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LA MAISON
Cet après-midi-là, le dispensaire était bondé. Ballesteros n’avait pas encore vu la moitié des patients qui avaient rendez-vous. Il était en train de raccompagner l’un d’eux et d’attendre le suivant, quand il entendit un concert de protestations, la porte s’ouvrit et "l’homme aux cauchemars", comme l’appelait Ana, l’infirmière, entra, vêtu avec sa négligence habituelle. De profonds cernes lui creusaient les paupières inférieures. Il se planta devant Ballesteros et lui assena tranquillement :
— Les pets de l’esprit produisent parfois de la vraie merde. Désolé pour la comparaison, mais je crois que c’est vous-même qui l’avez employée.
Le médecin le regarda de la tête aux pieds.
— Que voulez-vous dire ?
— La maison dont je rêvais est réelle. Et le crime aussi.
De la porte entrebâillée, des voix irritées menaçaient de porter plainte auprès de la direction du centre. Ana regardait le docteur, mais celui-ci semblait isolé dans un monde intime où il n’y avait de place que pour ce jeune barbu et lui.
— Comment le savez-vous ?
— Je l’ai vue. Je peux vous le prouver.
Ballesteros se rencogna dans son fauteuil et respira profondément.
— Écoutez, je finis dans une heure. Que diriez-vous de revenir dans, mettons, une heure dix, pour que nous parlions tranquillement ?
L’homme resta un instant à l’observer. Puis, sans rien dire, il fit demi-tour et sortit. Une heure dix plus tard, on frappa à la porte. "Entrez", dit Ballesteros, qui venait de prendre congé de l’infirmière :
— Je regrette d’avoir interrompu votre consultation cet après-midi, murmura l’homme en entrant, un peu embarrassé.
— Ça ne fait rien. Vous avez un aspect lamentable. Encore votre cauchemar ?
— Non, mais je n’ai pratiquement pas dormi. J’ai passé la nuit devant mon ordinateur.
— Asseyez-vous et racontez-moi tout.
Rulfo déposa un petit dossier sur le bureau. Ballesteros se demanda un instant – seulement un instant – si ce type à qui il faisait encore confiance pouvait avoir l’esprit dérangé. Il avait vu des cas plus surprenants au cours de sa carrière.
— La maison se trouve ici, dans un quartier résidentiel à la sortie de Madrid.
— Comment savez-vous que c’est la même ?
— C’est la même.
les faits
— Vous y êtes allé ?
— Non, pas encore.
— Alors où l’avez-vous vue ?
les faits sont les suivants
Rulfo ouvrit le dossier et en sortit plusieurs documents imprimés. Il fit glisser le tout sur la table dans la direction de Ballesteros.
— J’ai compilé des informations. Je vous préviens que les détails sont désagréables.
— J’ai l’habitude des détails désagréables. Ballesteros chaussa ses lunettes de lecture.
Les faits sont les suivants.
La nuit du 29 avril, M. R. R., âgé de vingt-deux ans,
Photos.
après avoir pénétré au numéro 3 de l’allée des Marronniers, propriété de
Une photo de la victime.
Un sourire.
Une maison aux colonnes blanches.
Presque tous les comptes rendus provenaient de pages Internet et la qualité de l’impression était médiocre. Mais le texte compensait largement ce que les photos dissimulaient.
— Je crois m’en souvenir. Ce fut un crime effroyable, comme tant d’autres. Et alors ?
— C’est le crime dont je rêve depuis deux semaines.
— Vous avez pu lire la nouvelle. Ici, on dit qu’il a eu lieu la nuit du 29 avril de cette aimée. Cela ne fait pas encore six mois. Et on en a parlé à la télévision.
— Les nouvelles ne m’intéressent pas. Je vous jure que je n’en ai jamais rien su avant de commencer à en rêver.
Ballesteros se lissa la barbe, songeur. Puis il désigna une photo.
— C’est elle ?
— Oui, c’est la femme dont je rêve. Celle qui me demande de l’aide. Elle s’appelait Lidia Garetti. C’était une Italienne de trente-deux ans, riche, célibataire, qui vivait à Madrid depuis quelque temps. Je ne la connais pas. Je ne l’avais jamais vue et je n’avais jamais entendu parler d’elle.
