Il doit bien y avoir un endroit où nous pourrons nous considérer comme chez nous, en sécurité, et où nous pourrons enfin nous reposer. Le Bene Gesserit a envoyé tant de Sœurs dans sa propre Dispersion avant que les Honorées Matriarches n’arrivent… Se sont-elles toutes perdues, elles aussi ?
Sheeana, journaux confidentiels du non-vaisseau.
L’Ithaque poursuivait sa course vagabonde, très éprouvé par les dégâts récemment subis. Et le saboteur restait insaisissable. Que pouvons-nous faire de plus pour le démasquer ? Même les projections mentat les plus élaborées de Duncan ne débouchaient sur aucune idée nouvelle.
Une fois de plus, Miles Teg et Thufir Hawat envoyèrent des équipes pour inspecter, et même fouiller de fond en comble, les cabines de tous les passagers, en quête de preuves incriminantes. Le Rabbi et ses fidèles s’étaient plaints d’une telle intrusion dans leur intimité, mais Sheeana avait exigé leur coopération pleine et entière. Dans la mesure du possible, Teg avait interdit l’accès à certaines zones de l’immense vaisseau à l’aide de barrières électroniques, mais le saboteur s’était révélé assez ingénieux pour les franchir.
En supposant même qu’il n’y ait pas d’autres incidents, l’état actuel de dysfonctionnement des supports vitaux, du recyclage atmosphérique et des systèmes de production de nourriture ne permettrait pas aux passagers de tenir plus de quelques mois avant de devoir s’arrêter quelque part pour reconstituer les réserves. Mais cela faisait des années qu’ils n’avaient pas trouvé de planète appropriée.
Duncan se posait la question : Quelqu’un cherche-t-il à nous détruire… ou veut-il nous forcer à nous rendre sur une planète en particulier ?
Ne possédant ni cartes stellaires ni système de navigation fiable, il dut encore se fier à son don de prescience. Encore un pari risqué. En fermant les yeux, il activa les générateurs Holtzman pour replier l’espace, faisant tourner une fois de plus la grande roulette cosmique…
Et le non-vaisseau émergea, intact mais toujours égaré, à la périphérie d’un système solaire. L’étoile était un soleil jaune entouré d’un collier de planètes dont l’une, de type terrestre, orbitait dans la zone habitable. Il devait au moins y avoir de l’oxygène et de l’eau qu’on pourrait charger sur l’Ithaque. La chance était peut-être avec eux…
Ses compagnons étaient venus rejoindre Duncan sur la passerelle de navigation et regardaient s’approcher ce monde inconnu. Sheeana passa aux aspects pratiques :
— Quel genre de planète avons-nous là ? Une atmosphère respirable ? De la nourriture ? Un endroit où nous pourrions nous établir ?
Duncan était satisfait de ce qu’il voyait par la fenêtre d’observation.
— C’est ce qu’indiquent les instruments. Je propose d’y envoyer immédiatement une équipe.
— Il ne s’agit pas seulement de reconstituer nos réserves, dit Garimi d’un ton bourru. La question n’est pas là. Nous devrions envisager de rester ici, si cette planète correspond bien à ce que nous cherchons.
— Nous avions dit la même chose pour la planète des Belluaires, fit remarquer Sheeana.
— Si le saboteur a cherché à nous faire venir ici, dit Duncan, nous devons être très prudents. Je sais bien que ce saut dans les replis de l’espace était aléatoire, mais je reste inquiet. Ceux qui nous pourchassent ont déployé un filet immense. Je ne peux pas écarter aussi facilement la possibilité qu’il s’agisse d’un piège.
— Ou de notre salut, fit Garimi.
— Nous allons devoir nous en assurer par nous-mêmes, intervint Teg. (Il manipula les commandes de la passerelle pour afficher des images à haute résolution sur les grands écrans.) Il y a de l’oxygène et de la végétation en abondance, surtout dans les hautes latitudes. Des signes évidents d’habitation, de petits villages et des villes moyennes, la plupart loin au nord. Les scanneurs météorologiques à grande échelle indiquent que le climat planétaire est fortement perturbé. (Il pointa du doigt vers des formations nuageuses, de vastes régions de plaines et de forêts agonisantes, de grands lacs et des mers intérieures se transformant en cuvettes de poussière.) Il y a très peu de nuages au niveau de l’équateur. L’humidité atmosphérique y est minimale.
Stilgar et Liet-Kynes, toujours fascinés par de nouvelles planètes, vinrent rejoindre le groupe sur la passerelle. Kynes retint son souffle.
— Ce monde est en train de se transformer en désert. Un désert artificiel!
— J’ai déjà vu quelque chose de semblable, dit Sheeana en examinant ce qui avait dû être une région de forêts magnifiques, à présent balafrée de bandes marron clair. On dirait le Chapitre.
— Ne serait-ce pas l’une des planètes qu’Odrade voulait ensemencer ? demanda Stuka, qui se tenait toujours au côté de Garimi. Ces mondes où elle voulait relâcher des truites des sables ? Nous pourrions peut-être y trouver nos Sœurs…
— Des Sœurs qui n’ont pas été corrompues, dit Garimi avec une lueur d’espoir dans les yeux.
— C’est très possible, fit Sheeana. Il faut que nous allions voir. Cette planète est sans doute bien plus qu’un simple endroit où reconstituer nos réserves.
— Une nouvelle colonie… (L’enthousiasme de Stuka était contagieux.) C’est peut-être le monde que nous cherchions pour rétablir le Chapitre. Une nouvelle Dune!
Duncan acquiesça :
— Nous ne pouvons pas laisser passer une occasion pareille. Si mon instinct nous a amenés ici, c’est qu’il y a une raison.