Lao-tseu (Chine)

A-t-il existé ? On ne sait pas. Fut-il un mortel ? Certainement pas. Fut-il un dieu ? Il l’est devenu. Donc c’était un humain ? S’il a existé, oui.

Vies et légendes de Lao-tseu

Miraculeuse, sa naissance est banale pour une future divinité. Comme la mère de Yu le Grand (voir cette entrée), la maman de Lao-tseu conçut une grande émotion en voyant dans le ciel une étoile filante. Variante linguistique : il serait né d’une prune à cause de son prénom de famille, li, qui veut dire prune. Une chose est certaine, Lao-tseu ne fut pas conçu selon la loi des genres.

Il naquit au bout de quatre-vingts ans (d’autres vous diraient huit) du flanc gauche de sa mère. Ne pas naître par le vagin de la femme, c’est toujours beaucoup mieux pour un enfant divin.

Le nouveau-né ressemblait à un très vieux bébé avec des cheveux blancs, une longue barbe et des oreilles aux lobes allongés. À cause de ses cheveux d’argent, on l’appela l’ancien, lao. Et comme généralement en Asie les yogis et les sages ont les lobes des oreilles distendus, on pensa qu’il serait un grand sage.

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Les mythes ayant besoin de précisions imaginaires, Lao-tseu, nous dit-on, serait né à l’époque des grands bouleversements de pensée en Asie, le 15 février 571 av. J.-C., cinq ans avant le futur Bouddha, vingt ans avant Confucius. Ces trois-là voulurent changer le monde, et, quoique différemment, ils y ont parfaitement réussi.

Au Ier siècle av. J.-C., le grand historien chinois Sseu-ma Ts’ien (Sima Qian) atteste de son existence tout en avouant qu’il n’en sait pas grand-chose.

L’ancien bébé à la barbe blanche aurait été historien impérial, archiviste dans la ville de Luoyang, capitale de la dynastie Zhou (1046-256 av. J.-C.), en Chine du Nord. Sa vie humaine se serait déroulée à l’heure du déclin de la dynastie, vers la fin des Royaumes combattants, tout en noirceurs et en batailles.

On sait par Sseu-ma Ts’ien que Confucius, Maître Kong, vint lui rendre visite et que cette rencontre se passa bizarrement. En 520 av. J.-C., Lao-tseu aurait été victime de minables querelles bureaucratiques et il aurait perdu son poste d’archiviste. À quatre-vingt-treize ou à cent soixante ans, Lao-tseu partit pour l’Occident assis sur un buffle aux longues cornes et, en arrivant à la passe de Hien-kou, il dicta au gardien le Livre du tao, devenu plus tard sainte écriture. Yin Xi, le gardien de la passe, aurait été alerté par un devin qu’un immortel allait passer, et il avait fait nettoyer soigneusement la route.

Lao-tseu disparut dans le « sable flottant » du désert au pays actuel des Ouïgours. La légende continua.

Le maître métaphysique et le prof humaniste

Au titre des légendes, la fameuse rencontre entre Confucius et Lao-tseu ne manque pas de piquant.

Obsessionnel des rites, Maître Kong était venu en 500 av. J.-C. à Luo Yang, dans la capitale des Zhou, pour prendre en note des observations cérémonielles bien connues de l’ancien archiviste, les partitions de musique qui étaient sa passion, et les codes de morale.

Lao-tseu demande comme par inadvertance quel livre lisait Maître Kong. C’était le Livre des changements, qui a été lu par tous les saints.

« Je veux bien, mais vous ? Pourquoi le lisez-vous ? Quelle est donc à vos yeux l’essence de ce livre ?

— Promouvoir la bienveillance et la justice », récita Confucius.

Et là, première attaque. Lao-tseu réplique que la bienveillance supposée et la justice sont trompeuses comme des moustiques piquant les gens au crépuscule. Puis il enchaîne sur une longue description de l’ordre naturel : une grande plume de cygne reste blanche sans avoir besoin d’être lavée, un corbeau n’a pas besoin de se teindre en noir avec de l’encre, le ciel est naturellement haut, la terre profonde, le soleil et la lune brillants, les étoiles alignées dans un certain ordre… À quoi sert de promouvoir la bienveillance et la justice ?

Vol en piqué.

« N’est-ce pas aussi ridicule que de chercher un mouton perdu en battant un tambour ? », lança le vieux au jeune Confucius.

Là-dessus, les deux grands discutent du Tao, mot qui signifie « la voie ». Au commencement du monde, « Le Tao donna naissance à l’Un,

Un donna naissance à Deux,

Deux donna naissance à Trois,

Trois donna naissance à dix mille êtres.

Les dix mille êtres portent le yin sur leur dos et embrassent le yang » (yin, élément humide, féminin, sombre ; yang, élément sec, masculin, clair).

« Pensez-vous avoir atteint le Tao ? demanda Lao-tseu.

— Non, dit Confucius. Je l’ai cherché vingt-sept ans vainement. »

Deuxième attaque, vol en piqué.

