CHAPITRE II

LA ROUTE DES CONTREBANDIERS

Yan Solo entra dans le minuscule poste de contrôle du vaisseau durosien, une chope de stim-thé à la main. Il regarda sur les écrans où défilaient les traînées de lumières réconfortantes de l’hyperespace, puis se tourna vers le grand Wookie affalé dans le fauteuil du copilote.

— J’ai dormi trop longtemps, dit-il, accusateur. Pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ?

Chewbacca émit un court grognement.

— Ouais, j’avais peut-être besoin de repos, mais c’est toi qui as été blessé. Comment va ton bras ?

Le Wookie informa Yan qu’il guérissait comme prévu. Le Corellien examina la blessure, puis se laissa tomber dans le fauteuil du pilote.

— Bien. Laisse-moi te dire, mon pote : c’est une bonne chose que tu te sois ramené hier. Cette Barabel ne jouait pas ; les choses auraient pu salement dégénérer.

Chewie précisa que les choses avaient salement dégénéré. Yan haussa les épaules.

— Tu as raison. Et ça me rappelle un truc.

Se levant, il ouvrit la boîte à outils standard pour en tirer le chalumeau laser. Dégainant son blaster, il découpa soigneusement le viseur.

Chewbacca demanda ce que faisait Yan.

— J’arrange mon arme pour qu’elle ne se coince plus jamais dans son holster, dit le Corellien. Je n’ai pas pu dégainer. Je suis un bon tireur, l’absence de viseur ne me gênera pas. Si ça avait tourné à la fusillade aucun de nous deux n’en serait sorti vivant… (Il secoua la tête.) Mais les choses auraient pu être pire. Si les membres de la sécurité de Veratil nous avaient attrapés… Fais-moi confiance, mon pote, les t’landa Til ne plaisantent pas. S’ils nous avaient mis la main dessus, nous serions dans l’humbaba jusqu’au cou.

Chewie émit un son interrogatif.

— Ouais, je te dois une explication, dit Yan. L’histoire remonte à cinq ans. Je devais piloter des gros vaisseaux pour obtenir l’expérience nécessaire à mon admission à l’Académie. Je me suis présenté pour un boulot de pilote auprès des t’landa Til, sur Ylesia. Tu en as entendu parler ?

Chewie poussa un gémissement.

— Ouais, la colonie de pèlerins. Sauf que ce n’est pas ce qu’on croit, mon pote. Ylesia n’est qu’un piège géant. Les Hutts contrôlent tout. Les pèlerins affluent en espérant se fondre dans le grand Tout, et ils se retrouvent esclaves dans les usines de raffinerie d’épices. La plupart de ces pauvres bougres ne tiennent pas longtemps. Ils avaient trois colonies sur Ylesia à l’époque… j’ai entendu dire qu’ils en exploitaient cinq ou six, à présent.

Chewbacca secoua tristement la tête.

Yan grimaça en regardant le canon de son blaster.

— Quelqu’un devrait y aller et tout fermer, Chewie. J’ai été voleur, contrebandier, escroc, joueur et d’autres choses dont je ne suis pas très fier… Mais l’esclavage, je ne supporte pas. Ni les esclavagistes.

Ils sont la lie de l’univers. J’aimerais pouvoir les flinguer…

Chewbacca exprima son accord de façon véhémente. Le Corellien sourit en rengainant son arme.

— Ouais, je me doute que tu ne vas pas protester… J’oubliais ce que tu as subi, mon pote. Bref… Comme je le disais, c’est une longue histoire. La conclusion, c’est que j’ai décidé de mettre les voiles après avoir volé un paquet de trucs au Haut Prêtre. Il avait une superbe collection d’objets d’art : des armes ornées de pierreries, des tableaux, de vrais trésors. Le seul problème, c’est que Teroenza et son patron hutt, Zavval, se sont pointés au moment le moins opportun. Il y a eu une fusillade et Zavval est mort.

Chewbacca émit un grognement interrogatif.

Yan soupira.

