CHAPITRE 29
PAXAUA,
ARISTAGON, MI-ROYAUME
Le Dragon aux Sept Yeux, nef ainsi nommée d’après un monstre légendaire du folklore elfien[35], atterrit sans problème, quoique lourdement, à Paxaua.
Sans se presser, le capitaine se dirigea vers l’officier de la douane.
— Pas de contrebande, Capitaine ? s’enquit le douanier.
— Certainement pas, Excellence, répondit le capitaine, saluant en souriant. Voulez-vous consulter le journal de bord de la nef ? dit-il, montrant sa cabine.
— Oui, je vous remercie, dit le douanier avec raideur.
Ils quittèrent le pont, entrèrent dans la cabine. La porte se referma derrière eux.
— Mes fruits ! Je veux mes fruits ! glapissait un marchand, s’agitant sur le pont, se prenant les pieds dans les filins et manquant tomber tête la première dans une écoutille.
Un matelot le pilota vers le lieutenant, qui avait l’habitude de régler ces problèmes.
— Je veux mes fruits ! haleta le marchand.
— Désolé, monsieur, répondit poliment le lieutenant, mais nous ne pouvons pas décharger avant d’avoir reçu l’autorisation de la douane.
— Combien de temps ça va prendre ? demanda le marchand, au supplice.
Le lieutenant jeta un coup d’œil vers la cabine du capitaine. Environ trois verres de vin, aurait-il pu dire.
— Je peux vous assurer, monsieur… commença-t-il.
Le marchand renifla.
— Je les sens ! Les fruits du pua. Ils pourrissent !
— Ce doit être l’odeur des galériens, dit le lieutenant, pince-sans-rire.
— Laissez-moi les voir, au moins, supplia le marchand, s’épongeant le visage de son mouchoir.
Le lieutenant, après mûre réflexion, décida que c’était possible et le précéda vers l’échelle descendant à la cale. Ils passèrent devant les passagers, alignés le long de la rambarde, faisant bonjour aux parents et amis venus les accueillir. Eux non plus ne pourraient pas quitter la nef avant qu’ils n’aient été interrogés, et leurs bagages visités.
Le marchand, soudain alarmé, se cramponna au lieutenant, manquant l’expédier par-dessus bord.
— Des hu… humains, bredouilla-t-il.
Le lieutenant, devant sa pâleur et ses yeux révulsés, saisit son épée et chercha du regard des dragons dans le ciel, supposant qu’il y en avait une armée, pour le moins. Ne voyant rien de plus menaçant que quelques nuages, il regarda le marchand avec sévérité. Celui-ci, toujours tremblant, tendit le doigt.
Il avait effectivement découvert des humains – deux. Deux passagers debout à l’écart des autres, vêtus de longues robes noires, leurs capuchons rabattus sur le visage, surtout le plus petit. Le marchand ne voyait pas leurs traits, mais il savait que c’étaient des humains. Aucun Elfe n’avait des épaules aussi larges et musclées que le plus grand, et personne, si ce n’est un humain, n’aurait porté des vêtements en tissu si grossier et de cette couleur maléfique. Tout le monde à bord, y compris les esclaves humains, s’écartait d’eux.
Le lieutenant, extrêmement contrarié, rengaina son épée.
— Par ici, monsieur, dit-il, entrainant le marchand éberlué.
— Mais ils… ils circulent en liberté !
— Oui, monsieur, dit le lieutenant.
L’Elfe, fixant les humains avec une fascination horrifiée, trébucha dans l’écoutille ouverte.
— Nous y voilà. Faites attention. Il ne faudrait pas que vous tombiez et vous tordiez le cou, dit le lieutenant, levant les yeux au ciel, peut-être pour lui demander la force de résister à la tentation.
— Ils ne devraient pas être dans les fers ? Enchainés, ou autre chose ? demanda le marchand, commençant prudemment la descente.
— Sans doute, dit le lieutenant, se préparant à le suivre. Mais cela nous est interdit.
— Interdit !
Le marchand s’arrêta, indigné.
— Je n’ai jamais entendu une chose pareille. Et interdit par qui ?
— Par les Kenkaris, dit le lieutenant, imperturbable, avec la satisfaction de voir pâlir le marchand.
