LE FIGURANT RAVI
Le célèbre bandit Veerappan, cet homme longiligne à la fameuse et très noire moustache broussailleuse, a hanté les jungles du sud de Vlnde pendant toute une génération... M. Veerappan est accusé d'avoir commis 141 meurtres... Dimanche dernier, il a accompli ce que la police considère comme son forfait le plus hardi et le plus diabolique... Il a kidnappé Rajkumar, Vacteur vedette adoré de tous qui, ayant incarné à l'écran des dieux hindous, des rois d'antan et des héros en tout genre, bénéficie d'une véritable aura mystique.
New York Times, le 3 août 2000.
Ô Thepsis, ma muse, ma chance, mon malheur !
Comme toi, je suis béni des dieux : ils m'ont doté d'un talent dramatique immense et débordant. Pourvu dès la naissance d'un visage héroïque et du profil aquilin d'un Barrymore, j'avais la souplesse extraordinaire d'un diable à ressort du kabuki. Pour autant, loin de me contenter des atouts que la providence m'avait accordés, je me suis immergé avec assiduité dans le théâtre classique, la danse, le mime. On a dit de moi que d'un seul froncement de
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sourcil je pouvais accomplir davantage que la plupart des acteurs avec la totalité de leur corps.
Aujourd'hui encore, les élèves de l'atelier d'été du Neighborhood Playhouse se remémorent, émus, avec quel souci de la psychologie j'ai incarné Hjalmar Ekdal, le fils photographe du Canard sauvage d'Ibsen. Les inconvénients de la vie d'un homme de théâtre, c'est qu'en deçà d'un revenu minimal, le nombre de calories ingérées au quotidien est si bas qu'on risque de mourir de faim. Cela explique que j'occupe également le poste d'aide-serveur au Taco-Pox, un restaurant mexicain qui happe la clientèle de La Cienaga Boulevard avec la même efficacité Carnivore qu'un attrape-mouches de Vénus.
Ce jour-là, Mel Marmoset avait laissé un message sur mon répondeur Phone-Mate. Oui, Marmoset, l'agent tout-puissant de l'omnipotente agence Career-Busters, le vivier de talents le plus en vue de Los Angeles, excusez du peu. J'ai compris que la chance me souriait. J'allais enfin récolter le fruit de mon labeur. Je fus conforté dans mon intuition quand Marmoset m'annonça que je pouvais utiliser l'ascenseur particulier réservé aux stars du box-office. Je n'aurais donc pas à mettre en péril mes poumons en ayant à respirer le même air vicié qu'un vulgaire second rôle. Je pressentais que ma convocation était en rapport avec le best-seller intitulé Le Mariage des Asticots. Je savais que le rôle de Harry Magma était convoité par tous les petits rigolos du Syndicat des acteurs américains.
Possédant ce mélange unique dp noblesse de cœur et de sang-froid, j'allais être
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objectivement impeccable dans le rôle de l'intel-lectuel tragique.
« Je crois avoir quelque chose pour toi, fiston », m'annonça Marmoset.
Je me trouvais face à lui dans son bureau redécoré par deux nouveaux designers ultra-chics de Hollywood, une subtile combinaison de postmoderne et de Visigoth.
« Si c'est le rôle de Harry Magma, je tiens à ce que le réalisateur sache que j'utiliserai des prothèses. Je l'imagine bossu comme un vieil avare rabougri, désabusé par des années d'échecs, voire enduit de torchis.
— À vrai dire, pour ce qui est du rôle de Magma, ils sont en train d'en parler à Dustin. Non, là il s'agit d'un tout autre projet. Un thriller. L'histoire d'un ivrogne qui a pour mission d'aller récupérer une caillasse, genre pierre de lune, incrustée entre les deux yeux d'un bouddha ou de je ne sais quelle idole. J'ai lu le scénario en diagonale, mais j'ai eu le temps d'en saisir la substantifique moelle avant que Morphée, dans sa miséricorde, me tende les bras.
— Je vois. Ainsi je jouerai un soldat de fortune.
