CHAPITRE II
Ayant rempli sa fonction avec une politesse obséquieuse, le porteur du message s’effaça devant Muller, le laissant pénétrer seul dans le bureau sobrement meublé. Dolmi quitta aussitôt son siège et s’avança vers le nouveau venu, main tendue en signe de courtoisie un peu forcée. Muller serra avec froideur cette main blanche aux ongles faits et attaqua, à brûle-pourpoint :
— Alors ? De quoi s’agit-il ?
Conti émit un rire bref et sans joie, qui se voulait un signe d’apaisement.
— Toujours aussi fougueux, hein ? Bon, ça ne devrait pas nous prendre trop longtemps. Vous connaissez Marina, ma collaboratrice…
Cette dernière se leva à son tour et eut un sourire avenant en manière de salut. Son pantalon évasé et son chemisier réglementaire ne parvenaient pas à l’enlaidir.
— J’ai déjà eu le plaisir…, bafouilla Muller, en lui rendant son salut d’un bref mouvement de tête.
Nul n’ignorait que la belle Marina ne devait sa situation avantageuse qu’aux bontés qu’elle accordait de longue date au Chargé des Affaires Scientifiques. Après tout… Sans trop s’y attarder, Muller n’était pas loin de la tenir pour le moins incapable de ses interlocuteurs. Affichant d’entrée une expression méfiante et hostile, il prit place au bord du siège qu’on lui présentait et consulta ostensiblement sa montre.
— J’ai convié Dolmi dans un souci d’impartialité que, je l’espère, vous comprendrez, entama Conti, s’emparant d’emblée des rênes de la conversation, comme l’y invitait son rang. Nous connaissons tous vos positions… divergentes. Cela ne devrait pas empêcher nos échanges de demeurer cordiaux.
Toujours sauvegarder les apparences. En coin, il guettait quelque signe d’encouragement. Dolmi et Muller, qui se détestaient, acquiescèrent, bien contraints.
— Parfait. Un petit récapitulatif ne serait pas de trop, ne serait-ce que pour clarifier les débats. Marina ?
La jeune femme, qui guettait cet ordre, actionna son écran et s’éclaircit la voix.
— Le projet GASPAR a été accepté en Conseil le 24 avril 2078 par dix-huit voix contre treize et deux abstentions. Estelle et José ont été sur-le-champ désignés suite à leur extrême ressemblance – nous avez-vous dit, Muller – avec les « originaux » et placés dans les conditions de transfert temporel où ils se trouvent encore à l’heure actuelle. L’expérience était initialement censée durer au plus quatre mois. On en est au cinquième report. A titre de comparaison, précisons que la plus longue incursion préalable dans le passé avait nécessité une approche de douze semaines…
— Evidemment ! explosa Muller. Vous savez très bien que le problème est tout autre ! Personne n’ignore qu’on retrouve la trace de Gaspar un peu partout avant 1994 ! Sa vie n’a strictement rien de linéaire et c’est même la raison pour laquelle nous avons décidé de le joindre bien avant son fameux retour sur Terre ! Ce n’est certainement pas en…
— Du calme ! trancha Conti, agitant sa main droite. Pour l’instant, nous ne faisons que rappeler les faits sans aucun parti pris. Laissez donc Marina terminer son exposé : ce n’est qu’un simple rappel ! Par la suite, vous aurez tout loisir pour intervenir comme bon vous semblera. Nous ne faisons le procès de personne. Poursuivez, Marina.
— Dès l’origine, Dolmi et les tenants de son point de vue ont soulevé différentes objections. On peut relever deux points essentiels de désaccord. D’une part, il leur paraissait bien plus urgent de rassembler toute l’énergie et les volontés disponibles autour de la construction d’un aéronef suffisamment vaste et puissant pour transporter à temps tous les habitants de la cité ; d’autre part, l’expérience tentée par Muller leur semblait comporter quelques dangers. Selon eux, personne ne peut affirmer que l’intrusion physique d’un sujet vivant issu de notre passé en l’occurrence un homme – ne serait pas de nature à altérer notre système d’existence, voire à mettre en péril cette existence même, pour une raison que, précisément, nous ignorons…
« Altérer notre système d’existence » ! coupa Muller. Traduisez ça en langage clair et vous obtiendrez : « Remettre en question les privilèges ! » L’exercice du pouvoir déforme complètement votre vision !
