Chapitre V - LA RÉNOVATION DE MEIJI (1853-1871)

   Cette tranche chronologique peut être désignée par plusieurs termes : fin (ou chute) du Bakufu (bakumatsu) qui s'appliquerait plutôt à sa première partie ; Restauration ou - traduction retenue ici -Rénovation de Meiji qui touche plus directement ses dernières années (l'ère Meiji ayant commencé en 1868 se poursuivit jusqu'en 1912). Il est toutefois préférable de traiter cette phase décisive de l'histoire du Japon comme un tout. Elle comporte trois changements essentiels qui font ressortir une rupture avec les bases de l'époque d'Edo :
   L'Ouverture de certains ports aux étrangers et l'envoi de Japonais outre-mer pour y poursuivre des études et y récolter des informations. Cette politique extérieure fut adoptée dès 1854, lorsqu'un premier traité avec les États-Unis fut signé à Kanagawa ; puis élargie en 1858, lors de la signature de traités de commerce avec, entre autres, la France, l'Angleterre, la Russie ; enfin après 1864 lorsque la Cour de Kyoto et les grands daimyo eurent accepté les accords signés par le Bakufu.
   Le Rétablissement d'un gouvernement central, aux ordres « nominalement » de l'empereur en personne (événement plus directement visé par le terme Restauration), discuté en 1858, acquis en 1867, quand le quinzième shogun, Yoshinobu, eut renoncé à son pouvoir, et confirmé en mai 1868, après une courte guerre civile qui permit à une coalition que dominaient les principautés de Satsuma, de Choshu et de Tosa, de s'emparer du château d'Edo.
   La Modernisation, grâce à l'étude de l'Occident et à l'introduction de son modèle dans les armées, l'économie, les institutions publiques : d'où l'acceptation d'une mobilité sociale et d'aspects de la société libérale.
   Ces mutations furent à la fois en partie synchro-niques, en partie successives. Imaginer qu'elles apparurent comme organiquement liées, même à ceux des Japonais qui les réalisèrent, serait toutefois une erreur.
   Bien que, dans le mouvement de l'histoire, elles se soient influencées réciproquement et que les événements n'aient cessé de provoquer leur interpénétration, on peut les répartir en deux groupes : l'ouverture et la modernisation, d'un côté, inséparables parce qu'elles étaient déterminées par l'intervention de l'Occident, menace et modèle ; les bouleversements qui conduisirent à une Centralisation politique renforcée, d'un autre côté, parce que, ici, ni l'étranger, ni les traditions nationales n'offraient de certitudes capables d'indiquer à l'avance le sens du changement. Dans le premier cas, la présence étrangère, militairement et économiquement, constituait une réalité tangible, qu'aucune divergence d'interprétation ne permettait d'écarter, réduisant l'ampleur des conflits nés de choix tactiques plus ou moins réfléchis. Dans le second cas, la mise en cause du Bakufu, bien qu'inévitable, ne conduisait qu'à un vide que l'institution impériale, même invoquée par tous, ne suffisait pas à combler : de là chez les bushi des excès d'ambitions et nombre de volte-face. C'est pourquoi les luttes pour le pouvoir - affrontements de factions, de principautés, de coalitions - ont été l'axe de cette période.

I. - L'ouverture et la modernisation

   Comme partout dans le monde, la menace coloniale fut violente et cependant comparativement modérée, parce que le Japon en lui-même n'apparaissait aux occidentaux (les missionnaires catholiques mis à part) que sous l'aspect d'un relais portuaire sur les routes conduisant à la Chine. Apparu une première fois en 1853, Perry, revenu en 1854 à la tête de l'escadre américaine, menaça Edo d'un bombardement ou d'un blocus, et la défaite, en 1858, de la Chine, devant une expédition franco-anglaise, servit d'exemple concret. En 1863 et 1864, des conflits locaux mettant aux prises dans le détroit de Shimonoseki et devant la ville de Kagoshima des batteries côtières japonaises, installée par les principautés de Choshu et de Satsuma, et des navires de guerre occidentaux indiquèrent d'une manière irréfutable où était la supériorité militaire.
   Il ne restait aux dirigeants japonais - quels qu'ils fussent - que la solution, devenue évidente, d'en percer les secrets et de les utiliser.
