CHAPITRE XII

— Un « sacrifice » d’humains, seulement ? demanda Skynx, avec l’espoir du désespoir.

— C’est-à-dire…, commença Bollux. Nos geôliers ne savent pas au juste dans quelle catégorie vous classer, Chewbacca et vous, mais ils ont décidé qu’ils ne risqueraient rien à vous sacrifier aussi, dans le doute… En ce moment même, ils débattent des procédures à suivre.

Les yeux rouges de Skynx se voilèrent.

Chewbacca gronda.

— Bollux, demanda Yan, qui sont ces gens ?

— Ils se sont baptisés les Survivants, capitaine. Ce que nous avons capté était un signal de détresse. Ils guettent toujours leurs sauveurs… Quand je leur ai demandé pourquoi ils ne regagnaient pas la ville, tout simplement, ils sont devenus hargneux. Ils nourrissent une grande haine vis-à-vis des autres Dellaltiens. J’en ai déduit que c’était en rapport avec leur religion. Ce sont des isolationnistes forcenés.

— Comment as-tu découvert tout ça ? demanda Badure. Parlent-ils le standard ?

— Non, monsieur, un dialecte qui prévalait dans ce quadrant avant l’avènement de l’Ancienne République. Ça figurait dans les archives linguistiques de Skynx, et Max l’avait assimilé en même temps que les autres données. Naturellement, j’ai passé son existence sous silence.

Il a traduit pour moi leurs propos sous forme de signaux groupés et c’est ainsi que j’ai pu tenir une conversation avec eux.

— Une culture antérieure à la République…, dit Skynx, intrigué, oubliant ses craintes.

— Trêve d’analyses ! grogna Hasti. Bollux, c’est quoi cette histoire à propos de sacrifices ? Et pourquoi nous ?

— Parce qu’ils espèrent toujours qu’on viendra les sauver, répondit le droïd. Ils sont donc convaincus qu’éliminer des formes de vie amplifiera leurs transmissions.

— On dirait que nous tombons à pic…, fit Solo, repensant aux pauvres gens portés disparus en montagne. À quand la prochaine diffusion ?

— Cette nuit, tard. C’est en rapport avec les étoiles. Et votre sacrifice s’entourera d’un rituel conséquent.

Il nous reste un atout majeur…, pensa Yan.

— Eh bien, ça devrait jouer en notre faveur, tout compte fait.

Leurs geôliers ne gaspillèrent pas de ressources à les nourrir… Preuve, à en croire Solo, outré, qu’ils étaient tombés entre les mains de sagouins de basse extraction… En attendant, ils auraient tout le temps de continuer à interroger Bollux.

Le réseau souterrain était décidément immense, même s’il abritait tout au plus une centaine de gens, selon les estimations du droïd – lesquels formaient un clan aux liens claniques assez complexes. Quand on lui demanda pourquoi on l’avait séparé des autres prisonniers, Bollux put seulement dire que les Survivants semblaient comprendre la nature des droïds – et leur vouer une certaine déférence intimidée. En tout cas, ils étaient résolus à sacrifier leurs captifs, même s’ils avaient accédé à la demande de Bollux : revoir ses camarades.

Quant aux détails du déroulement du sacrifice, le droïd n’avait pas de précisions. À l’heure où ils parlaient, les Survivants dressaient le décor, à la surface, de la cérémonie : le terrain d’atterrissage factice recevrait l’offrande sanglante. Si Bollux n’avait pas pu localiser les armes confisquées, les prisonniers décidèrent néanmoins qu’ils auraient plus de chances de s’évader à la surface.

Aussi vague fût-il, Yan s’ouvrit à ses compagnons du plan qui germait déjà dans son esprit.

— Beaucoup de choses pourraient aller de travers ! protesta Hasti.

Solo n’en disconvint pas.

— Le pire étant notre propre mort, qui surviendra de toute façon… Combien de temps nous reste-t-il avant la tombée de la nuit ?

Elle consulta sa montre-chrono. Plusieurs heures… Les compagnons optèrent pour du repos. Chewbacca annonça son coup suivant à Yan, puis s’installa pour un somme réparateur. Badure suivit son exemple.

Le sourcil froncé, Solo jugea fort peu conventionnelle la manœuvre de son partenaire de jeu.

— Sous prétexte que nous sommes promis au sacrifice, tu te découvres intrépide sur le tard ?

