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Quelque part en Argentine, ma mère s’assourdissait à la musique poisseuse des bandonéons tristes. Elle ne m’entendait pas l’aimer. J’aurais pu crier plus fort. Je ne l’ai pas voulu. On ne réveille pas les somnambules avec des larmes.
Valentine, en silence, me regardait tricher.
J’organisais les heures de ma jeunesse sur les calendriers chargés de mes amis célèbres.
Ils étaient un peu ma famille inventée.
François avait beau me répéter inlassablement qu’on est pas un peu écrivain en tutoyant les écrivains, ni même un peu maréchal de France en se faisant réformer par un chef de cabinet. Je n’en croyais rien.
Sûr que j’étais de mériter mieux que les plaisirs ordinaires promis aux garçons de ma génération, je ne doutais pas d’être digne de l’élite qui m’avait accueilli dès l’enfance.
J’admirais les vedettes. Celles de ma vie avaient leur nom dans les journaux chaque matin, à tour de rôle, entre Hitler et Jean Sablon. Je pensais bien partager à bon droit un peu de leur gloire.
Quand je l’ai connu, Pierre traînait tard le matin dans le lit de Cocteau depuis un mois déjà. Il n’avait jamais vu la mer. Son père était cordonnier, sa sœur blanchisseuse. Il était pauvre, mais ça lui allait bien. Quelques nuits passées dans les draps d’un poète lui avaient appris l’insolence. Je ne pouvais pas être jaloux de lui, mes rapports avec Jean, pour intimes qu’ils étaient, s’arrêtaient malgré tout à la porte de sa chambre à coucher.
Pierre n’aimait pas les hommes ; il me l’a juré dès notre première rencontre.
— Afin, me dit-il, qu’il n’y ait pas d’équivoque entre nous.
C’était une précaution bien inutile. Je ne lui demandais rien.
Il couchait avec Cocteau. Ce n’était pas remarquable et je n’y voyais pas d’inconvénient.
Peut-être se souvient-il aujourd’hui qu’il me disait, en rougissant : « Je dors chez Jean, c’est tout. »
Je me suis bien amusé avec Pierre. Il découvrait la vie. On s’échangeait les filles. Il sortait la nuit sur la pointe des pieds. Il écrivait à son père et à sa sœur restés à Montargis : « Je m’amuse comme un fou. J’habite chez M. Jean Cocteau, poète à Paris. »
Jean le faisait poser nu, debout sur une table en marbre. Il avait l’air d’un ange. Il lui manquait des ailes pour s’envoler. Magicien généreux, Jean les lui a données.
Il a disparu un matin, pour ne plus revenir.
Cocteau n’a pas eu trop de peine ; il l’avait emprisonné dans la marge de ses cahiers d’écolier.
C’est à moi que Pierre a beaucoup manqué. Son absence m’a ouvert le cœur et les yeux.
Lucien, le fils de la concierge, avait des projets matrimoniaux en province.
François était en campagne électorale.
Moi, j’étais seul. J’ai emmené Valentine en pèlerinage à Senlis.
Hormis une très banale rougeole, je n’avais souffert d’aucune des maladies généralement réservées aux enfants.
Aussi, la quarantaine que m’imposèrent la jaunisse et les oreillons réunis restera-t-elle mon plus sinistre souvenir.
J’allais avoir vingt ans. J’étais certain de mourir et pour ne pas faire les choses à moitié, j’ai réclamé l’extrême-onction.
Valentine m’expliqua que ce n’était pas urgent et que, d’ailleurs, je n’étais pas baptisé.
J’ai déchiré le testament dérisoire que j’avais préparé.
Le médecin qui me soignait était un fou qui prétendait être le fils naturel de Mistinguett et de Félix Faure. Il plaisait à notre bonne qui faisait bouillir de l’eau pour ses seringues avec empressement.
Il me disait : « Tout va bien, les choses évoluent normalement, vous ne serez pas impuissant. »
Comme je n’avais pas envisagé cette éventualité, il m’inquiétait au lieu de me rassurer.
Je prenais mes cauchemars pour la réalité. Chaque nuit, j’allais à mon enterrement. Mais j’étais le seul à pleurer sur moi.
Maurice Sachs m’avait invité à déjeuner chez Maxim’s pour me demander de l’argent. Je lui en ai prêté un peu pour qu’il puisse payer l’addition.
Le brillant petit Juif qui m’avait appris à lire et à écrire était devenu un gros poisson-chat. Il cherchait quelqu’un pour changer l’eau sale de son bocal.
Le mercredi, il courait à Meudon se confesser chez Jacques Maritain. Il en avait besoin. Son âme était noire de graffiti obscènes.
Il avait bien essayé de corriger le brouillon de sa vie en entrant au séminaire. En vain. La main de Dieu s’était posée sur sa braguette.
— Ne me regarde pas dans les yeux, me disait-il, je ne veux pas que tu en saches trop.
À trente ans, il avait déjà trahi tous ses amis, Judas même. En Amérique, il avait renié la Vierge, pour épouser la fille d’un pasteur protestant. Il avait été femme de chambre pour des bonheurs de trous de serrure, et conférencier pour les collégiens de Franklin Roosevelt, marchand de tableaux à Paris, critique d’art et bibliothécaire chez Coco Chanel.
Il était toujours en avance d’une excentricité.
Je l’écoutais passionnément me mentir avec autorité.
Il mangeait comme deux, en m’expliquant qu’il avait perdu l’appétit.
Pour un Henry californien, il faisait cuire des choux-fleurs sur un réchaud à alcool, dans la soupente d’un hôtel de Saint-Germain-des-Prés.
— Comment ai-je fait pour tout perdre, gémissait-il, moi qui n’avais rien !
Il lui restait quand même une mauvaise réputation à entretenir et, sur les bras, une pièce comique que Pierre Fresnay venait de lui refuser.
En me quittant sur le trottoir de cette rue Royale, si peu faite pour les bouffons au chômage, il m’a tendu une main moite que je ne regrette pas d’avoir serrée fort.
Je lui devais bien ça. Maurice Sachs avait l’importance de mes dix ans retrouvés.
Je ne pouvais rien pour lui.
Le mieux aurait été qu’il se suicide ; mais non, il n’avait pas de courage.
Des quatre coins du monde, le bruit des bottes résonne à l’unisson. Je ne l’entends pas. Il fait beau sur Paris. Je suis amoureux momentanément.
Au pied d’une tribune dressée place de la Nation, avec François et près d’un million de Parisiens, j’acclame ce Léon Blum dont Daudet prétend méchamment qu’il est un Juif de la pire espèce.
Sa voix vole. Ses mains fines dansent devant ses yeux. Il a l’air doux. Il chante presque.
Mon cousin qui va s’installer à l’Assemblée nationale grâce aux 847 voix de majorité que viennent de lui donner les électeurs limousins m’explique que plus rien ne sera comme avant. Je m’en doute un peu. Sur le mur de l’église Saint-Eustache, je lis : les curés espagnols font le lit de Franco.
Valentine m’attend. Je vais lui raconter ce que j’ai vu et entendu. Les vivats du peuple ne montent pas vers les beaux quartiers.
