CHAPITRE 42

MATRICIA,
DREVLIN, BAS-ROYAUME

Lambic ôta ses lunettes pour la vingtième fois en autant de minutes et se frotta les yeux. Jetant lesdites lunettes sur la table, il se jeta sur une chaise et les contempla d’un air furibond. Il les avait fabriquées lui-même. Il en était fier. Pour la première fois de sa vie, grâce à ces lunettes, il voyait tout avec netteté – formes claires et bien délimitées, plus de masses floues et informes. Lambic contemplait donc ses lunettes (ce qu’il en voyait), admiratif et haineux.

Il les détestait, les haïssait. Et il n’osait pas se déplacer sans elles. Elles commençaient à lui donner des migraines pas possibles, qui, partant de ses globes oculaires, lui fouaillaient le crâne comme des « zinzins’lectriques », marquant le temps à grands coups de marteau.

Mais il voyait tout nettement, voyait les visages creusés par la faim, les traits tirés par la peur qui augmentait chaque jour qui passait sans que la Bougonne-Batte accepte de redémarrer. Et quand Lambic regardait son peuple à travers ses lunettes, quand il voyait son désespoir, il les haïssait.

Il haïssait les Elfes, cause de tout ça. Il haïssait les Elfes qui avaient emmené Secousse et menaçaient maintenant de la tuer. Il haïssait les Elfes – ou les autres – qui avaient tué la Bougonne-Batte. Et quand il haïssait comme ça, les muscles de son estomac se nouaient, remontaient dans sa poitrine, s’enroulaient autour de ses poumons, tellement serrés qu’il arrivait à peine à respirer.

Puis il envisageait des guerres terribles et glorieuses, et il faisait de beaux discours passionnés à son peuple. Et pendant un certain temps, les nains haïssaient aussi, et ils oubliaient la faim, le froid et la peur provoquée par le terrible silence. Mais Lambic devait toujours finir par se taire, et alors les nains étaient forcés de rentrer chez eux et entendaient pleurer leurs enfants.

La souffrance était parfois si intense qu’elle le faisait vomir. Et quand il avait fini de vomir, ses organes retombaient à leur place. Il se remémorait ce qu’était La vie autrefois, avant la révolution, avant qu’il ait commencé à demander « pourquoi », avant qu’il ait rencontré le dieu qui n’en était pas un et qui n’était qu’Haplo. Il repensait à Secousse, qui lui manquait tellement, avec son habitude de le traiter d’idiot en lui tirant la barbe.

Il savait que le « pourquoi » était une bonne question, mais peut-être qu’il n’y avait pas donné une bonne réponse. Il y a trop de « pourquoi », marmonnait-il, se parlant à lui-même (la seule personne à qui il pouvait parler ces temps-ci, les autres nains ayant tendance à éviter sa présence, ce dont il ne les blâmait pas, vu que lui-même n’appréciait pas tellement sa propre compagnie). Et il n’y a pas de réponses. C’était idiot de le croire. Maintenant, il savait. Il n’y avait que des choses comme : « C’est à moi, bas les pattes ! », « Donne-moi ça, ou je te casse la tête ! », ou encore « Ah oui ? Vous en êtes un autre ! ».

Il ne mourrait pas idiot.

Lambic posa sa tête sur la table, regarda avec morosité du mauvais côté-de ses lunettes, ce qui eut pour effet intéressant et réconfortant de tout rapetisser. Il était drôlement plus heureux quand il était idiot.

Il soupira. Tout ça, c’était la faute à Secousse. Pourquoi aller s’enfuir comme ça pour se faire capturer par les Elfes ? Si elle n’était pas prisonnière, il n’en serait pas là. Il avait menacé de détruire la Bougonne-Batte…

— Ce dont je serais bien en peine, de toute façon, grommela-t-il. Ces Guègues ne toucheraient jamais à leur précieuse machine. Les Elfes le savent. Ils ne prennent pas ma menace au sérieux. Je…

Lambic s’interrompit, horrifié.

Les Guègues. Il avait qualifié les siens de « Guègues ». Son propre peuple. Et ce fut pour lui comme s’il les avait regardés par le mauvais côté de ses lunettes – ils étaient tout petits, lointains.