— Non, je ne lui ai pas tiré dessus. Mais c’est quand même de ma faute…

Chewie signala que moins il y avait de Hutts, mieux il se portait.

— Ouais, je pensais ça aussi avant, dit Yan. Mais nous allons peut-être travailler pour l’un d’entre eux et mieux vaut garder ton opinion pour toi. (Il but une gorgée de stim-thé et regarda les tramées lumineuses de l’hyperespace.) Enfin, je me suis échappé. Mais j’aurais préféré que Veratil ne m’ait pas vu hier. J’ai un mauvais pressentiment. Ces t’landa Til sont de vraies vermines…

Chewie posa une question. Yan s’éclaircit la gorge.

— Pourquoi ai-je foncé dans la foule en donnant à Veratil l’occasion de me voir ? Eh bien… C’est-à-dire… Il y avait une fille…

Le Wookie grogna une phrase qui aurait pu se traduire par : « Pourquoi ne suis-je pas surpris ? »

— Elle était… spéciale, dit Yan, sur la défensive. Bria Tharen. Hier, dans cette foule, j’ai cru la voir. J’aurais pu jurer que c’était elle. Il y a cinq ans, nous étions… amis. De très proches amis.

Chewbacca acquiesça. Après un mois passé avec Solo, le Wookie avait vite compris que les femelles humaines trouvaient le Corellien attirant.

— Mes yeux m’ont joué des tours. Ce n’était pas Bria. Le choc a été… enfin, j’étais déçu. (Il but une nouvelle gorgée de thé.) J’ai rêvé de Bria la nuit dernière. Je portais mon uniforme et elle me souriait…

Chewbacca émit un gémissement compatissant. Yan leva les yeux vers le Wookie.

— Mais, bon… Bria fait partie du passé ; je dois regarder l’avenir. Et toi, mon pote ? Tu as une copine ?

Le Wookie hésita. Yan sourit.

— Quelqu’un de spécial ?

Chewie tapota sur la console de stabilisation d’un air absent.

— Fais gaffe à ce que tu saisis, dit Yan. D’accord, tu n’as pas à me répondre. Mais moi, je t’ai tout raconté. Si nous devons être partenaires, nous devons nous faire confiance.

Son compagnon poilu médita un moment, puis il commença à parler. Chewbacca trouvait très attirante une jeune Wookie nommée Mallatobuck. Elle était venue plusieurs fois aider les membres les plus âgés de la communauté de Chewie sur Kashyyyk et l’avait aidé à s’occuper de son père, Attichitcuk, un vieux Wookie irascible.

— D’accord, tu l’aimes bien, dit Yan. Et elle ?

Chewbacca n’était certain de rien. Ils n’avaient pas passé beaucoup de temps ensemble. Mais une lueur chaleureuse dansait dans les yeux bleus de Mallatobuck…

— Depuis combien de temps ne l’as-tu pas vue ?

Chewie réfléchit un moment et grogna une réponse.

— Cinquante ans ? s’étrangla Yan.

Les Wookies vivaient beaucoup plus longtemps que les humains, mais tout de même…

Yan but une nouvelle gorgée.

— Mon pote, ça m’ennuie de te le dire, mais Mallatobuck est peut-être mariée, maintenant, avec six petits Wookies. C’est beaucoup demander à une fille t’attendre si longtemps…

Chewbacca hocha la tête. Peut-être devrait-il retourner sur Kashyyyk et renouer le contact aussitôt que possible…

— Écoute, quand nous aurons notre vaisseau, Kashyyyk sera notre première escale, d’accord ?

Le grand Wookie rugit de joie.

Yan le regarda en souriant. Il aimait avoir quelqu’un à qui parler pendant le voyage. Une fois le saut effectué, la traversée était plutôt monotone.

— J’ai vu le paquet que tu as apporté à bord, dit-il, changeant de sujet. Qu’as-tu acheté ?

Chewbacca alla chercher le sac et revint s’asseoir à sa place. Il sortit des morceaux de métal et de bois, une poignée et ce qui ressemblait à un puissant ressort.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Yan.

Le Wookie grogna sa réponse.