— Sainte Mère, répéta le marchand, cette fois d’un ton plus révérencieux. Pour quelle raison ? demanda-t-il en un murmure. Si ce n’est pas un secret, naturellement.
— Pas du tout. Ces deux-là sont ce que les humains appellent des « moines de la mort ». Ils viennent à la cathédrale en saint pèlerinage, et on leur accorde une autorisation de séjour pourvu qu’ils n’adressent la parole à personne.
— Des moines de la mort ! Eh bien, en voilà une histoire ! dit le marchand, descendant dans la cale où il trouva ses fruits en parfait état, à peine un peu talés après une traversée mouvementée.
Le douanier sortit de la cabine du capitaine en s’essuyant les lèvres, le teint plus fleuri qu’à son entrée, avec, aux alentours de sa poche de poitrine, une bosse qui ne s’y trouvait pas auparavant, et un air satisfait qui avait remplacé son air renfrogné. Le douanier tourna son attention sur les passagers, impatients de débarquer.
Son visage s’assombrit.
— Des moines Kirs, hein ?
— Oui, Excellence, répondit le capitaine. Ils ont embarqué à Sunthas.
— Ils ont causé des problèmes ?
— Non, Excellence. Ils avaient une cabine particulière. C’est la première fois qu’ils en sortent. Les Kenkaris ont décrété que nous devions leur assurer un passage sans danger, ajouta-t-il au douanier, qui continuait à froncer les sourcils. Leur personne est sacrée.
— Oui, et votre bénéfice aussi, dit le douanier, ironique. Vous leur avez sans doute demandé six fois le prix du passage.
Le capitaine haussa les épaules.
— Il faut bien gagner sa vie, Excellence, éluda-t-il.
Le douanier haussa les épaules. Après tout, il avait reçu sa part.
— Je dois leur poser quelques questions, je suppose.
Il grimaça de dégoût à cette idée, et sortit son mouchoir de sa poche.
— Ai-je le droit de les questionner ? ajouta-t-il, dubitatif. Les Kenkaris ne s’en offenseront pas ?
— Pas du tout, Excellence. Et le contraire ferait mauvais effet pour les autres passagers.
Le douanier, soulagé de savoir qu’il n’allait pas commettre quelque terrible manquement à l’étiquette, décida de s’acquitter de cette tâche désagréable aussi vite que possible. Il s’approcha des deux moines, toujours debout à l’écart. Ils s’inclinèrent en silence à son approche. Il s’arrêta à une longueur de bras, couvrant de son mouchoir sa bouche et son nez.
— Vous, être d’où ? demanda-t-il en petit nègre.
Les moines s’inclinèrent mais ne répondirent pas. Le douanier fronça les sourcils, mais le capitaine, s’avançant vivement, lui murmura :
— Il leur est interdit de parler.
— Ah oui ?
Le douanier réfléchit un instant.
— Vous parler moi, dit-il en se frappant la poitrine. Moi, chef.
— Nous sommes de l’Exil de Pitrin, Excellence, dit le plus grand, avec une nouvelle révérence.
— Vous aller où ? demanda le douanier, feignant de ne pas remarquer que le moine s’était exprimé en excellent elfien.
— Nous faisons un saint pèlerinage à la Cathédrale de l’Albédo, répondit le même moine.
— Quoi dans les sacs ? dit le douanier, avec un regard méprisant sur leur humble bagage.
— Des articles que nos frères nous ont demandés, herbes, potions et remèdes divers. Voulez-vous les examiner ? demanda humblement le moine en ouvrant son sac, d’où s’échappa une forte odeur de pourriture.
Le douanier voyait d’ici ce qu’il contenait. Il eut un haut-le-cœur, plaqua plus fermement son mouchoir sur son nez et secoua la tête.
— Fermez-moi ça ! Vous, asphyxier tout le monde ! Et votre ami, pourquoi rien dire ?
— Il n’a pas de lèvres, Excellence, et il a perdu une partie de sa langue. Un terrible accident. Désirez-vous voir ?…
Le douanier recula d’horreur. Il remarqua alors que l’autre moine portait des gants noirs, et qu’il semblait avoir les doigts crochus et déformés.
