XIX
 
Exemple de recette de cuisine : le cheval-melba

Comme le dit si bien mon camarade David Hamilton : « Pour être écrivain, on n’en est pas moins Zoom. » Je prie le lecteur de bien vouloir me pardonner ce lapsus linguae totalement inexplicable. Je le précise à l’intention des milliers de Français qui ne font pas de photo, un zoom c’est un machin qui peut être grand comme ça et large comme ça, voir figure 1. On utilise le zoom dans des cas exceptionnels. Par exemple, si la chèvre est trop loin, on sort son zoom… « Clic, Clac, merci biquette ! » Je dis ça pour les amateurs de photos de chèvres, qui sont légion. Mais on n’est pas obligé de tirer… le portrait… on n’est pas obligé de photographier que des chèvres. Personnellement, je préfère photographier des militaires. C’est moins con qu’une chèvre. C’est vrai ; à un militaire vous dites : « Ne bougeons plus », il ne bouge plus. Alors que je connais des chèvres qui se débattent.

Le plus beau militaire à photographier, c’est le Cosaque, « car il a des bottes, il a des bottes bottes bottes, il a des bottes bottes bottes il a des bottes pointues ». Pour bien prendre le Cosaque, il faut lui laisser ses bottes. Le Cosaque est le plus beau militaire du monde. Dommage qu’il soit communiste. Le Cosaque est un cavalier exceptionnellement doué. Il ne monte que quand il est franchement bourré à la vodka au poivre. Alors, il met sa belle chéchia d’un beau rouge bolchevik, et c’est parti, les chevaux abordent à présent le virage des tribunes, Chalia et Roqué sont en tête. (Le nom entier c’est Chaliapine et Roquépine, mais je sais que Jean-Paul II me lit.) -Donc : « Les chevaux abordent le virage des tribunes et c’est… Une de merde qui passe le poteau en tête, montée par Yves Saint-Martoff, ivre mort : toque rouge, cosaque noir ! »

Alors, bon.

Pour bien photographier votre Cosaque, vous lui laissez ses bottes mais vous virez le cheval. Vous mettez le cheval de côté, et vous le laissez mariner là pendant toute une nuit. S’il se sauve, faites-le revenir avec deux échalotes et une pointe d’ail dans un mélange de beurre et d’huile végétale. Il faut un beau cheval. Comptez mille huit cents kilos pour un goûter de trois mille personnes environ. Laissez-le bien dorer. Puis passez au chinois. Ou au nègre si vous n’avez pas de chinois. Prenez un immense fait-tout grand comme ça, voir figure 3 ; aujourd’hui je ne fais pas de figure 2, j’ai la flemme. Prenez un immense fait-tout grand comme ça, et remplissez-le d’eau jusque-là, voir figure 5 ; excusez-moi, je suis vraiment crevé ; mettez votre cheval dont vous aurez eu soin d’ôter les yeux pour que bébé lui aussi puisse jouer au tennis sans danger : un œil de cheval dans la gueule, ça fait même pas mal. Mettez votre cheval dans le fait-tout.

Quand l’eau frémit, le cheval aussi. À l’aide d’une écumoire, chassez le naturel. S’il revient au galop, c’est que votre cheval n’est pas assez mort. De mon temps on achevait bien les chevaux, mais les jeunes d’aujourd’hui ne savent pas bien tuer leur cheval. Je regardais l’autre jour un abattage de chevaux public. Je ne sais plus si c’était à Vincennes ou à Longchamp : on voit bien les jockeys filer des coups de godasse dans le bide des chevaux, on ne peut pas dire qu’ils n’y mettent pas d’ardeur, mais il faudrait des jockeys plus grands et des éperons plus pointus en Téflon inusable. « L’éperon Téfal à double lame, pour nous les cracks. La première lame rentre dans le bide sans arracher le poil. La deuxième lame sort du bide sans arracher le foie. Téfal : l’autre façon d’être à cheval. »

Alors, bon.

Poursuivons cette délicieuse recette du cheval Melba qui me vient d’un dîner de belles têtes chez Paul Beau-cul. Je disais que pour bien tuer un cheval, il y a des méthodes plus rapides que la course à Longchamp. La corrida est nettement plus expéditive, et on voit le cheval saigner, ce qui présente en outre l’avantage de faire trembloter d’une ultime jouissance la cellulite fessière des mémères emperlouzées engoncées dans leur gaine à la cinquo de la tarde. On peut également essayer de tuer un cheval en le faisant tourner comme un con autour d’une piste de cirque, mais il y faut plusieurs années et la viande est un peu dure. (Dans ce dernier cas, pensez à plumer le cheval avant de le cuire.)

Alors, bon.

Quand l’eau a bouilli pendant vingt minutes, retirez le cheval. Attention : s’il est rouge, c’est un homard. Et si c’est un homard… j’arrive, je suis pas raciste. Voilà, voilà un jeu de mots spirituel : si c’est un homard j’arrive. Omar Shariff. Voilà un bicot sympa. Et sa femme ! Voilà une femme fidèle ! C’est la femme d’un seul homme. Contrairement à toutes ces chiennes qui couchent à droite à gauche. Et encore. Si elles couchaient à droite ou à gauche avec le même. Madame Shariff, c’est un modèle de fidélité conjugale. Elle me l’a dit hier encore : « Non, Pierre, je vous en prie : je n’accepte de bise que de omar. »

Alors, bon.

Pour la photo du Cosaque, vous ôtez le cheval, vous laissez les bottes, vous zoomez, ouverture à 2/8, tâchez de cadrer un bout du Don, on y est ? Ne bougeons plus… « Clic, Clac, merci Cosaque ! »