   Or de ces violences ne résultèrent que des dommages limités pour l'indépendance du pays. Les « traités inégaux » qui furent imposés au Japon, après l'avoir été déjà à la Chine avec plus de prégnance, laissèrent à ces nations de vastes possibilités de parvenir, par la modernisation, à l'égalité militaire qui conditionnait leur survie. Dans les ports ouverts, en nombre limité, à l'activité des ressortissants occidentaux, outre l'établissement de justices et de petites garnisons consulaires (par exemple à Yokohama), qui explicitaient son infériorité juridique, le Japon n'avait renoncé qu'à son autonomie douanière, qui consacrait son infériorité économique. Mais il s'agissait de concessions liées surtout à un état de fait, dont les traités signés n'excluaient pas qu'il fût réversible. Le commerce extérieur était entièrement entre les mains des étrangers, soutenus par les banques de Hong-kong, parce que le Japon était dépourvu d'une marine suffisante. Quand celle-ci, militaire et marchande, exista, il put reprendre le contrôle de ses échanges, malgré les traités. La Chine et le Japon ont été gravement menacés. Mais la première, par sa masse, le second, par sa tradition militaire et sa marginalité économique, excluaient, dès l'origine, les formes aggravées du colonialisme occidental qui se manifestèrent, en Asie du Sud et du Sud-Est. Vu les distances (ni le canal de Suez, ni celui de Panama, ni le Transsibérien n'existaient), les puissances occidentales n'avaient nullement les moyens d'entreprendre des guerres de conquêtes. En fait, à l'exception de quelques positions côtières, le Japon demeura - sauf cas exceptionnel - fermé au Occidentaux, jusqu'à la révision / abolition des « traités inégaux », à partir de 1895.
   On doit donc s'interroger sur les raisons particulières qui poussèrent globalement les élites japonaises, puis la nation entière, à se lancer dans une modernisation qui fut conçue sur une « grande échelle » : trait spécifique, si une comparaison devait être esquissée - ce qui ne peut être le cas ici que sommairement -, avec la Chine et la Corée. La nature insulaire et montagneuse à la fois, rendant omniprésente la menace étrangère, navale et mobile, y contribua, formant contraste avec la situation de la Chine. Le morcellement politique du territoire (par opposition à la centralisation chinoise) multiplia les réactions de défense, non sans désordre, bien après la mise en application des « traités ». L'éthique militaire et administrative des samurai, cependant, plus que toute autre cause, assura une supériorité au Japon, en instillant dans les projets de réforme un critère de valeur, central, pragmatique et réaliste : puisque la supériorité de l'Occident reposait sur la force, être « moderne », c'était être victorieux. Dans divers domaines. Avant tout sur les champs de bataille.
   Partant de ce mode de compréhension d'origine guerrière, que la paix d'Edo n'avait pas aboli, parce que le culte de l'ordre n'y avait pas dégénéré en pacifisme, on peut considérer les débuts de la Modernisation du Japon sous deux aspects : a) la profondeur du champ d'application de la réforme militaire, d'une part ; b) ses conséquences sociales, d'autre part. Sans oublier qu'il s'agissait d'une modernisation plurielle, puisqu'elle fut conduite séparément dans plusieurs régions, en dépit de l'unité officielle de l'État.

1. Les problèmes économiques de l'époque d'Edo étaient de nature budgétaire, avec de larges conséquences sociales, le paiement des rentes aux vassaux étant menacé. Même si les solutions expérimentées avec succès, par Satsuma Choshu et quelques autres principautés, comportaient des innovations industrielles, la question de fond n'en n'était pas changée.
   La refonte de l'outil militaire au contraire la bouleversa. Pour la première fois, elle s'appliquait non seulement aux armées de terre, mais à la création de marines de guerre. Elle impliquait des achats si coûteux - compte tenu de la malhonnêteté de certains intermédiaires occidentaux - que tous les budgets en furent déstabilisés. Il était donc impossible que les Japonais ne songent pas à ce que le monde actuel appelle les « transferts de technologie ». Outre le problème de l'indépendance politique, dans un environnement international dangereux, du seul point de vue de la balance du commerce extérieur et de l'équilibre des budgets, la construction au Japon même de navires, l'installation de fonderies pour les canons devait dans un avenir plus ou moins lointain, procurer un allégement considérable des dépenses. L'effet ne pouvant être immédiat - la commande d'équipements et de machines à l'étranger, l'invitation, indispensable, aux frais des diverses autorités japonaises de missions d'officiers, d'ingénieurs et de techniciens creusèrent au contraire le déficit dès 1865 -, la réorganisation militaire impliquait un projet très vaste de développement industriel, dans des domaines très divers : ainsi pour accroître les exportations, où la soie s'imposait comme produit dominant, et pour réduire les achats de matière premières par une exploitation minière nouvelle (fer, charbon) ou modernisée (cuivre, argent, or).
   Le Japon participa à l'Exposition universelle de Paris en 1867 (avec deux pavillons, l'un pour le Bakufu, l'autre pour la principauté de Satsuma en tant que « suzeraine » du royaume de Naha, dans les Ryu Kyu). La France joua un rôle important, parfois prépondérant, dans la première phase de cette modernisation, que les discontinuités de régimes politiques (en France la chute de Napoléon III, au Japon, celle du shogunat) n'influencèrent pas vraiment. Les relations franco-japonaises de cette époque offrent deux exemples prouvant le caractère à la fois pluriel (en fonction des moyens de chaque autorité) et cependant unitaire (parce que perçu partout comme nécessité) de cette industrialisation : d'une part, la construction de l'arsenal maritime de Yokosuka, non loin de Yokohama, commandée par le Bakufu à Léonce Verny en 1865 (tâche qu'il poursuivit jusqu'en 1878), d'autre part, l'invitation en 1867, par la principauté de Satsuma (devenue ennemie déclarée du Bakufu, et agissant d'une manière autonome), d'un ingénieur des mines, François Coignet, qui, par la suite, fut nommé directeur de l'Office des mines d'Osaka.

