CHAPITRE XVI

LE PAIEMENT

Cette fois, l’assistant de l’amiral Greelanx introduisit Yan dans le bureau sans poser de question. Son arrivée était attendue avec impatience. Le Corellien secoua la tête. Normal, lui aussi aurait été content de voir arriver la fortune…

L’amiral contemplait les étoiles. Il se tourna vers Yan, le salua, mais ne sourit pas.

— Les avez-vous apportées ? demanda-t-il.

— Oui, monsieur. Elles sont toutes là, comme vous l’avez spécifié.

Il dégagea avec soin le centre du bureau de Greelanx et vida la petite bourse qu’il tenait. Les yeux de l’officier étincelèrent devant l’amas de pierres brillantes.

— Les Hutts ont tenu promesse, dit-il. Ça ne vous ennuie pas que…

— Allez-y, dit Yan.

L’amiral passa les minutes suivantes à examiner à la loupe les gemmes les plus belles et les plus grosses. Il y avait des pierres arc-en-ciel gallinoréennes, des Corusca, plusieurs perles des dragons de Krayt…

— Vous avez trouvé la navette sur le lieu de rendez-vous, je suppose, dit l’amiral. Vous êtes parfaitement à l’heure.

— Tout s’est déroulé comme prévu, amiral.

Greelanx leva les yeux, la loupe toujours collée au visage. Son œil droit semblait gigantesque et monstrueux.

— Comment comptez-vous quitter mon vaisseau ? demanda-t-il, curieux.

— Mon partenaire me récupérera, dit Yan en haussant les épaules.

— Très bien, jeune homme. Ces pierres correspondent à mes désirs. Dites à vos maîtres que je suis satisfait.

— Ce ne sont pas mes maîtres, corrigea le Corellien. Je ne fais que travailler pour eux.

— Si vous voulez… (L’amiral marqua une courte pause.) Je ne croyais pas que vous réussiriez. Même avec le plan de bataille.

— Je sais, répondit Yan. Mais c’était ça ou mourir. Nous nous battions pour nos vies, vous pour votre salaire. Ça fait une grande différence.

— Cette holo-illusion était un coup de génie tactique.

Yan sourit et s’inclina.

— Merci.

— Vous en êtes à l’origine ?

— Non, j’ai fait appel à un expert. Mais c’était mon idée.

— Ah, dit Greelanx, pensif. Vous me méprisez, n’est-ce pas, jeune homme ?

Le Corellien le regarda, surpris.

— Pas du tout. Je fais bien des choses qui me déplaisent pour de l’argent.

— Mais il y a des choses auxquelles vous ne vous abaisseriez pas…

— C’est vrai, répondit Yan après un moment de réflexion.

— Bien, je…

La porte du bureau s’ouvrit et l’aide de camp apparut, les yeux exorbités.

— Amiral ! Monsieur !

— Que se passe-t-il ? demanda Greelanx, mécontent.

— Monsieur, les équipes d’appontage viennent de me prévenir… Il vient de se poser. Une inspection inopinée. Il est en chemin pour vous parler !

Greelanx prit une longue inspiration puis fit signe au lieutenant de sortir.

— Je suppose que j’aurais dû m’y attendre, murmura-t-il en se précipitant vers la cloison.

Derrière un Certificat de Mérite était caché un coffre mural. Greelanx resta un instant immobile devant le lecteur rétinien. Puis la porte s’ouvrit. L’amiral prit deux poignées de joyaux, les jeta dans le coffre, revint au bureau et récupéra les dernières pierres.

Yan regarda avec amusement le ballet de l’impérial.

— Que se passe-t-il ?

— Pas le temps, dit Greelanx en refermant le coffre. Voilà. Vous… Ne sortez pas, il ne doit pas vous voir. (Il ouvrit la porte du bureau de son secrétaire, vide et obscur.) Là. Entrez. Pas un bruit. Pas un bruit, c’est compris ?

— Non, protesta Yan, je ne comprends pas…

Greelanx ne répondit pas. Saisissant le bras de Yan, il le poussa dans le bureau et ferma la porte.

Yan était dans le noir, au propre comme au figuré.

Greelanx s’attendait à voir arriver le croque-mitaine, ou quoi ?

S’approchant de la porte à pas de loup, le Corellien colla son oreille contre le bois. Il entendit des frottements, de petits chocs…

Il range son bureau, réalisa-t-il.

Un grincement de cuir.

Greelanx s’asseyait.

La porte du bureau s’ouvrit. Le Corellien entendit un pas lourd, et le frottement de ce qui devait être du tissu. Le visiteur portait de longues robes, ou peut-être une cape…

Puis le Corellien identifia un nouveau son. Une respiration, artificielle.

Un masque… le visiteur portait un masque respiratoire.

Yan s’immobilisa, prenant garde à ne pas faire de bruit.

