CHAPITRE V
— Reste tranquille et pas un bruit ! souffla Yan en bloquant la tête de son second.
Calé sur un siège d’accélération trempé de sueur et aux ressorts morts du compartiment avant du Faucon Millenium, le Wookie cessa de se tortiller, mais ne put ravaler ses plaintes de souffrance. Il fallait soigner sans délai ses douleurs au cou. Debout derrière lui, Yan lui fit une clé de bras, l’immobilisant au creux de son coude plié, et il poussa la paume de sa main contre le crâne du Wookie.
— C’est pas la première fois que je fais ça ! Cesse de geindre !
Solo se remit à appliquer une certaine pression, poussant la tête de Chewbacca en hauteur et vers la gauche. Docile, le patient résista à l’envie de se lever, refermant ses longs doigts sur les accoudoirs du siège d’accélération.
Rencontrant une résistance, Yan prit une grande inspiration et, sans crier gare, poussa brutalement sur la tête chevelue. Il y eut un craquement caractéristique. Chewbacca cria puis renifla de façon pathétique. Plein de compassion, Solo lui passa une main dans la chevelure, puis s’écarta, le laissant se frotter la nuque et remuer doucement la tête. Yan partit préparer le vaisseau au décollage.
— Si vous avez fini de soigner votre patient poilu, docteur, lança Hasti, près de l’échiquier, il serait temps de régler quelques petites choses.
Solo s’accouda à la console technique.
— Jouons cartes sur table, dit Solo. Allez-y !
Tout à fait remis des séquelles du rayon paralysant, Badure était assis à côté de la jeune femme. Histoire d’éviter les frictions, il intervint.
— J’ai fait la connaissance de Hasti et de sa sœur Lanni dans un camp minier de la planète Dellalt, rattachée à l’Hégémonie Tion. J’étais sous-traitant…
Il ignora l’air surpris de Yan.
C’était encore pire que ce que j’imaginais…
— Et ça allait mal pour elles deux, continua Badure. Tu sais comment c’est, dans ces camps. Or, celui-là était peut-être le pire que j’aie jamais vu. Nous nous protégions mutuellement, tous les trois. Ou en tout cas, nous essayions.
« Lanni avait le répertoire de la guilde des pilotes, et exécutait nombre de missions. Quelque part, elle a trouvé un disque-archive, une sorte d’antique disquette. Aucun vaisseau ne s’en sert plus depuis des siècles. Naturellement, Lanni ne pouvait pas la lire entièrement, mais il y avait quand même un nom que tout le monde connaît dans ce quadrant de l’espace, le Reine de Ranroon…
— Comment un disque-archive a-t-il pu échouer sur Dellalt ?
— Là se trouve la salle des coffres, répondit Badure.
Cette mention fit remonter de vieux souvenirs à l’esprit de Yan. Xim le Despote avait laissé derrière lui la légende de planètes entières pillées et ravagées, de prisonniers éjectés en masse dans le vide cosmique et autres atrocités… Il avait en outre ordonné la construction de salles immenses au trésor pour recevoir les butins hallucinants prélevés par ses armées conquérantes. Mais le fruit de ces pillages n’était jamais arrivé. Les salles vides témoignaient seules du règne passé de Xim. Et une galaxie affairiste ignorait généralement cet objet somme toute mineur de curiosité.
— Es-tu en train de me dire que le Reine a fini sur Dellalt, en définitive ?
Badure secoua la tête.
— En tout cas, quelqu’un a bel et bien atterri sur Dellalt avec son disque-archive.
— Il se trouve sous clé, à l’abri au fond d’une consigne, précisa Hasti. Ma sœur avait peur qu’on cherche à le lui prendre, car la compagnie minière procède à des inspections surprises, à des fouilles des casernes et à des scannages sauvages. Elle a profité d’une mission pour aller discrètement mettre sa trouvaille en sécurité.
— Comment l’a-t-elle déniché en premier lieu ? demanda Yan. Et où est-elle maintenant ?
L’expression éloquente de Badure et de la jeune femme lui répondit. Comme il venait de le constater à ses dépens, leurs adversaires ne reculeraient devant rien…
Il abandonna le sujet.