   2. Considérée dans ses aspects sociaux, la modernisation ne résulte pas de conflits antérieurs : elle les crée, en bouleversant le principe constitutif de l'ordre des bushi. Prépondérant en nombre, en force, en capacité de pensée, celui-ci fut un indispensable contrepoids à la montée en puissance de la bourgeoisie et à l'esprit de lucre qui lui est inhérent. Mais pléthorique, excessivement hiérarchisé (de la base au sommet, plusieurs dizaines de strates héréditaires) afin de faire face à tous les besoins de la guerre, de l'encadrement administratif, de la gestion économique et de l'enseignement, cet ordre massif représentait une charge budgétaire paralysante. Certes, la rigidité des . rangs, qui entraînait celle des rentes héréditaires et théoriquement celle des fonctions exercées, avait été assouplie quand s'affirma le caractère bureaucratique du régime d'Edo. Telle qu'elle demeurait toutefois, elle mettait en évidence, dans une période de transformation rapide des techniques, l'incompétence et, parfois, l'indiscipline. La solution consistait à radicaliser le remplacement des fiefs territoriaux par des fiefs-rentes : une politique déjà amplement réalisée, mais en l'appliquant cette fois-ci à la strate supérieure des vassaux (pour le Bakufu, aux hatamoto, voire aux plus petits des fudai-daimyo). C'était insuffisant : il fallait envisager de diminuer substantiellement les rentes elles-mêmes, tout en déchargeant, par voie de compensation, certains des vassaux de leurs obligations de service : les gains budgétaires obtenus permettrait de rémunérer un personnel efficace, sélectionné du reste presque exclusivement parmi les bushi de rang moyen ou modeste. Pour les autres, le statut de salariés héréditaires risquait de se dégrader en celui de nobles parasitaires.
   On peut donc parler de l'amorce d'une révolution sociale : en remarquant que le principe n'en était nullement l'idéal d'égalité entre les individus, mais celui de la promotion du talent (jinzai-toyo), jugé selon un critère d'utilité dans une politique de puissance, au détriment d'une considération exagérée de la naissance (monbatsu-daha). Ce système de valeurs s'insérait dans une application renouvelée du code de conduite des chefs de guerre du XVIe siècle : « pays riche, armée forte » (fukoku-kyohei), le premier terme étant le moyen du second.

II. - Les voies de la centralisation

   1. Modèles et moyens. - La naissance de l'État centralisé moderne au Japon fut contemporaine des processus qui conduisirent à l'unité italienne, puis à l'unité allemande. Parmi les modèles possibles, l'Europe offrait le cas de la France, de la Russie, monarchies fortement centralisées, formées par la conquête de territoires périphériques à partir d'un noyau central, et celui de royaumes fondés sur le cumul, par une seule dynastie, de diverses Couronnes, comme le Royaume-Uni et l'Espagne. Hors d'Europe, sa nature républicaine et la guerre de Sécession écartaient l'exemple des États-Unis. La Chine, dont l'histoire était longue et bien connue, avait été tantôt divisée, tantôt unifiée, avec nombre de guerres civiles, d'invasions étrangères et de changements de dynasties. Mais ayant procuré une longue période de paix et de sécurité, le système politique d'Edo laissait l'impression d'une supériorité sur les pays asiatiques voisins. Pour comprendre les voies suivies par le Japon vers la centralisation, il faut donc partir de cet héritage interne.
   Le régime d'Edo était défini comme l'union du Bakufu et des Han (principautés). Il devait sa longue durée à l'évolution d'une coalition victorieuse, mais de localisation régionale, vers un gouvernement national, sur la base de deux transformations : d'un côté, un compromis avec des daimyo vaincus, la victoire des Tokugawa n'ayant jamais abouti à une conquête de l'archipel ; d'un autre côté la légitimation procurée aux vainqueurs par l'institution impériale.
   Les deux transformations se conditionnaient mutuellement. Le compromis entre chefs de guerre réalisait, comme état de fait, un ordre harmonieux, rendu possible par la persistance d'autonomies régionales et de leur équilibre, quoique le point de départ eût été un rapport de force inégal. Cet accord entre détenteurs d'une puissance réelle suffisait à rendre déstabilisante toute intervention active de l'empereur et de la Cour dans le gouvernement du pays. En revanche, l'état de fait, obtenu empiriquement, attirait comme un aimant la légitimation impériale, parce que la tradition faisait du souverain le porteur d'un symbole d'harmonie, modèle moral du bon gouvernement. La puissance légitimante du Tenno était intrinsèquement liée à son non-pouvoir, puisqu'on ne peut être à la fois un symbole de perfection et la réalité contingente sur laquelle celle-ci se projette. La légitimation procurée au régime d'Edo ne procédait pas d'une grâce librement accordée ou refusée, mais du constat d'une évidence : l'ordre établi était conforme à l'idéal.
