des codes d’identification Impériaux.

— C’est pas excellent ? répéta Ghent. J’aime vraiment la façon dont il…

— D’accord, ça suffit, dit Mara, posant une main sur son épaule en signe d’avertissement.

Quelque chose avait dû transparaître dans sa voix ou dans son geste car, étonnamment, il comprit le message.

— Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il.

— À cet instant précis, rien ne va, lui dit-elle sévèrement. Nous sommes entourés d’ennemis, Ghent. Je dois nous trouver un moyen de sortir, et rapidement.

Pendant une seconde elle crut avoir commis une erreur en lui parlant de leur situation. Sous l’effet de l’annonce, le gamin avait la bouche grande ouverte, les yeux écarquillés, et Mara se prépara intérieurement à l’exclamation qui ferait rappliquer tout le monde pour voir ce qui se passait.

Mais son instinct ne l’avait pas trompée. Il ferma la bouche, ses yeux redevinrent normaux, et il la gratifia d’un microscopique signe de la tête.

— D’accord, fit-il. Que voulez-vous que je fasse ?

— Ce dont j’ai le plus besoin, c’est de temps, dit-elle. Est-ce que tu peux essayer de gagner du temps ?

Il haussa les épaules.

— Bien sûr. Ça va probablement me prendre encore environ une demi-heure de toute façon.

— Arrange-toi pour tenir une heure, dit Mara en jetant un coup d’œil aux alentours, à la recherche d’inspiration. Les stormtroopers étaient rassemblés autour de la porte tandis qu’Egron et Markko tournaient en rond avec impatience…

Ils se trouvaient dans une pièce aux murs en pierre, avec des poutres de soutien cintrées et des œuvres d’art suspendues.

Ce serait risqué, et pour au moins deux raisons. Mais au point où ils en étaient, ils n’avaient pas beaucoup d’options.

— Est-ce que tu peux te débrouiller pour que cette machine émette des sons ? demanda-t-elle. Rien de trop fort, mais plutôt un bourdonnement, un gazouillement ou quelque chose de ce genre ?

— Euh… il regarda autour de lui. Ouais, je pense que c’est faisable. Vous voulez dire un bruit vraiment irritant ?

— Il faut juste qu’il couvre d’autres sons assez légers, dit-elle. Donne-moi environ cinq minutes, avant de commencer.

— D’accord, fit-il. Et ensuite ?

Elle lui adressa un sourire rassurant.

— Ne t’inquiète pas. Quand nous partirons, ce sera ensemble.

Après avoir amicalement pressé une nouvelle fois l’épaule du gamin, elle recula pour se diriger vers Egron, toujours en train de tourner en rond. Celui-ci la vit venir et s’arrêta.

— Ça y est ?

— Non, mais il a faim, lui répondit Mara. J’aimerais aller lui chercher quelque chose à manger.

— Il pourra manger quand il aura fini, intervint Markko, se rapprochant d’eux pour se joindre à la conversation.

— Un hacker travaille moins bien affamé que lorsqu’il est heureux et bien nourri, riposta Mara. Et moins vite, aussi. (Elle haussa les épaules.) Mais bon, c’est vous qui payez la note. Si vous voulez que ça prenne deux heures de plus, ça me convient. Je n’ai pas de rendez-vous.

Markko et Egron se regardèrent. Mara capta le petit signe de tête de Markko…

— Très bien, dit le gouverneur. Mais vous ne sortez pas. Je vais envoyer quelqu’un.

Il pivota et s’avança à grands pas vers les stormtroopers. Quelques mots plus tard, deux des six gardes firent demi-tour et disparurent par la porte. Markko s’était déjà éloigné. Mara l’imita, se dirigeant vers le mur pour reprendre son examen des œuvres d’art. Il ne restait plus que quatre stormtroopers pour les surveiller, à condition qu’elle agisse avant que les autres ne reviennent.

Et cela dépendrait de Ghent. Si le gosse était trop absorbé par son travail, il risquait d’oublier de déclencher le bruit de fond qu’elle lui avait demandé…

Elle avait fait la moitié du tour de la pièce et elle examinait une toile triangulaire, couverte de peinture grumeleuse et à l’aspect vaguement Rodien, lorsqu’elle entendit pour la première fois un faible bourdonnement.

Ce fut d’abord très discret, comme un insecte voletant au loin. Mais presque immédiatement, le bruit s’amplifia. Elle regarda autour d’elle, feignant de chercher son origine. Puis son regard revint vers Ghent juste au moment où Egron le rejoignait.

— Qu’est-ce que c’est ce bruit ? demanda le gouverneur. Quelque chose ne va pas ?