On n’habite pas chez sa grand-mère, comtesse de surcroît, quand on est un élu du Front populaire.
Fonction oblige. François venait d’acquérir, quai de Grenelle, un appartement, à l’élégance discrète, qui convenait parfaitement à son standing socialiste. Il avait pris, à l’heure dite, le train de l’Histoire, dans le sens de la marche. Il fallait que j’en convienne, j’étais resté sur le quai. Aux premières loges, certes, mais sur le quai quand même.
François était fin prêt pour la grande aventure de sa vie. Je savais bien qu’il ne tarderait pas à trouver l’épouse idéale ; jolie, mais simple, pour illustrer à ses côtés la page inauguration des chrysanthèmes du Populaire du Centre.
— Tu comprends, me disait-il, l’image de marque c’est important. Il me faudra des enfants vite. Deux au moins. Tu sais, la famille, dans notre vieux pays, ça compte !
Se souvenait-il, ce François-là, du François des années folles qui noctambulait dans les coulisses du Casino de Paris, la mèche rebelle. Le cœur volant.
Bien sûr qu’il se souvenait.
— J’étais un révolutionnaire bourgeois… Je suis un bourgeois révolutionnaire : il n’est pas interdit de devenir raisonnable, non.
En bavardant nous attendions ses invités pour fêter la victoire d’une nuance subtile.
François avait le bonheur éloquent. La justice et la France élevaient la moindre de ses conversations au niveau du discours politique. La justice et la France, ces deux mots sonnaient bien dans le préau des écoles laïques. Ils avaient fait de lui un autre homme.
Il serait ministre. Il n’en doutait pas.
Cet après-midi-là, il n’était encore que député, mais lorsque Édouard Herriot le serra sur son ventre pour l’accolade de circonstance, déjà ses pieds ne touchaient plus terre.
Le maire de Lyon fut très entouré durant le quart d’heure où il présida de sa haute autorité la belle assemblée de républicains joyeux.
Le président du Conseil s’était fait excuser mais des colleurs d’affiches et des secrétaires de mairie étaient là en habit du dimanche. Il faut croire que je ne dénotais pas trop, car des gens du parti de François m’invitèrent à rejoindre leurs rangs.
Je prêtais à chacun une oreille attentive.
— Ne me déshonore pas, m’avait dit François.
Je m’y efforçais.
J’aurais pourtant volontiers jeté un verre de limonade au visage d’une pasionaria limousine de dix-huit ans qui prétendait de manière hystérique que Cocteau possédait tous les dons possibles et imaginables, même et surtout celui de faire croire qu’il avait du génie. Qu’en savait-elle cette bergère syndiquée ?
Je dissimulai mal ma colère.
— Ce n’est pas vraiment faux, me dit un bel homme assez jeune qui se tenait dans mon dos, accoudé à la poignée d’une fenêtre. Bonjour, je m’appelle Roger Vailland.
Que faisait là le feuilletoniste du Peuple, organe de la C.G.T. ? Qui l’avait invité ? Il avait le regard aigu et inquiet des intellectuels tourmentés par la vitesse du vent. Il penchait nettement du bon côté.
Mais qui peut savoir ? Il disait des choses intelligentes. Mais Brasillach aussi disait des choses intelligentes.
C’est la même angoisse qui mène au prix Goncourt ou au peloton d’exécution.
Qui est génial ? Qui ne l’est pas ?
Qui a raison ? Qui a tort ?
Derrière les carreaux d’un salon déserté, nous regardions la Seine suivre son cours irrésistiblement.
L’odeur du tabac froid me tournait la tête.
Nous nous interrogions en silence, Roger Vailland et moi.
— Qui êtes-vous ? me demanda-t-il brusquement.
Sa curiosité tardive ne m’étonna pas. J’étais en train de me poser la même question.
— Je suis le cousin de François, ai-je répondu sans hésiter.
Je n’étais rien d’autre, en effet. Je n’avais pas d’excuse valable.
Je n’allais plus avenue de Ségur que pour y dîner parfois.
Valentine s’habillait chez Schiaparelli. Elle sortait pour se désennuyer.
— Je ne te vois plus beaucoup, me disait-elle lorsque nous nous croisions.
François lui faisait porter des fleurs deux fois par semaine, et l’invitait à déjeuner une fois par mois.
Ce régime, pour grand-mère résignée, ne suffisait pas à occuper ses loisirs de comtesse à la mode.
Je fus quand même surpris de me trouver nez à nez avec elle à la Coupole, où je venais chercher une passagère agréable et disponible pour mes week-ends en Bugatti.
Attablée devant le café crème cher aux Montparnos, Valentine s’entretenait de l’importance de la philosophie hindoue dans l’œuvre de Maurice Dekobra avec une blonde créature belge aux ongles laqués de rouge.
Elle semblait s’amuser follement.
— Je ne te présente pas Youki, me dit-elle, vous vous connaissez, je suppose.
Le « je suppose », chargé de lourds sous-entendus, me donna à réfléchir un court instant.
Mais non, vraiment, je ne connaissais pas Youki. J’étais sans doute le seul à Paris.
Youki s’appelait Lucie, comme tout le monde, mais elle avait su décoiffer la frange de Foujita qui l’avait épousée et baptisée de ce nom de chien. Elle avait posé pour lui et Picasso, aimable, trouvait les toiles moins réussies que le modèle.
Youki n’était pas rien. J’allais en culottes courtes quand, déjà, elle embellissait les nuits aux alentours du métro Vavin. C’était quand les hommes avaient de l’imagination.
Un peintre américain s’était ouvert les veines pour lui écrire « je t’aime et adieu » avec son sang, sur les murs des waters d’un café lumineux.
— Voilà comme il convenait de mourir d’amour en 1925, me lança-t-elle en guise de reproche.
Étonnante Youki ! Lorsque Valentine l’a rencontrée, elle inspirait à Robert Desnos de misérables poèmes.
En brûlant le poète, Himmler a immortalisé des vers de mirliton qui ont chanté longtemps dans la tête de Youki. Elle l’aimait.
Valentine avait trouvé la complice idéale. De souvenir en souvenir, elles réveillaient des fous rires et des larmes oubliées.
Il n’y a pas si loin de Montparnasse à Senlis.
Un danseur mondain qui levait le petit doigt pour dire bonjour, avec l’accent d’Oxford, les avait présentées l’une à l’autre.
Ce « chéri » des bords de la Tamise, qui répondait au nom de Willy, n’était pas vraiment bête, pas vraiment danseur, et pas vraiment beau, mais il avait de la sensualité à revendre et ne s’en privait pas.
Il était l’étoile d’un ballet désordonné qu’il menait de table en table, tous les après-midi, entre cinq et sept.
Sans doute honorait-il Youki à ses moments perdus. Elle était sa marraine de spectacle.
Ma grand-mère me pria de croire qu’il n’était rien pour elle qu’un gigolo de cœur.
La précision n’était pas inutile.
Je n’ai quand même pas pu m’empêcher de lui recommander d’être sage à la manière d’un grand frère s’adressant à sa petite sœur, au soir de son premier bal.
J’ai rejoint la demoiselle qui m’attendait.
Je lui avais promis une nuit d’amour au Touquet.