Rulfo regardait fixement Ballesteros, comme pour le mettre au défi de se montrer incrédule. Le début d’un frisson, une légère bouffée de terreur, se fraya un passage entre les fourmillements dans le dos et la nuque du médecin. Il se demanda à nouveau si ce type était dans son état normal, si tout cela n’était pas le fruit d’une plaisanterie ou de l’obsession maladive d’un déséquilibré. Mais quelque chose l’incitait à la confiance : peut-être ce regard marron qui révélait une peur bien plus forte que celle qu’il pourrait, lui, éprouver.
— Et le garçon qui l’a assassinée ? – Il montra une autre photo.
— Je ne l’avais jamais vu lui non plus. C’était un jeune drogué appelé Miguel Robledo Ruiz, avec des antécédents pénaux pour de petits larcins.
— Savoir pourquoi il a soudain eu l’idée de commettre cette atrocité… murmura Ballesteros. Il a dû devenir fou… Et l’aquarium avec la lumière verte ?
Rulfo hocha la tête.
— Personne n’en parle.
— Comment avez-vous obtenu toutes ces informations ?
— J’ai vu la maison à la télévision. C’était hier soir, par hasard. Il y avait un débat sur le mal et, pour l’illustrer, on revenait sur des crimes récents. J’ai appelé la chaîne qui diffusait le débat et j’ai obtenu quelques noms. Puis j’ai fait une recherche sur Internet. L’assassinat étant assez sordide et survenu dernièrement, il y avait beaucoup de matière.
— Quoi qu’il en soit, le crime a été résolu et le coupable est aussi mort que les victimes. C’est dit là – Ballesteros posa son gros index sur les papiers : Robledo s’est ouvert les veines après avoir incinéré les membres de cette pauvre Italienne dans le jardin… La police a retrouvé son cadavre dans la maison, avec ceux des domestiques et les restes carbonisés de la propriétaire… Il n’avait pas de complices, il n’y a rien d’autre à faire… Pourquoi ? – Il s’arrêta soudain en comprenant qu’il était sur le point de poser une question incohérente, quelque chose comme : "Pourquoi cette femme vous demanderait-elle de l’aide, à vous ?" Non, non, non : je suis sûr qu’il y a une explication très simple à tout cela…
Il ôta ses lunettes et se frotta les yeux. Par la fenêtre pénétrait une lumière grisâtre. La porte du cabinet s’ouvrit à ce moment et un agent de la sécurité l’avertit que le dispensaire allait fermer. Le médecin fit signe qu’il avait compris. Quand ils se retrouvèrent seuls, il demanda :
— Pourquoi êtes-vous venu me raconter ça ? Rulfo haussa les épaules.
— Je ne sais pas. Peut-être à cause d’une sorte de donnant, donnant : tu as fait ça, je fais ça… Vous pouvez appeler ça de la réciprocité. Vous m’avez aidé hier : vous m’avez dit que mes cauchemars étaient dus à de mauvais souvenirs. J’ai voulu vous aider aujourd’hui en vous disant que les mauvais souvenirs n’expliquent pas tout. Point. Je sais que vous ne me croyez pas, mais ça n’a pas d’importance.
Ballesteros le regarda un instant. Il frappa ensuite la table avec le capuchon de son stylo, comme s’il avait pris une décision.
— Je dois partir. Mais ce soir je suis libre. Que diriez-vous d’aller voir cette maison de plus près ? L’adresse figure ici…
Il constata, presque amusé, que pour la première fois ce n’était pas lui qui était surpris.
— Je comptais y aller, mais…
— Eh bien allons-y ensemble. On prendra ma voiture. – La tête de Rulfo le fit rire. Vous pouvez appeler ça de la réciprocité, ajouta-t-il.