— Oh ! Secousse ! gémit-il. Ce que je voudrais être encore idiot !

Prenant sa barbe à deux mains, il lui imprima une bonne secousse. Forte et douloureuse. Mais ce n’était pas la même chose que lorsque Secousse le faisait. Secousse lui tirait la barbe avec amour. Elle l’aimait quand il était idiot.

Lambic saisit ses lunettes et les jeta par terre, espérant qu’elles se casseraient. Elles résistèrent. Promenant ses yeux myopes autour de lui, il se mit à chercher un marteau avec frénésie. Il venait de ramasser ce qu’il croyait être un marteau et qui n’était en fait qu’un plumeau pour faire les poussières, quand des coups furieux retentirent à la porte.

— Lambic, Lambic ! hurla une voix qu’il reconnut pour celle de Lof.

Se cognant dans la table, cherchant ses lunettes à tâtons, il les rechaussa à la hâte, un peu de travers, et – plumeau à la main – ouvrit la porte.

— Eh bien ? qu’est-ce que c’est ? Tu ne vois pas que je suis occupé ? demanda-t-il de sa Voix Importante, ce qui était sa façon de se débarrasser des importuns ces temps-ci.

Lof ne remarqua rien. Il était dans un état pitoyable, la barbe en bataille, les cheveux dressés sur la tête, les vêtements en désordre. Il se tordait les mains, et quand un nain se tord les mains, c’est que la situation est désespérée. Pendant un bon moment, il fut incapable de parler, se contentant de branler du chef et de se tordre les mains en gémissant.

Les lunettes de Lambic n’étaient plus retenues que par une oreille et pendaient. Il les ôta, les fourra dans une poche de son gilet, et tapota gentiment Lof sur l’épaule.

— Du calme, mon vieux. Qu’est-ce qui se passe ?

Ainsi encouragé, Lof ravala ses sanglots et prit une inspiration tremblante.

— Secousse, parvint-il à articuler. C’est Secousse. Elle est morte. Les Elfes l’ont tuée. Je… je l’aie vue, Lambic !

Se prenant la tête dans les mains, il se remit à sangloter.

Silence total. Silence qui rayonnait de Lambic, rebondissait sur les murs, et revenait sur lui. Il n’entendait même plus les sanglots de Lof. Il n’entendait plus rien. La Bougonne-Batte s’était tue depuis longtemps. Maintenant, c’était Secousse qui se taisait à jamais. Tout était silencieux, tellement, tellement silencieux.

— Où est-elle ? dit-il, sachant qu’il posait la question mais incapable d’entendre le son de sa voix.

— Dans… la Farbrique, bredouilla Lof. Haplo est avec elle. Il… il dit qu’elle n’est pas morte… mais je le sais bien… je l’ai vue…

Lambic vit les lèvres de Lof remuer, mais n’entendit qu’un mot : Farbrique.

Ressortant ses lunettes, il les chaussa soigneusement, arrimant les branches à ses oreilles. Puis, entrainant Lof à sa suite, il se dirigea vers les tunnels secrets menant à la Farbrique.

Tout en marchant, il ralliait tous les nains qu’il rencontrait.

— Venez, leur disait-il. On va casser de l’Elfe !

La magie d’Haplo le transporta dans la Farbrique, seul lieu de Drevlin – autre que son vaisseau – qu’il pouvait clairement visualiser mentalement. Il avait pensé à sa nef. Une fois là, il pouvait sauver Secousse, la rendre à son peuple et retourner chez les siens. Il volerait vers Abarrach et tenterait, une fois de plus, de persuader son Seigneur que les reptiles se servaient de lui, se servaient d’eux tous.

L’idée lui traversa fugitivement la tête, mais il n’y donna pas suite. Sang-drax et les serpents-dragons manigançaient quelque chose – quelque chose d’important, quelque chose de grave. Les plans qu’ils avaient faits pour Arianus étaient en train d’échouer. Ils ne s’attendaient pas à l’évasion d’Iridal et d’Haplo, n’avaient pas fait entrer les Kenkaris dans leurs calculs. Ils devraient faire quelque chose pour contrer les effets bénéfiques de ce qu’Iridal pourrait accomplir au Mi-Royaume. Haplo croyait savoir ce que ce serait.

