CHAPITRE PREMIER

NOUVEAUX AMIS ET VIEUX ENNEMIS

Yan Solo, ex-officier impérial, buvait une mauvaise bière d’Alderaan dans un bar ringard de Devaron. Il aurait préféré être seul. Les clients du bar – des mâles et des femelles devishs ainsi qu’un certain nombre de non-humains – ne le dérangeaient pas : le Corellien était habitué aux non-humains, il avait grandi parmi eux à bord du Bonne Fortune, un vaisseau de commerce qui errait au gré des occasions et des routes spatiales.

À dix ans, Yan parlait et comprenait déjà une demi-douzaine de langages non humains.

Non, ce n’était pas les buveurs qui l’énervaient… C’était la présence de l’énorme créature poilue, assise à côté de lui. Yan but une gorgée de bière, grimaça puis jeta un coup d’œil sur son compagnon. Celui-ci lui rendit un regard affectueux et inquiet.

Yan soupira. Si seulement il pouvait retourner chez lui ! Mais le Wookie, Chew quelque chose, refusait de rentrer sur Kashyyyk. Il déclarait avoir une « dette de vie » envers l’ancien lieutenant impérial Yan Solo.

Une dette de vie… super. Juste ce dont j’avais besoin, railla Yan. Une grande nounou poilue qui me suit partout, qui me conseille et qui m’engueule quand je bois trop… Merveilleux. C’est génial.

Le Corellien contempla son reflet déformé dans la bière. Comment s’appelait le Wookie, déjà ? Chew ? Il lui avait répété son nom plusieurs fois, mais si Yan comprenait son langage, il était loin de le prononcer parfaitement.

D’ailleurs, ce nom, il ne voulait pas l’apprendre.

Sinon, il ne réussirait jamais à se débarrasser du Wookie.

Yan se passa la main sur le menton, caressant une barbe de quelques jours. Il ne se rasait plus depuis qu’il s’était fait virer de l’armée. Cadet, sous-lieutenant, puis lieutenant, il avait toujours fait attention à son apparence. Officier et gentleman, bien sûr…

Mais à présent… quel intérêt ?

D’une main mal assurée, Yan leva la chope et la vida. Puis il chercha le serveur du regard. J’ai besoin d’un autre verre. Un dernier, et je me sentirai mieux. Juste un…

Le Wookie gémit.

— Garde tes opinions pour toi, boule de poils, grogna le Corellien. Quand j’aurai assez bu, je m’en rendrai compte. La dernière chose dont j’ai besoin, c’est d’un Wookie qui joue à la baby-sitter…

Le Wookie – Chewbacca, oui, c’est son nom – grogna doucement, ses yeux bleus assombris par l’inquiétude.

— Je suis un grand garçon et t’as pas intérêt à l’oublier. C’est pas parce que je t’ai évité de te faire désintégrer que tu me dois quelque chose. Je te l’ai déjà dit… c’est moi qui avais une dette… envers une Wookie. Je lui dois la vie, plutôt deux fois qu’une.

Chewbacca émit un son rauque. Yan secoua la tête.

— Non ! C’était pour elle ! Je t’ai aidé, nous sommes quittes… Alors, s’il te plaît, prends les crédits que je t’ai donnés et retourne sur Kashyyyk. Tu n’arranges rien en restant là, tas de poils. Tu m’es aussi utile qu’un coup de blaster dans les fesses !

Chewbacca se redressa et gronda.

— Oui, j’ai brisé ma carrière en empêchant le commander Nykkas de te tirer dessus. Et alors ? Je déteste l’esclavage… Voir Nykkas avec son fouet m’a rendu malade. Quand j’étais gamin, ma meilleure amie était wookie. Je vous connais. J’ai tout de suite compris que tu allais te retourner contre Nykkas, et je ne pouvais pas le regarder te tirer dessus sans bouger… Mais je ne suis pas un héros. J’ai pas besoin d’associé et je ne veux pas d’ami. Tout est dans mon nom, mon pote. Solo. (Yan se désigna du pouce.) So-lo. Dans ma langue, ça veut dire tout seul. Tu vois ? C’est comme ça et pas autrement. Alors te sens pas visé, Chewie… mais dégage ! Va-t’en. Loin, maintenant, tout de suite.

Chewie étudia le Corellien un long moment, renifla avec dédain et sortit du bar.

Celui-ci le suivit du regard, étonné. Avait-il vraiment réussi à convaincre le gros poilu de partir ? Il fallait fêter ça avec un autre verre…

Yan jeta un coup d’œil autour de lui. Dans un coin, des buveurs s’étaient réunis autour d’une table. Une partie de sabacc s’organisait. Devait-il y participer ? Vu l’état de sa fortune, l’idée n’était pas mauvaise. Le Corellien avait de la chance au jeu et ces jours-ci, chaque crédit comptait.