— Ne pouvez-vous donc pas vous taire et la laisser terminer ! s’écria Conti, en abattant son poing sur le bureau.
Le vieil homme se mordit la lèvre. A soixante ans passés, il n’avait toujours pas assimilé les règles artificielles du protocole et doutait fort de les assimiler un jour.
Marina attendit en souriant que le calme revienne, avant de reprendre le fil de son résumé :
— Bref, malgré cette opposition initiale, surtout concernant le dernier point, qui retint plusieurs conseillers au moment du vote, les travaux ont été entamés et ont suivi leur cours jusqu’à ce jour. Le principe du « prélèvement » dans notre passé de cet individu présumé riche en informations potentielles, aux fins d’interrogatoire, ne paraît plus devoir être renégocié. Toutefois, le Conseil réclame pour sa prochaine séance un rapport circonstancié. Entre autres, suite aux questions posées par trois élus (ici, Muller toisa rageusement Conti), il aimerait recevoir l’assurance que le projet finira par aboutir, quelle que soit l’importance de son retard, car l’expérience requiert un apport en énergie assez spectaculaire. Et chacun sait que l’énergie nous est infiniment précieuse et comptée. Au sujet du « danger » que pourrait représenter l’intrusion de cet homme surgi du vingtième siècle, il a été décidé d’attendre et de juger sur pièces. Voilà, j’ai terminé.
Qu’est-ce que ça veut dire « précieux par ailleurs » ? rugit Muller aussitôt. Plus précieux que notre survie à tous ?
— Précisément, glissa Dolmi, tout en sucre et en arrondis, qui s’était finement abstenu jusque-là : sur cette priorité, nous sommes tous d’accord, personne ne songe à prétendre le contraire. Là où nous divergeons, et je le regrette, c’est sur les moyens à mettre en pratique. Comprenez que nous n’avons toujours aucune assurance, que pour nous, Gaspar reste un mythe…
— Un mythe ! Vous plaisantez ou quoi ? Je ne vais pas vous raconter pour la millième fois son histoire, vous la connaissez autant que moi !
— Bien sûr, ce n’est pas de son histoire qu’il s’agit. Il s’agit de ce qu’elle nous coûte ! Une énorme dépense, qui pour l’instant nous rapporte… du vent ! Pas de Gaspar : rien ! Une seule certitude, nous avons perdu cinq mois.
— Ce serait fini depuis longtemps si l’autorisation avait été donnée plus tôt !
— Admettons. Admettons même – et ça n’en prend pas le chemin ! – que vous réussissiez par miracle à le ramener parmi nous sans trop de dégâts. Les autres questions demeurent : que va-t-il nous apprendre ? Sommes-nous certains qu’il détient les clés du problème et que nous n’aurons pas dilapidé tant d’énergie en vain ? Et après ? Supposons même qu’il se révèle l’oracle attendu : où donc, je vous le demande, où trouverez-vous le temps de mettre en pratique ce que vous aurez appris ?
— Je n’en sais rien. Je suis comme vous ! Pour savoir ce qu’il y aura dans le filet, il faut d’abord que je le ramène ! Comme tout le monde ici, je cherche un moyen de nous sauver. Une certitude : Gaspar est l’un de ces moyens ! Il est peut-être en mesure de nous apporter la solution, et peut-être pas ! De même, peut-être serons-nous capables d’en profiter et peut-être pas ! A mon avis, le problème du temps ne se posera plus de la même façon quand il sera là. Enfin bref, qui peut courir le risque de négliger une telle possibilité ?
