CHAPITRE 17
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Je prends toujours ma voiture quand je vais à des congrès. Je sais bien que le groupe de recherche me paierait mon billet de train, mais je préfère voyager avec ma voiture, quitte à payer les frais de déplacement. Les rares fois où j'ai voyagé en train ou en autobus ont été pour moi des expériences déplaisantes : trop de gens, trop de bruit...
Je dépose ma valise dans le coffre de la voiture, puis le referme. Je me tourne vers Hélène.
Nous nous regardons, hésitants. Je lève la tête vers le soleil.
— Beau temps pour faire de la route, dis-je.
— Sois prudent.
Nous nous embrassons, longuement. Je monte dans la voiture et elle se penche à la vitre ouverte de la portière.
— Laisse-toi pas détruire par toute cette histoire, Paul...
Elle est au courant de la visite que j'ai l'intention de faire à Mont-Mathieu. Je lui souris pour la rassurer:
— En revenant, Hélène, c'est nous deux. Promis.
Elle me renvoie mon sourire, mais j'y perçois de l'inquiétude.
Tandis que ma voiture s'éloigne, je vois dans mon rétroviseur Hélène rapetissant graduellement, jusqu'à disparaître. Cette image me met mal à l'aise.
J'arrive à Québec un peu avant dix-huit heures. Le cocktail de bienvenue, à l'hôtel, réussit un peu à éloigner mes sombres pensées. Je rencontre plusieurs collègues que je n'ai pas vus depuis longtemps. Les retrouvailles sont agréables, nous discutons en prenant un verre, mais mon esprit préoccupé doit se deviner, car on me demande à quelques reprises si tout va bien, si je suis en forme. Je leur assure que oui.
Durant la soirée, je vais demander à la réception qu'on m'indique le chemin le plus court pour se rendre à Mont-Mathieu. On me donne un plan de la région. Je constate que c'est tout près, à trente minutes de route au plus.
Tandis que je marche vers la salle de réception, je réfléchis : ma première intervention a lieu demain, en début d'après-midi. Je crois bien pouvoir me libérer vers dix-sept heures, ce qui me laisserait toute la soirée de libre...
Je bois encore un verre, puis monte me coucher.
Dans l'obscurité de la chambre, les deux portes apparaissent. L'une des deux est toujours entrebâillée. Mais une silhouette se dessine soudain. Je reconnais le père Pivot. Il étend la main vers la porte entrouverte et fait mine de l'ouvrir plus grande, tout en tournant la tête vers moi. Son regard est de braise, son sourire terrible.
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Et juste avant que sa main atteigne la porte, je m'endors profondément.
♦
Les conférences du lendemain me paraissent interminables. Vient le moment de ma présentation durant laquelle j'expose ma recherche sur la schizophrénie. Mes conclusions pessimistes suscitent un débat plutôt orageux. Si je peux compter sur quelques appuis, la majorité des psychiatres présents contestent mes résultats et certains vont même jusqu'à remettre en question ma compétence. Je défends mes arguments, mais je manque de conviction, d'assurance. Ma tête est ailleurs, cette conférence n'a plus aucun attrait à mes yeux. Vers dix-sept heures trente, je quitte enfin la salle, sous plusieurs regards rébarbatifs.
Je monte à ma chambre pour enfiler des vêtements plus décontractés, puis en profite pour appeler Jeanne. Marc, son « chum » (je ne m'habituerai jamais à ce mot ridicule !), me ré-
pond, puis j'ai enfin Jeanne au bout du fil.
— Je pars pour Mont-Mathieu dans deux minutes.
— Bien... Et comment va le colloque, jusqu'à maintenant ?
— Atroce... Je suis incapable de défendre mes idées... Tant pis, si tu savais comme je m'en moque... Et à l'hôpital, aujourd'hui? Rien de... de nouveau?
J'entends Jeanne soupirer.
— Roy a piqué une crise, ce matin. Il voulait qu'on lui donne une arme afin qu'il puisse se tuer. Il hurlait qu'il ne voulait plus vivre.