« Si le Tao pouvait se nommer, murmura Lao-tseu, il ne serait pas le Tao. Si le Tao pouvait être transmis, les humains le transmettraient à leurs enfants. Or c’est impossible. Pourquoi ? Parce que si une personne ne comprend pas le Tao, le Tao ne viendra jamais dans son cœur. »

Bravement, Confucius reprit.

« J’ai étudié les classiques anciens et j’ai compris comment nos ancêtres ont gouverné le pays. Je comprends le chemin des bons empereurs. J’ai visité plus de soixante-dix ducs dans de nombreux royaumes combattants et aucun n’a voulu accepter mes idées !

— Les classiques ? répondit Lao-tseu. Vieilles recettes des anciennes dynasties. À quoi sont-elles utiles ? Vous cultivez le vieux, savez-vous ? »

Je croirais l’entendre bougonner dans sa barbe.

Confucius ne désarma pas. Il voulait à tout prix rétablir le système de Zhou, tant il était émerveillé par son cérémonial.

Lao-tseu lance sa troisième attaque.

« On ne vit plus dans le même monde aujourd’hui. Les Zhou ? Leurs corps pourrissent, seuls leurs mots demeurent. On me dit que les bons hommes d’affaires dissimulent leurs richesses aux autres et qu’un homme de vertu passe souvent pour un stupide sans aucune force intérieure. Vous devriez vous délivrer de votre fierté, de vos désirs, abandonner vos ambitions, parce que ces choses ne sont pas bonnes pour vous.

— Un grand homme doit faire ce qu’il sait être difficile ! », rétorqua Confucius.

Puis il fut érigé une plaquette de pierre avec une inscription : « Maître Kong a visité Zhou pour apprendre le système d’observance des cérémonies. »

Pas un mot sur Lao-tseu.

À compter du soir de cette rencontre, Confucius se tut trois jours de rang. Un de ses étudiants s’en inquiéta et osa demander ce qui s’était passé. Maître Kong répondit avec sa droiture coutumière :

« Je sais que les oiseaux volent, que les poissons nagent, que les animaux courent. Je peux attraper ceux qui courent avec un filet, ceux qui nagent avec une canne à pêche, ceux qui volent avec des flèches. Pour ce qui est des dragons, je ne sais pas comment ils se déplacent. J’ai rencontré Lao-tseu, et il est exactement comme le dragon. Trop profond pour que je le comprenne ! »

Trop profond, trop mystique et trop métaphysique.

Métamorphoses d’un vieux bébé

Qu’advint-il de Lao-tseu après son départ au désert ? Certains affirment qu’il serait devenu le Bouddha, ce qui ne va pas de soi.

Dans un texte du Ve siècle av. J.-C., Lao-tseu serait né trois fois : une fois en dieu, une fois en Lao-tseu et une fois en Bouddha, mythe de compromis entre taoïsme et bouddhisme qui durera longtemps malgré les polémiques.

Plus logique, une légende raconte qu’il serait devenu immortel grâce à des pratiques de longue vie et que, une fois atteinte l’éternité, « laissant sa dépouille mortelle comme le ferait une cigale, il s’évada du monde », nous dit une inscription datée de 165 apr. J.-C.

On dit cela en Inde quand meurent les gens : ils ont quitté leur corps. Comprendre : ils vont bientôt se réincarner. Tel n’est pas le cas du maître du Tao, qui, selon l’inscription du Ier siècle, voit Lao-tseu se transformer en dieu cosmique situé au milieu du Chaos.

Au centre du ciel, il se transforme neuf fois selon la marche du soleil et le cycle des saisons. Les quatre animaux sacrés l’entourent : à gauche, Dragon vert de l’Est, à droite, Tigre blanc de l’Ouest, Phénix rouge du Sud par-devant, et Tortue noire du Nord à l’arrière. Le Qilin, la Licorne jaune au corps de dragon, symbolise la terre, le cinquième élément.

Et voici qu’on bascule. Les quatre bêtes sacrées sont apparues au IIIe siècle dans la littérature religieuse chinoise en même temps que le géant P’an-kou, et l’aidèrent à la création du monde.

P’an-kou, alias Lao-tseu, est donc l’homme cosmique qui grandit entre ciel et terre, les maintient à distance et démembre son corps en montagnes, astres, fleuves, vallées, gorges profondes. La légende transforma l’homme devenu immortel en démembrant son corps comme celui de P’an-kou, aujourd’hui orthographié Pangu.

P’an-kou le premier être et P’an-hou le chien

Issu des aborigènes du sud de la Chine, ces « barbares », un autre Créateur, l’ancêtre chien, porte le nom de P’an-hou.

P’an-hou, et non P’an-kou.

En ce temps-là, les barbares dits Jong-Chiens dévastaient le pays en toute impunité. L’empereur proclama que celui qui lui apporterait la tête du général des Jong-Chiens recevrait sa fille en mariage, une énorme somme d’or et un fief important.

Le chien de l’empereur, un animal au pelage de cinq couleurs, s’appelait P’an-hou. Naturellement, ce fut lui qui rapporta la tête de l’ennemi. L’empereur hésita, mais sa fille la princesse le persuada qu’il ne pouvait renier sa parole donnée.