Elle s’impatientait.
Raconter cette nuit d’amour m’ennuierait profondément. Elle ne fut d’ailleurs pas remarquable. Chacun de nous en a connu de semblables. Je pourrais dire que la demoiselle s’appelait Lucienne… dire aussi qu’elle avait les seins tendres et mille autres choses de ce genre. Mais non je préfère me taire. J’ai pour habitude d’éteindre la lumière quand je me déshabille. Sauf avec les filles publiques. Leurs manières de médecins me tranquillisent.
Que faisiez-vous en ce temps-là ?
Bien décidé à ne pas me laisser distraire par le vacarme ambiant, je dissipais ma jeunesse dans les arrondissements élégants du Paris de l’entre-deux-guerres.
J’avais des préoccupations sans importance.
Égoïste, j’étais le seul à ne pas avoir le vertige dans un monde qui s’emballait comme l’assiette au beurre de la foire du Trône. Était-ce vraiment ma faute ?
Le deuxième printemps du Front populaire vire au vert-de-gris.
Entre le François : Jaurès tout va bien, les communistes avec nous, Limousins de tous les pays unissez-vous, Matignon terre promise et le François : l’Espagne quoi faire ? Saint Blum priez pour nous, Thorez nous emmerde… il y a un château espagnol qui s’écroule au soleil des congés payés.
À Guernica, les nationalistes amateurs d’art offrent à Picasso du sang pour un chef-d’œuvre.
Je boucle mon sac de voyage. Drieu sera là dans cinq minutes, il m’emmène à Berlin. Pour me donner des idées.
Il était tôt le matin quand nous sommes arrivés dans la patrie de Goethe et d’Arno Breker.
Les jeunes dieux du stade dormaient encore à poings fermés, l’uniforme soigneusement plié au pied de leur lit.
— Tu les verras, me disait Drieu, ils boivent des bières blondes et glacées qui leur ressemblent mais leurs ventres sont plats.
Je les ai vus le soir même. Ils étaient cent mille, cent millions peut-être, solides et triomphants, le nez en l’air, la main tendue, jouissant debout à l’unisson pour un drapeau tout neuf.
Ça ne sentait pas la sueur dans leur église à ciel ouvert. L’encens qui les enivrait, et m’enivrait aussi, avait une odeur de soufre rafraîchissante.
Ils étaient les futurs maîtres d’une Europe décolorée.
Les torches qui déchiraient la nuit pour cette messe en plein ciel n’y changeaient rien. La lumière blanche qui brillait dans leurs yeux venait de l’intérieur d’eux-mêmes. Les miens n’étaient pas assez grands pour tout comprendre et tout voir.
Taches rouges et mauves couchées sur des bottes de cuir dur, des évêques hallucinés s’offraient en esclaves à des apôtres de quinze ans.
Des vierges égarées cachaient entre leurs cuisses des couteaux de cuisine.
Dans les vestiaires désertés des Jeux Olympiques, des généraux esthètes obligeaient des enfants blonds à disparaître sous la robe de curés en extase.
La musique et les chants militaires grondaient comme un océan qui divague.
Crucifiés aux branches d’une croix pas catholique, des Juifs tordus éternuaient poliment dans un bruit de tonnerre.
Personne ne les entendait.
Drieu délirait. La grande-fête de l’ordre, il la croyait possible, mais il n’a pas osé l’imaginer si belle. Moi non plus.
Hans, notre guide, a passé sa main sur mon épaule. Je l’ai laissé faire. En transes, j’attendais l’apocalypse.
— Sade est mort. Vive Hitler, lui ai-je soufflé à l’oreille.
Sur le quai de la gare de l’Est, quarante-huit heures plus tard, ma fièvre n’était toujours pas tombée. J’ai demandé à Drieu :
— Ça se termine comment les partouzes au masculin ?
Il ne savait pas encore.
Il me restait un peu plus de dix-huit mois avant d’obtenir une réponse.
En attendant, je comptais les papillons noirs pour m’endormir.
Ça se termine comment les partouzes au masculin ?
François me jugeait mal.
— Vraiment pas la peine de fréquenter tant de gens de littérature pour poser des questions aussi imbéciles !
Mon romantisme germanique et mes histoires d’anges virils aux ventres plats l’agaçaient.
— Si ça continue, je vais lui casser la gueule à ton Drieu, tu entends, je vais lui casser la gueule !
Il perdait son sang-froid mon François et tout continuait d’aller comme avant.
Un Louis-Ferdinand écrivait : cinq mille Juifs enculeront cinquante millions de Français.
Au Ritz, tous les mercredis, Berl et Mandel déjeunaient ensemble.
— Je vous assure, monsieur le ministre, que je ne saurai jamais m’y prendre.
— Berl, vous avez l’humour inquiet aujourd’hui. Les cauchemars de Céline ne sont pas des ordres.
Quand je rentrais avenue de Ségur, le Willy de Valentine filait à l’anglaise sans même prendre le temps de finir sa quotidienne partie de dames.
— Tu l’effraies, ce pauvre garçon. Tu pourrais au moins être aimable.
Valentine avait raison, je n’étais pas aimable.
Elle jouait aux dames avec un gigolo qui la prenait pour une comtesse.
Je la rêvais à Barbizon, penchée sur une bassine de confiture d’abricots.
J’avais besoin d’une grand-mère provinciale et tranquille derrière des volets clos, à cause des mouches, en été.
J’avais dans la tête le dialogue obsédant d’un orphelin et d’un salaud qui n’arrivent pas à s’entendre.
Il fallait que je me décide à rompre avec l’un deux.
J’ai choisi de déménager. En fermant la porte derrière moi, j’ai laissé l’orphelin en garde à Valentine.
Un salaud, c’est moins encombrant.
J’avais donné beaucoup d’argent au propriétaire d’un trois-pièces, avenue Rachel, pour qu’il expulse un couple de vieillards qui l’occupait depuis trente ans.
Je voulais habiter avenue Rachel et rien n’aurait pu m’en empêcher.
J’avais déjà calculé que la fenêtre de ma chambre donnerait sur le cimetière Montmartre et rien ne me paraissait plus séduisant.
Cette avenue, située à cent mètres de la place Clichy et de la place Blanche, est une impasse, sauf pour les corbillards.
Je m’y étais égaré par hasard. Elle m’avait séduit aussitôt. La mort des autres me rassure.
J’y revins une semaine de suite, à des heures différentes. Tous les jours je la découvrais un peu mieux. J’avais inventé pour elle une fausse chanson de Charles Trenet :
J’aime l’avenue Rachel
Qui n’est pas belle
Mais beaucoup plus jolie
Que la rue de Clichy.
J’entretenais avec les concierges des conversations essentielles sur la vaisselle en or de M. Blum, sur les ouvriers qui exagèrent quand même, sur l’humidité du temps, mauvaise pour leurs jambes fatiguées.
Elles avaient presque toutes, installé sur un fauteuil en osier, au fond de leur loge, un vieux mari mutilé en 14-18, qu’elles déplaçaient pour faire le ménage.
La mienne régnait sur le 27, avenue Rachel depuis 1898.