   Le Japon d'Edo, réalité idéalisée, était le résultat d'un montage qui ne pouvait demeurer stable que dans la mesure où ses composants - équilibre de forces et légitimation impériale - l'étaient eux aussi.
   Or sur ces deux points, la corrosion était déjà à l'œuvre.
   Sous l'angle de la puissance, outre l'affaiblissement du Bakufu et le renforcement de principautés périphériques, la menace occidentale fit ressortir que le gouvernement shogunal ne pouvait prétendre au rôle d'un pouvoir national, parce qu'il n'avait pas les moyens d'assurer à lui seul la défense du pays.
   Mais, de plus, le développement exceptionnel de la réflexion politique pendant toute la période d'Edo, n'avait cessé, étant le fait essentiellement de bushi à la fois théoriciens et observateurs de la réalité sociale, de soulever la question de la légitimité morale et fonctionnelle de l'ordre établi. Or selon que ce dernier était en situation de force ou de fragilité, les courants doctrinaux en vinrent à nourrir successivement approbation ou neutralité, puis la contestation. Celle-ci se fait violente, quand, poussée par l'ouverture, la modernisation s'accéléra, et que le choix d'un système politique renouvelé se révéla crucial.
   Il est à la fois impossible et inutile de tenter, dans les limites de cet ouvrage, un exposé des doctrines à contenu politique, social, moral, parfois économique nées pendant l'époque d'Edo (on peut en trouver un tableau dans le livre de Pierre Lavelle, La pensée japonaise). Il convient cependant de remarquer que, quoique fondées en très grande majorité sur des emprunts au Confucianisme, aucune ne devint l'orthodoxie dont le Bakufu (qui visait l'éternité) aurait pu avoir besoin, s'il s'était senti menacé avant le milieu du XIXe siècle. Cette lacune peut s'expliquer aussi soit par la décentralisation (qui permit la multiplication des écoles privées), soit par la diversité de l'outillage mental trouvé dans les textes chinois, soit encore parce que le montage institutionnel, qui incluait Tenno, Shogun et Daimyo, par sa complexité, défiait les possibilités d'une indiscutable théorisation. Il serait vain de classer ces courants de pensée en fonction d'un ressentiment ou d'une adhésion a priori vis-à-vis de l'ordre régnant, dont l'origine pourrait se trouver dans le processus guerrier du XVIe siècle ou du début du XVIIe. C'est dans l'inversion d'attitude - le passage du soutien à la critique, puis à une volonté de destruction, aussi bien dans le cercle intérieur du Bakufu qu'à l'extérieur - qu'un rapport peut être établi entre conceptions intellectuelles et actions, lorsque toutes les institutions furent remises en jeu. On se bornera donc à mentionner celles des doctrines dont l'influence est perceptible au niveau de l'action, lors de la genèse du Japon de Meiji.
   Au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, tandis que se consolidait le caractère bureaucratique du régime, Ogyu Sorai (1666-1728), avait bouleversé le confucianisme japonais, en introduisant parmi les justifications de l'ordre le concept, à la fois conservateur et (à l'insu sans doute de son auteur) potentiellement subversif, de l'utilitarisme historique. Si un système politique est cohérent, qu'il réponde à tous les défis du moment, qu'en fonctionnant correctement il intègre tous les sujets à la place que justifient leurs capacités, il peut requérir de ces derniers une obéissance absolue. Comparée aux siècles antérieurs de l'histoire du Japon, l'organisation neuve instituée par Tokugawa Ieyasu et ses successeurs, répondait à cette définition : la paix et la sécurité du pays tout entier, dont rien n'annonçait alors qu'elles fussent menacées, en apportaient la preuve. Cent ans plus tard, avant même que n'échoue la « réforme de Tempo », le même raisonnement conduisit à exiger des changements. L'idée de progrès étant ignorée, le seul mal étant le désordre, le désir de paix et de sécurité appelait un autre système, applicable aux circonstances : le principe directeur fukoku-kyohei, découvert au XVIe siècle, réactivé au XIXe, pouvait y trouver place.
   En revanche, le changement d'ordre politique soulevait deux questions que l'utilitarisme ne pouvait résoudre seul : a) l'attitude des bushi en face de situations inédites, parce que leur préparation à des tâches administratives n'avait pas mis fin à une éducation guerrière fondée sur l'idéalisation de la fidélité et sur l'action ; b) le rôle dévolu à l'institution impériale qui ne faisant qu'un avec la dynastie, procurait au Japon une continuité qui faisait contrepoids au relativisme historique. Or touchant ces deux problèmes, d'autres courants de pensée apportaient des réponses.