Ces jours-ci…

Yan soupira. Combien de temps avait passé depuis le jour où il avait chargé d’aider le commander Nykkas à gérer l’équipe de Wookies occupés à construire la nouvelle aile du Hall des Héros ? Le Corellien fit le compte, et grimaça en réalisant qu’il avait perdu quelques jours, probablement dans un brouillard d’alcool. Dans quarante-huit heures, cela ferait deux mois.

Il se passa une main dans les cheveux. Pendant cinq ans, il les avait coupés court, suivant le règlement militaire. Maintenant, ils poussaient de façon anarchique. Il se revit sortant de l’Académie… jeune officier prometteur, immaculé, manucuré, les bottes brillantes…

Quel contraste ! Aujourd’hui, sa chemise n’avait plus rien de sa blancheur passée. Yan portait un vieux blouson d’occasion et un pantalon militaire corellien aux bandes écarlates courant le long de la couture. Seules ses bottes n’avaient, pas changé. Elles étaient faites sur mesure pour chaque cadet et les Impériaux n’avaient pas voulu les récupérer.

Yan avait été nommé huit mois plus tôt, et aucun sous-lieutenant n’avait été plus fier de son grade. Ou de ses bottes.

Elles étaient usées et n’avaient plus été cirées depuis très longtemps…

Dans un instant de lucidité, Yan dut l’admettre : même s’il n’avait pas été renvoyé, il n’aurait sans doute pas pu rester dans la Marine Impériale. Il avait commencé sa carrière avec de grands espoirs, mais les désillusions avaient été rapides. Le racisme envers les non-humains était difficile à accepter… Il avait serré les dents et appris à se taire. Supporter la stupidité aveugle de l’administration et des officiers était une autre paire de manches.

Pourtant, jamais il n’avait imaginé être renvoyé à la vie civile de cette façon, sans pension ni arriérés de solde et, pire encore, étant inscrit sur la liste noire des pilotes. Les Impériaux ne lui avaient pas confisqué son permis, mais Yan avait vite découvert qu’aucune compagnie n’acceptait de l’engager. Il avait arpenté le tarmac de Coruscant des semaines et toutes les portes respectables étaient restées fermées.

Une nuit, alors qu’il trainait du coté du ghetto non humain, une énorme ombre poilue avait émergé des ténèbres devant lui.

Le cerveau embrumé de Yan n’avait pas reconnu le Wookie. Il avait fallu que Chewbacca le remercie de lui avoir sauvé la vie pour qu’il comprenne de qui il s’agissait.

Chewie avait été direct, car les Wookies n’étaient pas de grands orateurs. Chewbacca avait contracté une dette de vie envers Yan Solo. Où que Yan aille, il irait aussi.

Et il avait tenu parole.

Quand Yan avait enfin réussi à quitter Coruscant en emmenant une cargaison de contrebande sur Tralus, Chewbacca l’avait suivi. Pendant la longue semaine en hyperdrive, le Corellien avait appris au Wookie les rudiments du pilotage. Les voyages spatiaux étaient ennuyeux et ça lui avait permis de ne pas trop déprimer en imaginant l’avenir.

Une fois sur Tralus, il avait livré la cargaison puis cherché une autre mission auprès de Toryl, un Duros de sa connaissance.

Le joug de l’Empire était de plus en plus pesant. Duro possédait des chantiers de construction comparables à ceux de Corellia, mais l’administration impériale venait d’interdire aux ouvriers d’installer des armes sur les vaisseaux.

Yan avait donc convoyé un chargement de composants de systèmes d’armement avant de revenir sur la planète.

Chewie était devenu un bon copilote et un excellent canonnier. Yan espérait que la formation qu’il lui avait donnée lui permettrait de se débarrasser du Wookie. Si celui-ci pouvait se faire engager comme copilote, il n’hésiterait pas à abandonner le Corellien, dette de vie ou non.

Au moins l’espérait-il…

Yan but une partie des bénéfices en attendant une autre offre. Sa patience avait été récompensée quand un Sullustéen lui avait offert une bonne prime pour piloter un vaisseau de Duro à Kothlis, une colonie bothane, en évitant les forces impériales.

Le petit vaisseau venait d’être volé. Yan n’était plus du bon côté de la loi.

Il avait serré les dents et piloté le navire jusqu’à Kothlis, où on lui avait confié une nouvelle mission. Il devait convoyer un gros nalargon jusqu’à Devaron. À première vue, le travail semblait légal…

C’était la première fois que Yan, peu passionné par la musique, entendait parler d’un nalargon. Le gros instrument était actionné par un clavier et des pédales. Des tubes et des générateurs de résonances produisaient des sons sur de nombreuses fréquences. Depuis la déferlante galactique de jizz, la demande était forte.

