XVII
 
Sachons mourir sans dire de conneries

Comment mourir sans avoir l’air d’un con ?

C’est la grande question. En effet, mourir ce n’est pas le vrai problème. C’est à la portée du premier venu. Moi qui vous parle, j’ai même vu mourir des imbéciles.

Ce qui compte, c’est de bien mourir, c’est-à-dire de mourir sans dire de conneries.

Je garde un excellent souvenir du récent décès d’un ami. (Je dis « un excellent souvenir », car le buffet était très bien. On a eu : rillettes d’oie, saumon fumé, croque-monsieur ; c’était fort amusant comme idée, car mon ami se mourait d’une morsure de berger allemand !) Mais ses dernières paroles, quel bide :

« Je quitte cette vallée de larmes sans regret. Je pense avoir bien mérité de ma famille et de mon pays. Que ma chère femme et mes chers enfants gèrent avec courage et ténacité notre chère entreprise de vidange en gros, tel est mon dernier vœu avant d’aller au ciel. »

Voilà bien une façon de mourir qui frise le ridicule. Mon ami aurait eu avantage à dire exactement la même chose avec beaucoup moins de mots, afin que sa dernière phrase y gagnât en efficacité :

« Je meurs content. Ma famille est dans la merde. »

Au reste, les gens qui ont la chance de mourir dans leur lit sont tout à fait impardonnables de ne pas soigner leurs dernières paroles, dans la mesure où, il faut bien le dire, ils n’ont rien d’autre à faire qu’à s’y préparer.

Ainsi, le grand écrivain normand Fontenelle (1657-1757) (c’est dire à quel point il était centenaire) n’a-t-il eu aucun mérite, au regard de l’Histoire, d’avoir lancé à son médecin : « En somme, docteur, je meurs guéri ! » : il avait passé vingt ans à répéter sous les draps.

De même, les fusillés, les guillotinés, ou les électrocutés qui ont la chance d’être prévenus quelquefois des semaines, des mois, voire des années avant leur exécution. Je pense notamment à Caryl Chessman, qui a passé sa détention à gratter, gratter, mais qui, finalement, nous a quittés sans rien dire de vraiment rigolo. Ou au maréchal Ney, cet imbécile, qui s’est dressé comme un coq face aux fusils braqués sur lui avant de brailler : « Soldats, visez droit au cœur ! » Comme s’ils allaient lui tirer dans les fesses.

Nul doute que la fin de ce somptueux héros de l’Empire eût acquis une autre dimension si, au moment où l’officier avait crié : « En joue, feu ! », il avait simplement rétorqué : « Ah ! Dur, dur ! », Comme dans l’émission de divertissement télévisuel dont je tairai le nom pour ne pas faire de publicité à Collaro.

À la guerre, certes, les combattants qui meurent au champ d’honneur sont le plus souvent pris de court, et le temps qui leur est imparti est malheureusement écoulé avant qu’ils n’aient le réflexe de lancer quelque chose d’inoubliable à la postérité. Nous ne leur jetterons pas la pierre (on achève bien un cheval blessé, on ne jette pas un vieux jean usé, je ne vois pas pourquoi on jetterait la pierre à un mec déjà perforé à la baïonnette).

En cas de conflit nucléaire généralisé, le temps de réflexion est encore plus court, mais de toute façon, à quoi bon, dans ce cas précis, tenter de jeter quelque chose d’inoubliable à la postérité, puisqu’il n’y aura plus jamais de postérité ? Encore que, au Japon, on cite un cas étonnant de dernières paroles sublimes qui furent prononcées par un paysan des environs d’Hiroshima, cher lecteur, et non pas « des environs d’Hiroshima, mon amour ».

C’était donc dans la campagne autour d’Hiroshima, le 6 août 1945, dans la matinée. Le paysan en question rentrait à la maison avec un panier bourré de girolles (c’est le nom japonais de la chanterelle). Du seuil, en ôtant ses grolles (c’est le nom japonais de l’écrase-merde), il héla sa femme : « Eh ! dis donc, Tsin Tsin… » (Tsin Tsin ça veut dire Bibiche en japonais.) « Eh ! dis donc, Tsin Tsin, t’as vu le beau champignon ? »… Et BOUM !

Quelle belle leçon d’humour, surtout venant d’un peuple réputé sombre, âpre au gain, dur à la tâche, légèrement boche sur les bords, et imperméable à l’humour débridé.

Dans un tout autre ordre d’idée, pour apporter de l’eau au moulin de l’esprit nippon, je rappellerai la joviale supplique que l’empereur du Japon fit à Jacqueline Kennedy, lors du voyage de cette dernière à Tokyo, au début des années soixante. Il l’invita à partager le petit déjeuner impérial, et lui tendant la cafetière de porcelaine ancienne, qui lui venait de sa grand-mère la reine Hiro-Hita, il lui dit : « Tu veux du kawa, Zackie ? »

Une autre façon de mourir fort répandue chez nos peuplades européennes, c’est, bien sûr, la mort au volant, qui frappe bon an mal an entre quinze et vingt mille personnes en France chaque année, grâce aux effets conjugués des paupiettes au confit d’oie et des vins issus de nos meilleurs cépages. C’est marqué sur l’étiquette : « Ce vin, pur et naturel, a été mûri au chaud soleil du Midi, et c’est toute la chaleur de la Provence qui est dans le… BOUM », dans le platane ! Les dernières paroles des tués au volant sont généralement décevantes. C’est le plus souvent du style : « Ah ! Merde, j’ai fait tomber ma ciga… BOUM », ou encore : « Ah ! Merde, on va rater Guy Lux, faut foncer sinon AAAH ! BOUM ! »

Un conseil donc, avant de prendre la route le week-end prochain, apprenez par cœur le texte de vos dernières paroles, ou inscrivez-le carrément sur l’étiquette de la bouteille, afin de l’avoir sous les yeux jusqu’au dernier moment.