— Bon, alors en route pour Dellalt avant que l’agent de location ne réclame son autobus de luxe…
Badure se flanqua une grande claque sur sa bedaine.
— Désolé, mais nous ne sommes pas encore au complet ! Notre ami est en chemin. J’ai annulé les réservations de nos billets le temps qu’il nous rejoigne.
— De qui s’agit-il ? grogna Yan, contrarié. Et pourquoi a-t-on besoin de lui ?
Impliquer trop de gens dans une chasse au trésor n’était jamais bon.
— Il s’appelle Skynx. C’est un expert ès pré-République dans ce secteur de la galaxie. Et il déchiffre très bien les langues antiques. Il a déjà traduit en partie les lettres et symboles que Lanni avait recopiés à partir du disque-archive. Ça vous va ?
Il fallait bien… Car quelqu’un devait déchiffrer la disquette pour déterminer ce qui était arrivé au Reine.
Retirant son blouson, Yan se débarrassa aussi de son holster d’épaule.
— Question suivante : qui sont nos adversaires ?
— Les opérateurs de la mine. Tu sais comment l’Hégémonie Tion fonctionne. Quelqu’un paie un type du ministère de l’industrie pour décrocher un permis. On creuse ensuite le terrain choisi n’importe comment, et on se tire avec le butin bien avant que des inspecteurs quelconques ou des administratifs à la petite semaine pensent à rattraper tout ce beau monde… Car nos lascars sont invariablement financés par des barons du crime.
« En l’occurrence, l’hydre a deux têtes : une dénommée J’uoch et son frère R’all. Leur partenaire, Egome Fass, exécute en leur nom la sale besogne. Ce colosse teigneux, un humanoïde houk, est encore plus grand que Chewie. Voilà la donne…
Yan boucla son ceinturon, remit son holster et transféra son blaster.
— Je vois. Et vous voudriez simplement qu’on vous dépose sur Dellalt, puis qu’on vous en remmène ?
Par l’intercom, le Wookie annonça à cet instant que quelqu’un sollicitait la permission de monter à bord.
— C’est sûrement Skynx, dit Badure.
Yan donna ordre qu’on laisse entrer l’érudit.
— Oui, reprit le vieil homme. Si vous nous emmenez sur Dellalt et que vous nous en faites sortir, je vous paierai double de ce que vous demandez normalement pour ce genre de mission. Maintenant, si vous êtes prêts à tenter l’aventure avec nous, vous aurez une part complète du butin.
— Une demi-part ! cria Hasti.
— Une part chacun ! dit Yan en même temps.
Hasti et lui se foudroyèrent du regard.
— On est radin à ce point, mon doux cœur ? Et comment feriez-vous sans nous ? Vous déploieriez vos petites ailes ?
— Pour un simple aller-retour, vous ne manquez pas de culot ! s’emporta la jeune femme.
— Assez ! beugla Badure, les mains levées. (Yan et la jeune femme se calmèrent.) Bon… C’est mieux, les gosses ! Nous ne parlons pas d’une petite somme ridicule, il y en aura amplement assez pour nous tous. Alors, voilà le topo : une part pour moi, parce que j’ai sorti Hasti vivante de Dellalt et que Lanni nous avait transmis à tous les deux ce qu’elle savait. Deux parts pour Hasti, la sienne et celle de sa pauvre sœur. À ce stade des opérations, le Wookie, Skynx, et toi, Yan, aurez chacun une demi-part. Suivant qui fera quoi en cours de route, nous renégocierons en conséquence. Marché conclu ?
Yan dévisagea le vieil homme et la rouquine furibonde.
— De combien parlons-nous au juste ?
— Pourquoi ne pas le lui demander ? répondit Badure en désignant celui qui venait d’arriver sur les talons de Chewbacca.
Pourquoi suis-je parti du principe que ce serait un humain ? s’interrogea Yan.