Le nalargon avait été fixé à la coque du vaisseau puis placé dans la soute avant que Yan ne monte à bord, mais le pilote était bien sûr descendu l’inspecter une fois le saut en hyperdrive effectué.

Le Corellien et le Wookie avaient cogné sur l’instrument pour voir s’il était creux. Puis ils l’avaient allumé pour essayer d’en jouer, sans succès. Ce devait être un faux, une coquille, servant à protéger quelque chose. Mais quoi ?

Devaron était un monde agité. Peu de temps auparavant, un groupe de Rebelles s’était soulevé contre le gouverneur impérial pour exiger l’indépendance.

Posant sa chope sur la table, Yan eut une grimace de mépris. Ces fous croyaient avoir une chance contre l’Empire. Sept cents Rebelles avaient été capturés quand la ville sacrée de Montellian Serat avait été envahie par les troupes impériales, quelques mois auparavant. Ils avaient été exécutés sans autre forme de procès.

Les survivants se cachaient dans les collines, organisés en groupe de guérilla. Mais ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne soient broyés par la puissance de Palpatine…

Aidé par Chewie, Yan avait estimé les dimensions du gigantesque instrument… Ouais… un canon laser mobile tiendrait à l’intérieur. L’arme pouvait être montée à l’arrière d’un glisseur ; elle était capable de détruire facilement de petites cibles, comme des bâtiments ou des chasseurs impériaux.

À moins que le nalargon ne contienne des fusils blasters. Une bonne dizaine, bien emballés…

Trop dangereux. Dès son arrivée, Yan avait abandonné le vaisseau, sans chercher à obtenir le reste de sa prime.

C’était la veille… Depuis, le Corellien n’avait osé contacter personne. Le vaisseau devait être encore sur la piste, le nalargon dans la soute. Mais les Rebelles ne tarderaient pas à récupérer ce qui se trouvait à l’intérieur.

Yan secoua la tête. La dernière bière était de trop. Il regarda autour de lui : la pièce ne tangua pas. Bien. Il n’était pas trop saoul pour jouer au sabacc.

Allez, Solo. Au boulot. Chaque crédit compte…

Se levant, il se dirigea vers la table.

— Bonsoir, dit-il en basic. Acceptez-vous un nouveau joueur ?

Le donneur, un Devaronien, regarda Yan avant de désigner un fauteuil vide.

— Bienvenue, pilote, dit-il en découvrant ses dents acérées. Au moins tant que tu as des crédits…

Le Corellien s’installa.

Il avait appris à jouer au sabacc à l’âge de quatorze ans. Mettant sa première mise dans le pot, il ramassa ses deux premières cartes, puis les étudia tout en surveillant ses adversaires. Quand ce fut à son tour d’enchérir, il ajouta le nombre requis de crédits.

Le Corellien avait en main le Six de Portées et la Reine de l’Air et des Ténèbres, mais le jeu était complexe : à tout moment, le donneur pouvait appuyer sur un bouton pour changer la valeur des cartes. Yan jeta un coup d’œil sur les autres joueurs : un petit Sullustéen, une Devaronienne, le donneur et une énorme Barabel venant de Barab Un. C’était la première fois que Yan en voyait une de près. La créature était impressionnante avec ses deux mètres de haut, son corps couvert d’écailles, ses dents acérées et sa queue terminée par une masse. Pas étonnant que les Barabels soient redoutés dans les échauffourées. Celle-ci, qui répondait au doux nom de Shalamar, semblait pacifique. Elle ramassa sa dernière carte et étudia sa main.

Le but du sabacc était d’égaler – mais pas de dépasser – le nombre vingt-trois, en positif ou en négatif. En cas d’égalité, le positif l’emportait.

Yan avait « plus quatre » en main. La Reine de l’Air et des Ténèbres valait « moins deux ». Le Corellien pouvait lancer la carte dans le champ d’interférence qui gèlerait sa valeur, puis prier pour récupérer l’idiot et une carte ayant une force de trois. L’Idiot étant égal à zéro, sa main lui permettrait de battre un pur sabacc… c’est-à-dire des cartes dont la somme faisait « plus vingt-trois » ou « moins vingt-trois ».

Le Corellien hésita… et les valeurs de ses cartes se modifièrent. Sa Reine se transforma en Maître de Sabres. Le Six de Portées était devenu un Huit de Flasques. Son total était maintenant de « plus vingt-deux ».

Il attendit que les autres joueurs examinent leurs cartes. La Barabel, la Devaronienne et le donneur jetèrent les leurs, dégoûtés. Leur jeu avait dépassé vingt-trois.

Le Sullustéen enchérit et Yan suivit.

— Vingt, annonça la petite créature en tendant ses cartes.