   En premier lieu, dans le cadre du confucianisme, la tradition reçue de Wang Yangming (1472-1529, en lecture japonaise Oyomei), répandue parmi les samurai dans le Japon du XVIIe siècle par Nakae Toju (1608-1648) et Kumazawa Banzan (1619-1691). Face aux troubles, elle recommandait le recours à l'intuition, donc un individualisme dégagé de l'obéissance, au nom d'un idéal conduisant à des actions violentes et possiblement suicidaires, capables de prouver et la sincérité et le désintéressement.
   En second lieu, épanouies un peu plus tardivement, les Études nationales (kokugaku) avait tenté de redécouvrir la sensibilité originale contenue dans les textes japonais les plus anciens, religieux et poétiques, que les emprunts culturels à la Chine masquaient. Illustrées par Motoori Norinaga (1730-1801), ensuite par Hirata Atsutane (1776-1843), ses implications politiques furent considérables : elles révélaient non un passé lointain, mais un présent éternel, indissolublement lié à la dynastie impériale, envisagée, face à l'étranger, moins comme institution que comme un appel à la foi en la nation. Travaillant séparément, c'est à des conclusions assez voisines, que l'école de Mito était parvenue. Fait d'autant plus remarquable, que fondée dans l'une des trois premières principautés de la parenté Tokugawa, elle avait pour mission la rédaction d'une histoire du Japon justifiant la légitimité de l'ordre établi.
   Sans la crise finale de l'époque d'Edo, ces courants seraient sans doute restés parallèles. De même que la situation militaire fit rejouer d'anciens rapports de force, de même elle brassa les valeurs : l'utilitarisme historique suscita des organisateurs ; l'école oyomei des activistes et des héros. Mais tous avaient recours à l'institution impériale, les premiers par nécessité pratique, les seconds par besoin d'absolu. De plus selon les conditions locales, les personnalités, les phases de l'évolution politique, les deux voies furent tantôt complémentaires, tantôt opposées. Cette interaction continue d'un effort de vision réaliste et d'un fatalisme héroïque contribua à la complexité événementielle du processus de création de l'état centralisé. Mais elle permit aussi au Japon de changer de système politique sans laisser de vaincus inconsolables, sans émigrés, sans épurations, sans guerres civiles comparables - et de très loin - en ampleur à celles que connurent la France, les Etats-Unis, l'Espagne, la Russie et, dans le voisinage immédiat, la Chine. Ponctuée par la disparition prématurée (exécutions, assassinats, suicides) d'un grand nombre de personnalités séduisantes qui ont donné son auréole de grandeur à cette époque, la violence japonaise resta locale et occasionnelle.

   2. Les conflits. - Quatre politiques cristallisées en options inconciliables s'affrontèrent, visant : 1 / un élargissement du Bakufu pour en faire un vrai pouvoir national ; 2 / le maintien du gouvernement shogunal sous sa forme traditionnelle, c'est-à-dire excluant même les Tokugawa, à l'exception du shogun lui-même (successivement Iesada, malade chronique, puis, en 1858, Iemochi, un enfant de 12 ans qui meurt à 20 ans) ; 3 / la destruction du Bakufu, sans qu'un programme de remplacement ait été clairement défini ; 4 / la mise en place en 1867, par le dernier shogun, Yoshinobu, d'une centralisation radicale, sous l'égide d'un Bakufu rénové.
   Les deux premières étaient relativement conservatrices : elles respectaient le morcellement en gouvernements autonomes du territoire national (désigné comme système hoken, traduit approximativement par le terme « féodal »), ainsi que, globalement, le principe vassalique comme base du recrutement des militaires administrateurs. L'enjeu était la composition de l'instance supérieure de décision dans les domaines intéressant le Japon comme ensemble, donc les relations extérieures, la défense, avec extension possible selon les circonstances, en particulier la nomination du shogun, quand se posait un problème de succession. La politique d'élargissement présentée par le daimyo de Mito, Tokugawa Nariaki, dès les années 1830, avant que la pression occidentale ne se soit faite contraignante, préconisait de transférer ce pouvoir à un conseil des dynastes des grandes principautés, en fonction de leurs responsabilités territoriales, qu'ils fussent ou non compris dans la parenté shogunale, en leur adjoignant - forme radicale, mais numériquement limitée d'atteinte à la hiérarchie - des « hommes de talents », recrutés dans toute la nation. Quoique limitée, cette réforme, tout en respectant le Bakufu, le dégradait au rang d'une organisation administrative et privait fudai-daimyo et hatamoto de leur monopole héréditaire d'accès aux fonctions proprement gouvernementales. La distinction des deux instances de décision replaçait le shogun parmi les daimyo, donnait une place importante à la famille Tokugawa, effaçait les clivages remontant à Sekigahara. Afin de mettre en valeur le caractère national de ce régime renouvelé, à la fois fédéral et uni, la souveraineté impériale y était réaffirmée. Le terme kobu-gattai (union de la Cour - ko -, et d'un Bakufu élargi - bu), forgé à Mito, en exprimait la substance.