Skynx était un ruurien de taille moyenne – environ un mètre de long – assez bas sur pattes, doté d’une épaisse fourrure laineuse ambrée striée de marron et de rouge. Il se déplaçait avec grâce et fluidité sur huit petites paires de pattes. Des antennes duveteuses recourbées frémissaient sur son front. Il avait de grands yeux rouges à facettes, une bouche minuscule et des narines aussi petites. Derrière lui venait un robot-bagage chargé de caisses et de boîtes.
S’arrêtant, Skynx se dressa sur ses huit pattes arrière. Ses « mains » se caractérisaient par quatre doigts opposables, très agiles et polyvalents. Il salua les humains d’une voix aiguë au débit très rapide.
Ah, Badure… et la charmante Hasti ! Comment ça va, jeune dame ? J’ai déjà rencontré ce beau spécimen de Wookie. Alors, vous seriez notre capitaine, monsieur ?
— Je serais ? Je le suis ! Yan Solo.
— Ravi ! Skynx de Ruuria, pour vous servir, sous-département d’histoire humaine, sous-division pré-République, où je siège actuellement.
— Ah oui ? Et vous siégez comment ? lança Yan, intrigué par l’étrange anatomie du Ruurien. Bon, on parle de combien de fric, dans cette affaire ?
— Réfléchissant, Skynx inclina la tête.
— Il y a tant d’éléments contradictoires à propos du Reine de Ranroon… Disons plutôt que le vaisseau au trésor de Xim le Despote était le plus grand de son temps. Après ça, toutes les hypothèses sont bonnes à prendre.
Yan Solo se représenta des palais luxueux, des planètes-casinos, des yachts six étoiles et toutes les belles de la galaxie qui n’avaient pas encore eu la chance de faire sa connaissance…
Reniflant de dédain, Chewbacca réintégra le cockpit.
— Entendu, nous en sommes ! conclut Yan. Dites au robot-bagage de laisser vos affaires là, Skynx. Badure, Hasti, faites comme chez vous.
Le Ruurien et Hasti voulurent assister au décollage, dans le cockpit.
Seul avec Yan, Badure lui parla à cœur ouvert.
— Il y a une chose que je ne voulais pas que les autres sachent… J’ai entendu parler de certains jobs pourris que tu aurais pris ces derniers temps… Méfie-toi, tu as du monde aux trousses ! Je n’ai pas de noms ou de faits précis, mais la rumeur court. Une idée sur l’identité de tes ennemis ?
— Parfois, j’ai l’impression que la moitié de la galaxie au moins veut me faire la peau… (Les courses poursuites, les marchés glauques et les ratages complets n’avaient pas manqué.) Comment le saurais-je ?
Mais à voir l’expression de Yan Solo se durcir, Badure se dit que son ami avait certainement sa petite idée sur la question.
Planté au centre du compartiment avant, Yan était à l’écoute. La console technique et autres équipements avaient pratiquement tous été mis hors tension pour minimiser le bruit de fond. Il percevait les vibrations des moteurs du Faucon Millenium.
Un léger cliquetis, dans son dos…
Instantanément sur la défensive, Yan virevolta en dégainant et fit feu. La cible, un petit globe en lévitation mû par répulseur et air comprimé, échappa partiellement au tir et riposta. Solo l’évita en plongeant. Désactivé par ce rayon traceur inoffensif, l’orbe attendit, immobile, une nouvelle séance d’entraînement.
Yan jeta un coup d’œil à Bollux, le servo-droïd, dont le plastron était ouvert. Max, le module informatique niché dans ses entrailles, gérait les commandes à distance. Solo le réprimanda.
— J’ai pourtant dit que je voulais une séance un peu plus dure que ça !
Robot à la poitrine en forme de tonneau, d’un vert brillant, Bollux avait des bras articulés assez longs pour lui donner des allures simiesques. D’un coût exorbitant, l’ordinateur interne, construit pour une efficacité optimale, était peint en bleu foncé – d’où son nom d’origine « Max Bleu ». Sans eux deux, Yan et le Wookie n’auraient peut-être jamais survécu à leurs aventures passées.
Bollux était maintenant doté d’un récepteur plus puissant, et Max avait un holo-projecteur compact.