Il se matérialisa à l’intérieur de la Farbrique, près de la statue du Créchi-Crécha. Il posa Secousse devant le piédestal, et embrassa vivement les lieux du regard. Sa peau luisait faiblement, encore bleuâtre, résidu de la magie utilisée pour se transporter ici avec la naine, mais aussi avertissement. Les reptiles étaient proches. En bas, se dit-il. Dans leurs cavernes secrètes.

Quant aux dangers plus immédiats, il s’était préparé à affronter les soldats elfiens bivouaquant dans la Farbrique. Ils seraient stupéfaits de le voir se matérialiser à partir de rien. Pendant qu’ils seraient sous le choc, Haplo pourrait les réduire à l’impuissance.

Mais il n’y avait personne. La base de la statue avait été refermée, dissimulant l’entrée des tunnels. Les Elfes s’affairaient dans la Farbrique, mais ils étaient tous vers l’entrée de l’immense bâtisse, aussi loin que possible de la statue.

Les vacilampes étant éteintes, toute cette partie de la bâtisse était plongée dans l’ombre.

À la lueur du rayonnement bleu émanant de sa peau, Haplo contempla le visage bienveillant de la statue. Il y reconnut celui d’Alfred.

— Cette peur te ferait mal, n’est-ce pas, mon pauvre ami si maladroit, dit le Patryn.

Puis les ombres se déplacèrent, et Haplo vit le visage sévère de Samah sous le capuchon.

— Mais toi, tu penserais que leur peur est un tribut adéquat.

Secousse gémit et remua. Haplo s’agenouilla près d’elle, caché aux Elfes par la statue. Si l’un d’eux regardait de ce côté – éventualité d’ailleurs peu vraisemblable – il ne verrait qu’une pâle luminescence bleuâtre, qu’il attribuerait sans doute à un défaut de vision.

Mais d’autres yeux le surveillaient, avec lesquels il n’avait pas compté.

— Se… Secousse ! s’écria une voix horrifiée.

— Bon sang ! jura Haplo en se retournant.

Deux silhouettes sortirent de l’ombre, émergeant du trou du plancher menant aux tunnels secrets des nains.

Bien sûr, se dit Haplo, Lambic aurait posté des espions pour surveiller les Elfes. Les nains, après avoir gravi leur échelle, pouvaient s’asseoir dans l’obscurité et surveiller les mouvements de l’ennemi sans grands risques. Le seul inconvénient était la peur coulant à flots de la base de la statue, et émanant des reptiles cachés dessous.

Haplo remarqua qu’ils hésitaient à s’approcher de la statue ; pourtant, ils avancèrent, poussés par leur inquiétude pour Secousse.

— Elle va se remettre, dit Haplo d’un ton rassurant, espérant prévenir la panique.

Un seul cri, et tout était fini. Il aurait toute l’armée elfienne sur le dos.

— Elle a l’air mal en point, mais je vais…

— Elle est morte ! dit le nain dans un souffle. Les Elfes l’ont tuée !

— Lambic ! dit son compagnon. Il faut… prévenir Lambic !

Avant qu’Haplo ait pu articuler un mot de plus, ils s’étaient retournés et filaient vers l’entrée des tunnels. Il entendit leurs grosses bottes descendre lourdement l’échelle ; ils avaient oublié de refermer le panneau.

Épatant. Tel qu’Haplo connaissait Lambic, la moitié des nains de Drevlin n’allaient pas tarder à arriver. Enfin, il s’en occuperait le moment venu.

Se penchant sur Secousse, il prit ses deux mains dans les siennes, l’incluant dans le cercle de son être. Les runes s’avivèrent, passèrent de la main droite d’Haplo à la main gauche de Secousse. Sa santé et sa force coulèrent en elle ; la souffrance et les tortures de Secousse coulèrent en lui.

Il s’attendait à la souffrance et s’y était préparé. Il avait connu la même chose en guérissant Devon, le jeune Elfe de Chelestra. Mais ce fut beaucoup plus terrible cette fois, les tortures le ramenant dans le Labyrinthe.