— Tu as pu lui parler?
— Non. On l'a mis aux sédatifs, il s'est endormi. Tu sais quoi ? Dans sa chambre, sur sa table, j'ai découvert un crayon.
— Un crayon ?
— Oui... J'imagine qu'il peut écrire en tenant le crayon entre ses paumes... Sauf qu'il n'y a pas de cahier, ni de feuilles de papier nulle part dans sa chambre... Les infirmières ne sont pas au courant. En tout cas, s'il a recommencé à écrire, on ne sait pas où...
— Mais il faut lui demander !
— Il est sous sédatif, Paul, il est K.-O. pour la journée !
Je ne dis rien. Jeanne poursuit:
— Madame Chagnon est revenue dans sa chambre. Elle reste seule et ne parle à personne...
Elle prend alors un ton plus mystérieux.
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—Il y a eu une nouvelle bagarre, aussi...
— Quoi?
— Oui. Lorsque je suis arrivée à l'hôpital ce matin, quatre patients se battaient. Michel Sirois, Johanne Miron, Paul Lafond et Édouard Villeneuve.
— Édouard, encore !
— Mais tu ne sais pas le pire : une infirmière se battait avec eux.
Je m'assois sur le lit, estomaqué.
— Tu me fais marcher, Jeanne !
— Pas du tout. Après la bataille, elle a expliqué qu'elle avait d'abord voulu les calmer, mais qu'elle avait reçu un coup... Ça lui a fait perdre son sang-froid...
— Mais voyons, ce n'est pas une raison ! Jamais un membre du personnel ne doit se battre avec un patient, jamais !
— C'est ce que je lui ai dit, évidemment. Elle va avoir un blâme, tu t'en doutes bien... Le pire, c'est que Nicole semblait être de son côté...
— Nicole?
— Oui... Elle a ronchonné qu'elle aurait agi de la même façon, ou quelque chose dans le genre...
Déconcerté, je demande :
— Et la bataille? Grave?
Jeanne émet un petit bruit embêté :
— Assez, oui... Madame Miron a dû être descendue à l'urgence, elle va avoir des points de suture au front. Villeneuve a perdu une dent... Lafond s'est fait casser le nez et deux doigts...
C'est parce que... Sirois frappait avec son livre... Tu sais, son gros bouquin qu'il traîne tout le temps?
— Mais pourquoi? Comment ça a commencé?
— Une histoire de petit déjeuner, je pense, quelqu'un qui a pris la place d'un autre... Une niaiserie...
Je ferme les yeux quelques instants.
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— Trois bagarres en moins de deux semaines, Jeanne ! Et celle de ce matin avec des blessés...
On n'a jamais vu ça!
— Je sais...
D'une voix incertaine, elle ajoute:
— Tu avais raison, Paul, il se passe quelque chose ici...
— Ecoute, je crois qu'il faudrait qu'un ou deux gardiens de sécurité soient placés en perma-nence dans l'aile pour les prochains jours... Parles-en à Lachance, explique-lui les bagarres...
Il va sûrement accepter...
Je me tais un moment. J'imagine les deux gardiens, postés dans le Noyau, tels deux chiens de garde... Je reprends :
— Je sais que ça semble un peu alarmiste comme mesure, mais...
— Non... Non, tu as raison...
Nouveau silence, plein de sous-entendus, de nervosité.
— Écoute, Jeanne, je file tout de suite...
— Parfait... Je pense que je vais retourner à l'hôpital lundi matin, pour m'assurer que tout va bien... Louis est là, bien sûr, mais... il ne sait pas ce qui se passe...
«Est-ce que quelqu'un le sait, ce qui se passe?» ai-je envie de répliquer, mais je me contente d'approuver:
— Bonne idée... Bon, je te laisse...
Je raccroche. Je demeure assis, les yeux fixés sur le commutateur de la chambre.
Une autre bagarre.
Roy qui veut encore se suicider.
Et ce crayon...