— Ah, ce sera une arbalète… Parfait. Bon courage pour l’assembler. Ce ressort a l’air si gros qu’aucun humain ne serait capable de le bander.

Chewie acquiesça et se mit au travail.

— Tu es bon tireur ?

Le Wookie l’admit modestement : parmi les siens, il était considéré comme un tireur d’élite.

— Bien, dit Yan. Nous nous rendons sur Nar Shaddaa ; il faudra nous couvrir mutuellement. Nar Shaddaa est la lune qui orbite autour de Nal Hutta, la planète hutt. Tu en as entendu parler ?

Grognement négatif.

— Je n’y ai jamais mis les pieds non plus, mais d’après ce que j’ai entendu, la vie y est parfois… animée. Même l’Empire ferme les yeux sur les activités des Hutts. Si tu es recherché ou si tu veux faire des affaires illégales, Nar Shaddaa est l’endroit qu’il te faut…

Yan vérifia les contrôles. Ils allaient émerger de l’hyperespace à proximité de Nar Hekka.

Mais Chewbacca n’avait pas fini. Fixant son compagnon de ses yeux clairs, il lui posa une simple question.

Le Corellien hésita.

— J’ai essayé de la retrouver, admit-il après un long moment. Au début, j’étais furieux, mais… elle avait beaucoup souffert. Alors, pendant une permission, j’ai été voir son père, Renn Tharen. Il m’a dit qu’il n’avait pas eu de nouvelles depuis un an et qu’il ignorait où elle se trouvait. J’aimais bien Kenn. Le reste de sa famille était du genre pénible, mais pas lui. Il m’a aidé quand j’étais dans la mouise. La plus grande partie de ma solde des six premiers mois a servi à lui rembourser l’argent qu’il m’avait prêté. Ensuite, j’ai…

L’alarme hyperspatiale résonna.

— Nous sortons, dit Yan, les mains sur les commandes. Étape suivante, Nar Hekka. Nous devons trouver un seigneur hutt nommé Tagta, mon pote.

Après avoir posé le vaisseau sur la piste indiquée par le Duros, Yan et Chewbacca réunirent leurs affaires et débarquèrent. Puis ils prirent un transport public jusqu’à la ville où Tagta le Hutt tenait sa cour.

Yan s’était déjà rendu sur Nal Hutta.

Il avait tout de suite détesté ce monde humide, gluant et puant… un peu comme les Hutts eux-mêmes, s’était-il dit à l’époque. S’attendant à ce que Nar Hekka soit du même acabit, il fut agréablement surpris.

La planète était un monde froid en orbite d’une étoile rouge à la limite du système Y’Toub, mais la richesse des Hutts l’avait transformée en merveille. Sous les énormes dômes artificiels, le ciel était bleu avec des reflets violets. La végétation de nombreux mondes avait été transplantée dans des parcs, des jardins botaniques et des arboretums. Où que Yan et Chewie portent leur regard, des arbres et des fleurs colorées et odorantes s’épanouissaient dans l’atmosphère artificielle.

La ville aussi était de toute beauté. Entre les bâtiments blancs, des courants de convection artificiels provoquaient de douces brises qui caressaient leurs visages. Après une longue période dans un vaisseau exigu, la sensation était merveilleuse.

Yan et Chewie approchèrent enfin d’un immense bâtiment de pierre blanche, centre opérationnel du domaine de Tagta le Hutt. Tagta travaillait pour Jiliac, mais il n’en restait pas moins un seigneur hutt important.

Ils gravirent la rampe (pour des raisons évidentes, l’architecture hutt n’utilisait pas d’escaliers) et s’arrêtèrent devant le portail, assez large pour laisser passer un Hutt perché sur une plate-forme antigrav. Le majordome était une petite Sullustéenne. Ses bajoues frémirent quand Yan se présenta et demanda une audience avec le seigneur Tagta.

Elle quitta les lieux pour revenir quelques minutes plus tard.

— Le seigneur Tagta va vous recevoir. Il désire savoir si vous avez déjeuné et vous propose de partager son repas de midi.