Le Wookie dévoila ses dents, ravi de son effet.

Skynx était en grande conversation avec Bollux, dans l’obscur dialecte des Survivants. Hasti s’était retirée à l’écart pour méditer, et Yan s’abstint de l’importuner. Il souhaitait ardemment pouvoir bientôt repasser à l’action, plutôt que de s’abîmer en ruminations mélancoliques.

Dans l’intervalle, il dut se résigner à ce qu’il détestait par-dessus tout…

L’attente.

L’ouverture de la porte tira Solo d’un sommeil troublé farci de visions d’étrangers en train de soumettre le Faucon Millenium à mille et un outrages…

Dans leurs tenues extravagantes, les Survivants surgirent en brandissant des armes et des tiges lumineuses, rendant plus que périlleuse toute velléité de résistance. Des armes au demeurant fascinantes de diversité… D’antiques tubes-rayonneurs alimentés par d’encombrants havresacs, des armes à feu tirant des projectiles à l’ancienne, des fusils-harpons à ressort, du genre qu’utilisaient les gens du bord du lac… Mais la pire crainte de Yan – que les Survivants les paralysent de nouveau – ne se réalisa pas. Soulagé, il respira mieux. Loin de lui l’intention d’offrir passivement sa vie au bourreau !

Criant et gesticulant de façon éloquente, les geôliers les firent sortir puis les encadrèrent en les tenant en joue. Grognant sans discontinuer, Chewbacca faillit se retourner contre un Survivant, qui l’aiguillonnait de son fusil-harpon. Yan retint son ami ulcéré. Les autres étaient hors de portée et, de toute façon, des prisonniers en cavale n’auraient aucune cachette où se réfugier, dans ces couloirs de pierre. Pour l’instant, ils n’avaient d’autre choix qu’obéir.

Cette fois, Yan eut un meilleur aperçu du complexe souterrain. À l’instar de la salle où on les avait détenus, les corridors s’agençaient en lignes droites à partir d’un plan central. Des plaques thermiques assuraient le chauffage, mais Solo ne repéra aucun équipement de déshumidification – alors que ça devait forcément exister. Tout ce qu’il découvrait relevait d’une technologie supérieure à celle que les Survivants semblaient capables de maîtriser. Yan aurait parié que ces primitifs s’acquittaient de la maintenance par habitude… Les connaissances des bâtisseurs d’origine avaient dû se perdre depuis des lustres.

Pour la première fois, Solo vit des Survivants à visage découvert : des humains, en effet. À part une multiplication anormale de défauts congénitaux, ils ne présentaient aucune particularité.

Les prisonniers traversèrent des serres hydroponiques bien chauffées et éclairées. Les tiges lumineuses et les plaques thermiques employées amenèrent Yan à s’interroger sur les sources d’alimentation. Quelque chose d’aussi antique qu’une pile atomique, peut-être…

Les pensées de Badure suivaient un cheminement parallèle.

— Ils ont régressé…, lâcha le vieil homme. La base a pu être construite par des explorateurs en perdition ou des colons des temps anciens ?

— Ça n’expliquerait pas leur aversion épidermique des autres Dellaltiens, intervint Skynx. Depuis tant de temps, ils ont dû multiplier les précautions pour éviter d’être découverts, même dans ces régions désolées…

Faisant montre d’une colère éloquente, un Survivant pointa sur le Ruurien un tube-rayonneur. Le geste péremptoire mit fin à la conversation. Yan constata que Bollux était dans le vrai : ce repaire avait été construit pour abriter beaucoup plus de gens. À certains tronçons du parcours, on avait éteint l’éclairage et le chauffage dans un souci d’économie. À moins qu’il ne s’agisse de pannes, tout simplement.

La procession longea une pièce d’où montaient d’étranges sons rythmiques. À l’instant où il passa devant, Yan risqua un coup d’œil.

Des lueurs colorées balayaient l’obscurité par impulsions stroboscopiques, embrasant par éclairs de leurs faisceaux scintillants les parois et le plafond en de fascinants tourbillons… Le phénomène s’accompagnait d’un chant et des pulsations caractéristiques d’un synthétiseur transsonique.

Yan faillit s’arrêter. Il dut accélérer vivement le pas pour éviter un coup de harpon.

De l’hypno-conditionnement ! Une version grossière mais diablement efficace sur des sujets jeunes et crédules… Pauvres gosses !

