Ne soyons pas malpolis au lit.
Au temps de nos grands-mères – au temps des miennes en tout cas, on ne m’a pas présenté les vôtres ; d’ailleurs je m’en fous totalement, à chacun son problème : « Velocipedus memera ? », disait Euclide (« Est-ce que je te demande si ta grand-mère fait du vélo ? »).
Au temps de mes grands-mères, donc, les gens qui se mettaient ensemble dans un lit pour la première fois étaient assez malpolis. Ils ne se disaient même pas bonjour.
Cette attitude pour le moins cavalière (et je pèse mes chevals) peut nous paraître surprenante aujourd’hui. Elle s’explique par le fait qu’à cette époque, les gens se connaissaient la plupart du temps AVANT de coucher ensemble. Certains même attendaient d’être mariés pour zigounipiloupiler.
De nos jours, aspirés par la vie trépidante de ce siècle infernal, nous n’avons point le temps de nous disperser en salamalecs avant de nous mettre au lit avec nos contemporains. C’est pourquoi il est de bon ton de souhaiter le bonjour et de se présenter avant de se glisser dans les draps, ou sous l’évier, selon qu’on est litophile ou éviériste.
Ces présentations devront être simples et dépourvues d’emphase. Toute attitude pompeuse apparaîtrait déplacée. (C’est une image : ne prenez pas l’expression « attitude pompeuse » au pied du lit. Au pied de la lettre, pardon.)
Présentez-vous simplement, en ajoutant un petit mot gentil, même banal, qui sera toujours bien reçu pourvu qu’il ne s’écarte pas des limites du bon goût.
Exemple : « Bonjour ! Je m’appelle Robin des Bois. Tu la sens ma grosse flèche ? »
Doit-on éteindre la lumière avant de zigounipiloupiler ?
Au temps de mes grands-mères, la décence exigeait que l’on mouchât les chandelles, que l’on soufflât les bougies, et que l’on éteindasse les lampes à pétrole, bien que je me demande si éteindre fait bien éteindasse à l’imparfait du subjonctif.
Mes grands-mères étaient horribles, ce qui peut expliquer en partie que mes grands-pères, leurs camarades de tranchée et leurs livreurs de crinolines, aient pris ainsi l’habitude d’éteindre la lumière avant de les transporter au quatorzième ciel. (Deux fois sept, quatorze : il y a DEUX grands-mères.) Mais, enfin, je n’ai pas la prétention de croire que ce sont mes seules grands-mères qui ont créé la mode.
Il existe une autre explication nettement plus scientifique de l’extinction des chandelles en tant que rite prénuptial inhérent à l’immédiat après-guerre de 1870. Nous devons cette explication au professeur Jean-Edern Von Saint-Bris qui sait de quoi il parle, puisqu’il fut chandelier du Troisième Reich avant de remporter Paris-Nice en 1924, l’année où l’arrivée de cette course se disputa dans un bougeoir. Des immenses travaux du professeur Von Saint-Bris, il ressort en substance que la disparition de la coutume de l’extinction a des raisons purement ludiques. En effet, une fois la bougie éteinte, elle pouvait avantageusement devenir un amusant compagnon de jeu au lit. Alors qu’avec une ampoule on peut se blesser. Surtout avec une ampoule à vice. Et la baïonnette ?…
Quels mots employer au lit (ou dans le placard à balais pour les manchophiles) pour manifester son autosatisfaction, si l’on est un homme, ou pour dire merci, si l’on est une femme ?
L’homme pourra avantageusement dire : « Oh oui oh lala ah oui ah oui » puis, deux secondes plus tard, appuyé sur un coude au-dessus de la femme pantelante, il dira : « Alors, heureuse ? » en lui soufflant sa fumée de Gauloise dans la gueule.
La femme pourra avantageusement dire : « Oh oui oh lala ah oui ah oui ah oui, encore, encore, apothéose ! » Afin de ménager la sensibilité de l’homme, elle aura intérêt à ajouter : « Oh ! Albert, c’est la première fois que je connais un tel bonheur dans les bras d’un homme. Une simple petite phrase comme celle-ci suffit à ensoleiller la journée d’un honnête homme, sauf s’il ne s’appelle pas Albert.
Est-il convenable d’être plus de deux dans le même lit ?
J’ai personnellement connu une jeune femme qui se refusait systématiquement à partager son lit avec plus de douze personnes. Elle était terriblement superstitieuse et répétait à qui voulait l’entendre le vieux dicton berrichon :
« Treize au plumard.
Neuf mois dans le tiroir »,
Manière élégante d’exprimer les dangers de la treizicitude zigounipiloupilienne.
Pour finir, je terminerai par le début, en répondant à la question qui est sur toutes les lèvres bien que vous l’ayez sur le bout de la langue. Avant d’entrer dans le lit, l’homme, à l’instar de la plupart des mâles vertébrés supérieurs, doit-il encore, de nos jours, délimiter son territoire de quelque manière que ce soit ?
Personnellement, la dernière fois que j’ai baisé au Ritz, j’avais pris préalablement la peine de pisser autour de la chambre.
Je me suis fait jeter.
C’est ce que je dis toujours : les traditions se perdent.