— Qu’y puis-je si vous êtes si rapide, bon sang ? objecta le petit module. Si vous insistez, je ramène le temps de réaction à zéro.
Solo soupira.
— Non. Et tiens un peu ta langue, Max. Je peux parler comme ça me chante, mais pas toi.
Badure était affalé sur un des sièges d’accélération.
— Tu bats le globe à chaque fois… Qui te tourmente autant ?
Yan haussa les épaules.
— As-tu entendu parler d’un certain Gallandro, un tueur à gages ?
Le vieil homme haussa ses épais sourcils.
— Gallandro ? Le seul, l’unique ? Eh bien, Finaud, rien que l’élite pour toi… Tout s’explique.
Sur l’insistance de Badure et de Hasti, la jeune femme s’était installée dans les quartiers – exigus – de Solo, dans un but secret. Chewbacca restait toujours aux commandes, mais Skynx était présent… Yan décida que le Ruurien pouvait entendre, ça n’aurait aucune importance.
— Récemment, j’ai eu affaire à Gallandro sans réaliser qui c’était… Et il dégaine si vite que l’œil n’arrive pas à suivre ! (À ce souvenir, de la sueur perla sur le front du capitaine.) Par chance, j’ai réussi à ruser pour me tirer vivant de ce faux pas. Il a dû l’avoir mauvaise, mais je n’aurais jamais cru qu’il irait si loin pour se venger…
— Gallandro ? Finaud, nous parlons du type qui a détourné à lui tout seul le Messager Quamar lors de son voyage inaugural, et qui a aussi nettoyé sans l’aide de quiconque Geedon V, ce repaire de pirates ! Il a collecté les mises à prix pour les cinq têtes de la famille Malorm, et quand il a piloté un chasseur aux côtés des Démons de Marso, il a pulvérisé tous les records ! En outre, lui seul peut se vanter d’avoir obligé la guilde des assassins à revenir sur un contrat. Il a supprimé la moitié des membres du cercle de l’Élite – les uns après les autres – sans compter les apprentis…
— Je sais, je sais…, soupira Yan avec lassitude en s’asseyant. Si j’avais su alors à qui j’avais affaire, je n’aurais rien eu de plus pressé que de foncer à l’autre bout de la galaxie… Mais qu’est-ce qu’un « héros » comme lui pourrait bien me vouloir ?
Badure adopta le ton réservé aux enfants lents.
— Yan, tu ne peux pas humilier un type comme celui-là et espérer ne plus entendre parler de lui… Pour ces gens, la réputation compte plus que tout. C’est leur gagne-pain. Tu le sais aussi bien que moi. Ils ne tolèrent aucune insulte, réelle ou imaginaire, et jamais au grand jamais ils ne reculeront. Tant qu’il n’aura pas réglé ses comptes avec toi, tu n’auras pas la paix. Il en a fait une affaire personnelle.
Solo soupira.
— La galaxie est grande… Il ne peut pas passer le restant de ses jours à me chercher partout…
Mais au fond, il savait à quoi s’en tenir.
Alerté par un bruit suspect, derrière lui, il bondit hors de son siège, se plaquant sur le côté et tira en plein élan au jugé. Son rayon traceur fit mouche, en plein centre du globe.
— Bel essai, Max !
— Vous êtes doué, capitaine, commenta Skynx, installé sur le divan d’accélération.
Yan se releva en dévisageant l’érudit.
— Pourquoi nous avoir rejoints si vite, au fait ? Nous aurions pu vous apporter directement la disquette.
Le petit Ruurien parut embarrassé.
— Hum… Comme vous le savez sans doute, notre cycle de vie…
— Vous êtes le premier Ruurien que je rencontre, coupa Yan. Comme vous le savez, personne n’a encore recensé toutes les formes de vie qui grouillent dans notre galaxie… Cataloguer les plus connues prendrait déjà toute une vie.