Alors, dit le mythe, P’an-hou demanda à l’empereur de le placer sous une cloche d’or pendant sept jours et sept nuits. Après quoi, il serait changé en homme. Mais comme la princesse était curieuse, elle souleva la cloche d’or dès le sixième jour : le corps de P’an-hou était celui d’un homme, mais la tête était restée celle du chien.

L’homme-chien P’an-hou emporta sa jeune épouse dans une montagne au sud, en une « chambre de pierre » inaccessible. Les émissaires de l’empereur échouèrent à retrouver le couple, qui aurait six filles et six garçons qui donneraient naissance aux tribus Man du Sud, peuples de montagnards venus de Mongolie.

L’un des rares rapprochements plausibles entre le mythe de l’homme cosmique P’an-kou et l’ancêtre-chien P’an-hou (souvent confondus dans les légendes) tiendrait dans la description de l’œuf cosmique où serait né P’an-kou.

L’œuf cosmique est le Chaos, mais c’est aussi un sac ressemblant à un chien dont les yeux ne voient pas, les oreilles n’entendent pas. Un des rameaux des Man raconte qu’à la mort de P’an-hou, l’ancêtre-chien, on le mit dans un arbre en le piquant avec des aiguilles.

Or il fallut aussi piquer l’œuf du Chaos pour le doter des organes sensoriels.

Une fois élevé à l’état d’homme cosmique, l’image de Lao-tseu changea du tout au tout. Au lieu d’un bon vieillard au crâne élevé, à califourchon sur le jeune buffle qui l’emmène vers l’ouest, voici un Lao-tseu à la peau claire, aux longues oreilles, aux grands yeux. Mais il a les dents écartées, une bouche carrée avec de grosses lèvres, quinze rides sur un front marqué des emblèmes de la lune et du soleil, deux arêtes de nez, trois orifices à chaque oreille et, sur les paumes, les dix lignes des élus.

Drôle de corps. Cosmique et individuel.

« Lorsque le souffle primordial émergea du néant en bourgeonnant, le ciel et la terre se divisèrent et constituèrent les trigrammes mâle et femelle [trigramme = trois lettres], et le yin et le yang se divisèrent. C’est alors que le souffle primordial engendra l’harmonie du centre, qui n’est rien d’autre que l’homme. P’an-kou fut le premier homme ; à sa mort, il se transforma. Sa respiration devint les nuages et le vent, sa voix le tonnerre, ses membres les quatre extrémités du monde, son œil gauche le soleil, son œil droit la lune, ses viscères devinrent les cinq pics sacrés. Son sang forma les rivières, ses tendons le relief, sa chair les terres arables, ses cheveux furent les étoiles, les poils de son corps, la végétation, ses dents et ses os devinrent les métaux et les roches, sa moelle les pierres précieuses et le jade, sa sueur la pluie. Et toute la vermine qu’il portait sur le corps, émue par le vent, se métamorphosa en hommes. Comme ils avaient été produits par le ciel, ils reçurent le nom de « nés de l’azur », et comme ils avaient la tête noire, on les surnomma « têtes noires ».

Rien de trop surprenant jusqu’ici, mais attendez.

Les hommes s’appellent encore maintenant « vers à la tête noire ».

Nous voici donc issus de poux et de vermisseaux et, pourtant, nous sommes à l’image du cosmos. Car « l’homme est à l’image du ciel et de la terre, et son souffle est le calque de la spontanéité… Tout homme reçoit la vie par coagulation des souffles et nonuple transmutation du cinabre dans la matrice ».

Cinabre, minerai magique

Le cinabre est du sulfure de mercure, utilisé pour obtenir la couleur rouge vif depuis l’Égypte antique. À Byzance, les actes de la chancellerie impériale étaient écrits à l’encre pourpre à base de cinabre. Il a beaucoup servi dans l’Europe du XIXe siècle contre la syphilis, pour les femmes enceintes et pour soigner les maladies de peau en dépit de l’extrême danger du mercure libre contenu dans le minerai.

En vertu de l’homothétie entre le corps individuel d’un homme et le corps géant démembré dans le cosmos, consommer du cinabre rouge, c’était se refaire le sang.

Cinq siècles av. J.-C., on chauffait ensemble l’or et le cinabre, cette action laissant échapper le mercure mais produisant une couleur « or-cinabre ». Cette matière mélangée était un produit sublimable, qui pouvait passer de l’état solide à l’état gazeux sans passer par l’état liquide.

Il fallait en effet de la sublimation pour que le cinabre fût la voie de l’immortalité. Les taoïstes l’utilisèrent donc comme les brahmanes le soma, c’est-à-dire comme une drogue qu’ils savaient fabriquer avec du soufre, du salpêtre et du mercure. La « nonuple » transformation du cinabre dans la matrice est donc le processus d’irrigation du sang.

Malheureusement pour les hommes, ces « vers noirs », le fœtus est exposé dans la matrice à des événements désagréables, nœuds et obstructions dus simplement au fait que sa maman consomme des céréales.

