CHAPITRE III

NAR SHADDAA

Yan Solo passa quelque temps dans le spatioport de Nar Hekka pour brouiller leur piste. Quelques conversations dans des tavernes enfumées lui apprirent le nom du meilleur faussaire de la planète.

Il s’agissait d’une Tsyklen, une femelle rondouillarde à la peau pâle. Ses grands yeux lui donnaient une vue exceptionnelle. Elle avait sept doigts à chaque main, dont deux pouces opposables d’une finesse et d’une délicatesse incroyables. Yan la regarda fasciné manipuler deux holograveurs à la lois pour leur créer de nouveaux papiers au nom de Garris Kyll et d’Arrikabukk.

Yan ignorait si Teroenza avait vu Chewie, mais il ne voulait prendre aucun risque.

Leurs poches plus légères après avoir payé l’artiste, ils embarquèrent pour Nar Shaddaa à bord du Princesse Stellaire.

Le voyage se passa sans encombre, même si Yan resta extrêmement vigilant. Effectué à la vitesse subluminique, le voyage dura un peu plus d’une journée standard. Le Princesse était un vieux vaisseau et son ordinateur de navigation était incapable de calculer des sauts hyperspatiaux assez précis pour éviter l’attraction de Y’Toub et de ses six planètes.

Cette nuit-là, endormi sur sa petite couchette, Yan rêva qu’il était à nouveau un cadet, à l’Académie, sur Carida. Dans son rêve, il se hâtait de cirer ses bottes, avant d’aller se placer sur le terrain de parade, son uniforme impeccable, ses cheveux coiffés à la perfection, ses bottes si brillantes qu’il y voyait son reflet.

Il se tenait là avec les autres cadets, épaule contre épaule, les yeux levés vers le ciel nocturne. La petite lune, mascotte de l’Académie, brillait parmi les étoiles.

Yan la regardait, comme il l’avait souvent fait, quand elle explosa soudain. Un cri monta des rangs. La boule de feu fut précédée par un anneau de gaz incandescent. Le cataclysme ressemblait à une explosion d’étoile en miniature…

Puis le Corellien se retrouva ailleurs, devant un tribunal militaire composé d’officiers impériaux. L’un d’eux, l’amiral Ozzel, lisait un texte à voix haute et monocorde tandis qu’un jeune lieutenant arrachait les galons de l’uniforme de Yan. Le visage sans expression, il tira le sabre d’officier du Corellien et le brisa sur son genou.

Tedris Bjalin avait été reçu un an avant Yan. Ils avaient été amis, ce qui n’empêcha pas le jeune homme de le gifler. Enfin, en signe de mépris, Tedris lui cracha sur les bottes.

À l’époque, Yan avait remercié les étoiles que Tedris n’ait pas choisi de lui cracher au visage, comme il en avait le droit. Le Corellien avait tout supporté sans rien dire, mais le rêve fut différent.

Hurlant, il se jeta sur Tedris…

… et se réveilla en sueur, le corps tremblant.

Il s’assit et se passa la main dans les cheveux, pensant que ce n’était qu’un rêve. L’humiliation était terminée. Jamais il n’aurait plus à subir une telle infamie.

Plus jamais.

Yan soupira. Il avait travaillé si dur pour entrer à l’Académie et pour y rester. Malgré les lacunes de son éducation, et elles étaient nombreuses, le cadet Solo avait tout fait pour s’améliorer. Il serra les dents. Son incorporation avait été un des plus beaux jours de sa vie.

Yan secoua la tête. Il n’est jamais bon de vivre dans le passé, Solo, se rappela-t-il. Tedris, le capitaine Meis, l’amiral Ozzel (quel vieux con, celui-là !)… Tous ces officiers étaient sortis de sa vie. Pour eux, Yan Solo était comme mort.

Il n’avait jamais revu Tedris…

La gorge de Yan se serra. En entrant à l’Académie, il nourrissait tant de rêves et d’espoirs. Il voulait abandonner son ancienne existence, devenir respectable. Toute sa vie, il s’était nourri du rêve secret de devenir un officier estimé et admiré de tous. Il s’était vu dans un uniforme d’amiral, commandant une flotte. Il aurait pu avoir été nommé à la tête d’une escadre de chasseurs Tie.

Général Solo… Yan soupira. Ça sonnait bien, mais il était temps de se réveiller. Ses chances de devenir respectable s’étaient évanouies quand il avait refusé de laisser Chewbacca mourir devant ses yeux. Il ne regrettait pas son choix. Pendant ses années dans les Forces Impériales, Yan avait appris à connaître la cruauté des officiers et de ceux qui servaient sous ses ordres.

Les non-humains étaient leur cible favorite, mais leurs atrocités ne s’arrêtaient pas là. L’Empereur, qui paraissait au début être un dictateur classique, se transformait en tyran déterminé à broyer la galaxie.

Yan n’aurait pas fait une longue carrière dans la Marine Impériale. Un jour ou l’autre, un officier lui aurait demandé de participer à l’une des démonstrations destinées à soumettre une planète et le Corellien lui aurait dit d’aller se faire voir. Jamais il n’aurait pu participer à des massacres comme celui de Devaron, où sept cents personnes avaient été abattues sans pitié.

Yan avait déjà tué, sans problème de conscience quand il s’agissait d’ennemis armés. Mais tirer sur des prisonniers sans défense ? Il secoua la tête. Non. Jamais. Il préférait être un civil, un contrebandier ou un voleur.