Pélagie Pontin était une grosse Bretonne autoritaire qui avait pour moi des attentions de mère poule.
— Vous, monsieur, me disait-elle, vous avez été élevé dans le monde, ça se voit. C’est pas comme cette traînée du quatrième. Tenez, c’est pas pour dire mais…
Et sous l’œil du Bon Dieu, je lui faisais me raconter d’infâmes ragots de bidets, des histoires d’héritages compliqués où il était question « d’oncle qu’on a sûrement empoisonné pour en finir plus vite, car il était très encombrant et très riche ».
« Mais tout se sait toujours et le médecin qui est dans le coup, il n’y coupera pas ! »
« Ah ! Croyez-moi, j’en vois de drôles ici, et ce sont les femmes les pires. »
Je ne passais jamais devant sa loge sans m’y arrêter. J’aimais le formidable bazar de Pélagie. Sur sa cheminée, la photo de Jean Gabin dans Gueule d’Amour côtoyait la Sainte Vierge, le calendrier des Postes et un bocal de poissons rouges.
Partout des croix, des crucifix, des images pieuses et un chapelet posé sur un missel ouvert. Elle s’excusait :
— Je suis très catholique … Vous savez.
Pélagie Pontin tenait le journal des enterrements. En quarante ans, elle en avait daté et répertorié beaucoup.
Aucun mort anonyme ou célèbre n’échappait à sa vigilance. Son seul vrai plaisir consistait à parcourir d’un pas lent les allées du cimetière Montmartre qu’elle connaissait par cœur.
Je l’accompagnais parfois. Munie d’un petit balai elle nettoyait méticuleusement les tombes de ses chers disparus, dont pas un n’appartenait à sa famille mais qu’elle s’appropriait au fil des années.
— Tenez, celui-là par exemple : mort pour la France. Qui s’en souvient, à part moi ?
J’étais bien avenue Rachel. Les voisins ne m’adressaient pas la parole. Ils se méfiaient de moi.
On me trouvait bizarre. J’étais un fils à papa sans cœur qui avait fait chasser des pauvres gens.
J’avais des maîtresses aussi voyantes que ma Bugatti rouge. Ce qu’on disait de moi m’importait peu. Je m’accordais bien à la sérénité des lieux. La vue sur le cimetière me donnait à réfléchir gravement. J’écrivais mes pensées : une ville sans concierges, ça n’a pas d’histoire, pas de goût, c’est insipide telle une soupe sans poivre, ni sel, une ratatouille informe.
Je n’avais pas de chance. Quelque part, quelqu’un écrivait la même chose et il signait Louis-Ferdinand Céline.
Cela m’a beaucoup contrarié quand je l’ai appris.
François s’était débrouillé pour que j’assure l’intérim de la critique spectacle au Populaire . Je n’avais aucun droit à ce titre sinon un penchant marqué pour les dames du music-hall. Mon seul article fut très remarqué. J’y rendais compte de la prestation de Rina Ketty à l’« A.B.C. ». Je le concluais de la façon suivante : « Mlle Ketty ne se tient plus de joie. Elle revoit “les grands sombreros et les mantilles” et Franco fait fusiller les empêcheurs de flamenco. »
Comme vous le voyez, je mêlais habilement l’actualité parisienne et internationale. Hélas mon confrère ne tarda pas à recouvrer la santé, ce qui me priva définitivement d’exercer mes talents de journaliste.
Je ne savais ni quoi penser, ni quoi faire. En fouillant dans les archives de feu M. le comte, mon grand-père, j’avais retrouvé un énorme paquet de coupures de presse sur « l’affaire ». Je me demandais si Dreyfus était coupable ou non.
C’était vraiment le moment. Je me suis fait insulter par François que, décidément, je désespérais.
Barrés et Paul Valéry, contre Clemenceau et Zola, je me régalais.
Aux murs de mon bureau, j’avais épinglé à gauche les pour Alfred, à droite les contre Alfred. Celui de droite n’était pas assez grand. Pélagie, qui n’était pourtant pas raciste, m’avait prévenu…
— Une vilaine histoire de youpins qui voulaient nous voler la France. C’est pas pour dire, monsieur, mais regardez-moi sa tête, et son regard pas franc.
C’était vrai. Il n’avait pas l’air honnête le petit capitaine rachitique.
— Sûrement maniaque sexuel, avec ça.
Pélagie Pontin vidait mes cendriers, arrosait mes fleurs, et faisait mon lit.
— Vous verrez qu’ils finiront par lui construire une statue à leur Dreyfus.
Il n’avait même pas eu le bon goût de mourir en héros à Verdun, comme tout le monde. Non, il était mort tranquillement chez lui, et lieutenant-colonel, s’il vous plaît.
À mesure que j’avançais dans mon enquête j’avais de bonnes raisons d’espérer. Je le tenais mon livre. Enfin presque. Il ferait scandale, j’en étais sûr. Arthème Fayard pouvait se frotter les mains. J’examinai à la loupe le fac-similé des bordereaux publiés dans les journaux.
J’établissais des plans, des recoupements. J’analysais les contradictions, fébrilement, sûr qu’avant moi jamais personne n’y avait songé.
« L’affaire », mon affaire, je ne pensais plus qu’à ça. Je ne résistais pas assez au plaisir d’en parler. Cela me valut quelques ennuis.
Max Jacob me cassa une canne sur la tête.
Provocateur c’est à Berl que j’allais me plaindre.
Très Proust en colère, il m’envoya illico ses chaussons à la figure.
De quoi se plaignait-il ? Le cher Louis-Ferdinand venait de lui adresser : Bagatelles pour un massacre. Avec ces mots : « Tu ne seras pas pendu, tu seras Führer à Jérusalem. » Un peu ironique comme dédicace, mais finalement assez gentille.
Quand le doute m’envahissait, rarement, mais cela m’arrivait, je le confesse humblement, il me suffisait d’entendre Pélagie Pontin se faire la voix pour m’encourager :
— Bien sûr, je ne suis pas si instruite que vous, moi, monsieur, mais quand même, je vois bien, c’est la même écriture.
La même conclusion que tous les experts, la même certitude que sept ministres de la Guerre successifs, la même bonne foi que des millions de braves gens.
Non ! Je ne pouvais pas laisser tomber une affaire pareille. Il retournera à l’île du Diable.
— Hélas, monsieur, il est mort déjà depuis plus de trois ans.
— Ah ! Oui, j’avais oublié.
Je relisais pêle-mêle L’Éclair, La Croix, La France catholique, L’Antijuif, L’Action française, L’Avenir militaire, L’Indépendance bretonne, Le Gaulois, Le Journal officiel, etc., même L’Aurore pour être objectif.
À côté de « J’accuse », en marge, mon grand-père avait griffonné :
« Pauvre Émile, il a encore fait une connerie, son cœur le perdra. » Je ne fermais pas les yeux sans avoir relu cette grande vieille page jaunie du Figaro du 6 janvier 1895 où Léon Daudet raconte magnifiquement la cérémonie de la dégradation à laquelle une foule de patriotes assista malgré le froid.