Ne le dites surtout pas aux fabricants de pétales croustillants que nos enfants mangent au petit déjeuner, mais rien n’est plus dangereux que les céréales, nocives pour l’équilibre humain. « Le fœtus se développe dans le ventre maternel où il est nourri par l’essence des céréales, c’est ainsi que tous les hommes ont le ventre parasité par les cadavres et les vers qui leur causent les plus grands tourments. »

Les Trois Cadavres, le dieu du fourneau et la déesse des petits coins

Opaques, gluantes et lourdes, les céréales se transforment en puanteur à partir du conduit de l’œsophage. Les intestins ne sont pas les amis du Tao : manger des céréales entraîne trop d’excréments, le corps se bouche quand il devrait être aérien, comme le souffle. « Si tu veux ne pas mourir, que tes intestins soient libres de pourriture, si tu veux la vie éternelle, que le souffle de tes entrailles soit pur. »

En Chine comme en Inde, l’évacuation des matières fécales est un acte tout à la fois physiologique et spirituel.

Dans un superbe article, « Vers des céréales et dieux du corps dans le taoïsme », Jean Levi ne récuse pas l’hypothèse rationnelle d’une fermentation incommodante causée par les céréales et par les vers intestinaux, surtout chez les enfants atteints d’oxyurose. Soit. Mais ce n’est pas tout.

Dans la métaphysique taoïste, les vers de céréales sont au nombre de trois et on les nomme Cadavres. Ils ont chacun leur nom et leur action. Ils ne désirent qu’une chose : faire mourir le corps.

Pengju, Cadavre supérieur, vit dans la tête au sein du champ de cinabre supérieur ; il fait puer la bouche, tomber les dents, rider la peau, papilloter les yeux.

Pengzhi, Cadavre du milieu, loge dans le thorax, attaque les viscères, rend le souffle court, la mémoire défaillante et trouble le sommeil avec des mauvais rêves.

Pengjiao, Cadavre inférieur, vit dans les pieds et fait tituber les jambes, agitant les passions et entraînant des dérèglements.

Tout ça à cause des vers de céréales ? Oui, et ce n’est pas fini. Pengju, Pengzhi et Pengjiao ont une autre fonction bien plus importante. Ils sont chargés de rapporter dans les « Ministères transcendants » les fautes des corps humains qui les abritent.

Oh ! Pas tout le temps. Mais le cinquante-septième jour de chaque cycle sexagésimal, l’Empereur du Nord les reçoit en audience interministérielle dans sa résidence où sont rassemblés les dieux et les génies. Les Trois Cadavres en profitent pour cafter, en vrais ronds-de-cuir.

Ce ne serait rien si le Directeur du destin (fonction administrative prestigieuse occupée par une déesse) n’en tirait pas les conclusions : une faute, une année de vie en moins.

Chacun de nous a son livret blanc – livre de mort – et un livret vert – le registre de vie.

Cette affaire est épouvantable. Nous sommes actuellement dans le soixante-dix-septième cycle sexagésimal, qui va de 1984 à 2044 et, un de ces jours, Pengju, Pengzhi et Pengjiao, nos trois vers de céréales, les bien-nommés Cadavres, iront dénoncer nos fautes devant le tribunal des dieux et nous aurons, allez, cent jours de vie en moins.

Sauf si nous parvenons à les empêcher de rejoindre le ciel. La méthode est simple : la veille de ce jour-là, le cinquante-septième de l’an 2044, il suffira de rester éveillé toute la nuit en prononçant le nom des Trois Cadavres sept fois chacun, en gardant l’esprit pur (pas question de folâtrer) et en réglant sa respiration jusqu’au lendemain du fameux jour. Alors les Trois Cadavres ne pourront pas nous dénoncer.

De sorte que l’insomnie, généralement considérée comme pathologie dans le monde actuel, est pour les taoïstes le moyen d’empêcher le vieillissement : « Qui ni jour ni nuit ne dort sera immortel. » Veillez une première fois au jour dit et le ver Cadavre supérieur s’en ira ; la deuxième fois, le ver du milieu est liquidé ; la troisième fois, on sera immortel, rayé du livret blanc et inscrit sur le livret vert.

Les trois vers de céréales ne sont pas les seuls à jouer les délateurs. Le dieu du fourneau fait de même – forcément, c’est avec lui que cuisent les céréales.

Or le dieu du fourneau a partie liée avec la déesse Ruyi, dont le nom ravissant, composé de ru, « comme », et de yi, « les désirs », peut se traduire par « À vos souhaits » ou bien « À vos désirs ». Que cette devise courtoise ne vous détourne pas de l’essentiel ! Car la déesse Ruyi, également appelée « Dame pure », est celle des ordures, plus précisément des water-closets. Et c’est elle la patronne du ministère transcendant de nos pauvres corps.

Car la déesse des petits coins est aussi Directeur du destin. En cas de faute expertisée par le dieu du fourneau, elle peut donc nous retirer des jours de vie.