Le Corellien sourit et montra les siennes.

— Vingt-deux, annonça-t-il tranquillement. C’est pour moi.

Les autres joueurs grommelèrent quand Yan prit l’argent. La Barabel siffla et jeta au Corellien un regard dont la férocité aurait pu faire fondre du titane, mais elle ne prononça pas un mot.

Le Sullustéen remporta la donne suivante et le Devaronien celle d’après. Regardant avec envie le pot de sabacc, Yan décida de prendre des risques.

Ils continuèrent de jouer. Yan gagna une fois de plus, mais personne ne remporta le pot. Le pilote jeta le Trois de Pièces et l’idiot dans le champ d’interférence… Son audace fut récompensée : au changement de carte suivant, il se retrouva avec le Deux de Flasques.

Il jeta la carte dans le champ d’interférence le plus calmement possible.

— Le pot de sabacc est pour moi, mesdames et messieurs…

La Barabel rugit.

— Tricheur ! Il a un modulateur ! Sa chance est trop insolente !

Yan la regarda, sincèrement outragé. Il avait souvent triché au sabacc. Parfois en se servant de modulateurs – des cartes qui changeaient de valeur au gré de leur propriétaire – parfois grâce à des méthodes que la Barabel ne devait même pas connaître.

Mais cette fois, sa victoire était honnête.

— Tu peux te coller tes accusations où je pense, dit le Corellien, indigné. (Discrètement, il détacha la sangle de son holster.) Je n’ai pas triché ! J’ai joué mieux que toi, c’est tout !

Prenant une poignée de crédits de la main gauche, il les empocha. Personne ne dit mot. Yan tendit la main pour prendre le reste…

Dans un éclair de fourrure rouge, la Devaronienne lui attrapa le poignet et le maintint sur la table.

— Shalamar a peut-être raison, déclara-t-elle en basic. Nous devrions le fouiller.

— Retire ta main, dit froidement Yan. Ou tu le regretteras.

Quelque chose dans la voix ou les yeux du Corellien dut impressionner la joueuse, qui le lâcha et recula.

— Pleutre ! siffla Shalamar. Ce n’est qu’un humain !

La Devaronienne secoua la tête et se détourna, montrant qu’elle se désintéressait du conflit.

Yan sourit et tendit la main vers les derniers crédits. La Barabel rugit de nouveau. Sa main s’écrasa sur la table et la fracassa en deux, faisant voler dans tout le bar les crédits et les cartes.

Puis elle s’avança vers Yan avec une méchante grimace.

— Je vais t’arracher la tête, tricheur ! Sans cervelle, on verra si tu joues mieux que moi !

Les dents de la Barabel étincelaient. Yan réalisa qu’elle était capable de mettre sa menace à exécution. Sa main droite fila vers son blaster, remonta…

Pour s’arrêter net quand l’arme se bloqua dans le holster. Le viseur était coincé au fond de l’étui. Yan lira et essaya de le dégager, sans succès.

La Barabel bondit sur lui. Le Corellien sauta en arrière en hurlant. Trop tard : les énormes griffes de Shalamar l’attrapèrent par son blouson, déchirant le cuir comme du papier. Puis, soulevant le Corellien comme un fétu de paille, la Barabel l’approcha de sa mâchoire grande ouverte d’où s’échappait une haleine fétide.

Un mouvement flou… Un rugissement…

Un long bras poilu s’enroula autour du cou de Shalamar, la forçant à se détourner de Yan.

— Chewie ! gémit Yan.

Jamais le Corellien n’avait été aussi heureux de voir quelqu’un.

Shalamar rugit, lâcha sa proie et se retourna pour lutter contre son nouvel agresseur.

— Tiens bon, Chewie ! cria Yan en réussissant enfin à dégager son blaster.

Il visa mais il ne pouvait tirer sans toucher le Wookie.

Les deux créatures ravagèrent le bar, renversant tables et chaises. Les joueurs et les clients se dispersèrent, protestant et injuriant les combattants dans toutes les langues de la galaxie.

Le Sullustéen dégaina son blaster. Puis, voyant que Yan était armé, il se jeta derrière le bar.

Shalamar et Chewbacca étaient accrochés l’un à l’autre, essayant de se déséquilibrer mutuellement.

— Allez Chewie ! cria Yan. On se casse !

Shalamar baissa la tête et mordit la patte du Wookie. Les dents acérées de la Barabel arrachèrent un morceau de chair et de fourrure. Le Wookie rugit de douleur ; dans un sursaut de fureur, il saisit le bras de la Barabel et la fit tourner dans les airs. Puis, avec un rugissement de triomphe, il la lâcha, l’envoyant voler à l’autre bout de la pièce. La créature s’écrasa au milieu des tables, des chaises et des cartes.