« Il règne un tumultueux silence. Les nuages s’écartent. Un rayon de soleil, bref et sanglant, verse un peu de vie sur cette mort pire que la mort…
Je prends ma lorgnette. Elle danse dans mes mains et, à travers une sorte de buée, je suis de près ce décorticage symbolique…
Le condamné n’a ni recul ni secousse. Il est soumis comme un pantin figé. J’entrevois sa tête chafouine et blafarde dressée par un ultime défi… Que peut-on faire de plus à ce petit automate, complètement noir et dépouillé de tout, à cette bête hideuse de trahison qui demeure debout sur ses jambes roides…
Pour ce scélérat, la souffrance morale n’est rien, il est au-delà d’elle ; nous sommes plus torturés que lui.
Il n’a plus d’âge. Il n’a plus de nom. Il n’a plus de teint. Il est couleur traître…
Le misérable n’était pas Français. Nous l’avions tous compris par son acte, par son allure, par son visage. »
— Vous n’étiez pas né, vous monsieur, mais moi, Pélagie Pontin, je peux vous dire que c’est vrai. J’y étais place Fontenoy avec mon père, un grand Français qui avait perdu un bras en 70 pour sa patrie. Tiens, je nous revois comme si c’était hier, j’en frissonne encore. Qu’on le fusille ! Qu’on le fusille ! hurlait mon père, un brave homme pourtant, et pas méchant pour deux sous.
Je vivais des heures exaltantes à remuer la boue encore fraîche d’une tombe pourtant suffisamment salie.
Beaucoup de ceux qui avaient rêvé d’être les fossoyeurs de ce capitaine binoclard, finalement mort dans son lit, m’apportèrent une aide empressée. Daudet lui-même était fier de moi. Il me l’avait fait savoir par sa secrétaire qui s’était déplacée avenue Rachel pour me remettre quelques-uns des documents importants qui me manquaient.
— Monsieur Daudet m’a priée de vous adresser ses vœux de réussite, me dit-elle. Il est ému de trouver aujourd’hui, à ses côtés, le petit-fils d’un homme unanimement respecté dans les couloirs de L’Action française.
Aux remerciements intimidés que je lui adressai, il répondit par une longue lettre embarrassante dans laquelle il était question de mon nationalisme courageux, du mérite que j’avais de ne pas suivre un cousin égaré, de Bayard et de Maurras.
« Je le sais, m’écrivait-il, la belle jeunesse de France, celle qui ne s’avachit pas dans le mensonge, celle qui n’a pas renoncé à l’honneur, elle est toujours debout, prête à se dresser aux portes des églises menacées, prête à prendre les armes pour défendre son drapeau, prête, s’il le faut, à venger Jeanne d’Arc une seconde fois. »
J’avais les mains sales. Il m’invitait au chevet d’une sainte.
Daudet me comptait parmi les siens. Il avait tort. Je ne méritais pas le vibrant hommage dont il me gratifiait. Mon prétendu nationalisme avait des limites. Je n’étais prêt à rien, en tout cas pas à me battre pour une Marseillaise.
Musicalement je préférais, d’ailleurs, et de loin, L’Internationale.
À ce Dreyfus qui me préoccupait tant, Léon Daudet n’accordait dans sa lecture qu’un P.S. hâtif :
« Si vous parvenez à nous rendre ce coupable qui a si cruellement fait défaut à notre cause, l’Histoire s’en souviendra. »
Il n’avait pas d’illusion sur l’issue de mes travaux. Un vague espoir fou peut-être ? Je n’étais pas dupe mais je continuais néanmoins à me pencher sérieusement sur des dossiers cent fois relus.
Je n’avais pas encore commencé de rédiger ce réquisitoire que je voulais implacable, que déjà je lui avais choisi des titres possibles. Après avoir hésité entre Capitaine la honte et Dreyfus avec un d comme déshonneur, je m’étais décidé pour J’accuse moi aussi que je jugeais tonitruant à souhait. Bien à la mesure de mon ambition.
À mon grand étonnement, François ne se scandalisa pas. Il se contenta de me rappeler, à tout hasard, que je n’avais pas écrit Gervaise, ni La Bête humaine. Je n’aurais pas dû l’oublier.
J’ai trouvé un titre. Ce n’est pas si mal, me répétais-je, chaque matin, en m’installant à mon bureau sur lequel j’avais posé trois cents feuilles de papier blanc.
Arthème Fayard s’impatientait gentiment.
— Alors mon petit, c’est pour quand ce chef-d’œuvre ?
Il s’étonnait que je ne lui demande pas d’avance sur mes droits d’auteur qui seraient importants. Il le croyait. Moi aussi.
J’avais moins besoin d’argent que de preuves et d’imagination.
Il m’a fallu plus de trois mois pour écrire la première ligne. Parmi des milliers de phrases, une seule s’est imposée à moi. Fulgurante : Dreyfus ne peut pas être innocent puisqu’il est coupable.
— Ça c’est la vraie vérité, monsieur.
Personne, mieux que Pélagie, ne pouvait m’encourager avec tant d’enthousiasme. C’est après que les choses se sont compliquées.
— Au fond, me disait François ; ce qui t’importe ce n’est ni l’histoire, ni l’honneur ni même la vérité, c’est le scandale à tout prix. C’est pas joli, joli.
Je m’allongeais à plat ventre sur un canapé très bas, encombré de coussins de velours, pareil à celui sur lequel se vautrait Mlle Cécile Sorel, quand elle m’offrait des gâteaux mous. Le nez enfoncé dans mon coussin préféré, le mauve un peu passé, je réfléchissais.
Drieu m’avait prêté un exemplaire numéroté de Mein Kampf dans sa version originale.
Il s’étonna quand je lui avouai ne pas savoir lire l’allemand. Sans doute comptait-il sur moi pour obtenir une traduction, car lui-même ne connaissait pas cette langue. Je le savais, mais j’ai préféré ne pas l’humilier.
— Je croyais pourtant qu’on pouvait te faire confiance.
Le nez dans mon coussin mauve, un peu passé, j’écoutais Wagner, pour me faire pardonner.
Je ne sortais pratiquement plus. Pélagie me montait des yaourts et des fruits, elle ouvrait mes fenêtres en ronchonnant à cause de la fumée de cigarettes « qui finirait bien par me rendre tuberculeux ». Elle m’apprenait en se mouchant dans un grand morceau de toile écrue la mort du Saint-Père. Pour ne pas ajouter à sa peine, je prenais l’air affecté qui convient en de telles circonstances. J’étais un garçon bien élevé ; fils de héros et petit-fils de comte.
Pour me distraire, les nuits où je ne trouvais pas le sommeil, je guettais les bruits de pas dans l’escalier. Je leur inventais des histoires inquiétantes ou comiques, selon qu’ils étaient las, lourds ou pressés.