— Non, tout va bien, leur assura Ghent. C’est une boucle de feed-back de Periander. On les retrouve dans un grand nombre de systèmes de sécurité. Elles émettent des sons lorsqu’on essaye de les pirater.

— Vous ne pouvez pas l’arrêter ? demanda Markko alors qu’il se penchait par dessus de l’épaule du hacker pour étudier les écrans.

— L’arrêter ? répéta le garçon, en lui adressant un regard étonné. Non, non. Pas si vous voulez que tout se passe bien.

— Pourquoi ? grogna Markko.

— Parce que j’en ai besoin, dit Ghent patiemment. Le son est là pour vous indiquer la progression du piratage. Regardez, s’il devient plus aigu ou plus grave…

Il se lança dans une discussion technique, mais Mara n’avait pas besoin d’en entendre davantage. Se retournant de nouveau, elle fit glisser son sabre-laser hors de sa poche secrète, le dissimulant dans l’ourlet de son veston. Ghent avait fait sa part du travail. Il était temps pour elle de faire la sienne.

Se rapprochant d’un des tableaux, la jeune femme leva la main gauche pour toucher le bord du cadre avec ses doigts, comme si elle voulait le maintenir pour l’examiner. Elle se décala légèrement, de façon à ce que son corps empêche les personnes présentes dans la pièce, qu’elles soient à la porte ou près de l’ordinateur, de la voir placer l’extrémité de son sabre-laser contre le mur. Puis elle l’alluma.

Le brusque sifflement lui sembla presque dix fois plus fort que d’habitude. Elle se tendit, les sens en alerte, guettant le moindre signe que quelqu’un d’autre l’avait entendu.

Mais entre les explications animées de Ghent et le crissement de plus en plus énervant qu’émettait sa machine, le bruit était apparemment passé inaperçu. Gardant la poignée appuyée contre le mur pour que la lame lumineuse demeure invisible, elle fit glisser le sabre laser vers le haut, découpant soigneusement la pierre selon un certain angle. La découpe en croix de Paparak était l’une des nombreuses techniques que l’Empereur lui avait enseignées au fil des ans. Elle était conçue pour affaiblir un mur porteur en lui permettant toutefois de résister suffisamment longtemps afin que le saboteur puisse se mettre à l’abri avant l’effondrement.

Elle finit sa découpe et éteignit sabre-laser. La prochaine incision, calcula-t-elle, devrait être réalisée à proximité de la base de la colonne de soutènement, trois mètres sur sa droite. Glissant de nouveau l’arme dans sa cachette, elle se dirigea avec désinvolture vers le tableau suivant.

En temps normal, une découpe en croix de Paparak pour une pièce de cette taille n’aurait pas pris plus de cinq minutes. Mais, en prenant garde à ne pas attirer l’attention avec ses va-et-vient, il lui en fallut presque une vingtaine avant d’être prête.

Il lui restait une dernière série de découpes à faire. Au fond de la pièce, juste à droite d’un tableau particulièrement intéressant. Furtivement, elle tailla une ouverture triangulaire qui, une fois la pierre retirée d’un coup de pied, leur permettrait de sortir rapidement.

Il était temps d’y aller.

Elle remit le sabre-laser dans sa poche et commença à se diriger vers Ghent, déambulant comme le ferait un manager qui s’ennuie et qui patiente comme il peut en attendant de pouvoir compter son argent. Le gouverneur Egron rôdait toujours, mais Markko s’était définitivement installé derrière l’épaule de Ghent.

Il faudrait s’en accommoder. Heureusement, elle avait une idée assez précise de ce qu’elle avait à faire.

Markko posa son regard sur elle au moment où elle s’arrêtait derrière l’autre épaule du garçon.

— Avez-vous apprécié la collection d’œuvres d’art du gouverneur ? demanda-t-il.

— Elle n’est pas trop mal, dit Mara en jetant un coup d’œil aux écrans de Ghent.

— Dites moi, Markko, à quel point connaissez-vous vraiment le gouverneur Egron ?

— Que voulez-vous dire ?

— Y a-t-il une chance qu’il connaisse votre véritable identité ?

Il resta silencieux pendant un long moment. Comme à son habitude, Ghent continuait de travailler, n’ayant apparemment pas conscience de la conversation qui se tenait derrière lui.

— Pourquoi me demandez-vous ça ? demanda finalement Markko.

— L’un de ces tableaux là-bas, dit Mara, en faisant un signe de tête vers l’ouverture qu’elle avait taillée dans le mur. Avez-vous déjà entendu parler du gaz cantroch ?

— Qu’est-ce que c’est, un cours d’instruction militaire ? grogna Markko.