Il s’habilla. D’abord son pantalon militaire à la couture rouge. L’armée lui avait retiré toutes ses décorations, sauf celle-là. Peut-être parce que la couture rouge sang n’était pas une récompense impériale. Elle était donnée aux Corelliens par leur gouvernement, pour hauts faits de bravoure.

Yan l’avait durement gagnée. Son pouce frotta la couture. Elle était conçue pour s’arracher et se fixer sur chaque nouveau pantalon. La plupart des non-Corelliens n’avaient aucune idée de ce qu’elle signifiait. Ce qui arrangeait plutôt Yan, qui ne mentionnait jamais son origine.

Mieux valait ne pas évoquer certaines choses.

Il termina de s’habiller, enfila une chemise gris pâle et un gilet un peu plus foncé. L’arrivée sur Nar Shaddaa était proche.

Son sac de voyage sur l’épaule, Yan gagna le salon d’observation. Le vaisseau transportait des passagers et des marchandises. Le confort était sommaire, mais les verrières immenses. Observer les étoiles était un passe-temps universel.

Quand le Corellien entra dans le salon, il y trouva Chewbacca. Ensemble, ils regardèrent leur destination.

La planète dont s’approchait le vaisseau était plus grosse que Corellia. Dessus, Yan reconnut les déserts ocre, des océans bleus et les taches vertes de végétation typique du monde des Hutts.

— Nal Hutta, dit-il à Chewie. Cela signifie « Glorieux Joyau », mais fais-moi confiance, ce trou n’a rien de glorieux. On y trouve des marais et de la vase… L’endroit pue plus qu’une descente d’égout.

À ce souvenir, Yan fronça le nez. Le Princesse Stellaire dépassa la planète Hutt et se servit de sa gravité pour ralentir. Chewie grogna une question.

— Non, je ne me suis jamais rendu sur Nar Shaddaa. Je n’y ai même pas jeté un coup d’œil…

Le bord de la Lune des Contrebandiers apparaissait au loin. Le Wookie poussa un grognement.

— Oui, la planète et la lune sont liées. Elles présentent toujours les deux mêmes hémisphères, l’orbite est synchrone.

Le Princesse glissait autour de la petite lune.

L’espace était encombré de débris flottants, d’épaves de vaisseaux de toute sorte et de toute taille. L’entraînement impérial de Yan lui permit d’en identifier la plupart. D’où venaient-ils ?

Les épaves se firent plus grosses. Le Princesse dut changer de trajectoire plusieurs fois pour les éviter.

Certaines devaient être là depuis des décades, voire des siècles. Le Corellien s’interrogea jusqu’à ce qu’il aperçoive un éclair de lumière sur un champ de force entourant la lune. Un instant plus tard, une épave explosa, illuminant le ciel.

— Chewie… j’ai compris, dit Yan. Tu vois la lueur qui entoure Nar Shaddaa ? C’est un bouclier. Quand ils ne veulent pas qu’un vaisseau s’approche, ils le laissent levé et tirent sur l’agresseur à coups de batteries ioniques. Faut comprendre, les habitants ont dû avoir leur lot de pirates et de pillards…

Chewbacca laissa échapper un long grognement.

Les reflets du bouclier les empêchaient de distinguer parfaitement la surface, mais Yan vit que le paysage était recouvert de structures, comme une version réduite de Coruscant.

De nouveau, il se souvint de son rêve. Il y regardait une autre lune, très différente.

Yan fronça les sourcils. Étrange… Peut-être son subconscient lui avait-il envoyé ces images pour lui rappeler quelque chose d’important…

— Mako, marmonna-t-il soudain. (Chewbacca le regarda, étonné.) Mako Spince. Je le connaissais quand il était cadet. Je me demande si je peux le retrouver…

Mako Spince était un vieil ami. Yan avait entendu dire qu’il avait des attaches sur Nar Shaddaa ; il avait même habité là un moment. Il pourrait peut-être aider son vieux pote Yan à trouver du travail.

Spince avait dix ans de plus que Yan et les deux hommes n’auraient pu avoir une enfance plus différente. Mako était le fils d’un important sénateur impérial. Il avait été élevé dans le luxe, mais il lui manquait la détermination du Corellien pour réussir les études. À l’Académie, il n’avait qu’une envie : s’amuser.

Mako avait deux années d’avance sur Yan. Malgré leurs différences, ils étaient devenus bons amis, organisant des fêtes clandestines et élaborant des farces complexes pour ridiculiser les instructeurs.

Mako ne reculait jamais devant une bêtise, mais Yan restait prudent, n’oubliant jamais les difficultés qu’il avait eues pour entrer à l’Académie. Spince, lui, savait que les relations de son père pouvaient tout arranger. Pour une blague parfaite ou une cascade audacieuse, il était prêt à tout.

Détruire la lune mascotte de l’Académie avait été son plus grand exploit… et le dernier.

Yan savait qu’il se préparait quelque chose d’important : Mako avait essayé de l’enrôler pour cambrioler le labo de physique. Mais le Corellien avait un examen à réviser ; il avait refusé.

S’il avait su ce qui se préparait, il aurait essayé de convaincre son ami d’abandonner.

Cette nuit-là, tandis que Yan révisait son manuel, Mako avait pénétré dans le laboratoire de physique du professeur Cal-Meg où il avait volé un gramme d’antimatière. Après avoir emprunté une combinaison et une navette dans le hangar de l’Académie, il s’était envolé.