   Les hostilités entre ce mouvement et le haut personnel shogunal visé commencèrent très tôt. Mais c'est ce dernier qui, le premier, eut recours à la force. Pendant la « Réforme de Tempo » (1841-1843, l'ultime tentative du Bakufu avant que ne débute la crise finale), Nariaki et ses conseillers furent exilés ou emprisonnés. Le mouvement pour 1' « élargissement » du pouvoir central se renforça lorsqu'il fallut négocier des traités avec les Occidentaux (1854-1858), puis choisir un successeur au shogun Iesada : y participaient cette fois, outre Nariaki, et son fils Yoshinobu (adopté dans la famille Hitotsubasi), le daimyo de l'Echizen, Matsudaira Shungaku, celui de Nagoya, Tokugawa Yoshikumi, enfin les dynastes des principautés du Sud, Tosa, Satsuma principalement, déjà engagées dans la voie de la modernisation. Tous soutinrent la candidature de Yoshinobu à la succession de Iesada. En 1858, la réaction des éléments les plus traditionnels du Bakufu, conduits par Ii Naosuke, fut très violente : connue sous le nom de « répression de l'ère Ansei », elle fut marquée par la mise à l'écart de Yoshinobu, la révocation de nombreux daimyo, l'exécution de nombre de leurs conseillers. Étendue aussi à Kyoto, elle y frappa des membres prestigieux de la noblesse de Cour.
   La riposte vint le 3 mars 1860, quand Ii Naosuke fut assassiné à Edo par des samurai de Mito et de l'Echizen, faisant apparaître une atmosphère de guerre civile à l'intérieur du régime que Ieyasu avait fondé. C'est à partir de ces événements que s'étoffe la troisième des politiques mentionnées : celle qui, estimant le Bakufu rebelle à toute réorganisation, pense nécessaire au salut du Japon d'œuvrer à sa destruction complète. À une vision inscrite dans l'utilitarisme réformiste, succède une phase dans laquelle l'activisme cherche à s'imposer.
   Ce n'est pas que le Bakufu traditionnel et le mouvement kobu-gattai, aient cessé d'agir : mais chacun des deux camps se divise. Edo, devenu plus conciliant, accepte de faire place à Yoshinobu (qui songe à une seconde candidature au shogunat), sans lui faire confiance ; et les chefs des grandes principautés (certains de par leur position de père du daimyo en titre, tels Shimazu Hisamitsu à Satsuma et Yamauchi Yodo à Tosa) se consacrent à leur quasi-indépendance.
   L'effacement - provisoire - des cadres institutionnels laisse un vide disponible pour l'héroïsme et les complots qui se déploient hors hiérarchie. Une distinction est perceptible entre les intentions proclamées des activistes et les conséquences réelles de leur irruption dans l'histoire. Les premières exprimées par le slogan sonno-joi (respect envers l'empereur, expulsion des étrangers) font référence à des données d'autant plus absolues qu'elles sont inaccessibles (tel l'empereur isolé dans la Cour, par une étiquette d'un formalisme impitoyable), ou irréalisables sans forces organisées (comme la fermeture des ports). Ils ne faut donc pas les prendre à la lettre. Mûs par l'émotion (un mélange d'idéalisme, d'aventurisme, de fierté), indifférents à l'exactitude des faits, les purs activistes exercent un effet destructeur considérable, moins sur le Bakufu directement que sur la cohésion de certaines principautés. Ils plongent celle de Mito dans une guerre de factions, après la mort de Nariaki. Ils assassinent, en 1862, Yoshida Toyo, le grand ministre modernisateur de Tosa, en 1864, Sakuma Shozan, expert militaire de réputation nationale : les deux victimes étaient favorables au mouvement kobugattai. Des activistes préfèrent, comme ronin (vassal sans seigneur), quitter le cadre de leur principauté pour agir individuellement. Dans l'ensemble, réunis souvent dans la région de Kyoto, la capitale impériale, ils entrent en relation avec la noblesse de Cour, tout en la terrorisant. Il semble que l'empereur régnant, Komei (1831-1867), auquel ils prétendaient obéir, leur ait été hostile.
   Par lui-même, le mouvement activiste - rebelle, non révolutionnaire - était incapable d'abattre le Bakufu : les complots furent partout réprimés, sauf lorsqu'ils firent corps, comme à Choshu, avec le patriotisme de la principauté. Hors même ce cas, ils contribuèrent néanmoins à la chute du régime. D'une part, l'activisme répandit la discussion sur la finalité de l'action dans les strates inférieures de bushi (au-dessous même du rang de samurai), qui légalement (a fortiori pour les paysans riches et les marchands) n'avaient pas à être consultées. D'autre part, le sentiment de fidélité vassalique, base de la société d'Edo, fut mis en cause, parce que visant simultanément le daimyo, le shogun et l'empereur, il se pouvait qu'il exigeât un choix. La stratégie s'en trouva incluse dans l'idéalisme.