— Certainement pas. Vous êtes déjà assez laids comme ça, vous autres humains, grommela-t-il entre ses dents.
Il n’aurait pas fallu offenser les Kenkaris qui – pour une étrange raison – avaient formé des liens avec ces goules.
— Alors, débarquez. Vous avez cinq jours pour effectuer votre pèlerinage. Prenez vos papiers à la capitainerie. Cette maison, sur la gauche.
— Oui, Excellence. Merci, Excellence, dit le moine, s’inclinant une dernière fois.
Le Kir ramassa les deux sacs, les chargea sur son épaule, puis il soutint son compagnon qui avançait à pas lents, le dos voûté. Ensemble, ils descendirent la passerelle, passagers, équipage et esclaves s’écartant le plus loin possible.
Le douanier frissonna.
— Ils me donnent la chair de poule, dit-il au capitaine. Je parie que vous êtes bien content d’en être débarrassé.
— En effet, Excellence, dit le capitaine.
Hugh et Iridal n’eurent aucune difficulté à obtenir les papiers qui leur permettraient de passer cinq cycles dans le royaume de Paxaria, après quoi ils devraient partir ou risquer la prison. Même les Kenkaris ne pouvaient pas protéger leurs frères s’ils dépassaient leur autorisation de séjour.
Le lien entre les deux sectes religieuses, dont les races étaient ennemies presque depuis la fondation d’Aristagon, remonte à Krenka-Anris, l’Elfe Kenkari qui découvrit le secret magique pour recueillir les âmes des morts.
Et, bien qu’au cours des siècles, leurs vues sur la vie et la mort aient divergé, et fussent maintenant fort éloignées, les moines Kirs et les Elfes Kenkaris n’avaient jamais oublié que leurs deux troncs étaient nés d’une même semence. Les Kenkaris faisaient partie des rares personnes autorisées à entrer dans un monastère Kir, et les Kirs étaient les seuls humains pouvant venir officiellement en pays elfien.
Hugh, élevé par les moines Kirs, connaissait ces liens, savait que ce déguisement était la seule façon d’entrer en pays elfien. Il s’en était déjà servi avec succès dans le passé, et il avait pris la précaution de se procurer deux habits de moine avant de quitter le monastère, un pour lui, et un pour Iridal.
Aucune femme n’étant acceptée dans l’ordre, Iridal devait garder couvertes sa tête et ses mains, et s’abstenir de parler. Ce n’était pas difficile, car la loi elfienne interdisait aux Kirs d’adresser la parole à un Elfe. Les Elfes éprouvaient pour les Kirs une aversion et une crainte superstitieuse qui, les tenant à l’écart de Hugh et d’Iridal, leur faciliteraient le voyage.
Le fonctionnaire de la capitainerie les expédia avec une hâte insultante, leur jetant leurs papiers à distance.
— Comment aller à la Cathédrale de l’Albédo ? demanda Hugh en parfait elfien.
— Moi pas comprendre, dit l’Elfe en secouant la tête.
— Alors, le meilleur chemin pour la montagne ? insista Hugh.
— Moi pas parler l’humain, dit l’Elfe en lui tournant le dos.
Les yeux de Hugh flamboyèrent, mais il ne dit rien. Il prit leurs papiers, les glissa sous sa ceinture de corde, et s’engagea dans les rues animées du port de Paxaua.
Suivant la foule, ils abordèrent ce qui semblait la rue principale.
— Ce ne sera pas facile de demander le chemin, remarqua Iridal à voix basse au bout de quelques instants. Personne ne nous approche. Ils… ils nous dévisagent, c’est tout.
— On s’arrangera. Ne vous inquiétez pas. Ils n’oseront pas nous attaquer.
Ils continuèrent à marcher, leurs robes noires faisant comme deux trous sombres dans la foule des Elfes en vêtements chatoyants. Partout où se dressaient leurs sombres silhouettes, la vie s’arrêtait.
Iridal, regardant les yeux des passants, y vit de la haine, non pas pour ce qu’elle était – ce qui l’étonna – mais pour ce qu’elle apportait – la mort. Le rappel de leur mortalité. Bien qu’ils vivent très longtemps, les Elfes ne vivent pas éternellement.