Yan avait faim et il pensait que c’était aussi le cas de Chewie, mais l’idée de manger avec un Hutt n’était pas très attirante. L’odeur corporelle des Hutts était si forte qu’elle pouvait retourner un estomac sensible.

— Nous venons de sortir de table, mentit Yan. Mais la sollicitude du seigneur Tagta nous touche infiniment.

Après un long moment, trois gardes gamorréens escortèrent les deux contrebandiers dans le salon à dîner du Hutt. Les hauts plafonds rappelèrent à Yan l’immensité des cathédrales. Une grande fenêtre permettait à la lumière pourpre du soleil d’entrer, teintant de rose les murs immaculés. Leur hôte, vautré devant une table, testait différents plats.

Le Corellien regarda le contenu gluant et gigotant des assiettes et le regretta aussitôt. Il ne pouvait se permettre de trahir ses faiblesses en approchant un seigneur hutt.

Si Yan comprenait le hutt, il ne le parlait pas. La langue utilisait de nombreuses harmoniques que la gorge humaine n’était pas conçue pour produire.

Auraient-ils besoin d’un droïd de protocole ? Yan jeta un coup d’œil autour de lui et n’en vit aucun.

Tagta était affalé sur sa plate-forme antigrav. Le Corellien l’étudia discrètement – le Hutt pouvait sans doute se déplacer s’il le désirait. Avec leur mode de vie, certains Hutts devenaient si gros qu’ils ne pouvaient plus se mouvoir, mais Tagta n’était ni vieux ni gras…

Le Hutt pêcha une petite créature vivante dans un bocal. De la bave verte coula aux coins de la bouche avant qu’il ne l’avale.

Yan se força à ne pas détourner le regard.

Après quelques minutes de gloutonnerie, la faim du Hutt sembla se calmer. Il leva les yeux vers ses visiteurs.

— L’un d’entre vous comprend-il le langage des seuls véritables êtres civilisés de la galaxie ? demanda-t-il en hutt.

Yan acquiesça.

— Oui, seigneur Tagta, je le comprends, répondit-il en basic. Hélas, je le parle de manière très imparfaite…

Le Hutt cligna des yeux de surprise.

— Voilà qui est à porter à votre crédit, capitaine Solo. Je comprends le basic, cette langue primitive ; nous n’aurons donc pas besoin d’interprète. Et votre compagnon ?

— Mon ami et second ne parle pas le langage des Exaltés, seigneur Tagta, dit Yan.

Une flatterie par phrase. Ce n’était pas l’habitude de Solo, mais il avait envie de s’attirer les bonnes grâces du Hutt. Quand on traitait avec eux, c’était la meilleure politique.

— Très bien, capitaine Solo, dit Tagta. Avez-vous livré mon vaisseau ainsi qu’il vous a été demandé ?

— Oui, Votre Excellence, répondit Yan. Il est posé sur l’emplacement trente-huit, zone Q7 du spatioport.

— Excellent, capitaine, dit Tagta. Vous avez accompli votre mission. (Il agita la main.) Vous pouvez partir.

Yan ne bougea pas.

— Seigneur Tagta, la moitié du paiement m’est encore due.

— Quoi ? s’exclama Tagta avec un mouvement de recul théâtral. Vous espérez que je vous paye ?

Le Corellien prit une profonde inspiration. Une partie de lui avait envie de battre en retraite : la somme ne valait pas qu’il s’attire la colère d’un seigneur hutt.

Pourtant, il se força à rester calme.

Il avait l’étrange sentiment d’être mis à l’épreuve.

— Oui, Votre Excellence, insista-t-il, on m’a promis la seconde moitié du paiement quand j’aurai posé le vaisseau sur Nar Hekka. À condition, bien sûr, que je n’éveille pas l’intérêt des Impériaux pour le vaisseau… ou pour sa cargaison.

Tagta renifla, indigné.

— Comment osez-vous ! Un marché aussi ridicule ? Quittez cet endroit immédiatement !

La pression montait. Yan croisa les bras, et secoua la tête.