— Non, un cours de survie, répliqua Mara. Alors, vous savez ce que c’est ou non ?

— C’est un gaz de combat, siffla-t-il entre ses dents. Diffusion rapide ; extrême toxicité pour la majorité des espèces.

— Très bien, dit Mara. Eh bien, le cadre de ce tableau-là est constitué d’une matrice en oxyde de cantroch. Pour un crédit supplémentaire, voulez-vous me dire ce qui arrive si vous touchez une matrice d’oxyde avec, disons, une décharge de blaster ?

Markko jeta un coup d’œil en direction du gouverneur.

— Il ne ferait pas ça.

— Et pourquoi pas ? rétorqua Mara. Il ne fera rien tant qu’il sera dans la pièce, évidemment, sauf s’il dispose d’un masque respiratoire sur lui ou dissimulé dans ce trône. Bien entendu, les stormtroopers seront protégés par leurs systèmes de filtration d’air. Donc, revenons-en à notre première question : y a-t-il une chance qu’il connaisse votre véritable identité ?

Markko était très doué pour ne pas laisser transparaître ses émotions et ses pensées sur son visage. Mais là encore, il en laissa échapper suffisamment pour que Mara s’aperçoive qu’elle avait marqué un point. Après tout, un gouverneur Impérial capable de trahir son propre gouvernement ne perdrait pas le sommeil s’il devait faire la même chose à un autre allié.

— Vous semblez être une experte dans ce domaine, dit-il enfin. Qu’est-ce que vous recommandez ?

— Je recommande de faire sortir le tableau d’ici, dit Mara d’un ton âpre. Nous le décrochons du mur, nous traversons la pièce avec, et nous disons à Egron que soit le tableau sort, soit c’est nous qui partons.

— Et vous pensez qu’il le fera, sans rien dire ?

— Avec toutes ces belles données auxquelles il n’a toujours pas accès ? lui rappela Mara. Que peut-il faire d’autre ? Ghent ? Allez, Ghent, remue-toi.

Ghent cligna des yeux pour revenir dans le monde réel.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Nous partons en promenade, lui dit Mara en reculant sa chaise. Allez, debout.

— Attendez une seconde, fit Markko alors que Mara avait commencé à faire se lever Ghent. Il vient avec nous ?

— Disons qu’il fait une pause pour se dégourdir les jambes, dit Mara. En plus, Egron pourrait prendre les devants et nous faire abattre par les stormtroopers s’il n’y avait que vous et moi. Sans compter qu’il faudra être suffisamment rapide pour emmener Ghent dehors avant que le gaz ne se répande dans toute la salle.

— Le gaz ? répéta Ghent, bouche bée. Quel gaz ?

— Tout va bien, dit Mara en lui prenant le bras. Je contrôle la situation. Viens avec nous.

Ils commencèrent à traverser la pièce.

— Où allez-vous ? demanda Egron, arrêtant brusquement de tourner en rond.

— On appelle ça faire de l’exercice, lui répondit Mara. Si vous voulez être utile, pourquoi ne pas aller voir ce qui se passe avec la nourriture ?

Egron marmonna quelque chose et leur tourna le dos.

— Attendez une seconde, murmura Markko. Il ne faut pas qu’il sorte de la salle.

— Il ne risquera pas la vie de Ghent, lui rappela Mara, sans ralentir le pas. Examinez le trône et regardez si vous trouvez un masque à gaz caché quelque part.

Mara savait que si Markko avait eu le temps de réfléchir à la situation, il ne les aurait jamais laissés s’éloigner de lui, même de quelques pas. Mais il faisait partie de ces hommes qui suivent les ordres sans discuter et, sans même un murmure de protestation, il s’éloigna en direction du trône. Mara continua d’avancer. Elle aurait aimé pouvoir regarder par-dessus son épaule et voir ce qu’Egron et les stormtroopers faisaient, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas prendre ce risque. Plus que dix pas… cinq…

Et ils se retrouvèrent enfin face au mur.

— Tiens-toi prêt, murmura-t-elle en faisant un quart de tour afin de se placer de profil par rapport à sa découpe triangulaire. Lançant un regard derrière elle pour s’assurer qu’aucun stormtrooper ne les menaçait de son fusil, elle leva sa jambe droite et frappa la pierre d’un coup de pied latéral, aussi fort qu’elle le put.

Avec un craquement horrible, le triangle se brisa en un tas de gravats.

— Allez, ordonna-t-elle, en poussant Ghent par l’ouverture. Simultanément elle se retourna, complètement cette fois, pour faire face à ses adversaires. Egron était figé par la surprise, la bouche grande ouverte de stupéfaction. Les stormtroopers, réagissant instinctivement, se baissaient pour se mettre en position de tir accroupi et se hâtaient de braquer leurs fusils…

Quant à Markko, il avait le regard mauvais d’un homme réalisant qu’il venait juste d’être abusé.

