CHAPITRE 16
MATRICIA,
DREVLIN, BAS-ROYAUME
Secousse était assise par terre en tailleur dans la Farbrique, près de la statue du Créchi-Crécha, s’efforçant de ne pas regarder l’ouverture menant à l’escalier qui descendait dans les étranges tunnels. Pourtant, chaque fois qu’elle se promettait de ne pas la regarder, elle se surprenait les yeux fixés dessus.
Attendant, guettant Lambic.
Elle avait minutieusement prévu ce qu’elle ferait quand Lambic tituberait hors du trou en clignant ses yeux myopes. Elle créerait une diversion, comme celle qu’elle avait créée en bas, dans les tunnels. Elle ferait celle qui veut s’échapper. Elle courrait vers le devant de la Farbrique, s’éloignant de la statue. Cela donnerait à Lambic le temps de regagner les tunnels des nains qu’ils avaient pris pour venir.
J’espère seulement qu’il ne fera rien d’idiot et de chevaleresque, se dit Secousse, son regard revenant involontairement à la statue. Comme essayer de me sauver. C’est ce que l’ancien Lambic aurait fait. Heureusement, il a davantage de bon sens maintenant.
Oui, il a davantage de bon sens. Il est très raisonnable. C’était raisonnable de sa part de me sacrifier, de laisser les Elfes me capturer, de me laisser les entraîner loin de la salle de l’automate. C’était mon plan après tout. Lambic l’a accepté immédiatement. Très raisonnable de sa part. Il n’a pas discuté, n’a pas cherché à me convaincre de rester, n’a pas proposé de m’accompagner.
« Fais attention, ma chère, dit-il, me regardant à travers ses infernales lunettes, et ne leur parle pas de cette salle. »
Très raisonnable, tout ça. J’admire les gens raisonnables.
Et c’est pourquoi Secousse s’étonna de son désir soudain de lui expédier un grand coup de poing dans la figure.
Courant dans le couloir, elle avait plus peur d’Haplo dont la peau flamboyait de sa magie, que des Elfes. Elle avait failli réussir l’exécution de son plan, mais alors, Tourment avait parlé des Guègues en elfien en montrant le couloir menant à la salle.
Après quoi, tout n’avait plus été que confusion. De peur qu’ils ne trouvent Lambic, Secousse s’était découverte, criant qu’elle était seule. Tourment avait disparu en haut de l’escalier. Quelque chose siffla à son oreille. Elle entendit Haplo pousser un cri de douleur. Regardant autour d’elle, elle le vit se tordre sur le sol, la lumière magique de son corps s’estompant rapidement. Elle se retourna pour lui porter secours, mais deux Elfes la saisirent.
Un autre Elfe se pencha sur Haplo, l’examina de près. Les autres restèrent en arrière. Un cri venu d’en haut, suivi de gémissements, lui apprit que les Elfes étaient parvenus à rattraper Tourment.
L’Elfe agenouillé près d’Haplo regarda ses hommes, dit quelque chose que Secousse ne comprit pas, accompagné d’un geste impérieux. Les deux Elfes la traînèrent dans l’escalier jusque dans la Farbrique.
Elle trouva Tourment assis par terre, l’air content de lui. Le chien s’était couché près de l’enfant, qui avait la main sur le cou de l’animal. Chaque fois que le chien voulait se lever, sans doute pour rejoindre son maître, Tourment l’obligeait à se rasseoir.
— Ne bouge pas ! dirent les Elfes à Secousse, en un nain approximatif.
Elle obéit docilement et s’assit près de Tourment.
— Où est Lambic ? lui chuchota l’enfant en nain.
Quand avait-il appris à parler sa langue ? La dernière fois, il ne parlait pas le nain. Elle venait seulement de le remarquer, et trouva que c’était irritant.
Secousse le considéra, l’œil vide, comme s’il avait parlé elfien et qu’elle n’ait pas compris. Regardant subrepticement leurs gardes, elle les vit absorbés dans une conversation à voix basse, les vit regarder plus d’une fois vers l’ouverture de la statue.
Se retournant vers Tourment, Secousse posa deux doigts sur son bras et le pinça très fort.
— Je suis seule, lui dit-elle. Et n’allez pas vous aviser de l’oublier !
Tourment ouvrit la bouche pour crier, mais un regard sur le visage de Secousse l’en dissuada. Dorlotant son pinçon, il s’écarta et alla s’asseoir un peu plus loin. Maintenant, il se taisait, immobile et silencieux, soit boudant, soit ruminant un autre mauvais coup.
Secousse ne put s’empêcher de penser que, d’une certaine façon, tout était de sa faute. Elle décida qu’elle n’aimait pas Tourment.
Lambic n’arrivait pas. Il ne venait pas la délivrer. Ou la rejoindre. Il était… raisonnable.
Des bruits de bottes ébranlèrent le sol de la Farbrique. Une voix retentit, les soldats se mirent au garde-à-vous. Secousse, l’espoir au cœur, s’apprêta à courir. Mais ce ne fut pas le responsable chef du VLAN qui apparut avec ses lunettes.
Ce n’était qu’un Elfe. Et il ne venait pas de la statue, mais du devant de la Farbrique. Secousse soupira.
Montrant Tourment et Secousse, l’Elfe dit quelque chose en sa langue que Secousse ne comprit pas. Les gardes obéirent avec empressement, l’air soulagé. Tourment, l’air ragaillardi, se leva d’un bond. Secousse ne bougea pas.
— Viens, Secousse, dit l’enfant, avec un sourire magnanime qui pardonnait tout. Ils nous emmènent.
— Où ? demanda-t-elle, soupçonneuse, se levant lentement.
— Voir le seigneur commandant. Ne t’inquiète pas. Tout ira bien. Je m’occuperai de toi.
Secousse n’était pas convaincue.
— Où est Haplo ?
Secousse se renfrogna, croisa les bras, bien résolue à ne pas bouger si nécessaire.
— Comment veux-tu que je le sache ? dit Tourment en haussant les épaules. La dernière fois que je l’ai vu, il était en train de déchaîner sa magie. Je suppose que ça n’a pas marché, ajouta-t-il.
Avec suffisance, jugea Secousse.
— Ça n’a pas marché. Il a été blessé. Les Elfes lui ont lancé un couteau.
— Dommage, dit Tourment, ses grands yeux bleus dilatés, Est-ce que… Lambic était avec lui ?
Secousse le regarda, sans expression.
— Lambic qui ?
Tourment rougit de colère, mais il n’eut pas le temps d’insister car un garde interrompit leur conversation.
— Avance, Guègue, ordonna-t-il en nain.
Secousse n’avait pas envie d’avancer. Elle n’avait pas envie de voir le seigneur commandant. Elle n’avait pas envie de partir sans savoir ce qu’étaient devenus Haplo et Lambic. Elle allait s’arc-bouter avec défi sur ses positions, ce qui lui aurait sûrement valu un coup de la part du garde, quand il lui vint soudain à l’idée que Lambic se cachait peut-être en bas, attendant cette occasion précise. Attendant que les gardes s’en aillent pour sortir.
Docilement, elle emboîta le pas à Tourment.
Derrière eux, un Elfe cria une question. L’Elfe qui arrivait répondit par quelque chose qui semblait un ordre.
Mal à l’aise, Secousse jeta un coup d’œil en arrière.
Plusieurs Elfes se rassemblaient autour de la statue.
— Qu’est-ce qu’ils font ? demanda-t-elle à Tourment, craintive.
— Ils gardent l’ouverture, répondit Tourment avec un sourire madré.
— Oh ! Tourment, soupira Secousse. Sois raisonnable.