   La chute du Bakufu ne se produisit que plus tard, en 1868, à la suite d'une conjonction de changements politiques qui ne pouvaient avoir été prévus. La fin du régime ne fut perçue comme inévitable et souhaitable qu'à partir de 1866, quand des principautés agissant comme collectivités quittèrent le programme kobu-gattai, pour se rallier, parfois tardivement, à un mouvement tobaku-ha (le parti de la destruction du Bakufu), qu'il ne faut pas confondre avec l'activisme, bien que la souveraineté de l'empereur leur ait servi également de drapeau. Afin d'éviter une narration trop complexe, on se limitera à mentionner les nouvelles circonstances.
   Le changement d'attitudes des principautés s'explique à la fois : 1 / par le refus obstiné du Bakufu, confirmé lors d'une réunion des grands daimyo à Kyoto en 1864, d'accepter un élargissement de l'instance nationale de décision ; 2 / par la conversion de certains samurai (mieux placés souvent dans la hiérarchie vassalique) qui, constatant l'inefficacité de la rébellion activiste, après lui avoir momentanément été favorables, estiment indispensable de s'entendre avec leur daimyo, de subordonner le patriotisme national aux cadres institutionnels du patriotisme local (le dosage à long terme étant laissé dans l'ambiguïté). Ce mouvement toba-kuha emprunte aux politiques précédentes, à l'une sa solution fédéraliste (la légitimité vient des daimyo autant que de l'empereur, les moyens militaires des premiers), à l'autre, l'activisme, son attitude radicale. La synthèse replace au premier plan la modernisation militaire, le programme fukoku-kyohei, à réaliser en premier lieu à l'échelon local, le seul qui présente une consistance. À Satsuma, Okubo Toshimichi et Saigo Takamori, devenus complices de Shimazu Hisamitsu, illustrent parfaitement cette double tendance. Ailleurs, à Tosa, à Choshu, selon les conditions particulières, les modalités de cette transformation sont différentes. Plus violentes et rapides à Choshu, l'autre grande principauté indépendante du Sud-Ouest, où le radicalisme anti-bakufu demeure essentiel, Kido Koin et Takasugi Shinsaku y sont toutefois proches stratégiquement de la vision d'Okubo à Satsuma.
   Ces similitudes auraient pu conduire à une alliance : il était évident qu'une coalition était indispensable pour abattre le Bakufu. Elle est lente à se former cependant, parce que la rivalité entre les principautés demeure aussi vive que leur méfiance respective envers ce dernier. L'hésitation est fréquente. L'empereur Komei préfère conserver l'institution shogunale, tandis qu'Iwakura Tomomi, un kuge stratège en politique, abandonne au contraire l'idée de réformer le Bakufu et, se prononçant pour sa destruction, s'entend avec Okubo et Saigo. La mort suspecte de Komei fit courir le bruit qu'il fut empoisonné par son propre entourage, parce qu'il gênait ces manœuvres.
   En fait la cause ultime de la chute du Bakufu fut son implosion, due à une addition de défaites, prouvant son inaptitude à gouverner le Japon, et d'arrogances, menaçant l'autonomie de toutes les principautés, en y incluant désormais même celles des fudai-daimyo. Jugeant nécessaire de soumettre Choshu, il réunit, en 1865, une immense armée traditionnelle, faite de contingents vassaliques, et, sûr de sa victoire, en profite pour réimposer le système de la « résidence alternée », déjà abolie, afin de replacer les daimyo en position d'otages à Edo. Le résultat est triplement négatif : dans la principauté menacée, les activistes s'engagent - fait déjà mentionné - dans le patriotisme local et accroissent sa résistance ; Satsuma songe à une alliance avec Choshu ; enfin, l'attaque shogunale, privée du soutien de nombreux daimyo, échoue (août 1866). Impuissant face à la menace occidentale, le Bakufu prouve qu'il a perdu aussi l'hégémonie intérieure. Le sankin-kotai ne peut pas être rétabli.
   Cette même année, la désignation de Yoshinobu accélère l'implosion au lieu de la retarder. Après avoir vainement souhaité - en vertu de son passé -, être l'élu non du Bakufu, mais de tous les grands daimyo et de la Cour, il entreprend (1867) une modernisation radicale de l'armée shogunale (hatamoto, gokenin inclus), sur le conseil d'une partie de ses collaborateurs, du consul général de France Léon Roches et d'une petite mission militaire envoyée par Napoléon III : équipés d'armes à feu, 24 000 hommes sont prévus ; l'arsenal de Yokosuka doit pourvoir aux besoins de la marine. Une telle force est immédiatement comprise par les grandes principautés pour ce qu'elle est : l'instrument non d'une résistance contre l'Occident, mais d'une reconquête intérieure qui fait voir en Yoshinobu une réincarnation de Ieyasu avec au programme l'abolition du fédéralisme. Cette réforme ne peut échapper ni à sa logique, ni à ses contraintes financières : appliquée par un petit nombre d'administrateurs shogunaux, elle condamne les strates sociales dont ils sont issus à la suppression de leurs dominations territoriales, à la réduction de leurs rentes et de leurs droits de commandement héréditaires. Rien de moins que l'autodestruction du système vassalique. Visé à plus ou moins longue échéance, même le successeur de II Naosuke, dans sa principauté de Hikone (le premier des fudai-daimyo), se dresse contre cette altération finale du Bakufu. Celui-ci se trouve coupé de ses bases, et désuni, car nombre de ses ministres, comme Katsu Awa, ami de Saigo Takamori, préconisent une entente avec les principautés.