— Pas question, Votre Excellence. Je sais ce qu’on m’a promis. Payez-nous.

— Vous osez exiger votre argent ?

— Quand il s’agit de crédits, j’ose beaucoup de choses, répondit Yan, imperturbable.

— Hrrrrmmmmmmph ! C’est ta dernière chance, Corellien. Pars ou j’appelle la garde !

— Vous pensez vraiment que Chewie et moi allons nous laisser faire par quelques Gamorréens ? Réfléchissez !

Tagta fixa Yan mais n’appela pas ses gardes.

— Écoutez, Votre Excellence… Vous voulez que je raconte à tous les pilotes que je croise que Tagta le Hutt ne tient pas sa parole ? Vous aurez du mal à trouver des volontaires quand j’en aurai terminé…

Le seigneur hutt émit un grondement sourd et Yan sentit sa bouche s’assécher. Avait-il poussé sa chance trop loin ?

Les secondes passèrent. Le Corellien attendait et se forçait à rester immobile.

Soudain, Tagta gloussa.

— Capitaine Solo, vous êtes courageux et j’admire le courage ! (Fouillant parmi des objets éparpillés devant lui, il jeta une bourse à Yan.) Voilà, je pense que le compte est bon.

La vieille crapule ! pensa Yan, admiratif. Il avait le fric ! Il voulait juste me tester…

— Acceptez nos remerciements, seigneur Tagta, dit-il en s’inclinant. Votre Excellence, je souhaiterais vous demander une faveur…

— Une faveur ? tonna le Hutt en clignant ses yeux bulbeux. Vous êtes bien téméraire ! De quoi s’agit-il ?

— Vous connaissez le seigneur Jiliac ?

— Oui, je suis en affaire avec lui. Nous appartenons au même clan. Et alors ?

— J’ai entendu dire que les bons pilotes étaient toujours les bienvenus sur Nar Shaddaa. Le seigneur Jiliac contrôle la Lune des Contrebandiers… Je suis un bon pilote, seigneur. Si vous pouviez me recommander au seigneur Jiliac, Chewie et moi vous en serions très reconnaissants.

— Ahhhh… Je vois. Que dois-je dire à mon chef de clan, capitaine Solo ? Que vous êtes impudent et avide ?

Yan eut un sourire méchant. Il commençait à comprendre le sens de l’humour des Hutts.

— Si vous pensez que ça aidera, seigneur Tagta.

— Ho-Ho ! tonna le Hutt. Laissez-moi vous dire, capitaine Solo, que rares sont les humains à considérer ces qualités comme des vertus. Mais parmi les miens, ce sont des attributs recherchés.

— Si vous le dites, monsieur.

— Scribe ! cria Tagta.

Un droïd sortit de derrière une tenture.

— Oui, Votre Énormité ?

Tagta fit un geste et donna un ordre si rapide que Yan eut du mal à le comprendre. Quelque chose à propos de « sceaux » et de « messages ».

Quelques instants plus tard, le droïd réapparut avec un petit holocube qu’il tendit au Hutt. Tagta prit l’objet, parcourut le message et grogna de satisfaction. Puis il en lécha une face, laissant dessus une gelée verdâtre.

— Voici, capitaine Solo, dit le Hutt en lui donnant l’holocube. Le seigneur Jiliac saura que je vous envoie. Vous avez raison, il recherche toujours de bons pilotes. Travaillez dur et vous serez récompensé. Les Hutts sont connus pour leur générosité envers les formes de vie inférieures qui nous servent.

Yan prit le cube qui n’était déjà plus humide. Jiliac ferait sans doute analyser la bave pour vérifier son origine.

Malin, même si ça me donne plutôt envie de vomir.

Il s’inclina ; Chewbacca l’imita.

— Merci, Votre Excellence !

Serrant son holocube contre lui, Yan quitta le seigneur hutt. En descendant la rampe, il insista pour partager en deux la récompense.

— Au cas où l’un de nous se ferait attaquer, expliqua-t-il pour faire taire les protestations de Chewbacca. De cette façon, l’autre sera certain d’avoir de l’argent.