Ça expliquait déjà beaucoup de choses.

Enfin, les prisonniers émergèrent à la belle étoile. Dans la froidure, leur souffle se cristallisait sous leur nez. Ils quittaient l’antre des Survivants par un autre chemin que celui par où ils étaient arrivés.

Et, la nuit, le terrain d’atterrissage factice avait une tout autre allure… La scène avait un air barbare. Les étoiles et les deux lunes de Dellalt avaient les places d’honneur. Des tiges lumineuses et des torches fumantes éclairaient tout le périmètre, dansant sur les flancs des navires de pacotille. À la lisière du terrain, sous le rebord du champ de neige qui surplombait la vallée, en contrebas, on avait érigé une grande cage pyramidale faite de barreaux assemblés de guingois. La porte, d’un seul tenant, présentait un verrou central, inaccessible de l’intérieur de la cage.

Près de là luisait un cercle métallique, plus large que Solo n’était grand, suspendu à un cadre. Le tout évoquait un énorme gong aux inscriptions étranges – des volutes et des carrés en alternance avec des points et des idéogrammes.

Plus près se dressait une grande table, métallique elle aussi… Une installation médicale de laboratoire quelconque. À côté s’empilaient les armements et autres équipements confisqués aux prisonniers.

L’implication était frappante : la table ferait office d’autel sacrificiel.

À cet instant, Yan fut prêt à jouer son va-tout, à tenter l’évasion de la dernière chance… La cage pyramidale paraissait très bien ancrée à la roche. Toute la force de Chewbacca n’y ferait rien. Mais les Survivants n’en étaient plus à leurs premiers sacrifices… Très prudents, ils gardaient leurs victimes à l’œil, et leurs armes braquées. D’ailleurs, Yan nota qu’ils les visaient aux jambes. Au premier mouvement suspect, ils n’hésiteraient pas. Et blesser les prisonniers aux mollets ou aux cuisses ne les priverait en rien de leur sacrifice.

Solo se résigna donc à guetter une occasion plus propice. Il restait une petite chance que son plan fonctionne – à condition que Bollux et Max se révèlent assez vifs et adaptables pour saisir la balle au bond… Ainsi que Yan le lui avait demandé, le droïd se tenait aux côtés des Survivants, semblant jouer leur jeu.

La porte circulaire de la cage s’ouvrit sur ses gonds huilés. Solo dut faire appel à toute sa volonté pour se laisser pousser avec les autres dans la pyramide. Puis il suivit très attentivement les préparatifs des Survivants.

Ces êtres étranges arboraient leurs plus beaux atours. Et maintenant que Yan commençait à mieux les comprendre, il put analyser leur vêture. Ainsi, au fil des générations, la combinaison coupe-feu d’un technicien du sol s’était transformée en un ensemble couronné par un heaume avec des yeux à facettes d’insecte. Les grilles de vocalisation des combinaisons spatiales devenaient des bouches hérissées de crocs peintes sur des imitations de casques. Des antennes de communication et des commandes de radiodiffusion étaient représentées par des andouillers métalliques élaborés. Les réservoirs à air étaient ornés de symboles complexes. Aux ceintures d’ouvrier pendaient des fétiches, des amulettes et des charmes de tout poil.

Les Survivants dansaient, pirouettaient et jouaient des airs endiablés au rythme des carillons et des tambourins. Deux d’entre eux battaient la mesure sur la grande roue métallique munie de maillets feutrés. Le gong portait d’un bout à l’autre de la vallée.

Avec l’arrivée des prisonniers, la cérémonie atteignit son point culminant. Un homme monta sur la tribune installée près de l’autel. Le silence se fit.

L’officiant portait un uniforme galonné de décorations. Son pantalon était ourlé d’un ruban doré. Coiffé d’un chapeau un peu trop petit pour son tour de tête, il en avait gansé le bord de fil doré et épinglé au sommet un grand médaillon scintillant. Ses deux acolytes traînèrent un petit podium derrière lui. Y trônait un disque épais et transparent de la taille d’une assiette.

— Un disque-archive ! s’exclama Skynx. (Ses compagnons ouvrirent de grands yeux.) Mais oui, j’en suis sûr ! J’en ai déjà vu un ou deux dans ma vie, vous savez… Mais celui du Reine de Ranroon est conservé dans la salle des coffres, non ? À quel vaisseau appartient celui-ci ?

Personne ne le savait.