Dolmi eut un petit rire, comme pour atténuer sa réplique :
— Moi. Moi, je le peux fort bien…
— Je vous comprends, grinça Muller : votre place est assurée à bord de la fusée ! Ce n’est pas le cas des deux mille cinq cents ouvriers qui se crèvent dans les galeries à maintenir votre confort ni des centaines d’autres qui creusent, entassent et transportent la tourbe afin de nourrir la centrale ! Ne vous fatiguez pas : l’utilité d’un tel vaisseau, je la conçois parfaitement. C’est une solution de repli, et elle n’est pas négligeable, je l’admets sans discuter. Dans la pire des hypothèses, elle pourra permettre à certains d’entre nous de s’échapper, avec un petit espoir de s’en tirer, c’est mieux que rien, soit ! Mais ne venez pas soutenir froidement dans vos espèces de meetings qu’elle emportera tous les habitants de la cité ! Le premier imbécile venu, simplement après avoir observé la capacité de votre casserole, se rend compte de la supercherie ! Une poignée de dirigeants triés sur le volet, leurs favoris, leurs familles, tous ceux qui auront su à temps leur lécher les pieds, plus une ou deux centaines de travailleurs, disons les premiers arrivés, voilà la liste des passagers ! Trois ou quatre cents places, c’est tout !
Et n’ayez crainte, je n’irai pas le claironner. J’ai trop besoin qu’on me laisse en paix pour achever mon travail. Ce qui me donne une vue claire, c’est que je n’ai pas à me surveiller : la survie de la race m’intéresse plus que la mienne.
Dolmi ne broncha pas. Il comprenait Muller, comme il jugeait les hommes avec une grande précision. Avec patience, il reprit son discours, d’un débit uniforme :
— Peu importe au fond qui, nommément parlant, fera partie du voyage. L’important est qu’il puisse se réaliser. Il faut terminer d’aménager l’aéronef pour un trajet qui sera peut-être très long, et emporter des hommes et des femmes dans l’espoir d’établir ailleurs une colonie. De cela, vous en convenez vous-même. Conséquence : chaque minute qui passe, c’est du temps perdu. Et votre expérience, aussi passionnante soit-elle, nous retarde. Légèrement sans doute, mais elle nous retarde !
— Où en êtes-vous, Muller ? lança Conti, profitant d’une pause entre les deux antagonistes.
— La question est, souligna Marina en tapotant son terminal : que pourrons-nous rapporter au Conseil, si l’expérience se prolonge, afin qu’il vote les crédits nécessaires à la poursuite de vos travaux ?
— Ah ! nous en sommes là ? fit Muller.
Il maîtrisa à grand-peine la colère qui montait en lui et jeta un nouveau coup d’œil en direction de sa montre.
— Quand vous m’avez « convoqué », les deux missionnaires étaient à proximité immédiate du but. Votre appel ne pouvait vraiment pas surgir à un plus mauvais moment !
— Avec vous, laissa tomber Dolmi, il n’y a que de mauvais moments. Vous vous préoccupez peut-être du salut de la race, mais vous ne savez toujours pas comment vous comporter avec vos égaux.
— Gardez vos cours de savoir-vivre, Dolmi ! Je n’ai pas à en recevoir de la part d’un arriviste comme vous. C’est comme si un gratteur de tourbe me reprochait d’avoir les ongles noirs !
— S’il vous plaît ! s’écria Conti. Tachez d’éviter les allusions et les attaques personnelles ; ça ne nous mènera à rien ! Il est tout de même possible d’exprimer des avis contraires en conservant un ton courtois !
— Ce n’est pas mon avis, trancha Muller. Possible qu’à force de côtoyer la populace, j’aie fini par prendre leurs vices de langage. Vous pouvez appeler ça de l’impolitesse, je l’appelle, moi, de la sincérité ! C’est une vertu qu’on ne risque guère d’acquérir en politique. Ce langage vous viendrait aux lèvres à vous aussi si votre existence n’était pas confinée dans une enfilade de bureaux bien secs, les pieds sur la moquette ! La vraie vie se passe fort bien de courtoisie.
Le visage du Chargé des Affaires Scientifiques vira du cramoisi au blanc glacial.
— Il est heureux pour vous que de tels propos n’aient pas à dépasser les limites de ces quatre murs. Nous allons poursuivre notre mise au point, mais je tiens à souligner que la patience humaine n’est pas sans bornes !
— A qui le dites-vous !
— Muller ! Assez ! Ma fonction ne consiste pas à subir sans réaction les pires insolences ! Faudra-t-il que mes efforts…
— Allons donc ! Vos efforts tendent uniquement à vous assurer une cabine avec douche dans la nef de Dolmi ! Soyez sans crainte, vous l’avez bien gagnée ! Ce n’est pas moi qui réclamerai votre place. Quant aux apparences, courbettes et autres, tous ces rituels qui ont petit à petit vidé votre crâne, je m’en moque, entendez-vous ? Je m’en moque !