Il s’était posé sur le planétoïde le plus proche des trois satellites de Carida. Là, il avait planté la capsule d’antimatière dans l’énorme sceau de l’Académie, gravé au laser dans le satellite des dizaines d’années plus tôt, quand Carida était encore une planète d’entraînement pour les troupes de la défunte République.

Mako avait déclenché l’explosion à distance, voulant effacer le sceau de la surface de la petite lune.

Mais il avait sous-estimé la puissance de l’antimatière. La lune avait explosé dans un fracas apocalyptique, dont Yan et les autres cadets furent témoins.

Les soupçons se portèrent aussitôt sur Mako. Il avait fait tellement de blagues, provoqué tant de chahuts… Yan fut lui aussi inquiété. Par bonheur, un de ses amis était venu réviser avec lui au moment du cambriolage, et il avait un bon alibi.

Mais pas le fils du sénateur.

Au procès, l’accusation avait essayé de prouver que Mako était un terroriste. Yan s’était porté volontaire pour témoigner, sous drogue de vérité, laver son ami de cette charge. L’Académie avait fini par exclure le cadet.

Le sénateur était intervenu une dernière fois, donnant à Mako assez de crédits pour s’installer et monter une affaire. Il ignorait que son fils allait les utiliser pour acheter un vaisseau et une cargaison de contrebande…

Puis Mako Spince avait disparu pour de bon.

Mais Yan ne perdait pas espoir. Mako n’était pas du genre à se fondre dans le décor. Pas quand on pouvait s’amuser ou qu’il y avait des crédits à gagner…

Yan sourit. Oui, Nar Shaddaa convenait parfaitement à son ancien ami.

Le Princesse était maintenant tout proche de la Lune des Contrebandiers. Celle-ci, environ le tiers de Nal Hutta, avait la taille d’une petite planète. Malgré le bouclier, Yan aperçut des lueurs clignotantes.

Une partie du champ de force disparut soudain. Les contrôleurs venaient d’autoriser le passage du vaisseau. Quelques instants plus tard, le Princesse entra dans les hautes couches atmosphériques.

Voilà d’où viennent les lumières, pensa Yan.

De gigantesques panneaux publicitaires holographiques vantaient des produits et des services.

Yan réussit à en lire un. « Créatures, éclatez-vous chez nous ! Si vous avez les crédits, nous avons qui ou ce que vous voulez ! »

Le Corellien sourit. Il avait lu bien des slogans pour des maisons de plaisir, mais jamais rien d’aussi direct.

Le Princesse plongea vers une large zone dégagée, au sommet d’un groupe de bâtiments massifs. Leur piste d’atterrissage ? Yan chercha un siège pour s’attacher, mais vit que les autres passagers s’accrochaient aux poignées fixées à la coque. Le Corellien les imita.

Un instant plus tard, il sentit une petite secousse. Ils étaient arrivés.

Yan et Chewbacca suivirent les autres passagers vers le sas. Une file s’était formée devant eux. Tous des durs.

Un grand nombre d’espèces étaient représentées, mais il n’y avait pas de familles et aucune personne âgée.

La Barabel passerait inaperçue ici, pensa Yan, avant de poser la main sur la crosse de son blaster.

La porte du sas coulissa et les passagers descendirent sur la piste. Yan prit une longue inspiration et fronça le nez de dégoût. À côté de lui, Chewie gémit doucement.

— Je sais, ça pue. Habitue-toi, mon pote. Nous sommes là pour un bout de temps.

Le soupir de Chewbacca ne nécessitait aucune traduction.

Yan, qui ne voulait pas avoir l’air d’un bleu, regarda discrètement autour de lui.

À première vue, Nar Shaddaa rappelait Coruscant. Bâtiments, tours, spires et passerelles s’étendaient à l’infini. On aurait dit là une forêt de permabéton décorée de panneaux holographiques.

Pourtant, Yan réalisa vite la différence. Les niveaux supérieurs de Coruscant étaient immaculés. Mais en descendant dans les profondeurs du Centre Impérial, plusieurs centaines de niveaux plus bas, on entrait en enfer.

Les étages supérieurs de Nar Shaddaa ressemblaient aux niveaux les plus profonds de Coruscant. Yan les avait visités une fois ; une expérience qu’il ne voulait pas répéter.

Regardant le canyon artificiel vertigineux qui séparait deux gigantesques bâtiments, il décida de ne jamais aller se perdre dans les niveaux inférieurs de Nar Shaddaa.

Le ciel avait une couleur étrange. Yan eut l’impression de regarder du bleu à travers un filtre ocre. Nal Hutta était suspendue là, aussi énorme et gonflée que les créatures qui l’habitaient, occupant au moins dix degrés dans le ciel.

Nar Shaddaa devait avoir deux nuits. L’une, normale, quand une face de la lune n’était pas éclairée par le soleil, l’autre, relativement courte, quand le soleil était éclipsé par l’énorme masse de la planète.

Chewie grogna et gémit.

— Tu as raison, mon pote, dit Yan. Au moins, sur Coruscant, ils ont des arbres et des plantes ornementales. Rien ne pourrait pousser ici, même pas un foutu lichen lubellien.

Ils empruntèrent une rampe hélicoïdale pour quitter la plate-forme. Plus ils descendaient, plus les tours et les spires cachaient la lumière du jour. Bientôt, il fit presque nuit. Les autres voyageurs s’étaient dispersés depuis longtemps. Yan et Chewie restaient seuls, avec l’écho de leurs pas pour seul compagnon.