L’étourdissement ne suffira pas, pensa Yan. Et je ne veux pas la tuer.

Il modifia le réglage de son blaster et visa sa cible au genou. Shalamar gémit de douleur et tomba, les écailles noires de sa jambe fumantes.

— Allez, Chewie ! cria Yan en étourdissant le Devaronien qui se préparait à abattre le Wookie.

Le joueur s’écroula sans un bruit. Le Corellien bondit vers la sortie, Chewbacca sur les talons.

La propriétaire de la taverne s’interposa en hurlant, mais Yan la poussa et courut jusqu’à la porte sur laquelle il s’écrasa épaule la première.

Fermée !

Il jura dans six langues différentes, régla son blaster sur la puissance maximale et fit sauter la serrure. La propriétaire cria encore, mais le Corellien et le Wookie étaient déjà loin.

Ils dévalèrent l’impasse sordide pour se retrouver dans une rue plus animée. Une brise glacée fit frissonner Yan. L’hiver était fini depuis peu sur le continent polaire de Devaron.

Rangeant son blaster, Yan ralentit le pas.

— Comment va ton bras, mon pote ?

Chewie émit un feulement douloureux. Yan regarda la blessure.

— Bon, c’est toi qui as choisi de revenir, dit-il. Non que j’en sois désolé. Je… je voulais te dire… euh… merci de m’avoir sauvé la vie.

Le Wookie émit un son interrogatif. Yan haussa les épaules.

— Ouais, bien sûr, marmonna-t-il. Je n’ai jamais eu de partenaire, mais… pourquoi pas ? Les voyages spatiaux sans personne à qui parler, c’est parfois long.

Malgré sa douleur, Chewie gronda de satisfaction.

— N’exagérons pas, dit Yan. Écoute, il faut faire soigner ton bras. Il y a une clinique de l’autre côté. Allons-y.

Une heure plus tard, ils étaient de nouveau dans la rue. Le bras de Chewbacca, traité au bacta, était dans un étui protecteur. Le droïd médical leur avait assuré que les Wookies guérissaient vite.

Chewie venait de déclarer qu’il avait faim quand Yan entendit une petite voix l’appeler.

— Pilote Solo…

Yan se retourna. Un Duros l’attendait dans l’encadrement d’une porte. Méfiant, le Corellien regarda autour de lui, mais la rue était tranquille. Cette partie était réservée aux piétons.

— Ouais ?

Le Duros lui fit signe de le suivre dans une impasse. Le Corellien passa le coin, puis s’adossa au mur, main sur le blaster.

— Je ne vais pas plus loin sans savoir ce que vous voulez…

Une expression de tristesse se peignit sur le visage du non-humain.

— Vous n’êtes pas un être confiant, pilote Solo. C’est un ami commun, qui m’a parlé de vous. Son nom est Toryl, et il m’a dit que vous étiez un excellent pilote.

Yan se détendit mais n’éloigna pas la main de son arme.

— C’est vrai, je suis un pro. Alors comme ça, Toryl vous envoie ? Prouvez-le.

Le Duros leva ses grands yeux laiteux.

— Il n’a plus le Talisman que vous lui aviez apporté.

Yan retira la main de son arme.

— D’accord. Que proposez-vous ?

— J’ai une cargaison à livrer sur Nar Hekka, dans le système hutt. Je suis prêt à payer… Mais vous devrez empêcher par tous les moyens les Impériaux de monter à bord.

Yan soupira. Encore des intrigues… Cela dit, l’offre du Duros l’intéressait. Le Corellien voulait justement se diriger vers Nar Shaddaa, la « lune des contrebandiers », en orbite autour de Nal Hutta.

La mission arrivait à point. De Nar Hekka, il lui serait facile de gagner sa destination.

— Dites-m’en plus.

— Seulement si vous êtes prêt à décoller dans deux heures. Sinon, je trouverai un autre pilote.

Yan réfléchit.

— Bien… je peux changer mes plans… Mais ma disponibilité a un prix.

Le Duros proposa une somme.

— Et la même chose à livraison, ajouta-t-il.

Yan fut surpris par l’importance de l’offre, ce qui ne l’empêcha pas de secouer la tête d’un air méprisant.

— Allez, Chewie, dit-il. Nous avons des gens plus intéressants à voir.

Le Duros annonça une deuxième somme, bien plus élevée.

Ce type est désespéré, pensa Yan en faisant semblant d’hésiter. Il secoua la tête.

— Vous comprenez… si les Impériaux recherchent ce vaisseau, je cours au-devant des ennuis. Quelle est la cargaison ?

— Je ne peux pas vous le dire, lâcha le Duros. Mais si vous livrez le vaisseau et son contenu à Tagta le Hutt, il sera ravi… et la satisfaction d’un seigneur hutt est souvent très rentable. Tagta est le bras droit de Jiliac le Hutt… Celui de Nar Hekka.