«J'ai de nouvelles idées ! Vous savez ce que ça veut dire ? »
Du calme. Mont-Mathieu d'abord.
Deux minutes plus tard, je suis dans ma voiture, le volant dans une main, le plan de la région dans l'autre. Tandis que je sors de Québec, je me rends compte que je n'ai aucune idée de ce que je vais dire au prêtre... si je le trouve, bien sûr. Je me mets à réfléchir, mais aucune ligne
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directrice ne me vient à l'esprit. Je décide de faire comme avec mes patients : voir les réactions, et réagir à celles-ci.
Je me retrouve sur un petit chemin de campagne, sous un ciel couvert. Je croise quelques maisons, plutôt rares dans ce décor montagneux, puis je vois une pancarte qui proclame: MONT-MATHIEU, 5 KM.
La nervosité me gagne de plus en plus. Quand j'entre enfin dans le village, mes mains sont moites et glissent sur le volant. Je cherche l'église qui, dans un village si petit, devrait être facile à trouver. J'aperçois enfin le clocher. Je passe devant un magasin général, quelques petites maisons colorées, des piétons plutôt âgés qui me regardent d'un air méfiant... puis, je sors du centre du village. Étonné, je constate que l'église est plus loin. Je roule encore quelques instants dans la rue principale qui devient de moins en moins habitée, puis je tourne sur une route de terre. Au bout se dresse l'église.
Je m'arrête et sors de mon véhicule. Le calme est total. L'église est entièrement isolée, à l'exception du presbytère qui se trouve juste à côté. Je tourne la tête vers le chemin que je viens d'emprunter. Aucune autre maison sur cette route. Les premières habitations apparaissent seulement à un demi-kilomètre, dans la rue principale. On dirait vraiment que cette église est tombée du ciel. Qu'est-ce qu'elle fait ici, à l'écart du village ? Je l'observe quelques instants : elle est en pierres grises, avec un haut clocher qui se détache contre les nuages. Une grande statue du Christ se tient sur une corniche, juste au-dessus de l'immense porte de bois.
Une église bien banale, en somme... si ce n'était de son emplacement particulier.
Le presbytère, qui ne communique pas avec l'église, est construit dans la même pierre grise.
Toute ma nervosité revient d'un seul coup. Je m'avance vers le presbytère. Je gravis les quelques marches qui mènent au perron, lève la main pour sonner, puis stoppe mon geste.
Une angoisse terrible me paralyse soudain. De nouveau, je ressens cette impression que nous fouillons dans une histoire horrible, épouvantable, une histoire qui nous dépasse complètement. Et j'envisage alors très sérieusement de tourner les talons et de partir. Fuir. Finir mon colloque, retourner à Montréal et prendre ma retraite. Point final. Tant pis pour Roy, tant pis pour les explications.
Et vivre dans le doute éternel?
Je ferme les yeux et sonne.
De longues secondes passent. Enfin, la porte s'ouvre. Une femme vieille comme la lune apparaît devant moi. Sa peau est verte et cuivrée, on dirait la tête d'une tortue. Elle est habillée de noir et porte un foulard sur la tête. Ses yeux sont tout petits, tout plissés, mais son regard est de braise, comme si ses pupilles demeuraient la seule chose encore vivante dans ce corps mort.
— Bonjour... Heu.. Suis-je bien chez le père Lemay ?
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Elle me scrute longuement. Son visage est dur, un masque figé dans cette sombre expression pour l'éternité. Elle finit pas hocher la tête, sans un mot. Mon cœur se met à battre à tout rompre. C'est bien lui ! Je l'ai trouvé !
— Heu... Il est ici?
Elle fait signe que non, imperturbable. Je commence à comprendre : elle doit être muette.
Mais quel âge a-t-elle donc? Quatre-vingt-cinq? Peut-être plus?
— Et... vous savez quand il va revenir?
La vieille lève un long doigt osseux, déformé par l'arthrite.
— Dans une heure?
Elle approuve. Son regard continue de me fouiller l'âme, ce qui me met mal à l'aise.