Lorsque Mara se baissa pour franchir l’ouverture à la suite de Ghent, un ordre fusa et le mur autour d’elle commença à voler en éclats et à projeter des étincelles sous les impacts des tirs de blaster.

C’était une erreur : l’intégrité de la structure avait déjà été affaiblie par les dommages, savamment dosés, infligés par le sabre-laser de Mara. Les tirs de blaster furent la goutte qui fit déborder le vase. Au moment même où Mara saisissait le bras de Ghent, le mur entier commença à s’effondrer.

— Cours ! dit Mara d’un ton brusque en traînant le gosse le long du couloir de service dans lequel ils se trouvaient maintenant.

De gros morceaux de pierre tombaient tout autour d’eux, emplissant le couloir de débris et d’une poussière suffocante. D’après ce qu’elle entendait, elle supposa que le reste de la salle était également en train de s’effondrer sur elle-même. Si tout se passait comme elle l’espérait, l’éboulement détruirait l’ordinateur du Destroyer Stellaire. De toute façon, elle ne pouvait rien faire de plus.

Tout en toussant, ils avancèrent avec précaution jusqu’au bout du couloir avant de découvrir qu’il s’agissait d’une impasse.

— Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? parvint à articuler Ghent entre deux quintes de toux.

— Prépare-toi à courir, fit Mara sortant son sabre-laser avant de l’activer. Deux entailles rapides et un coup de pied leur permirent de traverser le mur. De l’autre côté, la pièce était déserte. À travers les bruits de craquement de la maçonnerie qui s’estompaient derrière elle, elle put distinguer des cris, des ordres et quelques hurlements lointains.

Ils traversèrent la pièce jusqu’à la porte. Mara regarda prudemment dans le couloir tout aussi désert.

— Sois rapide et silencieux, murmura-t-elle à l’adresse de Ghent tandis qu’elle désactivait son sabre-laser.

Si seulement tous les autres occupants du palais pouvaient juste converger vers le lieu du désastre et les laisser tranquilles dans leur coin…

Ils purent traverser deux autres couloirs avant que la chance ne les abandonne. Et elle les abandonna en les laissant face à une patrouille de quatre stormtroopers.

— Halte, aboya le chef d’escouade en agitant son fusil blaster dans leur direction. Identifiez-vous.

Mara hésita. Son sabre-laser était à moitié caché, niché contre son flanc, son extrémité maintenue entre les doigts recourbés de sa main droite. Compte tenu de la largeur limitée du couloir, il ne lui faudrait pas longtemps pour les abattre tous les quatre ; ils n’auraient même pas le temps de réaliser ce qui se passait.

Mais il s’agissait de soldats Impériaux, de membres de l’ordre dont elle avait autrefois fait si fièrement partie. Et bien qu’ils servent un gouverneur félon, eux-mêmes n’avaient rien fait qui mérite la mort.

— Agent Impérial en mission officielle, dit-elle à la place. Code d’identification Besh-Senth-Isk-Douze.

Les stormtroopers se redressèrent sensiblement.

— Mode Nen-Peth ? demanda leur chef.

— Un-trois-sept-sept, répondit Mara.

— C’est bon, fit le chef en levant son fusil. Vous pouvez passer.

Ghent dévisageait les stormtroopers avec stupeur et incrédulité. Mara lui donna un coup petit de coude afin qu’il reprenne ses esprits, et ils dépassèrent tous les deux l’escouade.

— Houa, souffla-t-il au moment où ils tournaient une nouvelle fois pour se retrouver dans un autre couloir désert. Où avez-vous appris tout ça ?

Brusquement, il lui lança un regard encore plus interloqué.

— Vous êtes un Jedi ?

— Certainement pas, lui assura-t-elle, la mine sombre. (Ces derniers temps, le seul Jedi en activité était…) Viens, dit-elle, refusant même de penser à ce nom une fois de plus aujourd’hui. La porte par laquelle nous sommes entrés devrait se trouver par là.

À ce moment-là, elle réalisa brusquement qu’ils auraient à gérer le groupe de Rebelles de Markko. Mais ça ne servait à rien de trop anticiper les évènements. Les patrouilles de stormtroopers ne savaient apparemment pas qu’ils étaient recherchés, mais les gardes du portail extérieur étaient peut-être branchés sur un autre canal de communication. Dans ce cas, et s’ils avaient eu le message, le coup de la mission officielle ne marcherait pas une deuxième fois.