Ils continuèrent à marcher, au hasard, semblait-il à Iridal, tout en allant toujours dans la même direction, les montagnes sans doute, qu’elle ne voyait plus, cachées qu’elles étaient par les hauts édifices.
Elle finit par réaliser que Hugh cherchait quelque chose. Sa tête encapuchonnée se tournait de droite et de gauche, examinant les échoppes et les enseignes. Il quittait une rue sans raison apparente, l’entrainait dans une autre parallèle à la précédente. Puis il s’arrêtait, examinait des rues divergentes, en choisissait une et partait dans cette direction. Un tournant à gauche les amena dans la rue des herboristes.
Il sembla enfin approcher de son but, car il pressa le pas, ne jetant que de brefs regards sur les enseignes des boutiques. Ils laissèrent bientôt derrière eux les grandes herboristeries, et continuèrent vers le centre de Paxaua. Là, les boutiques étaient plus petites et plus sales. La foule était aussi plus clairsemée, ce dont Iridal se félicita, et de plus basse classe.
Hugh jeta un coup d’œil sur sa droite, se pencha vers Iridal.
— Vous tombez en faiblesse, murmura-t-il.
Iridal trébucha, se raccrocha à lui, chancela. Hugh la soutint, regardant autour de lui.
— De l’eau ! cria-t-il. Je demande de l’eau pour mon compagnon. Il se trouve mal !
Les quelques Elfes de la rue disparurent. Iridal s’affaissa dans les bras de Hugh. Moitié la portant, moitié la traînant, il s’approcha d’une colonne surmontée d’une enseigne annonçant une nouvelle herboristerie.
— Reposez-vous là, dit-il à voix haute. Je vais entrer demander de l’eau. Ouvrez l’œil, ajouta-t-il entre ses dents avant de la quitter.
Iridal hocha la tête, et tira un peu plus son capuchon sur son visage. Elle ne voyait pas ce qu’il cherchait, mais elle était sure que ce n’était pas de l’eau.
L’Elfe debout derrière le comptoir n’eut pas l’air ravi de le voir.
— Moi pas aimer ta race. Va-t’en ! dit l’Elfe en montrant la porte.
Hugh leva la main droite, paume ouverte, comme pour saluer.
— Mon compagnon se trouve mal. Je veux une tasse d’eau. Et le chemin de la Cathédrale. Au nom des Kenkaris, tu ne peux pas refuser.
L’Elfe le considéra en silence, jetant un regard furtif vers la porte.
— Hé, moine, toi pas rester là ; mauvais pour affaires ! cria-t-il à Iridal avec irritation. Entre, entre.
Hugh retourna aider Iridal à se lever, à entrer dans la boutique.
L’Elfe claqua la porte. Puis, se tournant vers Hugh, il dit à voix basse :
— Qu’est-ce que tu veux, mon frère ? Vite, le temps presse.
— Le chemin le plus court pour aller à la Cathédrale de l’Albédo.
— Où ? fit l’Elfe, étonné.
Hugh répéta sa question.
— Très bien, dit l’Elfe, perplexe mais obligeant. Retourne à la Rue des Forgerons, tourne dans la Rue des Joaillers et suis-la jusqu’au bout. Elle débouche sur une grande artère qu’on appelle la Voie Royale. Elle fait quelques tours et détours, mais elle te conduira dans la montagne. Le col est très surveillé, mais tu ne devrais pas avoir de problème. Ces déguisements – fameuse idée. Mais ils ne te permettront pas d’entrer à l’Imperanon. Car je suppose que c’est ta destination.
— Nous allons à la cathédrale. Où est-elle ?
L’Elfe branla du chef.
— Crois-moi, mon frère, n’y va pas. Les Kenkaris verront tout de suite que vous êtes des imposteurs. Et il ne faut jamais irriter les Kenkaris.
Hugh ne répondit pas ; attendit patiemment.
L’Elfe haussa les épaules.