Au prix d’un effort violent, accompagné de bruits de gorge, Conti parvint à se dominer. Marina trouva le moment opportun pour créer une diversion :
— Curieux propos pour un scientifique de votre niveau… On croirait entendre un de ces jeunes philosophes !
Muller tourna vers elle un regard étonné.
— Peut-être bien, au fond. Ce doit être à force d’explorer le temps. On constate à la longue que toutes les vérités se trouvent dans le cerveau de l’homme, rien à l’extérieur, tout dedans ! Les lois, les concepts, les théorèmes, cela sort de nous, et y retourne. Tout se résout dans notre perception, puis notre action. C’est une forme de philosophie, si vous voulez. Le reste, c’est pour les salons et la moquette.
— Merci pour ce cours, glissa Dolmi, extérieurement impassible, la voix toujours égale. Mais pour en revenir à notre propos initial, que pourrons-nous dire au Conseil quant à la situation actuelle de vos travaux ?
Vous, rien, puisque vous n’y avez pas été élu malgré vos manœuvres, mais Conti pourra toujours dire que le dénouement n’a jamais été aussi proche…
— Il me semble avoir déjà entendu cela.
— … Qu’aujourd’hui. Estelle et José ont atteint l’objectif. Ils ne sont pas encore fixés. Leur pensée accompagne les derniers soubresauts du décrochage, mais tout le décor visé est déjà en place. D’ailleurs, ils n’évoluent plus dans le temps mais dans l’espace ! Très bientôt, on devrait les voir se stabiliser là-bas et disparaître ici.
— Qu’entendez-vous par « très bientôt » ? interrogea Marina, qui ne cessait de pianoter sur son clavier.
— Je ne peux rien affirmer de manière définitive, mais à mon sens ça ne devrait pas excéder une ou deux journées, peut-être moins.
— Ah bon ! s’exclama Conti, reprenant le fil du débat. L’accouchement aura été rude ! Enfin quelque chose à se mettre sous la dent ! Vous pensez que je peux rapporter ça au Conseil ? Plus que deux jours ?
— Mais non ! Je viens de vous dire que je ne pouvais rien affirmer ! Il s’agit de voyager dans le temps ! On a fait des progrès, on va le plus vite possible, mais celui qui parle de certitude là-dedans est un fou ! Essayez de vous fourrer dans le crâne que le temps n’a rien de fixe ; ce n’est pas un territoire où on entrerait comme ça ! Il fait partie de nous, de nos consciences, au pluriel : la vôtre, la mienne… Nous touchons au but, tout l’indique, je ne peux rien dire de plus !
— Vous ne nous facilitez pas la tâche.
— Ce n’est pas le but !
Il y eut un silence, accueilli avec un certain soulagement par les quatre interlocuteurs. Ce fut Marina qui se décida à le rompre, après avoir interrogé du regard son patron, lui permettant ainsi de sauver la face :
— Je note ici qu’un autre détail reste… nébuleux.
— Quoi encore ? gémit Muller, qui pensait en avoir terminé et se préparait déjà à prendre congé.
— Nous savons tous que Gaspar, après son fameux atterrissage en 1994, fut mis en observation, et son cerveau fouillé, sondé, carrément disséqué pendant de très longs mois, cela en pure perte. On peut donc se demander comment vous pensez réussir là où tous ont échoué au moment même ! Vous avez déjà en partie écarté la question en prétextant qu’à l’époque où vous allez tenter de le récupérer, soit vers 1978, il disposait de toutes ses facultés mentales. C’est entendu, mais cette période de sa vie se situe quelque seize ans avant son envol pour la Planète Géante…
— Enfin quoi ! Est-ce que je m’adresse à des demeurés mentaux ? J’ai déjà répondu à ces objections de boutiquier ! Toute la vie de Gaspar n’est qu’un réseau d’allées et venues sur son axe naissance-mort, en direction du futur ou du passé. Les observations nous ont prouvé très clairement qu’il disposait de plusieurs plans d’existence, qui parfois même se chevauchaient. Il est absolument évident que son séjour sur la Planète – qui lui reste un mystère ! – est à l’origine de cette faculté. Conséquence : pouvoir l’interroger alors qu’il était physiquement plus jeune et non pas replié comme un poireau dans sa survie végétative, dans son espèce de catalepsie, nous donnera un avantage incalculable sur les hommes de 1994 qui, eux, ne disposaient pas de nos possibilités temporelles, ou du moins ne le savaient pas… C’est un atout déterminant, voilà mille fois que je le répète : ce serait un crime de ne pas l’utiliser ! Peu importe que le contact ait lieu seize ans en retrait ! De quand datent les premières expériences de retour dans le passé ?