Yan dressa l’oreille. Jiliac le Hutt était un seigneur très puissant. Peut-être « Tagta » le recommanderait-il à son patron…

— Hum… dit Yan. (Il se gratta la tête d’un air indécis avant d’annoncer son prix.) Et d’avance, s’il vous plaît.

La peau bleue du Duros pâlit. Enfin, il acquiesça.

— D’accord, mais je ne vous verserai que la moitié. Tagta vous donnera le reste, pilote Solo.

— Ça marche, répondit Yan. Chewie, va chercher nos affaires pendant que je conclus l’affaire…

Le Wookie émit un grognement affirmatif.

— Merci. Je te rejoins dans une heure sur le côté nord de la place… D’accord ?

Chewbacca acquiesça et s’éloigna.

— Vous avez votre pilote, dit Yan en s’approchant du Duros. Nous décollerons dans deux heures. Donnez-moi les détails. Où vais-je trouver Tagta le Hutt ?

Quelques minutes plus tard, Yan avait toutes les informations nécessaires. Le Duros lui tendit une liasse de crédits, lui donna les codes de sécurité du vaisseau et lui indiqua où le trouver. Puis il disparut dans la pénombre de la ruelle.

Il fallait dissiper les brumes de l’alcool. Yan alla manger un morceau dans un café. Il dut convaincre la cuisinière devish de faire cuire sa viande, mais ça en valait la peine. La nourriture dilua les effets de l’alcool et le Corellien se sentit mieux.

Il s’arrêta ensuite dans un magasin d’occasion, un peu avant la place, pour acheter un blouson destiné à remplacer celui que la Barabel avait déchiqueté. Enfin, habillé de façon plus respectable, il se dirigea vers le lieu de rendez-vous.

Ce fut le bruit qui l’alerta. Une foule énorme était réunie sur la place. Un groupe de gens criaient à l’unisson… comme s’ils chantaient, ou récitaient quelque chose. Un frisson parcourut Yan. Les incantations avaient quelque chose de familier. Elles n’étaient pas en basic, pourtant il les avait déjà entendues…

Mais où ?

J’ai un mauvais pressentiment…, pensa-t-il en étudiant la foule. Elle était composée de Devaroniens et de quelques humains, qui chantaient, sautaient et se balançaient avec une ferveur religieuse.

Une estrade avait été installée à la hâte. Quand le Corellien vit qui était perché dessus, il faillit s’étrangler.

Oh non ! Une célébration de Ylesia ! Et le prêtre… c’est Veratil ! S’il me voit, je suis foutu !

Cinq ans auparavant, Yan avait passé six mois sur Ylesia, où il avait travaillé comme pilote avant de passer le concours de l’Académie Impériale. Sur la planète, à la lisière de l’espace hutt, des prêtres de la race des t’landa Til prétendaient offrir aux pèlerins un sanctuaire religieux.

Les t’landa Til – lointains cousins des Hutts – envoyaient des missionnaires dans de nombreux mondes et prêchaient au nom de l’Unique et du Tout. Un instant, Yan eut envie de dégainer son blaster et d’abattre Veratil avant de crier à la foule : « Rentrez chez vous ! C’est un mensonge ! Ils vont vous réduire en esclavage, bande de crétins ! Ne restez pas là ! »

Mais jamais on ne le croirait. Ylesia était considéré comme un havre de paix, une retraite religieuse où ceux qui souhaitaient oublier leur passé trouvaient un sanctuaire.

Le paradis était un piège mortel, mais seuls ceux qui avaient réussi à s’échapper le savaient. Veratil avait sans doute un transport où embarquer les pèlerins. Les malheureux ne pouvaient savoir qu’ils seraient réduits en esclavage dans les usines de raffinage d’épices, puis, devenus trop faibles pour travailler, envoyés à la mort dans les mines de Kessel…

Découvrant la vérité, Yan s’était enfui de la colonie… Non sans avoir auparavant dérobé les plus belles pièces de la collection du chef t’landa Til, le Haut Prêtre de Ylesia, nommé Teroenza.

Pire encore : Yan s’était échappé dans le yacht personnel de Teroenza, le Talisman. Furieux, les l’Ianda Til et leurs seigneurs hutts avaient mis un contrat sur la tête de Vykk Draygo, son identité d’alors. Le Corellien avait dû changer de nom et faire modifier ses empreintes rétiniennes pour survivre…

À contrecœur, Yan se détourna. Il était impuissant. Si seulement il avait pu dissimuler son visage sous une capuche… Si le Sacredot le voyait et le reconnaissait, c’en était terminé.