Ils arrivèrent enfin en vue de la porte de sortie. Personne à proximité. Les gardes étaient-ils tous à l’extérieur ou avaient-ils été appelés sur les lieux de l’effondrement ? Respirant avec un peu plus de facilité, elle se rapprocha…

— Pas si vite, traîtresse.

Elle se figea sur place. La voix venait de derrière eux et était déformée par la fureur, mais Mara n’eut aucune difficulté pour la reconnaître. Lentement, tout en gardant ses mains en vue, elle se retourna.

— Bonjour, Gouverneur, le salua-t-elle. Vous avez l’air en forme.

— Vous voulez dire que j’ai l’air en vie ? grogna-t-il. Oui, je suis vivant. Désolé d’avoir fait échouer votre plan.

— Ce n’est pas le cas, lui assura Mara en l’examinant.

Il avait les traits tirés et le teint pâle. Ses vêtements, tout comme les siens et ceux de Ghent, étaient couverts de poussière mais, dans son cas, la poussière était émaillée de taches de sang provenant de diverses petites coupures et égratignures.

En revanche, le blaster qu’il pointait sur eux ne tremblait pas.

— Au fait, où est votre ami Markko ? demanda Mara, histoire de dire quelque chose. Il était trop loin de la porte, n’est-ce pas ?

— Désolé de vous décevoir, dit Markko en émergeant d’un couloir latéral qui débouchait à quelques pas de la sortie. Il était en bien pire état qu’Egron, et le blaster qu’il tenait dans sa main vacillait, tel un serpent soûl qui aurait tenté de paraître sobre.

Mais ce qui lui manquait en fermeté dans sa posture, il le compensait par sa détermination. S’appuyant lourdement sur sa jambe gauche, il s’avança vers eux en boitant. Il progressait lentement mais sûrement, tressaillant de douleur à chaque pas.

— Vous vous méprenez sur mes intentions, lui dit Mara, gardant une voix calme tandis qu’elle s’éloignait de Ghent et se rapprochait du mur derrière elle. (Deux blasters étaient braqués sur eux ; mais la main peu sûre de Markko le rendait moins dangereux, du moins tant qu’il restait à distance.) Je ne souhaitais pas particulièrement tuer l’un de vous, ajouta-t-elle. Ni même vous blesser d’ailleurs.

Son regard se posa de nouveau sur Egron.

— Je voulais juste l’ordinateur, dit-elle en pointant sa main gauche en direction de la pièce détruite.

Utilisant la diversion créée par son geste, elle fit un autre pas en arrière. Son sabre laser était toujours à moitié caché, en équilibre dans sa main droite, et l’arme qu’elle cachait dans sa manche attendait, prête, fixée à son avant-bras gauche.

— Vous n’avez aucunement besoin de cryptages militaires, Gouverneur. Et vous n’avez pas non plus le droit d’y avoir accès.

— Le problème est réglé maintenant, n’est-ce pas ? répliqua Egron d’un ton amer. Vous vous en êtes occupé. Le plafond tout entier s’est effondré et d’énormes morceaux de pierres ont complètement détruit l’ordinateur.

— C’est une bonne chose, dit Mara. J’espère au moins que les stormtroopers…

En plein au milieu de sa phrase, elle brandit son sabre-laser, l’allumant dans le même geste, avant de le lancer droit sur le gouverneur.

Egron hurla. Il tira instinctivement tout en se baissant pour s’écarter de la trajectoire du sabre-laser, complètement paniqué. Il rata largement sa cible. Mara s’accroupit, sortant brusquement le blaster qu’elle cachait dans sa manche tandis que Ghent poussait lui aussi un cri. Egron tira de nouveau mais le coup passa encore plus loin que le précédent.

Le tir de Mara fit mouche.

— Ne bougez plus ! dit Markko d’une voix marquée par la tension.

Prudemment, Mara tourna la tête, gardant son arme toujours pointée vers le corps immobile d’Egron, l’esprit assombri par la contrariété. Le cri étranglé que Ghent avait poussé une seconde auparavant n’était pas dû à la soudaineté de l’échange de tirs, comme elle l’avait d’abord supposé, mais à la stupeur de se retrouver avec le bras de Markko autour du cou.

Le bras en question n’avait pas bougé ; il maintenait le gamin bien droit, plaqué contre le corps du Rebelle.

Et le blaster de l’homme, tenu d’une main ferme, était pressé contre la tempe de Ghent.

— Vous voyez ? cracha Markko. Je peux être malin moi aussi. Baissez votre arme.

— Je suis impressionnée, dit Mara, sans faire le moindre geste pour lui obéir. Le boitement, l’arme qui tremblait… C’était très bien imité.