— C’est ton enterrement ; pas le mien. L’Imperanon est construit sur le flanc de la montagne. La cathédrale est en face, sur un large plateau. C’est un immense dôme de cristal au milieu d’une cour ronde. On la voit à des menkas. Crois-moi, tu n’auras pas de mal à la trouver. Mais pourquoi tu veux y aller, ça me dépasse. Enfin, c’est ton affaire. Je peux faire autre chose pour toi ?
— La rumeur prétend que les Kenkaris ont cessé d’accepter les âmes.
L’Elfe haussa les sourcils. À l’évidence, il ne s’attendait pas à cette question. Il jeta un coup d’œil dans la rue par la fenêtre, puis sur la porte pour s’assurer qu’elle était fermée, et prit encore la précaution de baisser la voix.
— C’est vrai, mon frère. On en parle dans toute la ville. Quand tu arriveras à la cathédrale, tu trouveras la porte fermée.
— Merci de ton aide, mon frère, dit Hugh. Nous allons partir. Nous ne voulons pas te causer de problèmes. Les murs ont bougé.
Ils se préparèrent à partir.
— Tiens, bois ça, dit l’Elfe, tendant une tasse d’eau à Iridal, qu’elle accepta avec gratitude. Tu as l’air d’en avoir besoin. Tu es sûr que je ne peux rien faire de plus pour toi, mon frère ? Poison ? J’ai en stock un excellent venin de serpent. Parfait pour donner du mordant à ta dague…
— Non, merci, dit Hugh.
— Tant pis, dit-il joyeusement.
Il ouvrit brusquement la porte et son visage se renfrogna.
— Débarrassez le plancher, chiens d’humains ! Et dites aux Kenkaris qu’ils me doivent une bénédiction !
Il les jeta rudement à la rue et claqua la porte derrière eux. Ils se retrouvèrent sur la chaussée, l’air – espérait Iridal – aussi perdus et découragés qu’elle se sentait.
— On dirait qu’on s’est trompés de chemin, dit Hugh tout haut en humain, à l’intention, présuma Iridal, des Invisibles.
Ainsi, c’était la garde d’élite elfienne qui les suivait. Elle regarda autour d’elle, ne vit rien ni personne. Elle ne vit même pas les murs remuer, se demanda comment Hugh s’en était aperçu.
— Il faut revenir sur nos pas, lui dit-il.
Iridal accepta le bras qu’il lui offrait, et s’appuya sur lui, pensant avec lassitude au long chemin qu’il leur restait à parcourir.
— Je n’imaginais pas que votre travail était si fatigant, murmura-t-elle.
Il la regarda en souriant ; chose rare.
— La montagne est encore loin, j’en ai peur, et nous ne pouvons pas prendre le risque de nous arrêter.
— Oui, je comprends.
— Votre magie doit vous manquer, dit-il, lui tapotant la main, toujours souriant.
— Et vous, c’est votre pipe qui doit vous manquer, dit-elle, resserrant sa main sur la sienne.
Ils marchèrent un bon moment dans un silence amical.
— Vous cherchiez cette boutique, n’est-ce pas ?
— Pas celle-là en particulier, répondit Hugh. Une boutique avec un certain signe à l’étalage.
Traduction : Les Invisibles nous suivent.
D’abord, Iridal ne put se rappeler aucun signe. La boutique était si pauvre et si délabrée ! Rien ne pendait au-dessus de la porte. Puis elle se souvint d’un panneau dans l’étalage. Grossièrement dessiné, et représentant… une main.
La fraternité faisait ici ses affaires au grand jour, semblait-il. Elfe et humain – étrangers, ennemis mortels – et pourtant ils risquaient leur vie pour s’aider, unis par un lien de sang et de mort. De mal, assurément, mais cela n’était-il pas un germe de bien pour l’avenir ? N’était-ce pas la preuve que les deux races n’étaient pas naturellement ennemies, comme certains le clamaient des deux côtés ?
Les chances de paix reposent sur nous, pensa Iridal. Nous devons réussir. Pourtant, maintenant qu’elle était dans ce pays étranger, dans cette culture étrangère, ses espoirs de retrouver son fils diminuaient.
Ils s’engagèrent dans une large avenue, signalée par l’écusson du Roi de Paxaria. Une fois de plus, ils se retrouvèrent entourés par la foule et cernés par le silence.
En silence, ils continuèrent.