Le trajet fut silencieux. Rulfo ne desserra les dents que pour demander la permission de fumer et, de temps en temps, guider le médecin à travers le labyrinthe d’allées solitaires à l’aide d’un plan. Ballesteros comprit qu’ils n’avaient rien à se dire en dehors de l’étrange affaire qui les avait réunis. En outre, l’absence de dialogue lui permit de réfléchir. A la différence de Rulfo, il se considérait comme un homme prudent. Il était étonné de la rapidité avec laquelle il s’était mis à faire confiance à cet inconnu, de même que du caractère insolite de sa propre idée d’aller voir subitement la maison. Pour ce qui était du premier point, cependant, toute son expérience professionnelle lui disait que Rulfo n’était pas fou et ne mentait pas. Il pouvait se tromper, mais il n’essayait de tromper personne : sa pâleur était légitime et il semblait aussi déconcerté, aussi exposé à l’incompréhensible que lui. Quant à sa propre idée d’aller voir la maison… Bon, il soupçonnait que, à son âge, il pouvait encore se surprendre lui-même.
C’était un quartier résidentiel situé à l’extérieur de la ville. Les noms de rues évoquaient des contes de fées : "allée des Araucarias", "rue des Ormes"… Mais le paysage, malgré la végétation et le silence, démentait immédiatement cette apparence : murs immenses, grilles, vigiles, alarmes et caméras entouraient tout, cachant les maisons à la vue. Ces dernières étaient à leur tour dissimulées de façon très variable, juste un peu cachées pour les petites, presque invisibles dans le cas des grandes, comme si le degré d’intimité avait présenté un plus grand luxe qu’un système domotique complet.
L’allée des Marronniers était étroite et effectivement flanquée de marronniers, le sol tapissé de feuilles. La lumière du soir était moribonde quand Ballesteros gara sa Volvo devant le numéro 3. C’était le dernier de la rue, de sorte qu’il formait à lui seul une petite place. Un mur d’une hauteur considérable et un solennel portail métallique se chargeaient de décourager les curieux. Des rafales de vent agitaient les feuilles en leur donnant une délicate impulsion, comme des cordes de cithare. Quelque part, un grand chien, peut-être un dogue, aboya.
— Nous sommes arrivés, dit Ballesteros sans nécessité. Puis il descendit de voiture et s’approcha du portail métallique avec Rulfo. Par où le dénommé Robledo est-il entré ?
— D’après toutes les hypothèses, il a sauté pardessus le portail, s’est introduit dans la propriété, puis il a forcé une fenêtre. Lidia Garetti n’avait pas fait installer d’alarme.
— Une femme aisée, mais pas très prudente.
Ballesteros constata que le portail était solidement fermé et regarda autour de lui : il n’y avait personne nulle part. Il appuya sur l’interphone et ils attendirent une réponse qui ne vint pas. Heureusement, pensa-t-il, car il ignorait ce qu’il aurait dit à la voix qui aurait répondu. Sur un rectangle en pierre situé à côté du portail, joliment décoré de carreaux en céramique bleus, figuraient le numéro 3, et, au-dessous, en petits caractères noirs sur des carreaux blancs, quelques mots. Rulfo les désigna.
— LASCIATE OGNI SPERANZA. Cela signifie : "Laissez toute espérance…" C’est un des vers que Dante plaça à l’entrée de l’Enfer. Le vers complet est : Lasciate ogni speranza voi ch’ entrate : "Laissez toute espérance vous qui entrez."
— On ne peut pas dire que ce soit une phrase très appropriée pour baptiser une si jolie maison.
— Pour Lidia Garetti, elle s’est révélée prophétique.
— Certes. – Ballesteros se frotta les mains. Enfin, plus personne n’habite ici, maintenant j’en suis sûr. Cette femme n’avait pas de famille. On peut supposer que, les problèmes d’héritage réglés, ce lieu passera en d’autres mains et qu’on finira par oublier la tragédie… Où allez-vous ?
— Attendez un instant.