À sa tribune, l’orateur régala son audience de ses déclamations rituelles qu’elle reprenait en chœur avec force applaudissements, manifestations de ferveur et piétinements fébriles de bottes. Les torches tremblotantes apportaient leur touche finale à la scène.

— Il félicite son peuple du zèle religieux et de la loyauté dont il a fait preuve, traduisit Skynx, et assure que le Haut Commandement ne l’oubliera pas.

— Tu comprends ce salmigondis ? s’étonna Yan.

— J’ai appris comme Bollux ce dialecte antérieur à la République, à partir des enregistrements. Se peut-il que ce clan soit resté si longtemps isolé, capitaine ?

— Demande donc à la Chambre de Commerce… Que dit-il à présent ?

— Qu’il est leur commandant de mission. Il parle aussi d’une grande puissance… Le sauvetage qu’on leur promet arrivera bientôt, il en est sûr. Il parle aussi de générations entières dévolues au devoir, à une résolution sans faille… La foule répète « Notre signal sera capté »…

Après une tirade finale, le commandant de mission désigna la cage pyramidale. Jusqu’à présent, Bollux s’était tenu de côté, entouré par des Survivants masqués vêtus de gris, occupés à chanter et à prier… Vraisemblablement, les descendants des techniciens chargés de la maintenance des machines. Le droïd quitta vivement leur cercle, créant la surprise, et se planta dos à la porte de la cage. Encore intimidés, les Survivants hésitèrent à tirer leur première victime de la cage. Bollux n’avait pas pu subtiliser d’arme, mais il jugeait l’heure venue de réagir. Même dans le feu de l’action, Yan s’interrogea sur les origines de la révérence manifeste des Survivants pour les droïds. Était-ce vraiment la première fois qu’ils en voyaient un ?

Le commandant de mission exhorta ses troupes. Ses photorécepteurs rougeoyant dans la nuit, Bollux ouvrit lentement son plastron. Jouant son rôle, Max activa son propre photorécepteur pour en balayer la foule. Beaucoup de Survivants hoquetèrent.

Max passa du scannage optique au mode de holo-projection. Il émit un cône lumineux pour mieux mettre en scène l’image extraite des archives de Skynx : le symbole de Xim le Despote, la tête de mort au sourire macabre avec une étoile au fond de chaque orbite vide… De son vocodeur montèrent des enregistrements d’acquisitions techniques traduits dans le dialecte des Survivants.

La foule eut un mouvement de recul. Des pouces se levèrent pour conjurer le mauvais œil. Max continua de faire défiler les visions tirées des informations compilées par Skynx : une antique flotte de navires de guerre fuyant au milieu des étoiles ; un combat à grande échelle avec son lot d’explosions spectaculaires : des étendards de guerre défilant, montrant les insignes d’unités depuis longtemps tombées dans l’oubli. Et le droïd ne cessait de reculer subrepticement contre la porte. Pendant que les Survivants restaient fascinés par le « son et lumière » de Max, Bollux faisait jouer le verrou de la cage dans son dos.

Quand il réussit à l’ouvrir, des cris éclatèrent. Max projetait alors la tourelle crânienne du robot de guerre que Skynx avait rapporté à bord du Faucon Millenium… Il gela l’image, tirant profit des réactions du public, avant de lui imprimer une rotation pour en montrer toutes les facettes. La manœuvre suscita des échanges animés au sein de la foule. Beaucoup de Survivants préférèrent reculer, face à cet effrayant holo-fantôme.

Bollux s’écarta de la porte.

Max entreprit de faire défiler toutes les autres informations visuelles qu’il avait stockées sur les robots de guerre de Xim. Les plans, des extraits des manuels, des archives des lourdes machines de combat en branle, des détails agrandis de leur construction, et des vues générales. Dans l’intervalle, Bollux avança lentement. Comme hypnotisée par les projections de Max, la foule cédait toujours plus de terrain… Dans l’excitation du moment et le chiche éclairage, personne ne remarqua que la cage était ouverte.

— Il ne pourra plus les tenir très longtemps sous le charme, murmura Yan.

— Il est temps d’agir…, renchérit Badure.

— Allons au bord du terrain, ajouta Solo. Chacun pour soi, d’accord ?

Hasti, Badure et Skynx hochèrent la tête. Désarmés, ils n’avaient guère d’autre possibilité que la fuite. Chacun serait seul responsable de sa survie ou de sa mort. Suspendre sa fuite pour tenter de venir en aide à ses camarades serait suicidaire. Nul n’en exigerait autant.