Ma voisine, une vieille fille de trente-huit ans, rentrait à minuit cinquante-cinq précis, avec le dernier métro, non sans avoir avalé rapidement un café serré et une Fine Champagne, sur le comptoir en acajou briqué d’un bar louche de la rue Fontaine. Elle était ouvreuse dans un cinéma de quartier, « Le Sélect », je crois, quelque part du côté de l’avenue Ledru-Rollin. Elle s’appelait Monique. Monique se faisait l’amour toute seule, m’avait-on dit. Elle était dévorée par une passion lubrique pour Porfirio Rubirosa. Elle n’était pas laide. Quelques minutes avant qu’elle n’arrive, je me cachais sur son palier, nu sous un drap réservé à cet effet, et troué à la place des yeux. Je prenais soin de décrocher la faible ampoule de quarante watts qui répandait une lumière jaunâtre à chacun des étages et, lorsque Monique me tournait le dos pour tenter d’ouvrir la porte, je lui recouvrais la tête avec un bout du drap blanc qui protégeait ma nudité.
— Au secours, murmurait-elle, le plus doucement afin que personne ne l’entende et, pour moi, seulement, plus doucement encore, elle ajoutait : « Vous êtes un satyre, hein ? »
Cette idée lui plaisait. Pour ne pas la décevoir, je lui promettais les pires outrages, mais je n’ai jamais tenu parole. Je voulais lui faire peur, pas lui faire plaisir.
Je recommençais cette petite comédie aussi souvent que j’en avais envie, mais moins souvent sans doute qu’elle ne l’aurait souhaité.
Un jour, je me suis lassé. Elle a bu un bon verre d’éther, au fond duquel s’était noyé le fantôme de Rubirosa.
Je dormais avec un pyjama trop court. Ma montre et mon réveil marquaient toujours une heure de retard. Je m’offrais, à Barbizon, des dimanches à la camomille que Valentine acceptait de partager avec moi.
— Tu n’es pas assez jeune pour ton âge, me disait-elle …
Dreyfus ? Oui, évidemment, elle se souvenait. Son père et son oncle s’étaient battus en duel à cause de lui. Mais elle ne savait pas lequel des deux avait raison, parce que, entretemps, tout avait changé. Tout change toujours !
Et d’ailleurs, ça intéresse qui cette histoire aujourd’hui ?
La cloche de l’église, à Barbizon, sonnait paresseusement des quarts d’heure blancs.
Je n’avais pas vu Cocteau depuis plusieurs mois. Trop souvent je m’étais plaint à lui de ceux que j’appelais les passants de ma vie, pour n’avoir pas quelques scrupules à lui revenir aussi soudainement que je m’étais volatilisé. J’ai quand même trouvé le courage de pousser la porte entrebâillée du premier étage à gauche du 36 de la rue de Montpensier, où il venait d’emménager.
Je l’ai retrouvé, intact funambule. En équilibre sur le rebord de la fenêtre de sa chambre. Il battait la mesure pour Mme Colette, de l’Académie Goncourt.
Je m’attendais à des reproches.
— Tu tombes bien, me dit-il… Je pose des rideaux, tu vas m’aider.
Cocteau, un marteau à la main, drapé de velours, déclamait des poèmes érotiques en hommage à d’invisibles marins roses.
Quelle émotion pour le jeune homme que j’étais !
J’ai passé mon après-midi à lui tendre des anneaux de bois et des clous. Il me racontait des choses incroyables.
Il me disait : « Jeannot va rentrer. Ah ! Oui, c’est vrai, tu ne connais pas Jeannot… »
Il s’indignait : « Max Jacob prétend que Dieu ne m’aime pas, mais qu’en sait-il exactement ?
De toutes façons, Maritain m’a promis un certificat de bonne conduite et il est bien placé, lui. » Je lui racontais Nuremberg et Drieu, l’avenue Rachel et le cimetière Montmartre, Daudet et Pélagie.
— Drôles d’idées, au pluriel, drôles de gens singuliers, me disait-il en tirant avec volupté sur sa drôle de cigarette.
Je lui demandais comment me réconcilier avec Berl son ami, son voisin du quatrième.
— Monte-lui des anémones, me disait-il, il adore ça.
En Suisse, où il ne se passe jamais rien, je m’inventais des solitudes littéraires. Interminables automnes …
J’écrivais des textes sophistiqués pour des prospectus du syndicat d’initiative.
« Genève a l’exotisme glacé comme le papier d’argent des chocolats de luxe… Genève interdite aux enfants qui rient…
Genève propre et bien élevée. On est prié d’essuyer ses pieds en entrant ».
Avant j’étais bavard. Je parlais haut et fort. J’étais sympathique. J’étais jeune. Je devenais vieux et serein sous les peupliers qui bordent le lac Léman. J’affectionnais particulièrement l’itinéraire choisi avant moi par des princes en exil. Je m’arrangeais bien avec la mélancolie.
Le soir, après avoir dîné légèrement, je m’installais confortablement, dans le hall désert de l’hôtel « Beau Rivage ». Le personnel connaissait mes habitudes. Je n’avais pas besoin de réclamer ma bouteille d’eau minérale plate, on me la servait pas trop froide, avec sur une soucoupe deux ou trois tranches de citron.
J’écrivais à François : « J’apprends en lisant La Tribune de Lausanne, que tu viens d’accorder les pleins pouvoirs à Daladier. Très bien, te voilà donc tranquille pour un moment. Je t’attends à l’hôtel “Beau Rivage”. N’oublie pas tes pull-overs, il fait froid ici. »
J’avais pris soin d’emmener une malle d’osier pleine des documents de mon dossier Dreyfus. À côté de profession, j’avais écrit « historien » sur ma fiche d’hôtel.
Historien dans un pays sans histoire, voilà qui m’auréolait de prestige aux yeux de l’homme aux clefs d’or. Il s’appelait (je vous le donne en mille) Jules Esterhazy. Oui, le neveu de mon Esterhazy à moi, celui de l’affaire.
Jules était un vieillard solennel. Il allait trois fois par an en Angleterre, à Harpenden, fleurir la tombe du « comte de Voilement ».
Quand il a su que je savais, il s’est d’abord méfié. Pour faire tomber ses craintes, j’ai glissé dans sa poche quelques billets de banque :
-Vous offrirez au comte des fleurs supplémentaires, lui ai-je dit.
Nous étions seuls dans le hall de l’hôtel « Beau Rivage », je terminais ma bouteille d’eau minérale plate, en feuilletant de lourds catalogues de mode.
— Mon cher maître, me dit Jules très ému (son menton carré tremblait), permettez-moi de vous appeler maître, votre geste me touche et je vais vous faire une étonnante révélation : les Français se sont déchirés pour une désolante petite histoire de rien du tout. Les Juifs n’ont rien compris. Mon oncle aimait Dreyfus. Il l’aimait d’amour, voilà le drame.
L’affaire Dreyfus ce n’est rien d’autre qu’une histoire d’amour qui a mal tourné, voilà la vérité.
Je m’en voulais d’avoir manqué de perspicacité à ce point.
Ainsi Esterhazy s’était vengé du petit capitaine qui promettait toujours et ne tenait jamais.
— À vous, je peux tout dire, me soufflait Jules au visage en me serrant les mains. J’ai gardé ce secret pour moi pendant quarante ans ; j’ai des lettres de mon oncle, je vous les donnerai. Après ma mort, vous pourrez les publier.
Chacun leur tour Alfred et Esterhazy ont préféré passer pour des traîtres plutôt que pour des homosexuels.
J’étais déçu quand même. Il me fallait abandonner mon J’accuse moi aussi pour quelque chose du genre : Dreyfus ou le Mystère romantique. Moins percutant.
