La neige fondue déborde des gouttières d'étain des bâtiments de bois dans le complexe militaire près de Nikolina Gora. À l'intérieur du plus petit des bâtiments, qui sert de cantine de fortune, trois officiers, le col de leur tunique dégrafé, font descendre des cuillerées de chou rouge mariné à coups de vodka. Un quatrième homme, plus âgé et (à en juger par le respect que lui témoignent les autres) leur supérieur en grade, regarde sombrement par la double fenêtre, embuée par son souffle.
— Il va bientôt falloir enlever les fenêtres antitempête, dit-il, l'air absent.
L'un des buveurs de vodka secoue la tête avec admiration.
— Vous devez reconnaître qu'ils s'en sont bien tirés, dit-il. À l'œil nu, c'était un boulot parfait.
— Ils sont entrés et ressortis comme des chats, dit un autre. Il n'y avait pas un bruit sur notre enregistrement.
— À dire vrai, dit un troisième, je n'étais pas prêt à admettre qu'ils étaient entrés jusqu'au moment où j'ai étudié les agrandissements. Ce sont les mesures qui m'ont convaincu.
Le vieux près de la fenêtre se tourne vers les autres et accepte un verre de vodka de l'un d'eux. Elle est plus jaune que la vodka habituelle à cause des coquilles de noix séchées qui ont été ajoutées dans la bouteille par l'officier de l'approvisionnement qui s'occupe de la cantine. Le vieux lève son verre dans la lumière pour en étudier la couleur, estime que les coquilles de noix ont séjourné assez longtemps et avale la vodka en une rapide gorgée.
— Je donnerais cinq ans de ma vie, dit-il légèrement – mais tous comprennent qu'il est on ne peut plus sérieux –, pour avoir eu un siège à cette réunion du Comité des Quarante.
Il tend son verre pour être resservi. Les autres, qui ne l'ont jamais vu boire deux verres de vodka à la file, prennent cela pour un signe de la tension qu'il a subie depuis la défection du courrier diplomatique Koulakov.