— Naturellement. Que je vous explique… Au sortir de l’œuf, nous, les Ruuriens, passons par trois cycles distincts. La larve – mon état présent – la chrysalide, puis la fin de vie sous forme de « chroma-papillon », et qui correspond au renouvellement de l’espèce. Les chrysalides sont très vulnérables, vous vous en doutez, et les chroma-papillons sont obsédés par trois choses seulement : voler, s’accoupler et pondre des œufs.
— Je ne veux pas de cocons ni d’œufs à bord de mon vaisseau ! objecta Yan.
— C’est promis ! grogna Badure. Veux-tu bien écouter au lieu de rouspéter par avance ?
— Donc, les Ruuriens à l’état larvaire, comme moi, doivent protéger de leur mieux les chrysalides et s’assurer que les chroma-papillons à l’esprit simple ne courent pas de risques – tout en gouvernant la planète. Dès notre naissance, nous ne savons pratiquement pas où donner de la tête tant les responsabilités s’accumulent !
— Et comment une charmante larve comme vous en est-elle venue à chercher un trésor ? s’étonna Solo.
— En étudiant l’histoire très mouvementée de votre espèce, le concept de l’aventure en est venu à me fasciner, admit Skynx sur le ton embarrassé de la confession – comme s’il s’agissait de quelque perversion inavouable. Parmi les peuples enclins à prendre tous les risques, les humains sont les champions en la matière – et leur réussite éclatante illustre d’ailleurs l’adage selon lequel la fortune sourit aux audacieux, ajouta finement l’érudit.
Avant de continuer, il pesa soigneusement ses mots.
— Les histoires, les légendes, les chants et les holo-romans ont beaucoup d’attrait. Une fois dans ma vie, avant de devenir chrysalide, de plonger dans un profond sommeil puis de renaître sous la forme d’un chroma-papillon qui n’aura plus aucun lien avec moi, Skynx, j’aimerais oublier le bon sens pour vivre pleinement le grand frisson d’une aventure vécue à l’humaine ! conclut-il, rayonnant.
Il y eut un petit silence.
— Joue-lui l’air que tu me jouais, Skynx, demanda Badure.
Le Ruurien avait apporté à bord une structure d’allure arboricole pour entreposer ses effets personnels. Aux branches pendaient divers articles bizarres défiant l’entendement. L’un d’eux néanmoins avait tout de l’instrument de musique.
Yan, lui, avait eu les tympans assez agressés par la « musique » extraterrestre pour souhaiter ardemment ne plus subir ce genre de supplice. Il se hâta de changer de sujet.
— Si vous nous montriez plutôt ce que vous trimballez avec vous ? Et Hasti ? Pourquoi reste-t-elle enfermée dans son coin au lieu de nous rejoindre ?
— Nous serons bientôt à destination, répondit Badure, et elle a des préparatifs à terminer. Skynx, les vestiges que vous avez pris devraient l’intéresser.
Muni d’un pied de biche, Yan ouvrit la première caisse désignée par le Ruurien, et sifflota d’admiration.
— Badure, si tu m’aidais à l’extraire de là ?
À eux deux, ils sortirent l’objet de sa caisse, le posant sur l’échiquier.
Il s’agissait de la tourelle crânienne d’un robot antique aux lentilles optiques noircies par une longue exposition aux radiations. Lourdement cuirassée – un alliage gris inconnu de Solo –, elle portait des emblèmes et des marquages techniques encore lisibles. Yan s’attendit presque à ce que la grille de communication s’active soudain…
— Un robot guerrier ! s’enthousiasma Skynx. Xim le Despote en avait construit un bataillon pour sa garde rapprochée. À l’époque, c’étaient les machines de combat les plus redoutables de la galaxie. J’ai déniché ce vestige dans la forteresse volante en ruine du despote. C’est peut-être le dernier bastion à ne pas avoir été anéanti lors de la troisième bataille de Vontor, qui signa la défaite finale de Xim. Ces caisses renferment d’autres pièces archéologiques. Mille robots de guerre étaient à bord du Reine de Ranroon quand le vaisseau disparut.
Yan ouvrit une autre caisse au hasard, y trouvant un gros plastron. Il lui faudrait l’aide de Chewbacca pour l’en extraire. Au centre brillaient les armes de Xim : une tête de mort aux orbites illuminées par des explosions solaires.