De nouveau, les oiseaux cruels aux crocs tranchants et aux becs acérés déchirèrent sa chair, se repaissant de ses organes, le frappant de leurs ailes de cuir. Haplo serra les dents, ferma les yeux, se répétant que ce n’était pas réel, et tenant fermement Secousse.

Et une partie de sa force à elle – la force et le courage qui l’avaient maintenue en vie – coulèrent en lui.

Haplo frissonna violemment, pris du désir désespéré de mourir, tant la souffrance était insoutenable. Mais des mains fermes et vigoureuses tenaient les siennes, et une voix disait :

— Tout va bien. Ils sont partis. Je suis là.

C’était une voix de femme, de Patryn. Il le savait. C’était sa voix ! Elle lui était revenue. Là, dans le Labyrinthe, elle l’avait enfin retrouvé. Elle avait chassé les reptiles. Il était en sécurité avec elle, au moins pour le moment.

Mais les reptiles reviendraient, et il y avait l’enfant à protéger… leur enfant.

— Notre enfant ? demanda-t-il. Où est notre enfant ?

— Haplo ? dit la voix, maintenant perplexe. Haplo, tu ne me vois pas ? C’est moi, Secousse…

Haplo s’assit, le souffle coupé. Devant son visage – au niveau de ses yeux – il vit le visage effrayé et anxieux – et les favoris frémissants – d’une naine. La déception fut presque aussi terrible à supporter que la souffrance. Il ferma les yeux, ses épaules s’affaissèrent. C’était désespéré. Comment continuer ? Pourquoi continuer ? Il avait failli envers tous, envers elle, leur enfant, son peuple, le peuple de Secousse…

— Haplo ! dit Secousse d’une voix sévère. Ne fais pas l’idiot. Réveille-toi.

Il ouvrit les yeux, la vit debout près de lui ; les mains semblaient la démanger, et il eut l’impression que, s’il avait été barbu, elle lui aurait tiré la barbe – son remède usuel pour ramener Lambic à la réalité.

Haplo sourit, de son sourire tranquille, et se leva.

— Désolé, dit-il.

— Où est-ce que j’étais ? Qu’est-ce que tu m’as fait ? demanda-t-elle, soupçonneuse.

Très pâle, elle semblait effrayée.

— Le… l’Elfe m’a fait du mal.

Son visage se fit perplexe.

— Sauf que ce n’était pas un Elfe. C’était un horrible monstre aux yeux rouges…

— Je sais, dit Haplo.

— Il est parti ? Il est parti, hein ? dit-elle, s’éclairant d’espoir. Tu l’as chassé.

Haplo la regarda en silence.

Elle secoua la tête, l’espoir s’évanouissant.

— Il n’est pas parti ?

— Non, il est là. En bas. Et il n’est pas tout seul. Il y en a d’autres, beaucoup d’autres. L’Elfe, Sang-drax, n’était qu’un parmi beaucoup. Ils peuvent entrer dans ton monde de la même façon que j’y suis entré.

— Mais comment… ? gémit-elle.

— Chut ! fit Haplo en levant la main.

Des bruits de pieds, de nombreux pieds, lourdement bottés, retentissaient au-dessous d’eux. Des voix de basse clamaient leur colère ; et se répercutaient dans les tunnels. Les pieds bottés commencèrent à gravir l’échelle menant à la Farbrique.

Le bruit montant des souterrains ressemblait aux roulements du tonnerre qui ébranlaient Drevlin en permanence. Les soldats elfiens étaient debout, saisissaient leurs armes, leurs officiers criaient des ordres. Ils attendaient une attaque des nains ; ils étaient préparés.

Haplo se rua vers l’entrée du tunnel, où la foule des nains qui en émergeaient faillit le renverser. Les Elfes retournaient leurs lits à la hâte pour élever une barricade. Les portes de la Farbrique s’ouvrirent en coup de vent, une bourrasque de pluie s’y engouffra. Les éclairs fulgurèrent ; le tonnerre crépita, couvrant presque les vociférations des nains. Quelqu’un cria en elfien que toute la communauté des nains était en armes. Un officier hurla en réponse qu’ils n’attendaient que ça, pour exterminer les petits « Guègues ».