Surpris par la question soudaine, Dolmi et Conti se dévisagèrent, perplexes.
— Eh bien…, fit ce dernier, du début du vingt-et-unième siècle. Pourquoi ?
— Et pourquoi cette faculté nous est-elle apparue subitement ? Vous croyez au hasard ? Pas moi. Sous ce terme, nous ne faisons que ranger des tas de rapports d’implications précis et définis, mais que nous ne comprenons pas : c’est une des limites de notre petite cervelle ! Pourquoi la race humaine n’a-t-elle pas découvert plus tôt en elle cette formidable richesse ? Elle a toujours été là pourtant ! En d’autres termes : quel est l’autre événement, tout aussi fantastique, qui est survenu à peu près à la même époque ? Juste le temps de bien pénétrer dans les esprits ?
Le visage de Marina parut s’éclairer.
— Vous voulez dire : la Planète Géante ! Il y aurait une relation entre l’apparition dans notre système de cette effroyable menace et le développement tout à coup du pouvoir temporel ? C’est ça ?
— J’en suis absolument persuadé ! C’est en tout cas l’une des raisons pour lesquelles je me suis lancé dans cette expérience. La nature ne connaît rien de fortuit, rien d’accidentel, même les « accidents » ! Maintenant, je constate que nous bénéficions en deux endroits d’une énorme supériorité sur nos ancêtres du vingtième siècle. Primo, le voyage vers le passé, et le retour – même si là, nous devons encore tâtonner parfois ; secundo, une connaissance bien plus complète, bien plus approfondie de celui qui est resté une énigme pour ses contemporains : Gaspar ! Et le second point découle directement du premier… Ils ne soupçonnaient même pas ses différents plans d’existence, et comment auraient-ils pu ? Pour eux, il n’était rien d’autre qu’un universitaire brillant, champion de décathlon, supérieurement entraîné à la navigation spatiale, au savoir étendu en astronautique. Jamais ils n’ont imaginé qu’il pouvait être, dans le même temps, cet individu marginal bourré de complexes, mal dans sa peau, refermé sur son ego, cet être froid aux pensées quasi mécaniques, ce tendre aux pulsions meurtrières qui se promenait avec un poignard en poche, ou encore ce malade mental gavé de psychotropes, qui se déplaçait comme un automate de la porte de sa chambre à la grille de la clinique, et j’en passe… Voilà ce que son bref séjour sur la Planète a fait de lui ! Dès le début, ce foutu caillou est associé à l’idée de saut dans le temps, de la microseconde à l’éternité, et c’est là que nous devons fouiller si nous voulons garder un petit espoir de nous en tirer.
Dolmi lissait du doigt le rebord acajou de son bureau.
— Bon. Tout cela est bien beau. Je veux bien croire que vous avez vérifié soigneusement tout ce que vous avancez, même ce qui paraît le plus, hum, saugrenu ! Sincèrement, j’admire votre fougue juvénile. Un ennui : la notion de « retour », que vous balayez bien vite à mon gré. Pour tout dire, elle semble beaucoup plus aléatoire que vous ne l’affirmez. Je veux bien admettre que les précédents missionnaires sont tous revenus en bon état de leurs voyages, enfin à ma connaissance, mais cette fois il s’agit de ramener un être vivant, un être ayant appartenu à notre passé ! Un retour « simple » en quelque sorte. Pouvez-vous expliquer aux pauvres ignorants que nous sommes comment vous comptez vous y prendre ? Et de grâce, tenez-vous-en aux faits !
Pour toute réponse, Muller actionna vivement son émetteur. La communication s’établit aussitôt.