Son propre plastron grand ouvert au bénéfice de Max, Bollux entra. Les deux machines avaient contribué à sauver Yan Solo dans un passé récent. Puis, d’un commun accord, Max et Bollux avaient décidé de joindre leur destinée à celle de Yan et de Chewbacca, afin de voyager et d’explorer la galaxie à leurs côtés.
— Capitaine, le second annonce que nous rallierons bientôt l’espace normal, déclara le droïd, avant que ses photorécepteurs ne découvrent la tourelle crânienne. Oh ! Qu’est-ce donc ? (Intrigué, il se rapprocha de la relique.)
— C’est si vieux…
— Un robot de guerre, lâcha Yan, laconique, penché sur d’autres caisses. Le trisaïeul de Bollux, en quelque sorte…
De ses doigts métalliques, le droïd palpa la forme du crâne antique pendant que Solo marmonnait de son côté.
— Des points de tension renforcés, une cuirasse lourde et épaisse… Avec tous ces systèmes d’alimentation, on pourrait déjà ouvrir boutique ! Des armements intégrés, tant chimiques qu’à énergie…
Il marqua une pause en relevant les yeux vers Skynx.
— Personne ne devait pouvoir arrêter ces monstres… Blaster ou pas, je détesterais me mesurer à l’un d’eux !
Il referma la caisse qu’il était en train d’inspecter.
— Bon, que tout le monde s’installe confortablement dans son coin. Dès que je serai dans le cockpit, nous retournerons dans l’hyperespace. Où est Hasti ? Je ne peux pas…
Il s’interrompit, bouche bée.
Hasti – ça ne pouvait être qu’elle ! – venait d’entrer à point nommé. Mais la fille des mines avait complètement disparu. À sa place, les cheveux soigneusement peignés et coiffés, la nouvelle Hasti portait un costume noir et écarlate iridescent du plus bel effet avec une ample tunique aux plis balayant le pont passée sous un manteau tout aussi long aux manches volumineuses, la ceinture lâche. Chacun des pas souples de la jeune femme dévoilait des bottes ouvragées en peau de daim.
Quant à son maquillage, il était d’une sobriété de bon ton. Yan aurait été bien en peine de dire ce qu’elle avait fait au juste. Plus pondérée et réservée, Hasti paraissait avoir singulièrement mûri. Mais à son expression, elle défiait l’irrévérent capitaine de lancer la moindre pique.
Yan, quant à lui, n’avait plus revu de femme aussi séduisante depuis bien longtemps.
— Petite, souffla Badure, une seconde, j’ai cru voir un fantôme… Celui de Lanni !
Et moi, se dit Yan in petto, il y a une heure encore, j’aurais juré que même des prisonniers de longue date n’auraient pas voulu d’une fille pareille… Je baisse !
Il retrouva sa langue.
— Mais… pourquoi ?
— Quand Lanni s’est déroutée pour cacher sa trouvaille, expliqua Badure, elle a revêtu cet ensemble chic typique pour que la visite d’une femme venue de la mine ne s’ébruite pas. Par chance, elle nous a donné le code de location et la combinaison du coffre avant d’être abattue par les séides de J’uoch. Hasti doit ressembler le plus possible à sa pauvre sœur, au cas où le personnel de la salle des coffres se souviendrait d’elle.
À cet instant, Chewbacca vociféra par l’intercom, réclamant la présence de Solo pour revenir à l’espace normal.
— Pourrais-je assister à la procédure dans le cockpit, capitaine ? demanda Skynx.
— Pas de problème, nous vous trouverons une petite place. Et vous, Hasti ? Vous désirez aussi y assister ?
Elle eut une moue indifférente. Tournant le dos à cette variante des rituels humains de séduction – autant qu’il puisse en juger – Skynx fonça tout excité dans le cockpit, Badure sur les talons.
Échaudé, Yan s’abstint d’offrir le bras à la péronnelle collet monté.
Personne ne prêta attention à Bollux qui, resté seul, avait toujours les doigts posés sur le crâne de l’intimidant robot de guerre.