Près d’Haplo, Lambic chargea. Enfin, il supposa que c’était Lambic. Le visage du nain était convulsé de haine, de fureur et de désir homicide. Haplo ne l’aurait pas reconnu, si ce n’eût été ses lunettes, fermement plantées sur son nez et arrimées autour de sa tête par un long morceau de ficelle. Dans une main, il avait une hache d’armes à l’air redoutable, et dans l’autre – inexplicablement – un plumeau.

Lambic passa en courant près d’Haplo, dirigeant la charge qui se ruait vers les premiers rangs disciplinés des Elfes.

— Vengez Secousse ! vociféra Lambic.

— Vengeons Secousse ! répondirent les nains d’une seule voix.

— Je n’ai pas besoin qu’on me venge ! glapit Secousse d’une voix stridente du piédestal de la statue. Ce n’étaient pas les Elfes, Lambic ! hurla-t-elle en se tordant les mains. Ne fais pas l’idiot !

Bon, ça avait déjà marché, se dit Haplo, tendant le bras pour lancer le sortilège qui les figerait tous à leur place. Mais le chant mourut sur ses lèvres. Il regarda sa peau, qui brillait d’un bleu éclatant rayé de rouge.

La statue du Créchi-Crécha s’anima et tourna sur sa base.

Secousse perdit l’équilibre, et tomba du piédestal en criant. Lambic n’avait pas entendu ses paroles, mais il entendit son cri. Il interrompit sa course, se retourna vers l’endroit d’où provenait le son, vit Secousse qui se relevait et la statue qui s’ouvrait lentement.

L’horreur, la crainte et la terreur précédant les reptiles hors du tunnel agirent plus efficacement que n’importe quel sortilège d’Haplo pour stopper l’avance des nains. Ils s’arrêtèrent dans une bousculade générale, et, éberlués, contemplèrent le trou. Fureur et soif de sang les abandonnèrent, ne laissant derrière elles que des coques vides et tremblantes. Les Elfes, plus éloignés de l’entrée des tunnels, ne voyaient pas exactement ce qui se passait, mais ils virent la statue géante tourner sur sa base, entendirent le roulement de son mécanisme. Et eux aussi ressentirent la peur. Accroupis derrière leur barricade, les mains crispées sur leurs armes, ils regardèrent, nerveux et interrogateurs, leurs officiers qui eux-mêmes n’avaient pas l’air à leur aise.

— Ça ne marchera pas, Sang-drax ! hurla Haplo.

Par les oreilles du chien, il entendait Hugh parler avec Trian. Il entendait les paroles si douloureuses d’Iridal.

— Tu es vaincu ! Tourment est mort ! L’alliance durera. La paix s’établira ! Tu ne peux plus rien faire maintenant !

Oh si ! murmura Sang-drax dans l’esprit d’Haplo.

Regarde !

Moitié trébuchant, moitié courant, Secousse rejoignit Lambic.

— Il faut partir ! glapit-elle d’une voix stridente, le martelant de ses poings et manquant le renverser. Dis-le à tout le monde. Il faut fuir. Un… un horrible monstre arrive. Il vit en bas, dans les souterrains. Haplo dit…

Lambic savait qu’un monstre arrivait, horrible, hideux, maléfique. Il savait qu’il devait s’enfuir, ordonner à chacun de se sauver à toutes jambes, mais il n’arrivait pas à articuler les mots. Il avait trop peur. Et sa vue n’était plus nette. Ses lunettes étaient embuées de la sueur dégoulinant de son front. Et il ne pouvait pas les ôter. La ficelle était nouée derrière sa tête, et il n’osait pas lâcher sa hache d’armes pour la dénouer.

Des formes noires, des êtres horrifiques coulèrent hors du trou.

C’étaient… Elles étaient…

Lambic cligna des yeux, essuya ses lunettes de sa manche.

— Que… qu’est-ce que c’est, Secousse ? demanda-t-il.

— Oh ! Lambic !

Elle prit une inspiration tremblante.

— Lambic… c’est nous !