Un rôle qui me fournira l'occasion de mettre en œuvre tout ce que j'ai pu apprendre lors de mes stages de gymnastique. Tous ces cours de sabre appliqué vont enfin m'être utiles.
— Je te préviens tout de suite, bonhomme, dit Marmoset, posté à sa fenêtre panoramique de deux mètres de haut, admirant le smog couleur mélasse que les citoyens de Los Angeles préfèrent à l'air véritable. Le rôle principal, c'est Harvey Afflatus.
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— Ah, dans ce cas, ils me voient dans un rôle de composition - le meilleur ami du héros, un confident qui booste à lui tout seul la mécanique de l'intrigue.
— Euh, pas tout à fait. Afflatus, vois-tu, a besoin d'une doublure lumière.
— De quoi ?
— De quelqu'un qui tiendra la pose pendant les longues heures dont le caméraman a besoin pour préparer l'éclairage des scènes. Un gus qui ressemble vaguement à la vedette, de manière à placer correctement les spots. Et puis à la dernière seconde, juste avant que le tournage reprenne le cave - euh, enfin, je veux dire, la doublure -
va faire un tour et la star se pointe et joue la scène.
— Mais pourquoi moi ? demandai-je. Ont-ils vraiment besoin d'un acteur de génie pour cela ?
— Tu es à peu près de la même corpulence qu'Afflatus
- bien sûr, tu n'auras jamais sa classe, mais disons que vos morphologies sont comparables.
— Il va falloir que j'y réfléchisse, dis-je. Je suis pressenti pour faire la voix de Gaufrette dans Oncle Vania version marionnettes.
— Eh bien, réfléchis vite, fit Marmoset. L'avion part pour Thirurananthapuram dans deux heures. Vaut peut-
être mieux ça que de gratter les morceaux d'enchiladas collés aux tables d'une cantine à tantales. Qui sait, tu seras peut-être découvert. »
L'avion fut d'abord immobilisé au sol et passé au peigne fin par l'équipage, car un cobra s'était échappé de sa cage. Dix heures plus tard, je m'envolai enfin pour l'Inde. Le producteur du film, Adrian
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Gornischt, m'avait expliqué qu'en raison d'une décision de dernière minute - l'actrice principale avait finalement voulu emmener son rottweiler - il n'y aurait pas de place pour moi dans le charter. On m'avait donc pris un billet « Intouchable » sur un vol Bandhabruti Air Lines, l'équivalent indien de nos magasins tout-pour-presque-rien. Heureusement, ils ont réussi à me dégotter une place sur un vol retour affrété pour un congrès de mendiants. Certes, je ne parlais pas un mot d'ourdou, mais je fus néanmoins fasciné par la sagesse dont ils firent preuve en comparant leurs afflictions et les mérites de leurs sébiles respectives.
Le voyage se déroula sans encombre, à l'exception de quelques « légères secousses », qui firent ricocher les passagère comme autant d'atomes affolés. Aux premières lueurs de l'aube, nous descendîmes de l'avion sur une piste de fortune, à Bhubaneshwar. De là, il y eut un court transfert en train à vapeur jusqu'à Ichalkaranji, puis nous ralliâmes Omkareshwar en pousse-pousse pour arriver enfin en palanquin sur le lieu du tournage. Toute l'équipe me réserva un accueil chaleureux. Il était inutile que je défasse tout de suite mes valises, appris-je, car je devais me rendre directement sur le plateau, de manière à ce que le chef op' puisse commencer à travailler. Pas question de prendre du retard sur le planning. En professionnel accompli, je me postai au sommet d'une colline dans la chaleur de midi. J'abattis un boulot considérable. Je ne m'arrêtai qu'à l'heure du thé, avec un début de coup de soleil carabiné.