C’est pourquoi, en déféquant dans les lieux dits d’aisances, il est recommandé de réciter cette prière : « Prince vertueux de gauche, Prince vertueux de droite, et vous, Très-Haut directeur du destin, Dame pure, retirez mon nom du livret de mort pour me faire entrer dans les portes de la vie. »

Se méfier également des sacrifices sanglants de victimes animales, permis par Confucius, mais pas par le Tao. Ces cultes analphabètes renvoient à la putréfaction et à la mort. Dans ces conditions, cernés par les trois vers Cadavres, le dieu du fourneau et la déesse des chiottes, comment nous comporter, pauvres vers nus que nous sommes, vermine de Dieu ?

La Reine-Mère d’Occident et le Roi-Père d’Orient

Petites recettes de longue vie, liste non exhaustive :

Retirer les céréales de son alimentation.

Éviter de même tous les grains.

Se nourrir d’air pur, d’armoise, de cinabre, de jade liquide et d’essences astrales.

Devenir léger, léger comme l’air et se dépouiller de son corps comme Lao-tseu, façon cigale.

Rayonner et monter telle une fumée vers les nues où l’on rejoindra l’obscurité. L’obscurité ?

Voilà qui mérite explication.

Quand on est immortel, on rejoint un couple divin dont l’épouse rappelle la reine de Saba : au Xe siècle av. J.-C., le roi Mu, de la dynastie Zhou, aurait guerroyé à la lisière du plateau tibétain, dans l’actuel pays des Ouïgours, le Xinjiang. Là, il aurait rencontré une très belle femme qui serait venue à sa cour pour lui rendre hommage. Comme le roi Salomon avec la noire Balkis, le roi Mu coucha avec la belle dame, appelée Xiwangmu.

Xiwangmu est la Reine-Mère d’Occident, une dame qui obtint le Tao en nourrissant son yin – comprendre qu’elle coucha beaucoup, surtout avec de jeunes garçons. C’est ainsi qu’elle devint la patronne des femmes taoïstes et la parfaite illustration des rapports entre le sexe et le Tao.

C’est fou comme cela plaît, le Tao et le sexe. Furetez sur Internet, vous trouverez cent sites, Tao-sex, Sexe et Tao, tous destinés à vaincre l’éjaculation précoce. Pardi ! Pour accéder à l’immortalité, les taoïstes, homme ou femme, utilisent leurs semences, source d’immortalité.

À la diète céréalière, il faut donc ajouter du sexe. Car la Reine-Mère d’Occident a pour époux le Roi-Père d’Orient, qui, lui, vit sur la côte est de la Chine, pas loin de Pékin. À eux deux, ils s’engendrent mutuellement – quelle magnifique image de l’orgasme partagé ! – grâce aux souffles yin – c’est elle – mêlés aux souffles yang – c’est lui.

Ils résident séparés dans nos têtes.

Le Roi d’Orient, le Père-soleil, s’appelle aussi « Non-être » et son prénom social (civil) est « Comprend ». Il est situé au sommet de notre crâne (voir celui très haut et bosselé de Lao-tseu, chez qui le Roi d’Orient se plaisait bien) et se délasse dans notre œil gauche.

La Reine d’Occident, la Mère-lune, se prélasse dans notre œil droit et nous savons comment. Ensemble, ils ont un fils qui s’appelle Brillance.

Mais il peut leur arriver de se loger dans les reins, chacun le sien. Dans l’un des reins, l’un devient ministre des Travaux publics, l’autre ministre de la Justice. Là se conservent la semence des hommes et les menstrues des femmes.

Dans la rate, ils s’unissent et donnent naissance à l’embryon d’immortalité, le yang primordial.

La Reine-Mère le nourrit avec du sperme et du sang menstruel. Cette déesse étrange porte quantité de noms. Mère d’or de l’Ouest, Vieille Dame d’Occident, Reine-Mère aïeule et, le plus beau de tous, « Fille de jade de l’obscure clarté ».

C’est ainsi qu’on comprend comment, privé de céréales et le corps aérien, le taoïste parfait peut s’envoler au ciel où il retournera à l’obscure clarté. Non pas l’obscurité opaque des excréments issus de l’ingestion de céréales.

Mais brillante au contraire, comme le fils du couple divin qui donne à nos iris leurs reflets en miroir, une noire clarté immortelle comme le jade qui ne se ternit pas. Cette obscure clarté qui tombe des étoiles, c’est la Fille de jade qui aime tant les garçons.

Loki (Scandinavie, entre autres)

On le trouve en Norvège, en Suède, au Danemark, en Islande, en Allemagne, en Angleterre et en Irlande.

Richard Wagner a fait de cet être bizarre le dieu du feu, Loge (prononcer « Logueu »), qui, dans le cycle de L’Anneau, se présente d’abord sous une forme humaine dans L’Or du Rhin pour venir en aide à Wotan, roi des dieux. Puis, étrangement, dans les trois autres journées, Loge n’a plus qu’un corps de flammes entièrement soumis à Wotan, même lorsqu’il incendie le Walhalla, la magnifique demeure céleste des dieux wagnériens (voir Wotan).