Poussant doucement la porte, Yan sortit. Occupés à crier et à gesticuler, les Survivants restaient fascinés par le programme de Bollux. Le commandant de mission avait quitté sa tribune pour fendre la foule – mais il avait beau jouer des coudes, il progressait très lentement tant on se bousculait pour mieux voir.

Yan attendit que tous ses compagnons soient hors de la cage.

Chewbacca se mouvait avec la discrétion d’une ombre, Badure beaucoup moins… Skynx fonça aussitôt vers le bord du terrain. Dans la semi-obscurité, sa silhouette était presque impossible à repérer. Adhérant pleinement aux dernières instructions de Solo, le Ruurien qui commençait à gagner ses galons d’aventurier ne fit aucune pause, ne jeta pas un seul regard en arrière…

— Où est Badure, Yan ? chuchota Hasti.

Ils finirent par repérer le vieil homme qui avançait discrètement derrière la foule fascinée, en direction de l’autel abandonné – et des armes. Personne ne lui prêtait attention. Tous n’avaient d’yeux que pour les holos de Max : un robot de guerre en pleine action, apprenant à manier des armes et assimilant des rudiments de tactique d’infanterie…

— Il tente de reprendre nos pistolets, chuchota Yan.

Chewbacca s’était joint au couple pour observer la progression audacieuse du vieil homme.

— Nous ne pouvons plus l’aider. Il réussira, ou pas. Nous l’attendrons aussi longtemps que nous l’oserons, à la limite du terrain.

Sans son blaster, Yan se sentait tout nu… Mais voir Badure risquer ainsi sa vie ne l’enchantait pas.

Ayant terminé son service, un garde arriva… et faillit trébucher sur Skynx, dissimulé dans l’obscurité. Le Ruurien couina de peur en reculant. Éberlué de voir la créature laineuse aux pattes multiples se promener en liberté, le garde lança l’alerte en reprenant son fusil…

… Que Chewbacca lui arracha, avant de l’assommer d’un coup de poing.

Mais des Survivants proches, alertés à leur tour, propagèrent l’alarme. Des têtes se tournèrent. Les cris furent repris par de nombreuses gorges. S’emparant du fusil, Yan lui fit décrire un grand arc de cercle à l’horizontale tout en ouvrant le feu. Des déflagrations orange éclatèrent au-dessus de la foule. Hurlant des ordres contradictoires, les Survivants plongèrent à plat ventre. Dans tous ses états, le commandant de mission tenta de ramener un semblant d’ordre dans cette scène de chaos.

D’autres coups de feu éclatèrent.

— À couvert ! cria Yan à ses compagnons.

Reculant lentement, il créa une nouvelle diversion pour faciliter le repli de Badure. Il tira dans le sol, aux pieds des Survivants restés debout, puis de nouveau en l’air. L’éclat des déflagrations les gênait pour bien viser. À un mètre ou deux à la droite de Solo, des balles traçantes zébrèrent l’air. Un rayon à particules le manqua de peu.

Les fuyards avaient absolument besoin d’une couverture. Mais ce côté du terrain, très dégagé, n’en offrait aucune. Mû par une inspiration soudaine, Chewbacca fonça sur le gong et, les muscles gonflés, le souleva des crochets qui le maintenaient suspendu.

Des tirs nourris jaillirent. Les Survivants gagnaient en précision, même s’ils n’étaient pas rompus aux batailles rangées. Courant plié en deux vers ses compagnons, Badure fut repéré par la foule… Et les tirs convergèrent vers lui.

Chewbacca planta le gong en terre devant ses compagnons. Les projectiles et les rayons d’énergie s’y écrasèrent, inoffensifs. Certains ricochèrent dessus. À l’évidence, le matériau du gong était d’un type très résistant.

Yan contre-attaqua pour détourner le feu de Badure.

Mais les munitions de son fusil n’étaient pas inépuisables… Il serait bientôt à court. Et de nouveau vulnérable.

Badure, qui avait trébuché, était en grande difficulté.

Je t’ai pourtant averti ! pesta intérieurement Yan. J’ai dit que c’était chacun pour soi !

Mais il n’arrivait plus à s’en convaincre lui-même…

Les événements décidèrent pour lui : avec un rugissement assourdissant de guerrier wookie, Chewbacca fonça, le gong maintenu devant lui en guise de bouclier.