La première semaine de tournage fut le théâtre d'inévitables tensions. Le réalisateur manquait 77
cruellement de personnalité. Il acceptait béatement toutes les suggestions d'Afflatus ; pour lui, tout ce que baragouinait sa star méritait de figurer parmi les œuvres complètes d'Aristote. À mon avis, Afflatus était passé à côté de l'essence véritable du personnage principal. Et plutôt que de risquer de décevoir le public en montrant un colonel Matt Hiergraz en proie aux doutes inhérents à son métier, il a préféré modifier sa profession : de colonel dans l'armée, il était devenu « colonel du Kentucky » - comme le patron des poulets frits KFC - propriétaire et éleveur de pur-sang. Quant à savoir comment il se débrouillait pour remporter le concours hippique de Preakness dans la vallée du Cachemire, là j'avoue être resté perplexe. Je ne fus d'ailleurs pas le seul ; le scénariste se montra lui aussi décontenancé, d'autant que sa ceinture et sa cravate lui avaient été confisquées. Un bon acteur, c'est à quatre-vingt-dix pour cent une voix, or il faut bien reconnaître qu'Afflatus était affecté d'un drôle de timbre geignard qui faisait trembloter piteusement son septum comme un malheureux mirliton. À la faveur d'une pause, j'ai tâché de lui conseiller une méthode qui pourrait l'aider à donner un peu d'épaisseur à son personnage. Mais cela le déconcentrait du livre censé lui apprendre tout sur les Schtroumpfs avant la fin du tournage. Le soir, j'avais coutume de rester dans mon coin et me sustentais de poulet tikka et de thé chai.
Au cours de ma troisième semaine toutefois, je ne me méfiai pas suffisamment de l'une des superbes jeunes beautés locales répondant au doux nom de Shakira : dans la grande tradition indienne, elle 78
m'enveloppa dans ses deux bras, et, de ses quatre autres, me fit les poches.
C'est à peu près au milieu du tournage que les choses dégénérèrent. Nous avions finalement réglé les querelles intestines et trouvé le moyen de nous accommoder des incompatibilités de caractères. L'anticoagulant d'Adrian Gornischt, malicieusement dissimulé par le scénariste, avait été retrouvé. Le projet avait commencé à véritablement monter en puissance. La rumeur circulait que les rushs étaient bons. Babe Gornischt, la femme du producteur, affirmait que les images qu'elle avait vues n'avaient rien à envier à Citizen Kane. Pris d'une frénésie euphorique, Afflatus suggéra qu'il était peut-être temps de commencer à préparer une campagne de lobbying pour les Oscars. Il fit des pieds et des mains pour trouver des scribouillards qui lui rédigeraient son discours de remerciement.
Je me revois en train de garder la pose, comme à l'accoutumée ; le caméraman s'activait, j'avais la tête haute, la mâchoire en avant, à la manière d'Afflatus.
Soudain une horde de va-nu-pieds fit irruption sur le plateau en poussant des cris d'Apa-ches. Ils assommèrent le metteur en scène à l'aide d'un cendrier chipé au Hilton de Bombay. Prise de panique, l'équipe se dispersa. Je n'eus pas le temps de dire ouf que je me retrouvai la tête au fond d'un sac promptement noué. Je fus hissé sur une épaule. On m'emmena. C'était toutefois compter sans ma formation poussée en arts martiaux. Soudain je sautai au sol et me déroulai tel un serpent, décochant un coup de pied éclair qui, heureusement pour mes ravisseurs, n'atteignit personne. En
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revanche, le mouvement m'entraîna directement dans le coffre ouvert d'une fourgonnette qui m'attendait, et dont les portes furent immédiatement refermées à clé. Entre la rudesse de la chaleur indienne et la force avec laquelle ma tête heurta la défense d'éléphant qui se trouvait dans la malle, je perdis connaissance. Je repris mes esprits un peu plus tard dans le noir, tandis que le véhicule bringuebalait sur un chemin cahoteux, sans doute une route de montagne. J'eus alors recours à des exercices respiratoires appris en cours de théâtre et réussis ainsi à rester calme six longues secondes consécutives. Après quoi je crachai un bêlement ourlé de sang et respirai en hyperventilation jusqu'à retomber dans les pommes. Je me rappelle vaguement qu'on m'a finalement ôté le sac que j'avais sur la tête. La grotte au milieu des montagnes appartenait au chef des bandits, dont la moustache broussailleuse très noire et l'intensité psychotique du regard me firent penser à Eduardo Cianelli dans Gunga Din, de 1939. Il brandissait un cimeterre, il était manifestement furieux contre son trio de sbires, qui ne savait plus où se mettre.