Yan gardait le dos au mur, pensant que l’endroit était idéal pour une embuscade.

Sa main se posa sur la crosse de son blaster…

… quand un éclair bleu jaillit de nulle part !

Les réflexes du Corellien, toujours excellents, étaient aiguisés par des semaines de cavale. Il se jeta à terre et roula sur le permabéton. Quand il se releva, il avait son blaster au poing.

Yan aperçut son agresseur : un humanoïde trapu, avec des poils sur le visage. Sans doute un Bothan… et sûrement un chasseur de primes. Le Corellien tira mais manqua sa cible. Il s’agenouilla à côté du mur opposé et attendit que son adversaire réapparaisse.

Chewbacca cria. Yan lui fit signe de rester hors de portée. Lui jetant un regard noir, le Wookie leva son arbalète.

Que veut-il dire ? se demanda Yan. Chewie émit un long rugissement, que ceux qui ne comprenaient pas le Wookie auraient interprété comme un hurlement de rage. Le Corellien, lui, fit un signe de tête puis plongea sur la rampe en tirant à l’aveuglette. Deux rayons atteignirent la paroi.

Le faisceau étourdisseur le rata de nouveau. Yan hurla et s’écroula, lâchant son blaster. Puis il resta allongé sur le sol, comme assommé.

Ça a intérêt à marcher…

Des pas approchèrent, rapides et décidés…

Le whang de l’arbalète retentit, suivit d’une explosion et d’un petit cri.

Yan bondit sur ses pieds tandis que son agresseur tombait à genoux. Oui, c’était bien un Bothan. Le seul détail le différenciant de ses pairs était le trou qui fumait dans sa poitrine.

Le chasseur de primes s’écroula, face contre terre. Son corps se convulsa quelques secondes, puis s’immobilisa après un dernier râle.

Le Corellien regarda son partenaire et sourit.

— Joli tir, Chewie. Merci. (De sa botte, il retourna le cadavre.) Ça ne ressemble pas à un tir de blaster, ajouta-t-il en regardant la blessure. Il ne doit pas y avoir beaucoup de Wookies sur Nar Shaddaa… Il va falloir effectuer quelques corrections cosmétiques.

Dégainant son blaster, Yan tira à pleine puissance dans la poitrine du Bothan. Quand il regarda de nouveau, le chasseur de primes n’avait presque plus de torse… et il ne restait plus trace de l’impact de l’arbalète.

Fouillant le cadavre, le Corellien trouva quelques crédits et une affichette de recherche décrivant un certain « Yan Solo ». Le texte précisait que la cible se dirigeait probablement vers Nar Shaddaa. La récompense était de sept mille cinq cents crédits, « vivant uniquement, pas de désintégration ».

— Sept mille cinq cents crédits ! Les choses deviennent excitantes, Chewie. On a intérêt à ouvrir l’œil.

— Hrrrrrmmmmm…

Que faire du Bothan ? Devaient-ils détruire le corps ? Le laisser là en guise d’avertissement ? Ou le transporter dans un endroit où les autorités ne le découvriraient pas avant un certain temps ?

Après quelques instants de réflexion, Yan décida de l’abandonner. La vue d’un chasseur de primes mort pouvait en décourager un autre. Ils descendirent tranquillement le reste de la rampe. Le Corellien resta sur ses gardes, craignant que le Bothan ait un partenaire, mais personne ne les dérangea.

Quelques minutes plus tard, ils émergèrent dans une rue de Nar Shaddaa. Yan se laissa porter par un trottoir automatique et regarda autour de lui.

Nar Shaddaa ressemblait à un labyrinthe en trois dimensions conçu par un malade mental. Les bâtiments étaient reliés par des passerelles arachnéennes et des rampes escarpées. Les styles architecturaux de douzaines de mondes coexistaient : dômes, spires, arches, gros bâtiments rectangulaires, paraboles… Tous sales et recouverts de graffiti hauts parfois de plusieurs étages.

Les structures importantes avaient été construites des décennies auparavant, quand Nar Shaddaa était un spatioport respectable, une lune de plaisir où les citoyens riches venaient dépenser des fortunes. Les vestiges de cette gloire passée étaient maintenant détruits. Les rues et les allées subissaient un bombardement toxique constant.

Dans l’air planait un mélange de drogues, d’épices, de cuisine, d’égouts et d’échappements de vaisseaux. En comparaison, les émanations des marais de Nal Hutta semblaient subtiles.

Certains hôtels et casinos étaient encore en activité – probablement ceux que tenaient les seigneurs hutts. Des créatures de plusieurs dizaines de mondes encombraient les rues, évitant de croiser les regards, toujours en alerte, prêtes à profiter d’une erreur ou d’un moment de faiblesse. Tout le monde était armé, à l’exception des droïds.

Yan avait faim. Regardant autour de lui, il ne reconnut rien de ce qui se vendait dans la rue.

— Il paraît qu’il y a un quartier corellien, murmura-t-il à Chewie. Allons-y.

Il n’osa pas demander son chemin par peur d’attirer les voleurs, ou pire. Quelques minutes plus tard, une bannière suspendue à un auvent (la plupart des magasins et des entrées d’immeubles possédaient un auvent pour protéger les habitants des retombées toxiques) attira son attention. On y lisait, en six langues différentes et en basic : « Courtier en informations ».