Rulfo s’assura que la rue était toujours déserte et, d’un geste agile, monta sur l’un des conteneurs métalliques placés sur le trottoir. De cette hauteur, il pouvait grimper au mur et regarder plus loin. Les arbres masquaient partiellement la vue, mais à travers leurs branches presque nues il put distinguer le jardin, la tache grisâtre de la fontaine et, dans le fond, la blancheur lustrée du péristyle. Dans ses rêves, tout lui avait semblé plus grand, mais c’était la seule différence. Cela ne faisait aucun doute : c’était la même maison. Il le savait – il avait vu les photos –, mais le fait de le voir en vrai le fit frissonner.
Le médecin l’observait nerveusement. Son large visage était devenu grenat.
— Hé, descendez de là… ! Si quelqu’un nous voit, il peut… Descendez, bon sang !
— C’est la maison de mon rêve, dit Rulfo en sautant sur le trottoir.
— Parfait. Vous l’avez vérifié. Et maintenant ?
— Maintenant ?
— Oui, vous avez une autre idée ?
Ballesteros était nerveux et ne savait pas très bien pourquoi. Ce qui le dérangeait le plus était d’avoir pris la décision de se rendre dans ce lieu avec Rulfo. Je dois devenir fou, pensa-t-il.
— Allons, dites-moi, insista-t-il, que comptez-vous faire… ? Escalader ce mur et pénétrer dans une propriété privée… ? Vous avez l’air tellement impulsif, ça ne me surprendrait pas… Vous voulez peut-être chercher un aquarium à la lumière verte… ? Écoutez, j’ai accepté de vous conduire ici parce que j’ai pensé que, si nous pouvions parler avec quelqu’un de la maison, cela vous ôterait peut-être ces fantaisies de la tête… Et je ne dis pas que vous m’ayez menti, comprenez-moi. Je suis sûr que vous avez joué franc jeu. J’admets sans difficulté que vous ayez rêvé tout ça et lu ensuite la nouvelle, et vous êtes maintenant aussi étonné que je pourrais l’être à votre place. D’accord, votre cas est idéal pour les revues ésotériques. Et après ? Cela ne prouve rien. Le subconscient est un océan. Vous avez pu voir la nouvelle du crime à un moment donné, même si vous ne vous en souvenez pas. Ensuite, vous l’avez associée à votre tragédie personnelle. C’est là tout le mystère. Voilà. Nous savons maintenant que la maison existe, très bien, vous avez gagné. Alors cessons de jouer, voulez-vous ?… Il va bientôt faire nuit.
Rulfo semblait vaguement irrité. Cependant, à la grande surprise de Ballesteros, il obéit docilement. Il accepta même de remonter en voiture et s’assit en silence. Ils laissèrent derrière eux les aboiements d’un chien, qui devenait de plus en plus maigre au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient et qui finit par devenir un spectre de chien. Le médecin conduisait brutalement, donnait des coups de volant, s’impatientait. Il regardait la route et les véhicules comme si rien de tout cela n’avait compté pour lui, comme si ses pensées avaient été très loin. A ses côtés, Rulfo restait silencieux et calme. Soudain, Ballesteros parla. Sur son visage souvent lisse se dessinait maintenant une sorte de détermination bourrue qui contredisait ses paroles, prononcées sans qu’il élevât la voix.
— J’ai vu mourir Julia dans cet accident, je vous l’ai dit. Je conduisais, mais ce n’était pas ma faute. Une voiture nous a doublés et nous a projetés contre un camion. J’étais indemne, mais le toit s’était effondré du côté de ma femme. Je me souviens très nettement de son expression à ce moment… Elle était encore vivante : elle respirait et me regardait sans ciller, à travers la tôle broyée. Elle ne disait rien, se contentait de me regarder. Elle n’existait plus à partir des sourcils, mais ses yeux conservaient leur douceur habituelle et ses lèvres souriaient presque. Au début, j’ai voulu l’aider en tant que médecin, je vous assure que j’ai essayé. Maintenant, je comprends que c’était stupide, parce qu’elle allait mourir de toute façon. En fait, elle était déjà presque morte… Mais à ce moment je n’y songeais pas et tentais de l’aider. Heureusement, j’ai compris tout de suite que la seule chose que je pouvais faire n’avait rien à voir avec mes connaissances. Alors je l’ai prise dans mes bras. Je suis resté là, dans la voiture, à la serrer et à lui dire des choses à l’oreille pendant qu’elle mourait sur mon épaule, comme un oiseau… Étrange, vous ne trouvez pas ?