— Merci, dit Markko. J’ai supposé que si vous vous retrouviez face à plusieurs cibles, vous vous tourneriez d’abord vers la plus menaçante.

— Absolument, dit Mara.

Elle commençait à trouver assez bizarre le tour que prenait cette conversation. Ils étaient comme deux professionnels parlant boutique.

Peut-être était-ce le cas.

— Je vois que vous aussi vous avez été entraîné, dit-elle. Presque aussi bien que moi, peut-être.

— Voire mieux, suggéra-t-il.

— C’est possible, dit Mara. Mais vous avez fait une erreur.

— Oh ? Laquelle ?

Mara fit un léger signe de la tête vers l’arme du Rebelle.

— Vous visez la mauvaise personne.

— Non, je ne pense pas, dit Markko. Vous semblez vous préoccuper de ce gamin. Je ne pense pas que vous aimeriez le voir mourir.

Un gargouillement sortit du fond de la gorge de Ghent. Ses yeux étaient exorbités et la suppliaient silencieusement.

Mais Ghent ne savait pas comment analyser ce genre de situation, contrairement à Mara. Du moins, elle espérait ne pas se tromper.

— Non, pas particulièrement, concéda-t-elle. Mais pas plus que je n’aimerais voir un autre passant innocent se faire tuer sans raison valable. Le fait est, Markko, que je n’avais jamais rencontré Ghent avant ce soir. Nous ne sommes pas vraiment de vieux amis ou quoi que ce soit dans ce genre.

Markko l’étudia un moment.

— Dans ce cas, dit-il enfin, il semble que nous soyons dans une impasse.

— J’en ai bien peur, admit Mara. Si vous tirez sur Ghent, vous perdez votre bouclier. De plus, vous n’aurez pas le temps de braquer votre blaster sur moi : je vous aurai abattu avant. Vous pouvez me croire sur parole.

— Je vous crois, dit Markko d’une voix ferme. Et si je vous visais directement ?

— Ça ne changerait rien, dit Mara. Vous auriez dû m’abattre au début au lieu d’essayer de prendre un otage.

— Oui, murmura Markko. Je suis d’accord : c’était sans aucun doute une erreur. Mais je voulais savoir qui vous étiez.

— C’est très simple, dit Mara. Je suis la justice. (D’un geste de la tête, elle désigna le corps d’Egron.) Il a essayé de trahir l’Empire. Je l’ai jugé coupable et exécuté.

— Juste comme ça ?

— Juste comme ça, confirma-t-elle.

Les lèvres de Markko se plissèrent.

— Je crois que j’ai vraiment un gros problème.

Mara regarda le visage terrifié de Ghent. Un Rebelle, un ennemi de l’Empire et de tout ce en quoi elle avait cru… et un civil effrayé. Un gosse, pris au milieu d’un conflit qui n’était pas le sien.

Où son devoir se situait-il ?

Autrefois, elle aurait connu la réponse à cette question. Aujourd’hui, elle avait perdu tous ses repères.

Mais Ghent était venu ici parce qu’il avait confiance en elle. Parce qu’il avait confiance en elle.

Et, avec l’Empereur mort et l’Empire actuellement aux mains de gens comme Isard, c’était peut être tout ce qui importait.

— Pas nécessairement, dit-elle à Markko. J’ai accompli mon devoir en exécutant un traître. Je n’ai rien contre vous en particulier.

Markko grogna.

— Naturellement. Une personne qui se définit comme la Justice Impériale n’aurait aucun grief contre moi, un agent Rebelle ?

— Laissez-moi le reformuler, dit Mara. Je vous propose un marché. Vous laissez Ghent s’en aller et vous rangez votre blaster, et nous nous enfuyons tous les trois d’ici, vivants et libres. Continuez à vouloir jouer au héros Rebelle… et je serais la seule à repartir en marchant.

Markko regarda brièvement Egron puis Mara.

— Pourquoi devrais-je vous faire confiance ?

Mara haussa les épaules.

— Pourquoi pas ? J’ai eu ce que je voulais : un traître mort, et des codes de cryptage militaires à l’abri des Rebelles. Je peux me permettre d’être généreuse.

Elle haussa les sourcils.

— Et comme je vous l’ai dit, je n’aime pas particulièrement voir des passants innocents se faire tuer. Surtout si ce ne sont que des gosses.

Pendant un long moment, Markko la dévisagea. Mara ne bougea pas, le cœur battant sourdement dans sa poitrine, cherchant dans son regard le signe infime qui l’avertirait s’il décidait de faire passer sa fierté avant sa vie.