— Seigneur ! dit Greelanx sur un ton qui se voulait désinvolte mais où Yan reconnut une réelle terreur. Quel plaisir ! Votre présence honore la Bordure Extérieure. Vous souhaitez sans doute mener une inspection… Mais vous devez comprendre que nous avons récemment livré une grande bataille, et…

— Greelanx, dit une voix profonde et mécanique, vous êtes aussi stupide qu’avide. Pensiez-vous que le Haut Commandement resterait aveugle devant votre trahison ?

La voix mécanique fit frissonner Yan. Dans le bureau, Greelanx ne fit aucun effort pour cacher sa peur.

— Seigneur, s’il vous plaît ! Vous ne comprenez pas, on m’a ordo…

Ses mots se transformèrent en un cri étouffé. Les yeux de Yan s’arrondirent. Pour toutes les perles de la galaxie, il n’aurait pas ouvert la porte qui menait au bureau de Greelanx…

Le silence se fit dans la pièce, seulement troublé par cette affreuse respiration dure et régulière. De longues secondes passèrent. Puis… un bruit sourd, comme si quelque chose était tombé sur le tapis.

— Je comprends parfaitement, amiral.

Les pas lourds passèrent devant Yan, mais ne s’arrêtèrent pas. La porte du bureau s’ouvrit.

De nouveau, le silence.

Yan attendit cinq bonnes minutes avant d’ouvrir et de jeter un œil dans le bureau. Il ne fut pas surpris de trouver le cadavre le Greelanx sur le tapis. S’agenouillant, il chercha un battement de cœur, sans succès… Ça aussi, c’était prévisible.

L’étonnant, c’était l’absence de marques sur le corps. Yan imaginait que le visiteur avait utilisé une vibrolame. Un assassin doué pouvait tuer proprement et sans lutte.

Mais Greelanx n’était pas blessé.

Yan contempla le visage de l’amiral, figé dans une expression de terreur absolue. Il frissonna. Qui était son visiteur ?

Le Corellien se dirigea vers le coffre… Rien à faire. Comme il le craignait, la porte, solide, était activée par reconnaissance rétinienne. Même arracher l’œil de Greelanx – s’il en trouvait le courage – serait inutile. L’amiral était mort depuis trop longtemps.

Il faut que je sorte de là… Enjambant le bras de Greelanx, il se dirigea vers la porte… Puis s’arrêta quand quelque chose roula sur le tapis.

Il se baissa… Et se figea, sans en croire ses yeux. Une perle dragon de Krayt ! Petite, mais parfaite. D’un noir opalescent. Une couleur recherchée. Yan empocha la perle et se précipita dehors.

Dix minutes plus tard, il acheva de recâbler les commandes d’éjection de la capsule de survie. Il appuya sur un bouton et l’écoutille de la capsule s’ouvrit en sifflant.

Des pas résonnèrent derrière lui. Yan s’immobilisa en entendant une voix familière.

— Arrête-toi, Yan. Tourne-toi… lentement…

Le Corellien obéit pour découvrir son vieux camarade Tedris Bjalin, blaster levé.

— Que fais-tu ici ? Je t’ai vu dans le couloir… entrer dans le bureau de l’amiral. Pourquoi lui as-tu parlé ? Que se passe-t-il ?

Ils vont croire que j’ai tué Greelanx. Ils tireront d’abord et poseront des questions après.

— Tedris, du calme, dit Yan en faisant un pas en avant. Tu ne vas pas tirer sur ton vieux pote.

— Arrête, Solo ! grogna Bjalin, le doigt sur la détente. Que fais-tu dans cet uniforme ? Qui as…

— Mec, tu en poses des questions, dit Yan, faisant un nouveau pas en avant. Allons en discuter quelque part. Je peux répondre à toutes…

Yan se jeta sur Tedris et utilisa un très sale truc de combat de rue corellien. Le jeune officier s’écroula, plié en deux, cherchant sa respiration, les yeux fermés. Du pied, Yan fit valser le blaster hors de portée.

— Écoute-moi, Tedris. Tu ne vas pas mourir, même si ça te fera mal un bout de temps. Je veux seulement que tu saches quelque chose : Ce n’est pas moi. D’accord ? Rappelle-t’en plus tard. Et tu sais quoi, Tedris ? Tu es un mec trop bien pour rester dans une armée qui massacre des civils à tour de bras. Suis mon conseil et dégage quand c’est encore possible.

Yan étourdit Tedris et le tira dans une des capsules de secours, s’assurant que l’écoutille ne soit pas fermée, pour éviter que son ami soit éjecté par accident.

Puis il se glissa dans la capsule recâblée… quelques instants plus tard, il flottait dans l’espace. Les systèmes du vaisseau croiraient à une éjection accidentelle. Guère surprenant : le Destin venait de combattre…

Chewie récupéra la capsule dans la soute du Bria une heure plus tard. Yan était encore intrigué par la mort de Greelanx.

Le Wookie lui grogna de se dépêcher : des Tie de reconnaissance volaient dans le secteur.

Yan et Chewie se dirigeaient vers la passerelle quand le vaisseau trembla. Quelques secondes plus tard, une autre détonation suivit, si forte qu’elle les fit tomber.