Yan descendit du trottoir et se dirigea vers la baraque, Chewie sur les talons. Le « courtier » se révéla être une vieille Twi’lek, qui étudia le Corellien des pieds à la tête.

— Que veux-tu savoir, pilote ? demanda-t-elle dans sa langue.

Yan sortit une pièce d’un demi-crédit et la posa sur le comptoir, gardant le doigt dessus.

— Deux choses, répondit-il en basic. La direction du secteur corellien, par le chemin le plus sûr et le plus rapide (il s’interrompit tandis que la Twi’lek tapotait sur son datapad)… et où je pourrai trouver un contrebandier nommé Mako Spince.

La vieille Twi’lek sourit en montrant ses dents abîmées et tachées.

— Pour répondre à la première question, prends ça.

Elle lui fourra quelque chose dans la main. Yan reconnut un morceau de plan. Un point rouge indiquait leur position ; la direction du secteur corellien de Nar Shaddaa était clairement expliquée.

— D’accord, acquiesça Yan. Et Mako ?

Son interlocutrice lui jeta un regard amusé.

— Va dans le secteur corellien, pilote. Renseigne-toi dans les bars, les bordels, les maisons de jeu. Tu ne trouveras pas Mako, non. Mais il te trouvera.

— Ouais, ça lui ressemble… Parfait, merci.

Yan retira le doigt de la pièce, que la Twi’lek fit disparaître comme par magie. Puis elle continua à l’observer, les yeux brillants.

— Pilote est beau, dit-elle avec un sourire faussement timide.

Avec sa dentition, l’effet était terrifiant.

— Oodonnaa est vieille mais pleine de vie. Pilote est intéressé ?

Les yeux de Yan s’arrondirent comme des soucoupes. Elle me propose la boîte !

Il secoua la tête, sentant ses joues s’échauffer.

— Euh, non merci, madame, dit-il. Je suis honoré, mais euh… j’ai fait un… un vœu. D’abstinence. Ouais. C’est ça, un vœu.

Elle sembla plus amusée que vexée par sa déconfiture et lui souhaita bon vent.

Yan se retourna et s’éloigna, livide. À côté de lui, Chewbacca poussa un jappement.

— Rigole pas, lâcha Yan. Y a rien de drôle.

Le Wookie rit de plus belle.

Deux heures plus tard, ils atteignaient le secteur corellien. Le plan de la Twi’lek était exact, mais la plupart des panneaux indicateurs manquaient ou avaient été déplacés par des farceurs. Yan se sentit rassuré. Dans les rues, tout était familier, des odeurs jusqu’à l’architecture.

— Allons manger quelque chose, dit-il en désignant un bistro moins sale que les autres.

Le pilote commanda un goulasch de traladon et fut heureux de constater qu’il était bon. Chewie se régala d’une grosse salade et d’une assiette de travers de traladon saignants.

Puis Yan s’adossa à son siège et but une gorgée de la bière locale, essayant de s’habituer à son goût étrange mais pas désagréable.

Le droïd de service s’approcha avec la note.

— Mako Spince, dit Yan. Il vient ici ? Taille moyenne, cheveux bruns et courts, tempes grisonnantes ?

Le droïd secoua la tête.

— Non, monsieur, je n’ai pas vu la personne que vous décrivez.

— Dis à ton patron que je le cherche, d’accord ?

Yan termina sa bière. Puis les deux associés se dirigèrent vers des bars plus vulgaires. La petite nuit tombait rapidement. La vraie était encore loin ; elle durerait quarante heures standard. Les éclairages publics s’allumèrent. M’habituerai-je à une période d’obscurité aussi longue ? se demanda le Corellien.

Ça n’avait guère d’importance. La lune-cité ne dormait pratiquement jamais.

Yan s’enquit de Mako au Relais des Contrebandiers. Évidemment, personne n’en avait entendu parler. Le Corellien réitéra sa demande au Lucky Star, un ancien casino. Même résultat. Deux ou trois bars plus tard, il commençait à s’habituer au mot « non ».

Le Repère des Contrebandiers.

Le Café Corellien.

L’Orbe Dorée.

L’Exotica (Danseuses Nues ! Spectacles Étonnants !)

Le Casino Comète.

Le Batteur Bourré.

À force de monter et de descendre les rampes de permabéton, les jambes de Yan commençaient à être douloureuses. À moins d’avoir des ailes ou un jetpack, Nar Shaddaa n’était pas une ville pratique. Parfois, il fallait un quart d’heure pour atteindre une destination éloignée de dix mètres à vol d’oiseau.

Certains bâtiments étaient reliés par des câbles et des cordes, mais Yan n’était pas désespéré au point de s’amuser à se balancer au-dessus d’un abîme de vingt, quarante ou cent étages.

Les passerelles avaient souvent besoin de réparation. Dans ces cas-là, le Corellien choisissait prudemment de faire le tour. Même si elles avaient supporté son poids, il doutait qu’elles résistent à celui du Wookie.

Les heures passèrent. Solo se demanda si Chewie et lui ne devraient pas abandonner leurs recherches et trouver un lieu où dormir.

Il allait le proposer quand une main jaillit et l’attrapa par la gorge, l’attirant dans une ruelle puante. Le canon d’un blaster se pressa contre la tempe du Corellien.

Un homme murmura à l’oreille du Wookie :

— Pas un geste, ou je t’éclabousse avec la tête de ton copain.