Une fois dans la rue, Yan suggéra d’aller manger. Ils prendraient ensuite le premier vaisseau pour Nar Shaddaa. S’arrêtant devant un fleuriste, il demanda au propriétaire s’il connaissait un bon restaurant et la créature le dirigea vers le Feu Liquide, à quelques blocs de là.

Ils étaient à mi-chemin quand Yan s’arrêta et se retourna, sans savoir ce qui l’avait averti. Un Twi’lek armé d’un blaster sortit de sous un porche.

— Arrêtez-vous tous les deux ou je vous abats ! cria-t-il dans un basic bizarre, mais compréhensible.

Si Yan obéissait, il mourrait d’une manière ou d’une autre. Le Corellien n’hésita pas une seconde. Avec un hurlement à percer les tympans, il se jeta sur le côté, roula et se releva sur un genou, blaster à la main.

L’arme du Twi’lek cracha un éclair bleu-vert. Yan l’évita.

Étourdisseur !

Yan visa et tira. Le rayon écarlate frappa son agresseur à la poitrine. Celui-ci s’écroula, mort ou inconscient.

Après avoir vérifié que le Twi’lek n’allait pas se relever, Yan se retourna pour chercher Chewbacca. Le Wookie, tombé contre un glisseur, avait été touché par le faisceau étourdisseur. Yan courut vers lui, le cœur battant.

— C’est grave, mon pote ?

Avec un grognement étouffé, Chewbacca assura à son partenaire que tout allait bien. Yan vérifia les pupilles du Wookie et poussa un soupir de soulagement. Sans s’en rendre compte, il s’était habitué à la présence du grand poilu. Si quelque chose arrivait à Chewie…

Le Corellien alla ensuite s’agenouiller devant le Twi’lek. Un coup d’œil à la blessure béante suffit pour comprendre qu’il était bel et bien mort.

Serrant les dents, il se força à fouiller le cadavre. Le type avait une vibrolame accrochée à l’intérieur d’une manche, une autre au mollet. Sur la face intérieure du poignet gauche, il portait une arme de corps à corps capable d’envoyer une multitude de minuscules lames dans les organes vitaux d’un adversaire.

Dans sa ceinture, Yan trouva un initiateur Alpha, une arme à courte portée très efficace. Si le Twi’lek s’était glissé derrière Yan pour lui coller l’initiateur dans le dos, il se serait retrouvé aussitôt dans les bras de Morphée.

Yan regarda l’arme, la bouche sèche. Un chasseur de primes. Super. C’est Teroenza, bien sûr. Il sait que je suis vivant et il me veut…

Sans son instinct et ses réflexes, Yan aurait été en route pour Ylesia afin d’y subir une terrible vengeance…

Il entendit Chewbacca gémir et se retourna. L’incident avait attiré une petite foule.

Yan se leva, blaster à la main. La foule recula et un murmure s’en éleva. Le Corellien approcha de Chewbacca. Les forces de sécurité avaient été appelées, mais les chasseurs de primes agissaient plus ou moins dans l’illégalité. Un chasseur était censé se débrouiller par lui-même. Si son gibier se défendait… Tant pis !

Yan et le Wookie reculèrent jusqu’au croisement le plus proche et se mirent à courir.

Personne ne les suivit.

 

Teroenza, Haut Prêtre et maître officieux de Ylesia, était allongé dans son fauteuil balancelle tandis que son majordome Zisian, Ganar Tos, massait ses épaules massives.

Les t’landa Til étaient d’énormes créatures, aussi grandes que des humains. Avec leurs quatre courtes pattes, leur corps en forme de tonneau, leurs bras minuscules et leur grosse tête qui n’était pas sans rappeler celle de leurs cousins les Hutts, les t’landa Til se considéraient comme les créatures les plus belles de la galaxie. La plupart des autres créatures n’étaient pas du même avis.