— Chewie, nous sommes attaqués ! cria Yan en se relevant. Va au poste de combat.

Yan se glissa dans le fauteuil du pilote, vit les deux chasseurs Tie de reconnaissance qui viraient vers eux pour leur second passage, puis avisa le voyant rouge clignotant sur son panneau de contrôle.

— Chewie ! Surcharge du réacteur ! Ils visent notre bouclier le plus faible ! Nous devons abandonner le Bria !

Il bondit vers la tourelle, saisit le Wookie par le bras et le traina vers les soutes. Chewbacca secoua la tête, voulant protester…

— Cours, gros tas de poils ! cria Yan. Le vaisseau va exploser !

Quand ils atteignirent la soute, le Wookie refusa d’abord de monter dans la capsule de survie. Yan cria :

— Tu ne comprends pas, Chewie ? Le Bria est foutu ! C’est notre seule chance ! Entre et mets ton masque !

Le Wookie en sécurité, Yan enfila une combinaison spatiale et ouvrit les portes de la soute.

Whump ! Whump-Whump !

Laissez tomber, pensa Yan en accrochant une unité anti-grav à la capsule avant de la pousser vers le vide. Nous sommes foutus de toute façon ! Tapotant au hublot, il indiqua par gestes à Chewie ce qu’il comptait faire. Le Wookie acquiesça.

Yan glissa la capsule par l’ouverture ; Chewie ouvrit l’écoutille pour le tirer à l’intérieur.

La séquence dura moins de six secondes, pas assez pour que la décompression ne fasse exploser la peau du Wookie. Une seconde plus tard, l’écoutille fut verrouillée et la pression remonta dans la capsule… Elle venait juste de se dégager des portes de la soute quand le Bria explosa.

Le choc envoya la capsule dans l’espace. Yan s’accrocha, craignant que les Tie les attaquent, mais comme il l’espérait, leur fuite fut couverte par l’explosion.

Une chose était sûre : les capsules de survie impériales n’étaient pas conçues pour les Wookies. Yan réussit à retirer son casque. Serrés l’un contre l’autre, ils contemplèrent les débris incandescents qui avaient été leur vaisseau.

— Lando ne va pas être content, soupira Yan.

Quel gâchis…, pensa-t-il. Le Bria était un vaisseau imprévisible, mais il commençait à s’y habituer.

Chewie grogna doucement. Yan le regarda et haussa les épaules.

— Ce qu’on fait maintenant ? Tu le sais aussi bien que moi… C’est un système habité ; la capsule devrait nous faire atterrir à proximité d’un moyen de transport…

Chewie gémit.

— Oh, tu veux dire, comment allons-nous faire pour récupérer un vaisseau ? Très bonne question, mon pote…

 

Il est mort, pensa Teroenza, incrédule en relisant le message de Nal Hutta. Ça a marché. Je n’y crois pas. Aruk a enfin disparu !

Un vague soupçon de culpabilité fut vite noyé par l’excitation. Sans Aruk dans les pattes, avec l’argent des Desilijic, rien ne pourrait l’empêcher de prendre le contrôle de l’opération Ylesia. Durga allait retourner sur Nal Hutta, pour essayer de diriger les Besadii. Kibbick était un crétin, tout le monde le savait.

Teroenza imagina sa collection telle qu’elle serait sous peu. Il devrait construire un nouveau bâtiment pour l’accueillir !

Et il ferait venir sa compagne. Plus de jours et de nuits en solitaire. Ils se rouleraient dans les flaques de boue, riches au-delà de leurs rêves les plus fous…

Teroenza mit plusieurs minutes à se composer une expression lugubre, puis il alla trouver Kibbick pour l’informer que son oncle était mort…

 

Le Moff Sara Shild était seul dans son palais de Teth.

Quelque chose avait mal tourné.

L’attaque de Nal Hutta était une énorme erreur. Greelanx… Greelanx avait échoué, mais jamais il ne pourrait expliquer les raisons de son fiasco.

Tous ses serviteurs étaient partis, il ne savait même pas où. Bria était partie elle aussi, quelques jours plus tôt.

Elle n’avait même pas dit au revoir…

La veille, l’Empereur avait convoqué Shild au Centre Impérial, afin de répondre devant un grand jury des circonstances de l’attaque du système de Y’Toub. Le message était clair : Palpatine fulminait.

Shild essayait de comprendre. Quelques jours auparavant, il était au firmament. Il ne se souvenait même plus de ses actes. C’était comme s’il s’avait été possédé par une entité étrangère…

Shild contempla son bureau, où étaient posés son blaster et une fiole de poison. Il prit une longue inspiration. À quoi bon se bercer d’illusions ? Répondre à la convocation ne ferait que retarder l’inévitable.

Mais de quoi devait-il se servir ? Du blaster ou du poison ?

Shild réfléchit, sans parvenir à choisir. Enfin, un souvenir d’enfance lui traversa l’esprit. Levant le doigt, il commença à chantonner.

Am stram gram, pic et pic et colégram…