— Très bien, je... je vais revenir tout à l'heure. Merci...
Je descends les marches. Tandis que je traverse la route, je sens quelque chose me chatouiller le dos. Je me retourne. La vieille est toujours là, debout dans l'embrasure de la porte, à m'observer avec son masque funèbre.
Je monte dans ma voiture, puis m'éloigne. Quelle sinistre chouette ! Il doit s'amuser, le père Lemay, avec une telle servante...
Je retourne sur le chemin principal et m'arrête au premier restaurant que je vois, une sorte de snack-bar bon marché. À l'intérieur, je m'assois près d'une fenêtre et consulte le menu. Ham-burgers, hot-dogs, poutines, club-sandwichs... De la haute gastronomie, quoi... Je finis par commander une salade césar à la serveuse souriante, qui me considère avec curiosité.
Je regarde par la fenêtre. Je vois le clocher de l'église, pas très loin. Je suis si nerveux que je me demande comment je vais pouvoir attendre une heure.
Je termine mon modeste repas en vitesse. Puis, pour passer le temps, je demande à la serveuse (qui n'est occupée qu'à se limer les ongles) pourquoi l'église de Mont-Mathieu n'est pas au centre du village.
— Je le savais ben que vous étiez pas du coin !
Elle vient carrément s'asseoir devant moi et, tout heureuse de se rendre intéressante, m'explique. Ses explications ne sont pas trop claires, mais il semble que, lorsqu'on a commencé à construire Mont-Mathieu, au début du siècle, on avait choisi comme centre du village l'endroit où se trouve présentement l'église.
On avait construit celle-ci et une dizaine de maisons, lorsqu'il y a eu des effondrements de terrain.
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— Imaginez-vous ! La terre était trop molle, mais juste dans ce petit coin-là. L'église, elle, tenait debout sans problème ! Tout le monde a crié au miracle ! Ça fait qu'on a construit le village un peu plus loin, où la terre était correcte. Mais on a laissé l'église là ! On disait que c'était un signe du Très-Haut, la preuve que la maison de Dieu est indestructible !
— Vous êtes bien au courant, on dirait...
— Vous imaginez ben que c'est devenu un peu l'attraction du village, cette église-là... Pis qu'est-ce qui vous amène dans le boutte, au juste ? On a pas de la visite souvent.
— Justement, j'écris un livre sur les églises du Québec. Je viens rencontrer le père Lemay...
— Ah, le père Lemay... Il est ben fin, mais il a toujours l'air triste...
— Sa servante ne semble pas trop commode...
— La vieille Gervaise?
Elle se penche, l'air mystérieux.
— Elle dit pas un mot, mais elle passe pas inaperçue quand même... Elle sort jamais du presbytère, sauf pour venir faire les commissions... Personne l'a jamais vue sourire. Elle fait peur, vous trouvez pas?
— Quel âge a-t-elle ?
— Je le sais pas, mais elle doit être vieille en maudit : il paraît qu'elle est servante dans l'église depuis les années quarante... Voir si ç'a du bon sens !
Je consulte ma montre : vingt heures. L'heure est passée. Je la remercie, lui donne un bon pourboire, puis retourne à ma voiture.
Le ciel est de plus en plus couvert. En me stationnant devant le presbytère, je vois un prêtre, sur le perron, assis sur une chaise. Tandis que je traverse la route, je le reconnais graduellement: épaisse chevelure blanche, peau incroyablement ridée... Plus de doute possible, c'est bel et bien lui. Malgré moi, mon pas se ralentit, comme si j'éprouvais soudainement de la crainte.
Le prêtre, qui se berce dans sa chaise, me regarde approcher, vaguement intrigué. Il me salue en souriant :
— Bonsoir, mon fils. Je peux vous aider?
Voix rauque, vieille, mais douce en même temps, éduquée, agréable. Une voix d'un autre siècle, d'une autre époque.