Croisant le regard de Skynx et de Hasti, Yan comprit que la fille volerait elle-même au secours de Badure s’il ne faisait rien.

— Ne restez pas plantés là ! À couvert !

Poussant Hasti au bord du terrain, il courut dans la direction opposée, en zigzag, sur les talons du Wookie. Et sans cesser de mitrailler les adversaires.

— Tu veux rejouer les capitaines, c’est ça ? rugit-il en rattrapant Chewbacca.

Celui-ci lâcha un grognement irrité tout en maniant son gong-bouclier pour repousser les tirs.

— Une dette de vie ? s’étrangla Yan en décochant deux autres tirs contre des Survivants. Et qui casquera si tu nous entraînes dans la tombe ?

Il multiplia les ripostes, dansant à droite et à gauche du wookie au bouclier. La fumée envahissait le terrain, surchauffé par les échanges incessants de tirs. Les décharges du fusil de Yan faiblissaient, et sa portée diminuait inexorablement.

Mais Solo persévéra. Chewie et lui atteignirent enfin Badure, aplati sur le sol pour échapper aux salves. Le vieil homme contre-attaquait autant qu’il le pouvait, à l’aide des pistolets à énergie. Chewbacca planta le gong devant lui. Yan rejeta son arme vide et aida Badure à se relever.

— Dernier service de ramassage, mon capitaine !

— Donnez-moi un aller simple, mon garçon… Ravi de votre arrivée, les gars !

Yan récupéra son blaster accroché au ceinturon de Badure, retrouvant du même coup toute son assurance. Plié en deux, il se risqua à découvert d’un côté du gong, évitant les tirs de ceux qui le guettaient de l’autre, et abattit deux adversaires de plus. Mais les autres se déployèrent pour couper toute retraite aux fuyards.

— Allons-y ! cria Solo.

Chewbacca commença à reculer sans lâcher son gong tandis que Badure et Yan tiraient dans le tas. Les armes à énergie trouaient la nuit de leurs éclairs. Des salves de balles, de rayons blaster, de harpons et de rayons à particules leur répondaient.

Quelqu’un avança vers eux. Badure faillit le dégommer à vue avant que Yan ne lui baisse le bras d’autorité.

— Bollux ! Par ici !

Le droïd réussit à se réfugier derrière le gong. Peu à peu, le groupe continuait de reculer. Embusqués du côté du mât d’antenne, des Survivants cherchaient à les prendre en tenaille. Badure faisait feu de ses deux armes à long canon pour les tenir en respect. Des hommes tombèrent. Les réserves du mât furent drainées par un tourbillon énergétique. Le mât s’effondra dans un poudroiement crépitant d’étincelles sur la tribune qui, avec le cadre et le disque-archive, s’enflamma.

Yan entendit crier son nom. Au bord du champ, Skynx et Hasti l’appelaient… Solo et ses compagnons les rejoignirent sans cesser de tirer.

— Nous ne pouvons pas descendre ce champ de glace…, dit Hasti. Le bord est trop escarpé. Et même Chewbacca ne pourrait pas emporter le gong pour nous protéger dans la descente. Nous ferions des cibles trop faciles…

Tout en retournant le feu de leurs adversaires, Solo réfléchit. Au raisonnement de Hasti et au manque d’options.

Chewbacca grogna.

— Partenaire, tu es fou à lier ! s’exclama Yan avec de l’admiration dans la voix. (Mais perdu pour perdu…) Qu’est-ce qu’on attend ?

En quelques mots, il eut expliqué le plan aux autres, qui se préparèrent. L’heure n’était plus aux doutes ni à l’appréhension.

— Chewie, fonce ! cria Yan.

Le Wookie recula tout au bord, virevolta et posa le gong concave sur la neige, la partie bombée dans le sol… Solo multiplia les tirs.

Badure s’assit dans le gong en agrippant une des poignées de transport, et Bollux l’imita. Les antennes frémissantes, Skynx se cramponna au cou du droïd, Hasti se retenant à Badure.

— Vas-y, Chewie ! brailla Yan. Je grimperai le dernier !

Sans perdre un instant à protester, le Wookie empoigna son ami par la taille et se jeta avec lui dans le gong…

Sous les tirs nourris des Survivants, la « luge » improvisée prit un départ foudroyant grâce au saut de Chewie conjugué à son poids, et commença à dévaler la pente neigeuse abrupte… sous les cris d’allégresse du Ruurien et du Wookie.