J’aurais pu jeter à la rue mes coupures de journaux, mes notes, mes livres devenus inutiles. Mais non, on ne jette rien, en Suisse.
Je les ai distribués aux petits enfants blancs qui passent, sans bruit, dans les rues de Genève, en sortant de l’internat, le samedi à midi.
On a dit que j’étais responsable d’une formidable vague d’antisémitisme helvétique. Je n’en suis pas si sûr. J’aurais aimé que l’on fournisse le moindre commencement de preuves à l’appui de cette accusation.
François m’a répondu, aux frais de la république, sur papier à en-tête de la Chambre des députés.
« Mon petit vieux, le charmant voyage auquel tu m’invites n’est pas vraiment de circonstance. La France a besoin de moi. Je ne sais pas si tu le sais, peut-être les journalistes de La Tribune de Lausanne ne le savent-ils pas non plus, mais il se passe ici, et un peu partout dans le monde, un certain nombre de choses qui ne laissent pas d’inquiéter. Certes le lac de Genève est attirant mais l’heure n’est pas à la balade et quitte à me prendre pour un autre mes électeurs du Limousin ne comprendraient pas que je choisisse Lamartine plutôt que Robespierre.
Nous sommes le 30 août 1939 et, sauf imprévu, dans quelques jours ton pays sera en guerre contre l’Allemagne, chère au cœur de ton cher Drieu. Voilà pour l’anecdote. À part cela, tout va bien, merci, mais je n’ai pas le temps d’aller m’acheter des pull-overs. Bonnes vacances à toi. Signé François. »
Ma soirée fut un peu gâchée à l’idée que M. Letellier, mon chef vigneron, puisse être mobilisé au moment des vendanges.
Mais j’étais habitué à l’humour agacé de mon cousin.
J’ai rangé sa lettre entre les pages luxueuses d’un lourd catalogue de mode plein de chauds pull-overs de laine.
Je ne dirai jamais assez le charme discret de cette petite place à Genève où je m’étais organisé des habitudes de curiste pas vraiment pressé de guérir.
Je m’y rendais tous les après-midi à l’heure où les marchands de cigares et de chocolats se désespèrent.
Officiellement, j’étais monsieur l’historien qui passe. On n’est jamais celui que l’on croit.
Une chaise en bois, rouge ciré, toujours la même, m’attendait dans l’ombre feutrée d’un bar : le « Bar étroit » bien fréquenté. Les grands écrivains suisses venaient parfois s’y concentrer devant un café au lait. Comme moi. Il ne faut pas s’étonner de rencontrer des gens curieux en Suisse.
Pour un fabricant d’automates, au teint gris, j’étais un fier communiste traumatisé par le pacte germano-soviétique… Le garçon du « Bar étroit » qui marchait les yeux baissés trouvait que, pour un Juif, mon nez n’était pas assez crochu… Je m’en excusais. Mon souci de ne pas décevoir m’entraînait à raconter au fabricant d’automates mes premiers émois marxistes ; Gide, en cachette de Cocteau, me faisait réciter Le Capital. Preuve de confiance suprême, je lui lisais le brouillon de mes poèmes : « Mon parti m’a rendu les couleurs de la France. » Il aimait cette phrase, il me demanda la permission de la noter.
Au garçon du « Bar étroit » qui me cacherait, s’il le fallait, je m’excusais aussi pour le Christ. Il ne doutait pas de ma sincérité.
On ne les entend pas, mais les gens parlent en Suisse. Une mère me proposa son fils « car moi, monsieur Proust, je n’ai pas peur des pédérastes de Paris et j’ai lu tous les livres de votre père ».
Elle ne savait pas, qu’en plus, j’étais juif et communiste.
Professeur de pédérastie !
La proposition était inattendue. Je m’y dérobai, faute de temps ! Mais mon espièglerie naturelle m’entraîna aussitôt à commander une madeleine pour la tremper dans un café au lait.
— Question d’hérédité, dis-je très naturellement.
— Votre père, monsieur Marcel, avait raison : chaque personne est bien seule, me confia la mère entre deux sanglots protestants. Elle m’énervait, je n’aime pas voir pleurer les femmes.
Je m’imposais des manières distinguées. Comme celle de ne plus jamais rire en public, par exemple.
Je m’autorisais seulement à sourire quelquefois dans ma tête. Les Proust, pédérastes, de père en fils ! Éleveurs de petits garçons en gros !
Que pouvait bien faire Valentine ? Il m’arrivait de me le demander.
François ! Je savais, il me l’avait écrit… Il défendait sa patrie : La Tribune de Lausanne me l’avait confirmé. Au front, pas question de Front populaire, les députés n’ont qu’un parti : celui de la France. Pas de doute possible, donc ! Dans les Ardennes, probablement, François attendait sans impatience une mort probable.
À l’hôtel « Beau Rivage », moi, j’attendais une bouteille d’eau minérale plate.
J’aurais pu avoir honte. Au moins un peu ! Pas du tout. Aucun sentiment de culpabilité ne troublait mon repos.
Je pensais bien que la victoire (si victoire il y avait) ne tiendrait pas à moi.
François, lui, n’avait pas d’autre projet que la France.
Je lui ai acheté des cigarettes roses et bleues, des chocolats en plaques géantes, des cigares très chers, et du lait sucré en tube. J’ai préparé un solide paquet sans trop savoir où je devais l’envoyer. Je l’ai finalement adressé au siège du parti socialiste, cité Malesherbes, avec la mention « faire suivre au front » . J’espérais qu’un vieux militant dévoué s’en chargerait.
La guerre ne faisait pas un bruit inconvenant dans les salons du « Beau Rivage ».
J’écrivais à Pélagie Pontin, sur une carte postale couleur sépia : « Ne vous inquiétez pas, tout finira bien par s’arranger. »
Je n’en doutais pas. Vues de ma chaise, au « Bar étroit », les choses ne me semblaient pas aller si mal. J’attendais quand même qu’elles aillent mieux.
J’aurais pu commencer, enfin, la rédaction de L’affaire Dreyfus ou le Mystère romantique. Je manquais un peu d’enthousiasme. Ce qui faisait du bruit dans ma mémoire, c’était la question que m’avait posée Roger Vailland : « Qui êtes-vous exactement ? »
J’étais ce que les autres voulaient bien que je fusse. Il me fallait faire un effort pour ne pas les croire sur parole. Mais, en y réfléchissant bien, j’étais obligé de me rendre à l’évidence : je n’étais pas le fils de Marcel Proust. Pédéraste ? Communiste ? J’aurais pu m’arranger, mais c’eût été tricher. J’avais d’ailleurs laissé passer ma chance avec Gide.
Juif ? Non, Drieu ne me l’aurait pas pardonné, et puis les grands ciseaux du rabbin ne m’inspiraient pas.
Historien ? Ma fiche d’hôtel en faisait foi, mais rien n’était moins sûr et Arthème Fayard ne l’aurait pas juré. Alors quoi ?
C’est à cette époque que j’ai choisi mes parents. Après avoir longtemps pesé le pour et le contre, j’ai opté pour la plus vraisemblable des hypothèses.