Ayant suivi entre autres l’Edda de Snorri, transcription du corpus scandinave faite au début du XIIIe siècle par l’Islandais Snorri Sturluson, Wagner n’a pas trahi l’extrême duplicité du personnage, couard devant Wotan, mais malin comme un singe et habile en traîtrises.

« Loki est beau d’apparence, mauvais de caractère, très changeant dans son comportement. Plus que tous les autres êtres, il possédait cette sagesse qui est appelée rouerie, ainsi que les ruses permettant d’accomplir toutes choses. Il mettait constamment les dieux dans les plus grandes difficultés, mais il les tirait souvent d’affaire à l’aide de subterfuges », écrit Snorri.

Il est apparenté à la famille des Ases et de leurs épouses les Asynes, en guerre contre les Vanes, dieux de la terre fertile. L’Ase majeur est Odin, leur roi, lequel embarque souvent Loki dans ses équipées.

Parce qu’il est utile ? Sans doute. Mais aussi pour l’avoir à l’œil.

L’enlèvement de la déesse aux pommes

Par exemple, un jour, Odin, Loki et Hœnir se trouvant en manque de nourriture dans des terres désertiques, ils prirent un bœuf dans un troupeau et le mirent à cuire. Une première fois, ils crurent que la viande était prête, mais non. Une seconde fois, pas davantage. Alors un aigle perché sur un arbre leur dit que, s’ils voulaient bien lui laisser prendre son dû de bœuf, la viande cuirait.

L’aigle était le géant Tjazi.

Les dieux n’avaient pas le choix. L’aigle se posa sur le bœuf et préleva les cuisses et les épaules – il ne restait pas grand-chose de l’animal. Et nous savons que Loki a mauvais caractère…

Loki se mit en colère, planta une perche dans le corps de l’aigle, qui s’envola, mais avec lui ! Les mains de Loki collèrent à la perche et la perche demeura fichée dans l’aigle, qui traîna le malheureux sur les pierres, les troncs, les éboulis, malgré ses hurlements de douleur.

« Faisons la paix ! cria-t-il à l’aigle.

— D’accord, dit l’aigle. Mais je ne te lâcherai pas avant que tu m’aies amené l’Asyne Idhunn avec ses pommes.

— Oui ! hurla Loki. Promis juré ! »

Idhunn est la déesse de l’éternelle jeunesse et elle garde les pommes de vie dans un coffret.

Loki atterrit, se secoua, se remit et alla voir Idhunn. Là-bas, dans la forêt, Loki vit des pommes extraordinaires et tenta de convaincre la déesse : « Si tu voulais, Idhunn, tu prendrais tes pommes et on irait voir les autres pour qu’on les compare… Non ? »

La déesse Idhunn, naïve, sortit du domaine des Ases, et l’aigle géant s’envola avec elle. Aussitôt, les Ases vieillirent à vue d’œil.

Idhunn avait disparu.

On l’avait vue partir en compagnie de Loki. Lequel fut aussitôt traîné devant l’assemblée des Ases et promit qu’il irait rechercher Idhunn si la déesse Freyja, la belle déesse sur un char tiré par des chats, lui prêtait son plumage de faucon.

Sous ses plumes, Loki vit qu’Idhunn était seule dans la maison de Tjazi. Il la transforma en noix, l’attrapa entre ses serres et s’envola à tire-d’aile. Sauf que, bien entendu, le géant se transforma en aigle et les pourchassa.

Les Ases le regardèrent arriver et vite, ils apportèrent une charge de copeaux au pied de leur demeure. Ils en firent un feu gigantesque qui grilla les plumes de l’aigle – le faucon Loki avait déjà passé les remparts – et les Ases tuèrent Tjazi, non sans mal.

La fille du géant, qui s’appelait Skhadi, prit son casque et ses armes pour venger la mort de son père.

Les Ases négocièrent : elle se choisirait un mari parmi eux, à condition de n’en voir que les pieds.

Skhadi vit de beaux pieds dont elle crut qu’ils étaient ceux du beau Baldr, le héros magnifique, mais pas de chance. Les beaux pieds appartenaient à un vieux dieu.

Alors les Ases la défièrent. Ils parviendraient à la faire rire.

« Ha ! dit-elle. Eh bien, essayez donc ! Vous n’y arriverez pas ! »

Loki attacha une corde à la barbe d’une chèvre et, à l’autre bout, autour de ses testicules. La chèvre et Loki tirèrent sur la corde, l’une chevrotant, l’autre criant de douleur et, la main sur sa bouche, Skhadi pouffa, puis éclata de rire. La paix était faite.

Odin plaça les yeux de Tjazi dans le ciel et en fit des étoiles.

Une autre fois, Thorr, dieu du tonnerre, perdit son marteau…

Thorr l’efféminé déguisé en fiancée

Thorr demanda de l’aide à Loki, et les voilà partis chez Freyja. Est-ce qu’elle accepterait de prêter son plumage de faucon pour retrouver le marteau perdu ? Aimable à son ordinaire, Freyja répondit que oui, et que, même si son plumage avait été d’or ou d’argent, elle aurait accepté.