En pleine course, le gong pencha sur la gauche. Chewbacca fit contrepoids sur la droite. Puis la « luge » heurta un affleurement rocheux, déstabilisant ses occupants… Tomber du gong à cette vitesse et rouler sans protection dans la neige entraînerait inévitablement de graves blessures…

Salement secoués, les compagnons réussirent à se retenir les uns les autres et à retrouver leurs prises. Yan agrippa Hasti qui, en voulant retenir Badure, avait presque failli passer « par-dessus bord ». De son bras libre, le capitaine du Faucon l’enlaça par la taille, la jeune femme agrippant le blouson de Badure de l’autre main. Le vieil homme avait entortillé ses jambes autour de celles de Chewbacca pour l’aider à piloter l’engin fou en se penchant de côté et d’autre tout en minimisant les risques. Comme ses compagnons, Chewie ne voyait pas grand-chose et « naviguait » à l’aveuglette. La course folle dans la neige leur arrachait des larmes et sous leurs vêtements trop légers, leur peau s’engourdissait à cause du froid.

En se penchant vivement sur un côté, Chewbacca réussit à éviter un promontoire rocheux qui aurait fait voler le gong en éclats – et les aurait sûrement tués sur le coup. Mais le mouvement trop abrupt lui valut de perdre l’équilibre. Bollux pivota et attrapa les jambes du second du Faucon.

Badure aussi agrippa le Wookie de sa main libre, l’aidant à se rétablir. Mais ce faisant, il vit qu’ils allaient perdre la cartouchière et l’arbalète wookie de Chewie. Le vent hurlant emporta son cri d’avertissement. Yan se cramponnait toujours à une des poignées du gong et à Hasti qui, elle, s’agrippait à Badure, tandis que Bollux et Badure avaient fort à faire pour retenir Chewbacca à bord… Et celui-ci consacrait toute son énergie à « piloter » la luge folle.

Restait Skynx pour agir… Gardant seulement sa dernière paire de pattes enroulée autour du droïd, il réussit de justesse à happer au vol l’arbalète laser que les autres venaient de lâcher et, alors que le gong changeait abruptement de direction, il fut catapulté à la renverse.

Le petit Ruurien se cramponna de toutes ses forces à Bollux, sans lâcher l’arme et ses munitions. Ils en auraient certainement le plus grand besoin dans les heures à venir… À chaque cahot et rotation du gong, Skynx sentait ses doigts glisser… Avec une résolution de fer, il raffermit sa prise peu à peu, patte après patte, enroulant même deux de ses membres autour des genoux épais du Wookie.

La folle équipée atteignait l’angle le plus escarpé de la descente infernale, labourant la neige de sa masse, traçant de profonds sillons et acquérant encore de la vitesse au gré des dépressions du terrain. À plusieurs reprises, Yan vit des rayons d’énergie de plusieurs couleurs fouailler le tapis neigeux – mais en ratant largement la cible.

Nous devons être une cible furieusement mouvante !

Le nez, les oreilles, les mains et le visage ankylosés par le froid mortel, les yeux en larmes, Yan se cramponnait aussi de toutes ses forces.

— Mes doigts glissent ! cria Hasti, affolée. Je ne les sens plus !

Avec un sentiment horrible d’impuissance, Solo sut qu’il ne pouvait pas faire grand-chose si elle lâchait prise. Espérant que ses doigts gelés tiendraient, il serra autant qu’il put Hasti contre lui.

— Nous ralentissons ! brailla Badure.

Chewbacca poussa un rugissement de joie féroce.

Yan rit aux larmes.

Le gong abordait une pente plus douce, près du contrefort du champ de neige, et perdait en effet de la vitesse. Les soubresauts de la course et les chocs s’estompèrent…

— Bien joué, Chewbacca ! lança Bollux.

Au même instant, le bord du gong heurta un affleurement rocheux avec tant de force qu’il se dressa à la verticale. Les mains gelées, les doigts ruuriens, les servo-poignées et les orteils wookies perdirent tous une lutte foncièrement inégale tandis que les humains, le Ruurien, le Wookie et le droïd scintillant étaient tous catapultés dans les airs suivant différentes paraboles et trajectoires fascinantes…

… Avant de retomber.