Chewbacca s’arrêta. Il montra les dents, mais ne bougea pas.

La voix était familière. Yan s’étouffa, incapable de parler. Une main de fer lui écrasait la gorge.

— Maa…

— C’est un peu tard pour appeler ta maman, mec, dit la voix. Par Xendior, pourquoi me cherches-tu ?

Yan tenta encore d’articuler, sans succès. Chewbacca grogna et désigna le Corellien.

— Yaaaannnnnn, dit le Wookie avec grande difficulté. Yaaaannnn…

— Hein ? fit la voix. Yan ?

La main lâcha la gorge du Corellien, une autre le força à se retourner. Il y eut un court silence… Puis Mako Spince serra son ami dans ses bras, si fort qu’il lui coupa de nouveau le souffle.

— Yan ! Je suis content de te voir ! Comment vas-tu, espèce de fils de pute ?

Puis il lui tapa dans le dos, ce qui n’arrangea pas les choses.

— Mako…, réussit à articuler Yan. Ça fait un bail. Tu as changé.

— Toi aussi.

Les deux hommes s’étudièrent.

Les cheveux de Mako tombaient sur ses épaules et des mèches grises les constellaient. Il portait une moustache et avait forci, surtout des épaules. Une fine cicatrice courait le long de sa mâchoire ; il portait une combinaison de pilote en cuir, capable, disait-on, de maintenir sa pression dans le vide.

Yan se sentit heureux d’être de son côté. Il n’aurait pas aimé l’avoir comme ennemi.

Les deux amis se bombardèrent de questions, puis s’arrêtèrent en riant.

— Une à la fois ! dit Mako.

— D’accord, dit Yan. Tu commences…

Quelques minutes plus tard, ils étaient assis dans une taverne, buvant, parlant et rattrapant le temps perdu. Yan raconta son histoire à Mako qui ne fut pas surpris d’apprendre qu’il avait quitté le service.

— Je savais que tu ne supporterais pas l’exploitation des non-humains, Yan, dit Mako. La première fois qu’ils ont essayé de te faire commander des esclaves, j’ai compris que ta brillante carrière serait courte.

— Tu me connais trop bien, admit Yan en levant sa deuxième pinte de bière. Mais je n’avais pas le choix. Nykkas allait tuer Chewie !

— Tu ne pouvais rien faire d’autre, fiston, répondit Mako en souriant.

Il y eut un court moment de silence.

— Alors, comment vont les affaires ? demanda enfin Yan.

— Ça explose ! Les restrictions de l’Empire nous rendent riches. Le marché des Épices est toujours rentable, sans parler du trafic d’armes, des systèmes de tir et de batteries. Les produits de luxe comme les parfums et les tissus Askajian commencent également à avoir un bon rapport. Le vieux Palpatine ne dormirait pas la nuit s’il savait combien de mondes sont déçus par son pouvoir.

— Il y a du travail ici ? demanda Yan. Pour un pilote ? Tu sais que je suis bon, Mako.

Mako fit signe au droïd de servir une nouvelle tournée.

— Fiston, tu es l’un des meilleurs et je vais le faire savoir. Badure ne t’appelait pas l’insaisissable pour rien ! Veux-tu commencer par travailler pour moi ? J’ai besoin d’un bon copilote ; j’en profiterai pour te présenter à tout le monde.

Yan hésita.

— Chewie peut venir ?

Mako haussa les épaules et avala une gorgée de bière.

— Il sait tirer ? J’ai besoin d’un bon tireur.

— Ouais, dit Yan avec plus d’enthousiasme que de sincérité. Il est excellent !

En vérité, si le Wookie excellait à l’arbalète, il ne s’était entraîné qu’un mois sur des batteries de vaisseau.

— Alors, ça marche. Écoute, fiston, tu t’es trouvé une piste couverte ?

Une piste couverte, dans l’argot des contrebandiers, signifiait une chambre ou un appartement. Yan secoua la tête, sentant une vague de fatigue l’envahir. Bien sûr, les bières qu’ils venaient d’avaler n’avaient pas amélioré son état.

— J’espérais que tu me recommanderais quelque chose, dit-il. De pas trop cher.

— Bien sûr ! fit Mako. Je le ferai. Mais pourquoi ne viendriez-vous pas vous installer un jour ou deux chez moi ? Ça vous laissera le temps de vous retourner…

— Ben… bafouilla Yan en regardant Chewie. On adorerait, n’est-ce pas mon pote ?

— Hrrrrrmnnnnnnn !

Mako insista pour payer et quelques minutes plus tard, le petit groupe se dirigea vers l’appartement. La bière était décidément plus forte que Yan l’avait imaginé…

D’ailleurs, même le pas de son ami n’était plus très assuré…

Ils descendirent de quelques niveaux, pour arriver dans des rues où les bâtiments étaient plus tristes et plus sales.

— Ne vous y trompez pas, dit Mako. Mon appartement est convenable et j’ai tout le confort nécessaire. Mais ici, les voleurs ne vous prennent pas pour cible…

Yan étudia les environs. Mako avait raison : quand il était cambrioleur, il n’aurait jamais travaillé dans ce coin. Des ivrognes trainaient sur le permabéton, les trottoirs automatiques étaient cassés. Les mendiants et les pickpockets les regardaient passer sans approcher. L’air avenant de Chewbacca, sans doute…

Soudain, ce que Yan avait pris pour un vieux tas de chiffons s’anima. Une main squelettique apparut ; le Corellien aperçut un nez crochu et un sourire édenté. Une vieille femme, dont le regard brillait. La drogue ? La folie ?