Puis, lentement, il écarta son blaster de la tête de Ghent, son autre bras relâchant la pression qu’il exerçait sur le cou du garçon. Ghent émit un autre gargouillis avant de tomber à genoux sur le sol. Pendant la seconde qui suivit, Markko se tint immobile, son arme pointée vers le plafond, les yeux fixés sur Mara, l’invitant silencieusement à revenir sur sa promesse.

Mais Mara ne fit aucun mouvement. Respirant à fond, Markko abaissa alors son blaster et le glissa dans son manteau.

— À la prochaine, dit-il, avec un bref salut de tête.

Leur tournant le dos, il se dirigea à grand pas vers le couloir latéral par lequel il était venu et disparut.

Mara laissa passer quelques secondes pour écouter les bruits de pas qui s’éloignaient avant de se redresser. Son blaster toujours en main, elle passa à côté du corps d’Egron et récupéra son sabre-laser.

— Viens, Ghent, dit-elle tandis qu’elle désactivait son arme et la glissait dans sa poche. La porte est par là. Allons-y.

Lorsque Ghent retrouva l’usage de la parole, ils étaient à trois blocs du palais et le bruit des sirènes des véhicules de secours commençait à s’estomper derrière eux.

— Vous l’auriez vraiment laissé me tuer ? demanda-t-il.

— S’il avait réellement voulu te tuer, je n’aurais rien pu faire pour l’arrêter, dit Mara. Je suis désolé, mais je n’avais pas d’autre solution. Je ne pouvais que tenter de le persuader que tu ne signifiais rien pour moi, afin qu’il ne puisse pas t’utiliser comme moyen de pression.

— Mais vous êtes un agent Impérial ?

Mara déglutit péniblement.

— Je l’étais autrefois, admit-elle. Mais en ce moment… disons que je n’ai pas vraiment de chez-moi pour l’instant.

Ghent sembla digérer l’information.

— Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Nous partons d’ici, dit Mara. Trop de gens nous ont vus dans le coin. Une fois qu’ils auront compris ce qui s’est passé, ils se lanceront à notre recherche. De quoi as-tu besoin pour rentrer chez toi ?

— Je ne sais pas, dit Ghent. D’assez d’argent pour un billet, je pense. Est-ce qu’on a le temps de retourner à votre hôtel pour prendre mon sac à dos ?

— Ça ne me semble pas être une bonne idée, dit Mara en secouant la tête. Je ne pensais pas que les hommes de Markko m’avaient suivie jusque là-bas la dernière fois. Mais maintenant je sais que ce type est plus intelligent que je ne le pensais.

Elle plissa le front en regardant par-dessus son épaule. En parlant de ça, qu’était-il arrivé au groupe de Rebelles qu’elle pensait avoir perçu à l’extérieur du palais au moment où Ghent et elle y étaient entrés ? Il n’y avait eu aucun signe d’eux à leur sortie ; ils avaient pu s’enfuir sans encombre. S’étaient-ils tous dispersés lorsque l’alarme s’était déclenchée ?

À moins qu’ils ne se soient tout simplement rassemblés de nouveau à proximité de l’hôtel de Mara dans l’espoir de se venger ?

— Non, ce n’est vraiment pas une bonne idée, conclut-elle. Désolé.

— D’accord, soupira Ghent. En fait, je m’en doutais un peu.

— Même si je n’ai pas grand chose de valeur, je laisse également derrière moi presque tout ce que j’ai, dit Mara en examinant le contenu de ses poches. As-tu une idée du prix d’un billet retour pour Sibisime ?

— Euh… non, pas vraiment, dit-il. Probablement huit ou neuf cent.

Mara grimaça. En d’autres termes, presque tout ce qu’elle avait. Apparemment, elle était revenue à la case départ.

— Tiens, dit-elle, en lui offrant les crédits. J’espère que ça suffira.

— Mais je ne peux pas prendre votre argent, protesta-t-il.

— Prends-le, lui ordonna la jeune femme. (Elle n’était pas d’humeur à ce qu’il discute sa décision.) Je peux travailler pour quitter ce rocher. Contente-toi de rentrer à la maison, d’accord ?

À regret, il prit les crédits.

— Mais comment est-ce que je pourrai vous rembourser ?

— Ne t’inquiète pas pour ça, lui dit-elle en jetant un nouveau coup d’œil derrière eux. (Toujours aucun signe d’éventuels poursuivants.) Peut-être qu’un jour nous nous retrouverons par hasard. Pour le moment… (D’un geste de la main, elle lui montra une direction, droit devant eux.) Le spatioport est par là. Est-ce que tu penses pouvoir le trouver tout seul ?

— Bien sûr, dit-il. Et vous, qu’allez-vous faire ?