Une histoire d'enlèvement qu'ils avaient foiré.
« Vermisseaux, asticots, cafards ! Je vous envoie capturer une sommité du cinéma et regardez ce que vous me ramenez ! » fulmina le grand chef sous l'emprise du haschich. Ses narines enflaient telles des voiles gonflées par le vent.
« Maître, je vous en supplie, bredouilla le dalit nommé Abou.
.-y.
— Un remplaçant, un malheureux figurant *T même pas - une doublure lumière ! aboya le caïd.
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— Mais, vous êtes d'accord, il y a une certaine ressemblance, ô maître, couina un des hommes de main qui n'en menait vraiment pas large.
— Crabe ! Lézard ! Tu es en train de me dire que ce tas de fumier peut être pris pour Harvey Afflatus ? C'est confondre une poignée de sable et un sac de pièces d'or.
— Mais, ô grand chef, ils l'ont embauché justement parce que...
— Silence, ou je t'arrache la langue. Je m'apprêtais à empocher entre cinquante et cent plaques et toi tu me livres un zigoto de troisième zone qui, je te le garantis, aussi vrai que je m'appelle Veerappan, ne va pas nous rapporter une roupie. »
C'était donc lui, le brigand légendaire dont j'avais entendu parler. Sa cruauté était sans égale, il massacrait quiconque se mettait en travers de son chemin. En revanche, sa science avait manifestement ses limites : il était incapable de reconnaître un acteur de grand talent.
« Je suis certain que nous pourrons en tirer quelque chose. L'équipe de tournage ne quittera pas les lieux si nous menaçons de dépecer un des siens. C'est sûr, nous connaissons tous la légende de ces grands studios qui ne vous rappellent pas, mais si nous leur envoyons ses organes l'un après l'autre...
—
Ça suffit, espèce de méduse visqueuse, le coupa le diabolique dacoït en chef. Afflatus com mence à vraiment avoir la cote. Il vient d'enchaîner deux films qui ont fait un tabac, y compris dans les pays de moindre importance. Avec la pauvre andouille que vous m'avez ramenée, on pourra 81
s'estimer heureux si on récupère son pesant de pois chiches.
— Je suis navré, votre excellence, bredouilla le lieutenant de Veerappan en pleurant. C'est juste qu'à la lumière des projecteurs, de profil, il avait çn gros la même forme de visage que la star qu'on devait enlever.
— Tu ne vois donc pas qu'il est totalement dépourvu du moindre charisme ? Ce n'est pas un hasard si Afflatus cartonne à Boise, au fin fond de l'Idaho, et à Yuma, en Arizona. C'est ce qu'on appelle avoir la classe. Alors que ce cabotin est du genre à conduire un taxi ou à répondre au standard téléphonique toute sa vie en attendant la grande occasion qui ne se présentera jamais.
— Non mais attendez deux minutes, là », aboyai-je en dépit des vingt centimètres de ruban adhésif que j'avais sur la bouche.
Mais avant de pouvoir véritablement développer, je reçus un coup de huqqa sur la carafe. Je n'avais rien contre les pipes à eau de l'Inde mogole, mais je fus contraint de me taire à nouveau pendant que Veerappan se remettait à pérorer. Tous les incompétents allaient être décapités, annonça-t-il avec bienveillance. En ce qui me concernait, le trésorier du groupe suggéra de revoir à la baisse la rançon demandée et d'attendre quelques jours pour voir si mes amis réagissaient. Si personne ne levait le petit doigt, ils me réduiraient en chair à saucisse.
Connaissant Adrian Gornischt, j'étais tout à fait confiant. La société de production avait déjà certainement contacté l'ambassade américaine et accéderait bien évidemment à toutes les
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exigences du voyou, aussi extravagantes fussent-elles, plutôt que de voir un de ses collègues maltraité de quelque façon que ce soit. Au bout de cinq jours, il n'y avait toujours pas de réponse. Les espions de Veerappan lui rapportèrent que le scénariste avait modifié le script : l'équipe avait mis les bouts et le tournage se poursuivait à Auckland. Je commençai à ressentir un certain malaise. Des rumeurs circulèrent selon lesquelles Gornischt n'avait pas voulu importuner le gouvernement indien en portant plainte. Cependant il s'était promis, en quittant la région, de faire tout ce qui était en son pouvoir pour me libérer sans avoir à débourser un dollar de rançon, afin d'éviter un précédent regrettable.