— Je suis le fils d’Evita Perón et du Soldat inconnu.
De ma mère, il me restait une vieille adresse argentine, oubliée au fond d’une poche d’un pantalon que je ne mettais plus. De mon père, je ne savais rien qu’une flamme ranimée tous les 11 novembre par des vieillards cacochymes. Cela ne suffisait pas vraiment à mon bonheur.
On ne danse pas le tango en Suisse. Néanmoins, la radio genevoise n’ignorait pas tout à fait mon célèbre ex-beau-père. Deux, trois accords de sa musique entreprenante suffisaient à m’émouvoir.
« M. Carlos Gardel vient de nous interpréter : Buenos Aires mi querido.
On apprend que la veuve du chanteur vient de confier en exclusivité, à un journaliste américain, les souvenirs de ses dix années de vie commune avec le dieu du tango. » Quand Carlos posait sa guitare, c’était pour dormir ou me battre… « Ainsi commence le douloureux récit d’une femme brisée… »
Pauvre maman ! Vous avez vendu votre Argentin pour quelques milliers de dollars. Il ne valait pas cher. Mais vous avez mis longtemps pour vous en apercevoir. Me reviendrez-vous un jour ?
Sitôt ma lettre postée, je regrettai la dernière phrase. C’est « revenez-moi, je n’en peux plus », que je voulais dire.
Je me suis consolé en pensant que, de toute façon, les bandonéons couvriraient ma voix.
C’est généralement le matin, à l’heure du petit déjeuner, que je réglais rapidement la question sexuelle quand elle s’imposait à moi avec trop d’insistance.
La petite bonne qui en profitait me reprochait timidement de ne pas y mettre assez de cœur.
Jules qui veillait sur le personnel domestique lui avait ordonné de s’attarder dans ma chambre, aussi souvent que je le désirais. Il lui avait fait la morale :
« Quand on a dix-sept ans, qu’on est orpheline et pauvre, en Suisse, en 1940, on s’estime heureuse de son sort. ».Elle me tendait les fesses gentiment. Elle me disait « merci monsieur ».
Lucile descendait des alpages. Je traitais ses fesses avec désinvolture. Je ne l’aimais pas, mais j’avais pour sa personne des attentions que Jules jugeait excessives.
— Vous êtes trop bon, mon cher maître, me disait-il.
Il ne savait pas la volupté de plonger quelques pièces de monnaie dans la poche du tablier blanc que Lucile ne mettait que pour moi.
Pour être tranquille, sinon heureux, je m’efforçais de réduire au maximum la part du hasard. J’avais des habitudes à ma disposition.
La guerre s’éternisait. Valentine ne répondait ni à mes lettres, ni au téléphone.
François, dans les Ardennes, partageait son chocolat avec ses camarades de combat qui ne combattaient d’ailleurs pas plus que lui. La Tribune de Lausanne appelait cela : « La drôle de guerre ».
Les rares clients du « Beau Rivage » se contentaient de me saluer discrètement. Ces gens-là n’étaient pas décidés à se compromettre avec un Juif communiste, pédéraste et peut-être même déserteur. Seul Louis II de Bavière avait eu la courtoisie de me présenter ses condoléances, ce qui m’avait touché.
C’était une femme élancée, aux cheveux courts et disciplinés. La rigueur de sa tenue sombre lui donnait fière allure. Elle n’avait plus d’âge, cela se voyait à ses joues. Mais ses yeux, mais sa voix virile défiaient tous les calendriers du monde. Nous sommes vite devenus amis.
— Mon garçon, je vous autorise à m’appeler Louis, m’avait-elle lancé familièrement.
Une femme charmante ce Louis II de Bavière !
Elle se lamentait :
— Ah ! si Adolf m’avait écouté, c’est un bon bougre, au fond, mais cette Eva le perdra. Elle a la folie des grandeurs. Mais qu’est-ce qu’elle se croit ? Je la connais, vous savez. On a débuté ensemble, elle se prenait pour l’impératrice d’Autriche. Bien avant mars 1938.
On ne peut pas être indiscret avec un roi. Je brûlais pourtant d’en savoir plus. Jules qui, lui, savait n’a rien voulu me dévoiler.
— Pardonnez-moi, mon cher maître, mais je ne peux pas parler. Sa Majesté est si bonne avec moi.
Je compris que je devrais me contenter de suppositions.
Le soir même, je notai sur la première page du journal intime, que je n’ai tenu que quelques jours :
« Eva Braun triche sur son âge et sur son sexe. Louis II de Bavière me l’a laissé entendre. »
Je me gardais bien d’en tirer des conclusions mais j’avais conscience d’apporter ma contribution à l’Histoire.
Dans un même élan, j’entreprenais une correspondance quotidienne avec Cocteau, Berl et Drieu. Drieu qui, d’ailleurs, ne lisait pas mes lettres, vu qu’il était en train de faire la morale à ses compatriotes accablés.
Je lui expliquais la Suisse, ma Suisse, à la manière d’une parenthèse que je ne me décidais pas à refermer.
Jean, qui ne ratait pas une occasion de se distinguer, me pria d’adresser ses respects à sa Majesté.
Berl, avec qui je m’étais finalement réconcilié, grâce à une botte d’anémones, me recommandait d’urgence un médecin de ses amis très au fait des problèmes de schizophrénie. Le plus tôt sera le mieux, m’écrivait-il sans rire.
François, à qui je n’épargnais aucun détail, s’étonnait qu’il m’arrivât tant de choses dans un pays où je prétendais qu’il ne se passait jamais rien.
Il me remercia chaleureusement pour les cigares, les chocolats et le lait. Il m’apprit que Valentine opérait une reconversion spectaculaire, mais sans doute provisoire, de bourgeoise provinciale, à Bellac, chez sa mère (autrement dit ma tante, fille aînée de feu M. le comte notre grand-père), il me rassura aussi sur les vignobles. Un conseiller général de son parti, à Mâcon, veillait au grain par amitié pour lui. Et il concluait, non sans humour : « À propos de mondanités, hier nous avons eu la visite de Catherine II de Russie. L’ordinaire avait été un peu amélioré pour la circonstance. Les gars étaient drôlement émoustillés. Imagine un peu ! L’impératrice de toutes les Russies. À côté d’elle, la Madelon de nos pères en a pris un coup au prestige. »
La Tribune de Lausanne avait raison : c’était vraiment la drôle de guerre. Plus pour très longtemps.
J’ai fini par me lasser de la Suisse. Je venais d’y couler des jours infiniment paisibles.
Je m’y étais fait des relations surprenantes mais Paris commençait à me manquer. J’ai passé ma dernière soirée au bar de l’hôtel « Beau Rivage ».
Je n’avais l’air absent qu’en apparence. En réalité, j’épiais les conversations des voyageurs de commerce.
On me servit ma bouteille d’eau minérale plate sans que j’aie besoin de la réclamer. La déférence du personnel à mon égard me flattait. Au garçon empressé je disais : « merci mon bon ! »
Il me plaisait assez de jouer à l’habitué des palaces internationaux.
Pour ne pas nuire à mon prestige j’ai dû laisser des pourboires royaux.
En Suisse comme ailleurs la considération s’achète.