Elle pointa du doigt une rue sur sa droite.

— Le recrutement des manutentionnaires est géré par le bureau de la guilde qui se trouve en bas de cette rue. Prends soin de toi, d’accord ?

— Oui, dit-il. Vous aussi.

Pendant une seconde, il eut l’air de vouloir essayer de la serrer dans ses bras. Mais Mara fit simplement demi-tour et s’éloigna. Tout irait bien pour lui, elle le savait. Elle espérait ne pas se tromper.

La femme mystérieuse était hors de vue depuis longtemps et le garçon avait dépassé deux autres blocs d’immeubles en direction du spatioport avant que Talon Karrde ne décide qu’il pouvait l’approcher sans danger.

— Excuse-moi, dit-il, sortant du coin sombre où il attendait. C’est toi Ghent ?

Le garçon se figea.

— Oui ? dit-il nerveusement. Qui êtes-vous ?

— Je m’appelle Talon Karrde. Ne t’inquiète pas, je ne suis pas ici pour te kidnapper, mais pour te proposer du travail.

Ghent grogna.

— J’ai eu assez d’offres d’emploi pour le moment, merci. (Il fronça les sourcils brusquement.) C’est vous qui m’avez envoyé le billet ?

— Non, lui assura Karrde. Mais j’admets que ta disparition soudaine m’a fait perdre ta trace pendant quelques jours. Je m’apprêtais à te contacter sur Sibisime, quand tu es subitement parti.

— D’accord, dit Ghent, paraissant simplement perplexe à présent. Que me voulez-vous alors ?

— Comme je te l’ai dit, je veux t’offrir du travail, dit Karrde. Je suis à la tête d’une organisation de taille modeste qui s’occupe de transférer des marchandises et des informations d’un endroit à un autre.

— Des contrebandiers ?

Karrde haussa les épaules.

— Plus ou moins. Nous avons besoin d’un bon pirate informatique, et nos sources nous ont indiqué que tu étais l’un des meilleurs.

Il fit un geste en direction du spatioport.

— Si tu souhaites en discuter, mon vaisseau nous attend tout près d’ici. Cela ne t’engage à rien, bien sûr.

— Eh bien… (Ghent jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.) Je ne sais pas. Il y a des gens qui sont à ma recherche. Des Impériaux et un autre groupe. Elle a dit qu’il était possible qu’ils soient toujours à ma recherche.

— Le deuxième groupe est composé de membres de l’Alliance Rebelle, dit Karrde. Et oui, les deux camps semblent avoir commencé à vous rechercher.

Ghent regarda de nouveau par-dessus son épaule.

— Vous voulez dire qu’ils sont toujours à mes trousses ?

— Plus maintenant, lui assura Karrde avec un sourire sinistre. Mes hommes se sont occupés des deux groupes.

Ghent le fixa, abasourdi.

— Alors je peux aller récupérer mes affaires à l’hôtel sans courir de danger ? Elle a dit que nous devions tout laisser.

— Nous pouvons aller où tu veux, lui confirma Karrde. Est-ce que je dois nous trouver un landspeeder ?

— Non, ce n’est pas très loin, dit Ghent. Nous pouvons marcher. C’est de ce côté.

— À propos de cette femme, dit Karrde tandis qu’ils se mettaient en route, j’étais trop loin pour la voir correctement. Sais-tu qui elle était ?

— Je n’en sais rien, dit Ghent. Elle ne m’a jamais dit son nom. Elle a simplement mentionné qu’elle avait autrefois travaillé pour l’Empire. Rien d’autre.

— Intéressant, dit Karrde sur un ton pensif. Et tu dis qu’elle a laissé certaines choses dans sa chambre ?

— Ouais, mais je ne pense pas que nous puissions les lui rendre, dit Ghent. Elle a dit qu’elle obtiendrait un travail sur un vaisseau. Mais je ne sais pas lequel.

— Dommage, murmura Karrde. Cela dit, on ne sait jamais. Peut-être la croiserons-nous de nouveau un de ces jours.

— C’est ce qu’elle a dit, répondit Ghent. Et vous savez, elle avait un sabre-laser. Vous pensez qu’elle pourrait être un Jedi ou quelque chose comme ça ?

— On ne sait jamais, dit de nouveau Karrde.

Et même si leurs chemins ne se recroisaient pas, pensa-t-il en silence, les affaires qu’elle avait abandonnées lui fournirait peut-être des indices sur son identité.

Cela pourrait être utile un jour. Qui sait ?

Il fit signe à ses hommes restés invisibles de les suivre de près, et Ghent et lui s’enfoncèrent dans la nuit.