Lorsque la nouvelle de mon malheur parut dans un entrefilet des dernières pages du magazine Backstage, un groupe de figurants actifs au plan politique qualifia cette situation de honteuse et jura d'organiser une veillée nocturne. Ils ne purent cependant réunir un capital suffisant pour acheter les bougies.
Alors comment se fait-il que je sois encore de ce monde pour raconter cette histoire, alors que Veerappan était prêt à se débarrasser de ma carcasse
? Il ne me restait pas plus de trois heures à vivre, les fanatiques en transe affûtaient déjà leurs poignards et s'apprêtaient à me découper en tranches, lorsque soudain je fus tiré de mon sommeil par une paire d'yeux noirs à peine visibles entre un turban et un burnous.
« Dépêche-toi, fiston, surtout ne crie pas, chuchota l'intrus, dont l'accent rappelait davantage Brooklyn que Bhopal.
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— Qui êtes-vous ? demandai-je, les sens engourdis par un trop long régime d'alou et de dal tarka.
— Vite, enlève ces nippes et suis-moi. Et surtout du calme - l'endroit est infesté de vermines.
— Mel ! m'exclamai-je en reconnaissant la: voix de Marmoset, mon agent.
— Magne-toi. On aura tout le temps de se faire des politesses demain chez Nate Al. »
La perspective de me retrouver au Delicatessen Restaurant de Beverly Hills me redonna courage et c'est ainsi que, emboîtant le pas à l'homme d'affaires qui s'occupait des miennes, j'échappai de justesse à la dissection.
Chez Nate Al, le lendemain, Marmoset m'expliqua devant un assortiment de kasha varnishke qu'il avait eu vent de mes déboires à l'occasion d'une cérémonie du seder dans un autre restaurant de Beverly Hills, chez M. Chow.
« Toute cette histoire m'est vraiment restée en travers de la gorge. Et puis, d'un coup, je me suis rappelé que quand j'étais petit, j'avais l'habitude de me coller des moustaches en carton à deux sous. À l'école tous les copains trouvaient que je ressemblais comme deux gouttes d'eau à Son Immense Sainteté le Nizam d'Hyderâbâd. Une fois que j'ai eu cette étincelle, le reste s'est passé comme sur des roulettes. Je veux dire, bon, d'accord, il a fallu baratiner parce que le Nizam n'existe plus depuis 1948. Mais après tout, je suis agent. Le pipeau, c'est mon boulot, pas vrai ?
— Mais pourquoi risquer votre vie pour moi ? fis-je, flairant l'entourloupe.
— C'est que pendant ton absence, vois-tu, je t'ai décroché le rôle principal dans un film. Du solide.
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Un long-métrage sur le trafic de drogue. Tout sera tourné dans la jungle de Colombie. Un brûlot contre le cartel de Medellin. C est pour ça, j'imagine, que des escadrons de la mort ont juré d'immoler quelques membres de l'équipe si jamais un film devait être tourné dans la région. Mais le réalisateur a décidé de ne pas se laisser intimider. Je n'arrive pas à croire que tant d'acteurs aient refusé cette opportunité.
Mais du coup ça m'a permis de faire monter ton tarif.
Hé, où tu vas ? »
Je me suis enfoncé dans le smog, j'ai disparu comme un chat de gouttière et couru jusqu'au premier kiosque à journaux pour consulter sans tarder les petites annonces, dans l'espoir d'y trouver un poste de chauffeur de taxi ou de standardiste, comme Veerappan l'avait suggéré. Bien entendu, les dix pour cent de Marmoset représenteraient des sommes sacrement moins importantes, mais au moins, il ne serait jamais réveillé par un livreur de FedEx lui apportant mon oreille.