Loki réendossa les plumes de faucon, qui tonnèrent pendant qu’il volait au pays des géants. Il atterrit chez Thrym, qui tressait pour ses chiens des colliers d’or.

« Alors ça va, là-haut, chez les Ases ? dit le géant Thrym.

— Non, ça ne va pas, répondit Loki. Aurais-tu caché le marteau de Thorr, par hasard ?

— Oui, dit Thrym tranquillement. Et je ne le rendrai que si on m’amène Freyja pour épouse. »

Loki s’envola et transmit le message à Thorr. Prêt à tout pour récupérer son marteau, Thorr n’hésita pas et demanda à Freyja la puissante de s’habiller tout de suite en fiancée.

Que croyez-vous que répondit Freyja ? « Moi, avec ce géant ? Jamais de la vie ! »

Les Ases se réunirent et décidèrent de déguiser le dieu Thorr en fiancée. Il eut beau protester qu’il aurait l’air efféminé, Loki lui cloua le bec et déguisa Thorr avec le lin virginal. Il se réserva le rôle de la servante. « Nous irons toutes les deux au pays des géants ! »

Arrivé chez Thrym, Thorr engloutit un bœuf, huit saumons et trois tonneaux d’hydromel, et leur hôte en fut très inquiet. « La toute-habile servante » – Loki déguisé en fille – lui expliqua que la fiancée n’avait pas mangé depuis huit nuits. Émoustillé, Thrym se pencha pour embrasser la supposée Freyja, mais l’éclat de ses yeux le terrifia.

Vite, le mariage. Thrym fit apporter le marteau pour la bénédiction. Et Thorr, reprenant son marteau, massacra les géants.

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Lorsqu’un fil s’entortille, on dit que Loki prend de quoi réparer son pantalon. Alors, bon ou mauvais ? Simplement malicieux ? Un fripon divin, de ceux qu’on appelle les tricksters ?

Non, ce serait trop simple. Loki participe pleinement à la force des dieux et il est leur meilleur ennemi.

Le donneur de trésors

Loki avait brûlé les cheveux de Sif, l’épouse de l’Ase Thorr. Il ne pouvait pas s’empêcher de faire ce genre de farces.

Thorr voulait lui broyer les os quand Loki lui promit de remplacer les cheveux brûlés par une chevelure d’or qui repousserait toute seule.

Où trouver des cheveux d’or ? Chez les nains artisans.

Ils firent successivement la chevelure de Sif, un vaisseau puis un épieu. Émerveillé, Loki paria sa tête que les nains Brokkr et Sindri ne pourraient pas créer trois autres trésors.

Sindri plaça une peau de cochon dans le foyer de la forge, et Brokkr mania le soufflet. La peau de cochon devint un sanglier dont les soies étaient d’or.

Puis Sindri façonna l’anneau d’or qui s’appelle Draupnir.

Et la troisième fois, Sindri fit un marteau.

Brokkr et Loki se rendirent chez les Ases pour soutenir le pari. Les Ases s’assirent dans leurs fauteuils de juges.

Odin reçut l’épieu qui ne manquait pas son but ; Thorr la chevelure d’or de sa femme et le fameux marteau ; Freyr, l’Ase de la fertilité, reçut le vaisseau qui naviguait seul, ainsi que le sanglier aux soies d’or capable d’éclairer les nuits sans lune. Restait l’anneau, que Brokkr offrit à Odin.

Les dieux jugèrent que les nains avaient gagné. Loki, vaincu, offrit de racheter sa tête.

« Pas question ! dit Brokkr.

— Attrape-moi donc ! », dit Loki dont les chaussures pouvaient marcher dans l’eau et dans les airs.

Thorr attrapa Loki, et le nain voulut lui trancher le cou.

— Ah, non ! rusa Loki. Je n’ai engagé que ma tête, pas mon cou ! »

Alors le nain cousit les lèvres de Loki avec une courroie et une alêne magique. On dirait Papageno le bec cloué par un cadenas dans La Flûte enchantée.

Il n’était pas un Ase et il était un Ase. À cause de ce décalage, Loki finit par trébucher.

Un crime épouvantable

La fille du géant, tout à l’heure, aurait bien voulu que les beaux pieds qu’elle avait choisis fussent ceux du beau Baldr.

Deuxième fils d’Odin, Baldr était beau en tout. Sa peau brillait ; il était sage, clément, habile orateur, il n’avait rien d’impur. Tout le monde l’aimait.

Enfin, tout le monde, non. Pas Loki. Baldr était trop tout, et Loki n’avait rien. Ça ne pouvait pas durer.

Puis Baldr fit de mauvais rêves qui menaçaient sa vie.

Frigg, sa mère, épouse d’Odin, eut l’idée de faire prêter serment à tout ce qui était vivant : ni le feu, ni l’eau, ni le métal, ni les pierres, ni les bois, ni les maladies, ni les animaux, ni les serpents, ni les oiseaux ne feraient de mal à son fils Baldr.