Oh, non ! Pas encore ! Qu’est-ce qu’elles ont toutes, sur Nar Shaddaa, à se jeter sur les jeunes pilotes ?

Yan recula mais l’alcool avait émoussé ses réflexes. La vieille lui attrapa le poignet.

— La bonne aventure, mes seigneurs ? La bonne aventure ?

La voix ressemblait à un crissement ; le Corellien ne sut déterminer l’origine de son accent.

— La descendante de Vima Sunrider a vu l’avenir, mes seigneurs ! Donnez un crédit et elle vous dira ce qui vous attend.

— Lâchez-moi !

Yan essaya de se dégager, mais la poigne de la vieille femme était solide. Il chercha un crédit dans sa poche. Il ne voulait pas l’étourdir : à son âge, même un tir paralysant pouvait la tuer.

— Tenez, voici pour vous, dit-il en le lui glissant dans la main. Laissez-moi partir !

— Vima n’est pas une mendiante ! insista la vieille femme, indignée. Elle gagne son argent ! Elle le voit l’avenir ! Vima le voit, ouiiiii…

Yan s’arrêta et soupira. Au moins, la femme ne lui proposait rien de scabreux.

— Allez-y…

— Ah, jeune capitaine… Si jeune… il y a tant de choses… d’abord la voie du contrebandier puis la voie du guerrier. La Gloire tu auras, ouiiii. Mais avant cela, tu devras affronter de terribles dangers. Des trahisons, ouiiiii… venant de ceux à qui tu fais confiance… Des trahisons…

Yan échangea avec Mako un regard exaspéré.

— D’accord, je vais me faire trahir, dit le Corellien en tentant de refréner son impatience. Vais-je devenir riche ?

— Ahhhhhh, mon jeune capitaine, ouiiiiii… la richesse tu connaîtras, mais quand tu ne t’y intéresseras plus.

— Ça m’étonnerait ! Grand-mère, devenir riche est tout ce qui m’importe !

— C’est vrai. Tu accompliras beaucoup pour l’argent. Mais tu feras plus encore pour l’amour.

— Super, dit Yan en se dégageant. J’en ai assez de ces salades. Merci, vieille sorcière. Ne me dérange plus, maintenant.

Yan se retourna et s’éloigna, Chewie et Mako gloussant dans son sillage.

Le permabéton semblait flotter sous ses pieds. Le Corellien ne pensait plus qu’à une chose, se coucher.

Derrière lui, la vieille femme marmonnait toute seule.

Le lendemain, Yan se souvint à peine d’avoir monté la rampe qui menait à l’appartement de Mako, et encore moins d’être tombé sur le canapé. Il sombra aussitôt dans un sommeil sans rêves.

Quand il se réveilla le matin suivant, il avait tout oublié de la vieille femme et de ses prédictions.

Aruk le Hutt était occupé à son activité favorite… estimer ses profits. Le tout puissant chef du clan Besadii et de son kajidic se pencha sur sa console pour demander le calcul d’un pourcentage de marge basé sur une augmentation de la production annuelle de vingt pour cent, et projeté trois ans dans l’avenir.

Les chiffres et la courbe correspondante le firent rire tout seul dans la solitude de son énorme bureau.

Aucune autre créature vivante n’était présente. Seul le scribe métallique attendait le bon vouloir de son maître.

Aruk étudia la courbe et cligna de ses gros yeux globuleux. C’était un vieux Hutt, approchant les neuf siècles. Il avait atteint la corpulence maximale et même les recommandations de son médecin ne le décidaient pas à se déplacer par ses propres moyens. Il ne pouvait se passer de son traîneau antigrav. Avec lui, il pouvait se rendre n’importe où.

Après tout, pourquoi le chef du kajidic Besadii se priverait-il ?

Aruk n’était pas un de ces Hutts qui se vautraient dans les plaisirs de la chair. Il était gourmet, gourmand parfois, mais il n’avait pas, comme de nombreux autres seigneurs, des escouades d’esclaves chargés de satisfaire le moindre de ses caprices.

On disait que Jabba, le neveu de Jiliac, gardait toujours quelques danseuses humanoïdes en laisse. Aruk considérait cette habitude comme extravagante et perverse. Le clan Desilijic avait toujours eu une grande faiblesse pour les plaisirs physiques. Les goûts de Jiliac étaient plus évolués que ceux de Jabba, mais il tombait parfois dans les mêmes excès que son neveu.

C’est pour cette raison que nous gagnerons, pensa Aruk. Le clan Besadii est prêt à supporter quelques privations pour avoir gain de cause…

La victoire ne serait pas facile. Jiliac et Jabba étaient malins et cruels et leur clan était aussi riche que celui d’Aruk. Depuis des années, les deux groupes s’affrontaient pour les affaires les plus lucratives.

Jabba et Jiliac auraient fait n’importe quoi pour abattre Besadii. Mais d’après Aruk, l’argent était la clé du pouvoir. Le Hutt regarda satisfait la courbe montante des profits de Ylesia.

Bientôt, nous seront si riches que nous pourrons rayer le clan de Jiliac de la carte. Bientôt, les Besadii régneront seuls sur Nal Hutta…

Aruk et son frère Zavval avaient créé Ylesia.