Teroenza leva son avant-bras minuscule, s’enduisit le doigt d’huile et massa ses yeux globuleux. Le soleil de Ylesia, pourtant souvent caché par les nuages, était assez fort pour lui dessécher la peau. De fréquents bains de boue et des produits hydratants hors de prix étaient nécessaires pour ralentir son action. Teroenza commença à frotter sa corne, se souvenant de sa dernière visite chez lui, sur Nal Hutta, où il avait séduit Tilenna. Ensemble, ils avaient passé des heures à s’oindre d’huile…

Le Haut Prêtre soupira. Accomplir sa tâche exigeait des sacrifices. Seuls les prêtres mâles savaient produire l’Exultation. Il n’y avait pas de femelles ici. Pas d’épouse, pas de compagne potentielle…

— Plus fort, Ganar Tos, murmura Teroenza. J’ai travaillé dur ces derniers temps. Trop d’efforts, trop de stress. Je dois apprendre à ralentir, à me détendre…

Teroenza regarda la porte énorme qui défendait sa collection. Le Haut Prêtre était un collectionneur avide ; il achetait et « se procurait » des objets d’art venant de toute la galaxie. C’était son seul plaisir sur ce monde peuplé d’esclaves et d’êtres inférieurs.

Il lui avait fallu quatre ans pour reconstituer la collection que Vykk Draygo avait pillée.

Draygo. Quelques jours auparavant, Teroenza avait découvert que cet humain maudit était encore vivant. Une vérification auprès des autorités portuaires lui avaient appris que le vrai nom du bandit corellien était Yan Solo.

Au souvenir de la terrible nuit où Draygo s’était joué de lui, les petits poings de Teroenza se serrèrent et sa tête se baissa, comme s’il voulait empaler une victime sur sa corne. Solo avait tiré au blaster dans la salle du trésor, causant des dommages irréparables à certaines de ses plus belles pièces. La fontaine de jade blanc avait été reconstituée par le meilleur sculpteur de la galaxie, mais sa valeur ne serait plus jamais la même…

Teroenza fut distrait de ses souvenirs quand la porte de ses appartements s’ouvrit pour laisser entrer Kibbick. Le Hutt était jeune : un traîneau antigrav ne lui étant pas nécessaire, il se déplaçait par lui-même en rampant.

Selon la tradition, Teroenza aurait dû se lever et accueillir son maître avec déférence, mais il s’en abstint. Kibbick était un jeune Hutt furieux d’être exilé sur Ylesia. C’était le neveu de Zavval, l’ancien seigneur hutt de Teroenza, et du seigneur Aruk, le tout puissant chef du clan.

Le Haut Prêtre leva la main et fit quand même un signe de tête poli ; il ne voulait pas non plus s’aliéner Kibbick.

— Bienvenue, Votre Excellence. Comment vous portez-vous aujourd’hui ?

Le jeune Hutt glissa jusqu’au Haut Prêtre et s’arrêta. Sa peau était encore brun clair et commençait à peine à prendre la pigmentation verte qui ferait tout son charme. Ses yeux, qui n’étaient pas cachés sous des replis de peau, lui donnaient un air inquisiteur. Mais Teroenza avait appris à ne pas se fier aux apparences.

— Vous m’aviez promis des grenouilles nala, Teroenza, commença Kibbick en hutt, d’une voix bien moins profonde que celle de son oncle. La livraison n’est pas arrivée ! Je voulais m’en délecter ce soir… (Il poussa un soupir théâtral.) Il n’y a rien sur ce monde obscur ! Pouvez-vous régler le problème ?

Le Haut Prêtre fit un geste d’apaisement.

— Bien sûr, Votre Excellence. Vous aurez vos grenouilles nala. Personnellement, je ne les apprécie guère, mais il s’agissait d’un des mets préférés de Zavval. J’enverrai une escouade de gardes en chercher.

Kibbick se détendit.

— Tant mieux, dit-il. Oh, Teroenza… j’ai besoin d’une nouvelle esclave de bain. L’ancienne s’est fait mal au dos en soulevant ma queue et je l’ai renvoyée à l’usine. Ses gémissements me portaient sur les nerfs… qui sont très sensibles, comme vous le savez.