Les chants s’intensifièrent. Malgré le froid, une goutte de sueur perla sur la tempe de Yan. Il savait ce qui allait se passer.

Une grande silhouette poilue regardait la cérémonie avec curiosité.

Chewie ! Je ne peux pas le laisser assister à ça ! L’Exultation va commencer dans deux minutes !

Plongeant dans la foule, Yan se fraya un chemin à coups de coudes parmi les spectateurs. Il était essoufflé et plein de bleus quand il atteignit le Wookie.

— Chewie ! hurla-t-il, en l’attrapant par le bras. On dégage ! Ça va dégénérer !

Le Wookie poussa un petit gémissement.

— T’occupe pas ! cria Yan. Je le sais, c’est tout ! Fais-moi confiance !

Chewbacca se détourna enfin et se dirigea vers l’extérieur. La foule s’ouvrit devant lui. Yan allait suivre le Wookie quand quelque chose lui attira l’œil. Un reflet… un reflet d’or rouge, sur une boucle de cheveux…

Le Corellien s’immobilisa.

Bria ?

Bria !

Un profil parfait, une mèche de cheveux cuivrée… Elle était là, dans la foule. Yan en était certain. Elle portait une cape et une capuche noires…

Les souvenirs déferlèrent avec une puissance terrifiante.

Bria, une esclave dans l’usine de raffinage d’épices de Ylesia. Bria, apeurée mais déterminée, l’aidant à dérober les trésors de Teroenza. Bria, assise à côté de lui sur les sables de Togoria, sa bouche rouge et humide attirant les baisers. Bria, dans ses bras, tard dans la nuit…

Bria, qui l’avait abandonné, parce qu’elle devait combattre seule son accoutumance à l’Exultation des t’landa Til…

Yan avait passé les cinq dernières années à se convaincre qu’il avait oublié la jeune femme. Après son passage à l’Académie Impériale et une année en « service commandé », il était persuadé de ne plus tenir à elle.

Il avait suffi d’une brève vision pour qu’il mesure son erreur.

Sans hésiter, il plongea dans la foule et se dirigea vers la femme en noir. Il avait parcouru la moitié du chemin quand l’Exultation commença. Les spectateurs s’écroulèrent, comme abattus par des tirs de blasters.

Yan avait oublié la force de l’Exultation. Des vagues de plaisir déferlèrent dans son corps et son esprit. Pas étonnant que les pèlerins ylesiens pensent que les t’landa Til détenaient un Don Divin ! Pourtant, le phénomène n’avait rien de miraculeux. L’Exultation était causée par une transmission empathique couplée à des vibrations subsoniques, provoquant des vagues de plaisir qui agissaient sur le cerveau de la plupart des bipèdes.

Oui, Yan savait que c’était un truc. Et malgré ça, il était difficile de résister.

Pour ceux qui n’étaient pas préparés à la force de l’Exultation, l’effet était aussi grisant que celui d’une drogue de plaisir.

À terre, les spectateurs tremblaient d’extase. Le spectacle rendait Yan malade. Se concentrant, il prit garde à ne pas marcher sur les corps. La femme en noir avait disparu derrière un banc de pierre.

Yan regarda autour de lui, le cœur serré. Bria l’avait quitté pour se débarrasser des effets de l’Exultation. Avait-elle échoué ? Était-ce là qu’elle avait passé ces cinq dernières années ? Esclave volontaire sur Ylesia, attachée à ses maîtres t’landa Til pour obtenir sa dose quotidienne de plaisir ? Non, Bria était plus forte que cela…

Yan atteignit le banc de pierre, s’arrêta, regarda autour de lui. Nulle trace de la femme à la cape noire. Où est-elle ? Bria !

De tout côté, il entendait des gémissements et des halètements.

Il sauta sur le banc et essaya de repérer la femme en noir. Il réalisa son erreur trop tard. Debout, un peu en hauteur, il était directement sous le regard de Veratil.

L’énorme créature le fixa, ses petits yeux rouges écarquillés de surprise.

Aucun doute. Veratil venait de reconnaître Vykk Draygo, l’homme qui avait détruit l’usine de raffinage, qui avait volé le trésor de Teroenza et causé la mort du seigneur hutt, Zavval.

Les gémissements de plaisir se transformèrent en cris de consternation. Veratil s’était déconcentré ; l’Exultation venait de s’arrêter brusquement. Certains spectateurs hurlèrent, d’autres se relevèrent, furieux. Yan baissa la tête et fonça, déterminé à se perdre dans la foule. Devant lui, une silhouette sombre…

Bria !

Oubliant Veratil et le danger, Yan se fraya un chemin, écartant les futurs pèlerins à coups de coudes sans se soucier de leurs protestations.

— Bria ! cria-t-il. Arrête !