C’étaient eux qui avaient pensé à utiliser des pèlerins comme main-d’œuvre dans les complexes de raffinage. Un soulèvement d’esclaves étant toujours à craindre, Aruk avait eu l’idée géniale de l’Exultation.

Les t’landa Til projetaient des émotions et des sensations de plaisir dans l’esprit de la plupart des espèces humanoïdes, les Hutts le savaient. Il avait fallu l’intelligence d’Aruk pour décider de s’en servir comme récompense d’une longue journée de travail dans les usines de raffinage.

Saupoudrer le tout de quelques hymnes, de chants et de litanies, et voilà une religion capable de réduire à l’état de zombies les abrutis crédules des espèces inférieures…

La production des usines avait toujours été excellente. Une seule fois, cinq ans auparavant, le complexe de Ylesia n’avait pas rapporté de bénéfices. C’était l’année où ce maudit Corellien, Yan Solo, avait détruit l’usine de glitterstim. Le Corellien avait également tué Zavval, mais Aruk avait été encore plus touché par la perte financière.

Le sentiment n’était pas vil. Aruk réagissait comme un Hutt.

Il se pencha sur le budget de la colonie de Ylesia. La prime pour la capture de Yan Solo était de sept mille cinq cents crédits. Pas de désintégration.

Sept mille cinq cents crédits. Deux mille cinq cents crédits de plus que la première prime. Solo se montrait difficile. Une telle somme devrait tenter la plupart des chasseurs… Aruk en avait vu de plus importantes, mais pas pour un homme si jeune.

Était-il nécessaire d’offrir un bonus pour le capturer vivant ? Aruk avait déjà supervisé des séances de torture, mais contrairement aux autres membres de sa race, il n’y prenait pas de plaisir particulier. Si le Corellien était amené devant lui, le Hutt ne perdrait pas de temps et ordonnerait tout de suite sa mise à mort.

Bien sûr, Teroenza n’était pas de cet avis. Les t’landa Til étaient rancuniers ; le Haut Prêtre de Ylesia ne connaîtrait pas le repos tant qu’il n’aurait pas sa vengeance. Solo périrait dans une exquise agonie et Teroenza en savourerait chaque seconde, chaque cri, chaque gémissement.

Aruk devait-il aligner deux mille cinq cents crédits pour satisfaire le Haut-Prêtre ? Là était la question. Le Hutt réfléchit. Des rides de concentration se formèrent au-dessus de ses yeux bulbeux. Puis il poussa un bref soupir. Très bien, il allait autoriser le paiement. Que Teroenza s’amuse. Les employés heureux étaient des employés productifs.

Il donnait à Aruk d’autres sujets d’inquiétude. Le t’landa Til contrôlait Ylesia, même si ce crétin de Kibbick essayait de le cacher.

Aruk fronça les sourcils. Ylesia était une opération hutt ; un Hutt devait donner les ordres. Hélas, Kibbick était le seul haut gradé du clan Besadii disponible pour l’instant.

Et Kibbick, on ne pouvait le nier, était un crétin.

Si seulement j’osais envoyer Durga, pensa Aruk. Il a la volonté et l’intelligence nécessaires, il rappellera à Teroenza qui sont ses maîtres…

Durga était le seul enfant d’Aruk… Un très jeune Hutt d’une centaine d’années, déjà dix fois plus intelligent que Kibbick.

Une tache de naissance s’étalait sur son front et son œil. Les autres Hutts avaient demandé qu’Aruk écrase le nouveau-né, disant que la marque affaiblirait le petit. D’anciennes légendes parlaient de mauvais présages…

Mais en regardant la petite chose sans défense, Aruk avait senti que l’enfant deviendrait un Hutt intelligent, malin et sans pitié. Il avait pris le jeune Durga dans ses bras et l’avait solennellement nommé son héritier, conseillant aux mauvaises langues de garder le silence.

Durga avait été bien éduqué et ne manquait de rien. Le jeune Hutt n’avait pas déçu son père ; leurs liens étaient très forts.

Aruk regarda la courbe de Ylesia, décidé à partager ses réflexions avec Durga. Il voulait que son fils prenne la tête du clan après sa mort.

Les chiffres sont encourageants ; nous devrions ouvrir une autre colonie sur Ylesia. Sept colonies produisent plus d’épices que six. Nous pouvons augmenter notre force « missionnaire » en engageant d’autres t’landa Til et en les envoyant attirer de nouveaux pèlerins.

Aruk rêvait d’étendre leur opération à une seconde planète. Il savait qu’il ne vivrait pas assez longtemps pour voir les deux mondes tourner à plein régime, mais Durga, lui, en serait témoin.

Il n’y avait qu’un problème. Les Desilijic. Jabba et Jiliac surveillaient les faits et gestes des membres les plus influents de son clan, prêts à frapper au moindre signe de faiblesse. Les Desilijic étaient cruels et jaloux du succès du clan Besadii sur Ylesia. Aruk savait combien Jabba et Jiliac auraient donné pour les détruire.

Enfin, être envié était aussi un signe de réussite… Soupirant, Arak le Hutt éteignit sa console et s’étira en frottant ses yeux globuleux.

Ahhhhh… Un bon après-midi de travail. Il était temps de dîner et de passer quelques moments avec son rejeton. Quelles bonnes nouvelles il avait à lui annoncer !

Aruk sortit de la pièce sur son traîneau, cherchant de la nourriture et de la compagnie…