Le véhicule glissait dans les rues sombres. Les deux hommes regardaient devant eux avec une intense concentration, comme s’ils avaient conduit tous les deux, mais Ballesteros était le seul à parler.
— La vie est pleine de choses étranges, Salomón. Pourquoi un garçon de vingt-deux ans est-il entré une nuit dans cette maison, a-t-il égorgé les domestiques, torturé une pauvre Italienne qu’il ne connaissait même pas et s’est-il ensuite ôté la vie… ? Et pourquoi avez-vous rêvé tout cela sans l’avoir vu auparavant ? Étrange. Aussi étrange que la mort de ma femme… Ou la poésie que vous lisez… Face à cela, il y a deux options. J’ai choisi, peut-être, la plus facile : j’essaie d’être heureux aussi longtemps que Dieu le voudra et je ferme les yeux devant les choses étranges, je les laisse dehors. Ou plutôt, c’est moi qui reste dehors. Parce que ces choses existent et nous invitent à entrer, mais j’ai choisi
lasciate
de ne pas entrer. Et je vous conseille la même chose. Je suis médecin et je sais ce que je dis. On ne doit pas
lasciate ogni
entrer.
A cet instant précis, sans savoir comment, Rulfo prit la décision. Il demanda à Ballesteros de le laisser près du dispensaire, où il s’était garé. En descendant du véhicule, il se retourna et ils échangèrent un regard beaucoup plus long qu’ils ne se l’étaient tout d’abord proposé. Rulfo fut alors tenté de dire quelque chose. Il pensa que c’était une phrase absurde, presque ridicule, mais il la laissa sortir tranquillement de ses lèvres, comme s’il avait respiré :
— Je suis poète.
lasciate ogni speranza
et je veux entrer.
Ballesteros ouvrit la bouche pour répliquer, mais s’arrêta comme s’il avait changé d’avis.
— Prenez soin de vous, murmura-t-il.
Rulfo vit la voiture s’éloigner lentement. II retrouva sa vieille Ford blanche à l’endroit où il l’avait laissée, monta et démarra. Il arriva au lotissement en pleine nuit. Il se trouva entouré d’arbres et de ténèbres, de douces-amères hautes et humides, d’aubépines foncées et d’ombres qui grimpaient comme la vigne vierge sur les murs. Il se gara au coin de l’allée des Marronniers et marcha jusqu’au bout de la rue les mains dans les poches.
Lasciate ogni speranza.
Ces mots sur les carreaux en céramique lui semblèrent ironiques, parce qu’il avait décidé d’entrer coûte que coûte. Il réfléchirait plus tard à la suite des opérations, mais il était certain que, s’il ne parvenait pas à pénétrer une seule fois matériellement dans cette maison, il serait condamné à le faire à de multiples reprises au cours de rêves horribles, sans échappatoire. Le raisonnement de Ballesteros était juste : la mort affreuse de Lidia Garetti n’avait rien à voir avec lui ni avec sa vie. C’était une inconnue, et sa tragédie un crime parmi d’autres, l’une des nombreuses atrocités qui éblouissent les yeux du public comme des horreurs fugaces puis s’éteignent dans l’oubli. Cependant, ces rêves constituaient en quelque sorte une dette en cours : il savait qu’il ne pourrait la solder qu’en entrant dans la maison et en y cherchant un aquarium à la lumière verte.
Il s’arrêta pour former un plan. Il pensa que le plus pratique serait de sauter par-dessus le portail en se servant de l’un des conteneurs à ordures. Tandis qu’il étudiait la meilleure façon de transporter le conteneur sans alerter le voisinage, une rafale de vent se leva soudain, accompagnée d’un peu de pluie. Les pans de sa veste se relevèrent, la pluie lui parcourut le visage de baisers glacés et le portail métallique s’écarta de quelques centimètres de la serrure sans faire le moindre bruit.
Il était ouvert.