Ensuite, Baldr étant supposé invulnérable, il se posta sur la place, et tous les Ases tirèrent sur lui des pierres, des coups d’épée, sans que Baldr ressente la moindre douleur. Loki n’aima pas ça.

Il se transforma en femme et alla trouver Frigg pour s’assurer que, vraiment, tous les êtres sans exception avaient fait le serment de ne pas tuer Baldr.

« C’est vrai, répondit Frigg. Il y a bien une pousse de gui que j’ai trouvée trop jeune pour lui réclamer son serment, mais elle est si petite… »

Loki s’en fut chercher la pousse de gui et se rendit sur la place centrale.

Il y avait là un vieil Ase aveugle nommé Hödhr.

« Pourquoi ne tires-tu pas sur Baldr comme tous les autres ? chuchota Loki à son oreille.

— Parce que je n’y vois rien, et puis je n’ai pas d’arme ! répondit Hödhr.

— Tiens, lance ce gui, je vais guider ton bras… »

Loki se tenait derrière, et Hödhr n’y vit pas malice. Baldr tomba mort, fléché par la pousse de gui.

Pouvait-on punir le vieil aveugle ? Les Ases éclatèrent en sanglots, anéantis.

Frigg demanda si quelqu’un voulait bien se rendre chez Hel, déesse des morts, pour offrir une rançon contre la vie de Baldr. Hermodhr, fils d’Odin, prit un cheval et s’élança.

Nana, épouse de Baldr, mourut de chagrin. On la posa sur le bûcher avec le cheval de Baldr. Odin et ses deux corbeaux, Frigg, les Valkyries, Freyr et son sanglier, Freyja et ses chats, tous les Ases étaient venus, ainsi que de nombreux géants.

Odin plaça l’anneau d’or sur le bûcher et murmura de mystérieuses paroles à l’oreille de son fils mort. Puis Thorr alluma le feu, et la lueur des flammes illumina la mer. Le cadavre de Baldr allait bientôt brûler.

Entre-temps, Hermodhr était arrivé au royaume des morts. La déesse Hel accepta le principe d’une rançon pour ressusciter Baldr, à condition toutefois que l’on vérifie bien que tout le monde sans exception pleurait le défunt.

Si une seule personne refusait de pleurer, Baldr resterait mort.

Une géante refusa. Mais les Ases comprirent que la géante n’était autre que Loki. Leur colère éclata.

La capture du saumon

Loki s’enfuit et se dissimula dans une montagne dont il se fit une maison à quatre portes pour ne pas être pris par surprise.

Le jour, il se transformait en saumon et se cachait dans une cascade. Les Ases n’iraient jamais le trouver là-bas. Puis, une nuit, il tressa un filet en mailles de lin et, à cet instant, vit que les Ases approchaient…

Vite, Loki mit le feu au filet et se jeta dans l’eau. Il était devenu saumon.

Quand les Ases entrèrent dans la maison, l’un d’eux remarqua les restes de cendres, aperçut un bout de tressage qui n’avait pas brûlé et comprit qu’il s’agissait d’un filet à poissons. Les Ases se dépêchèrent d’en tresser un semblable et le jetèrent dans la cascade.

Thorr tenait un bout, le reste des Ases l’autre.

Loki s’était caché au fond des eaux entre deux pierres, et le filet passa sur lui sans l’attraper. Mais les Ases avaient vu un poisson dans l’eau et ils revinrent en ayant plombé le filet.

Loki nagea vers l’aval et, près de l’océan, il bondit par-dessus la corde du filet et revint à toute allure vers la cascade.

Ses poursuivants se divisèrent en deux équipes, et l’immense Thorr marcha dans le milieu de la rivière. Il vit Loki et l’attrapa par la queue – voilà pourquoi les saumons ont la queue si pointue.

Les Ases prirent trois pierres plates, les dressèrent et percèrent un trou dans chacune d’elles. Puis ils châtièrent les fils de Loki. Transformé en loup, Vali déchiqueta Narfi, son frère.

Les Ases prirent les boyaux de Narfi pour ligoter son père sur les trois pierres dressées. La première se trouvait sous les épaules ; la deuxième sous les reins ; la troisième sous les jarrets. Les boyaux se transformèrent en fer.

Le pire était à venir.

Skhadi, fille du géant Tjazi, attacha un serpent venimeux au-dessus du visage de Loki. Le venin serait tombé sur lui goutte à goutte si la femme de Loki, Sigyn, n’avait pas tenu une cuvette pour le recueillir.

Quand la cuvette fut pleine, Sigyn alla la vider, et ce fut alors le châtiment de Loki. Le venin lui tomba sur le visage et Loki trembla si fort qu’il en résulta les « tremblements de terre ».

Tel était Loki qui tremblera sous le venin de serpent jusqu’à la fin du monde. Tel fut ce Loki puéril et méchant comme les cauchemars d’enfants, Loki voleur des géants et des pommes d’Idhunn, mari de Sigyn, ennemi des dieux, dévastateur de la chevelure de Sif, diffamateur, meurtrier planqué, artisan de malheur.

Mais qui donna aux Ases leurs trésors, sinon lui ?