— Je comprends, dit Teroenza, serrant les dents pour dissimuler son énervement.

Kibbick me laisse une totale autonomie. Pour un seigneur hutt, c’est le meilleur choix possible…

Il ne pouvait pas gouverner Ylesia seul, Teroenza s’en était aperçu après l’assassinat de Zavval par Yan Solo. L’entreprise criminelle besadii, le kajidic, était contrôlée par le tout puissant Aruk. Celui-ci était très attaché aux traditions. La coutume était claire. Si une entreprise Besadii prospérait, un Hutt du clan Besadii devait être à sa tête.

Ainsi Teroenza s’était retrouvé avec Kibbick sur le dos. Il réprima un soupir. Trahir son impatience ne serait pas sage.

— Je m’en occupe… Autre chose, Votre Excellence ?

Kibbick réfléchit un instant.

— Oui… En fait, oui. J’ai parlé avec oncle Aruk ce matin ; il a vérifié les comptes de la semaine dernière et désire savoir à quoi correspond la prime de cinq mille crédits placée sur la tête d’un humain… Yan Solo, je crois ?

Teroenza frotta ses petites mains.

— Informez le seigneur Aruk que j’ai découvert il y a quelques jours que Vykk Draygo, l’assassin de Zavval disparu depuis cinq ans, avait refait surface. Son véritable nom est Yan Solo… Il a été renvoyé de la Marine Impériale il y a deux mois. La récompense est substantielle et j’ai spécifié « pas de désintégration ». Tôt ou tard, ce monstre sera ramené sur Ylesia où il paiera pour ses crimes.

— Je vois, dit Kibbick. J’expliquerai cela à Aruk… Mais il refusera d’offrir un bonus pour ramener l’humain vivant, j’en suis certain. Une simple preuve qu’il s’agit bien du cadavre de Solo suffira… Du matériel génétique par exemple.

Furieux, Teroenza se leva et commença à arpenter son appartement somptueux.

— Vous ne comprenez pas le crime de Solo, Votre Excellence ! Si vous aviez pu voir ce qu’il a fait à votre oncle ! Son agonie a été terrible ! Ses gémissements et ses cris nous ont brisé le cœur ! Et tout ceci à cause de ce maudit humain ! (Le Haut Prêtre prit une longue inspiration. Il tremblait de colère.) Nous devons faire un exemple qui restera gravé dans les mémoires… Solo doit supporter une atroce agonie, et mourir en implorant notre pitié !

Teroenza s’arrêta au milieu de la pièce, ses petits poings serrés.

— Demandez à Ganar Tos ! cria-t-il avec passion, sachant qu’il se donnait en spectacle, mais incapable de s’arrêter. Parlez-lui de l’audace de Solo, de son arrogance ! Il mérite de souffrir !

La voix du Haut Prêtre était proche de l’hystérie. Le vieux majordome Zisian s’inclina humblement, mais ses yeux brillaient.

— Mon maître, vous dites la vérité. Yan Solo mérite une mort lente et douloureuse. Il a fait du mal à de nombreux êtres, moi compris. Il m’a volé ma compagne, ma fiancée, la belle Bria ! J’attends le jour où un chasseur de primes le ramènera, vivant et attendant votre bon plaisir ; ses cris me feront danser de joie.

Kibbick recula devant la violence de ses interlocuteurs.

— Je… vois…, dit-il enfin. Je ferai de mon mieux pour convaincre oncle Aruk.

Teroenza s’inclina ; pour une fois, sa gratitude n’était pas feinte.

— Convainquez-le, dit-il enfin, la voix grave. Depuis dix ans, j’ai travaillé dur pour le clan Besadii et son kajidic. Vous connaissez mieux que quiconque les conditions de vie sur ce monde. Votre Excellence, je ne demande pas grand-chose… mais Yan Solo… Je dois avoir Yan Solo ! Il mourra entre mes mains, très lentement.

Kibbick inclina son énorme tête.

— Je le dirai à Aruk, promit-il. Yan Solo sera à vous, Haut Prêtre…