   Enfin Yoshinobu fait garder le Palais impérial, à Kyoto, par ses troupes, laissant entendre qu'il s'approprie la source ultime de la légitimité. Du jeune souverain lui-même, âgé de 16 ans (le futur Meiji Tenno), nul ne se soucie : mais selon la tradition le respect extérieur tient lieu d'obéissance, pourvu qu'une apparente proximité confirme l'apparence de la réception d'un ordre. Contrôler les portes du Palais est donc vital.
   Dans les derniers mois de 1867, la situation de Yoshinobu est devenue paradoxale : il désintègre le Bakufu en ses assises traditionnelles ; mais sans rien céder de ses prétentions à l'exercice d'un pouvoir national. De sorte que, lorsqu'en novembre il restitue à l'empereur sa fonction (non le titre) de shogun, ceux qui le craignent ne voient dans cette renonciation qu'un subterfuge pour se faire attribuer le poste, plus conforme à la centralisation, de Premier ministre, et se plaçant près du Tenno, réunir à Kyoto, en un faisceau, la légitimité, l'appareil administratif du Bakufu, et une armée hégémonique. La réussite signifierait la mort des principautés.
   La réaction de ces dernières est fonction de leurs craintes. À Satsuma et à Choshu, il s'agit de survivre et sans s'embarrasser à l'excès de constructions juridiques à long terme, d'agir militairement : le plus simple est de s'emparer de la légitimité en contrôlant le Palais impérial, puis d'attendre. Les principautés moins puissantes ont à manœuvrer entre deux dangers : une trop nette victoire ou de Yoshinobu ou de la coalition Satsuma-Choshu, celle-ci étant capable de fonder un nouveau Bakufu. Ainsi se forme un tiers parti : d'anciens soutiens du réformisme kobu-gattai (Owari, Echizen, Tosa) hésitent entre conciliation et attentisme.
   Parmi les kuge, Iwakura Tomomi, dont les relations avec Nakayama Tadayasu, grand-père maternel du jeune empereur, ont accru l'influence, et qui de ce fait peut faire rédiger des « ordres impériaux », à l'insu du souverain, est conscient de la dualité des risques. Mais Satsuma et Choshu, ayant un long passé de rivalité, leur danger hégémonique lui paraît moindre.
   L'implosion du Bakufu était d'autant plus inévitable que, par un second paradoxe, Yoshinobu, après avoir donné la préférence à un outil militaire, se révéla être le contraire d'un chef de guerre, et qu'il était bien décidé à éviter une déchirure nationale. Quand les troupes des principautés du Sud-Ouest coalisées s'emparent des portes du Palais impérial et qu'une contre-attaque tardive de contingents fidèles au Bakufu échoue à les en déloger (lors d'une courte bataille à Toba Fushimi, non loin de Kyoto), l'ancien shogun interprète cette défaite, qui n'a rien d'irrémédiable, comme un signe, s'enfuit par mer à Edo bien décidé à capituler. Dès lors, la marche de l'armée dite « impériale » (puisqu'elle « détient » l'empereur et la Cour) vers Edo, ressemble plus à une promenade triomphale qu'à une campagne militaire. Un compromis final est conclu entre Katsu Awa et Saigo Takamori qui, sous un parent de Yoshinobu, recrée une principauté Tokugawa, réintégrée parmi les daimyo. Hormis des cas individuels, il n'y eut pas d'« épuration ». Le successeur de Yoshinobu, à la tête de l'ancienne maison shogunale, Tokugawa Iesato, fut pendant trente ans (1903-1933) dans le régime de Meiji président de la Chambre des pairs. En 1914, il refusa le poste de Premier ministre.
   Yoshinobu (qui fut fait « prince ») échoua pour n'avoir pas su intégrer sa modernisation dans un environnement trop marqué encore par le fédéralisme des pouvoirs locaux. Il est vrai que sa situation, comparée à celle des principautés, ses rivales, souffrait d'un formidable handicap : d'une part, la complexité du Bakufu comme organisation, paralysante vis-à-vis des réformes ; d'autre part, quand bien même un succès militaire eût été obtenu à Toba Fushimi, la difficulté de placer - forme absolument inédite de « cohabitation » dans un état centralisé -, aux côtés d'un empereur héréditaire, un ex-shogun Premier ministre lui-même héréditaire.
   En 1868, c'est le fédéralisme qui semble triompher, mais quoique libéré de l'obstacle du Bakufu, le problème du cadre politique demeure : comment centraliser le pouvoir à partir d'une coalition.