Je ne réponds rien et avance de plus en plus lentement, cherchant désespérément une façon de l'aborder. Il m'observe toujours, et soudain ses petits yeux s'agrandissent au milieu de son visage ravagé. Il m'a reconnu. De loin, j'ose enfin :
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— Père Lemay ?
Il ne dit rien, pris au dépourvu. Il a presque l'air d'un évadé de prison qui vient de se faire prendre dans sa planque. Il se lève, ses vieilles lèvres blanches tremblotent, et il demande enfin :
— Comment... comment m'avez-vous trouvé?
Je fais un premier pas sur l'allée qui mène à son perron. Sans préambule, je dis :
— Je dois vous parler.
— Je... je n'ai rien à vous dire !
Il lève alors une main tremblante et dérisoire :
— Arrêtez-vous, vous êtes chez moi, ici !
J'obéis, à un mètre de la première marche. Le père
Lemay se frotte les mains avec inquiétude, en jetant des regards en biais vers la porte à sa droite. Il doit avoir envie de rentrer chez lui et de me claquer la porte au nez. Pourtant, il hésite.
— Que voulez-vous?
— C'est moi qui aurais dû vous demander ça, la semaine dernière ! C'est vous qui avez voulu voir Roy...
— Laissez-moi tranquille !
Et il fait mine de retourner à la porte du presbytère.
— Écoutez ! Je sais qu'il y a eu un massacre ici, à Mont-Mathieu, il y a quarante ans ! Dix-sept morts !
C'était une secte, n'est-ce pas? Une secte dirigée par le père Pivot, qui a déjà pratiqué ici !
Le père Lemay blêmit, cherche quelque chose à rétorquer.
— Il y a bien eu dix-sept morts, mais... mais... mais pourquoi parlez-vous d'une... d'une secte?
Personne n'a jamais... n'a jamais avancé une telle idée, vous... vous...
Il esquisse un geste agacé. Il essaie de se fâcher, mais je distingue plus de peur que de colère sur son visage:
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— Pourquoi ressortir cette vieille histoire ? Le père Pivot a été trouvé sans vie, lui aussi, mais il n'y avait pas de lien avec ces dix-sept morts ! Et personne n'a jamais parlé de secte, vous blasphémez ! Vous...
Il se tait et tousse douloureusement. Il réussit à râler:
— Allez-vous-en !
Et il me tourne le dos, saisissant la poignée de la porte. Je m'élance alors et, en gravissant deux marches, lui lance:
— Roy rêve au père Pivot ! Vous entendez ça?
Le prêtre cesse tout mouvement. Je m'immobilise aussi, au milieu du petit escalier, la respiration suspendue, attendant une réaction.
Le ciel commence à rougir entre les nuages. Un oiseau chante derrière moi. Au loin, je crois entendre passer une voiture. Et le prêtre, la main toujours sur la poignée, ne bouge pas. Sa voix me parvient enfin. Effrayante.
— Qu'est-ce que vous dites ?
Je hoche la tête. J'ai touché juste, cette fois. J'ajoute, plus doucement:
— C'est ce que le père Boudrault avait découvert en allant visiter Roy. Mais il est mort avec son secret.
Le vieillard, toujours de dos, se courbe légèrement, comme si quelque chose l'écrasait. Sans oser avancer davantage, je poursuis :
— Mon père, c'est inutile maintenant de me fuir... Tout ça est allé trop loin. Il faut que vous me parliez.
Je vois alors sa tête tomber par en avant. Un long soupir s'élève, comme si le père Lemay se vidait de tout son air. Il marmonne quelque chose, et je réussis à percevoir ces paroles :
— Tant pis... Après tout, j'ai toujours su que je paierais, un jour...
Je me raidis, frappé par cette phrase. Plus que jamais, je sais que la clé se trouve ici... et plus que jamais, j'ai envie de fuir...
Le père Lemay se retourne enfin. Son masque de peur et de panique est disparu, révélant un visage las, tragique et résigné. Un visage que le malheur a sculpté minutieusement, année après année...
— Suivez-moi, se contente-t-il de dire.
Et il ouvre la porte.
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