Il accéléra et sortit de la foule. La femme courait ; Yan la rattrapa en une dizaine de foulées.

Il tendit le bras, lui saisit le coude et l’obligea à se retourner vers lui…

… pour découvrir qu’il avait poursuivi une totale inconnue.

Comment pouvait-il l’avoir confondue avec Bria ? L’humaine n’était pas laide, elle était même plutôt jolie dans son genre, mais Bria… Bria était une des femmes les plus belles que Yan ait jamais connue.

Bria était grande. Cette femme était petite. Ses cheveux étaient blonds, pas cuivrés.

Et bien sûr, elle était furieuse.

— Qu’est-ce que vous fichez ? cria-t-elle en basic. Laissez-moi tranquille ou j’appelle la sécurité !

— Je… je suis désolé…, marmonna Yan en reculant. J’ai cru… Je vous ai pris pour une autre femme…

— Eh bien, je la plains, grogna l’inconnue. Vous devez lui gâcher la vie.

— Écoutez…, dit Yan en continuant de reculer, je suis vraiment désolé, frangine. Je m’en vais, d’accord ?

— Vous feriez mieux. On dirait que le prêtre a appelé la sécurité.

Yan regarda par-dessus son épaule, jura puis prit ses jambes à son cou. Chewbacca qui l’attendait, lui emboîta le pas.

Le Corellien allongea la foulée, semant facilement ses poursuivants.

J’ai trop bu, décida-t-il en courant. Ça doit être ça. Il faut que je sois plus prudent…

Oui, beaucoup plus prudent…

 

— Il s’est enfui ? demanda Bria Tharen à son amie Lanah Malo.

Lanah portait la cape de Bria sous son bras. Elle était plus petite, ses cheveux étaient blonds.

— Je pense, dit Lanah en lui rendant la cape. (Bria s’était effondrée dans un des fauteuils usés de la petite chambre de location.) Il a grimpé dans un glisseur public en compagnie du gros Wookie. Je crois qu’il s’en est sorti.

— Il a probablement quitté la planète, dit doucement Bria.

Se levant, elle s’avança jusqu’à la fenêtre, laissant errer ses yeux sur le ciel de corail de Devaron. Des larmes perlèrent aux coins de ses yeux.

Je ne pensais pas le revoir. Je ne croyais pas que ça me ferait si mal…

La douleur éclipsait complètement son triomphe. Aujourd’hui, elle s’était exposée à l’Exultation et elle avait résisté. Après des années passées à combattre son accoutumance, elle était enfin libre. Ce jour, elle l’avait attendu depuis longtemps, mais le choc de voir Yan et la tristesse de savoir qu’elle ne pourrait jamais être sa compagne avaient tout gâché.

— Tu n’aurais pas pu lui parler ? demanda Lanah.

Bria se retourna. Son amie et compagnon d’arme enfilait son blouson kaki. Lanah entassa le reste de ses vêtements dans un petit sac de voyage.

— Quel mal cela aurait-il pu faire ? ajouta-t-elle.

Frissonnante, Bria enroula la cape autour de ses épaules. Le soleil était bas sur l’horizon et la température avait chuté.

— Non, dit-elle d’une voix grave. Je ne pouvais pas.

— Pourquoi ? demanda Lanah. Tu ne lui fais pas confiance ?

Bria vérifia la charge du blaster. L’arme était attachée à sa cuisse, comme Yan le lui avait appris, cinq ans plus tôt quand ils étaient partenaires, compagnons… amants.

— Si, dit-elle après un moment de réflexion. Mais ce n’est pas que de moi qu’il s’agit… Une trahison maintenant mettrait tout le mouvement en danger. Je ne peux pas prendre un tel risque.

— Solo a compromis nos plans, approuva Lanah. Nous n’aurons peut-être pas une nouvelle occasion d’abattre Veratil. Dommage, surtout que ce fils de Bantha va sûrement prévenir Teroenza qu’il vient de croiser ton ex…

Bria acquiesça, puis, d’un geste mécanique, elle porta la main à ses boucles dorées.

Yan me passait souvent la main dans les cheveux, pensa-t-elle, le cœur serré. Oh, Yan…

Lanah Malo lui jeta un regard à la fois compatissant et cynique.

— Tu t’écrouleras plus tard, Bria. Nous avons un transport à prendre. Le commander voudra un rapport complet. Même si nous n’avons pas réussi à abattre Veratil, nous avons pu contacter le groupe devaronien… Le voyage n’est pas un échec.

— Je ne vais pas m’écrouler, dit Bria en rengainant son blaster sans regarder le holster… comme Yan lui avait appris. Tu sais, ce type, je m’en suis remise…

— C’est ça, acquiesça Lanah.

Les deux jeunes femmes prirent leurs sacs et se dirigèrent vers la porte.

C’est ça…