LA CRITIQUE DE LA RAISON IMPURE

 

Comme le démontrent à loisir les deux textes précédents, Poul Anderson est capable de l’anticipation la plus noire, mêlant scènes de violence et visions d’horreur à une foi imperturbable en l’homme.

Mais il est aussi capable de donner des histoires plus légères, destinées à distraire plutôt qu’à démontrer.

Son traitement du thème des robots dans la nouvelle qui suit se trouve à l’opposé de celui donné par Isaac Asimov dans une suite de textes célèbres.

Le robot entra avec si peu de bruit, malgré sa masse, que Félix Tunny ne l’entendit pas. Courbé sur son bureau, il commença à prendre conscience de l’intrus quand une ombre s’interposa entre lui et le plafond fluorescent. Puis un dernier pas fit trembler le sol, d’une vibration qui se propagea par le fauteuil de Tunny jusque dans ses os. Il se retourna d’un bloc, le souffle coupé, et vit la forme bleu et noir qui le dominait telle une falaise. Deux mètres cinquante plus haut, les yeux du robot luisaient d’un rouge de braise dans le casque sans visage qui lui servait de tête.

Une voix qui semblait sortir d’un grand gong retentit dans le bureau. « Sapristi, ce que tu as l’air bête.

— Qu’est-ce que tu fabriques ? s’exclama Tunny sur le mode glapissant.

— Je me promène, répliqua d’un ton dégagé le Robot IZK-99. Çà et là, là-bas et ici. J’observe la vie. Comme tout donne délicieusement raison à Brochet !

— Hein ? » dit Tunny. Le brouillard des données, des estimations et des calculs de plus en plus frénétiques commençait seulement à se dissiper dans sa tête.

IZK-99 tendit une main énorme pour montrer un livre. Tunny lut sur la couverture : La Paille et le Grain : roman sur la jeunesse moderne par Truman Brochet. Le dos de la jaquette était occupé par une photo couleurs de l’auteur, qui avait une coupe de cheveux à la chien et des lèvres d’un modelé délicat. Adroitement, le robot ouvrit le livre à la page choisie et lut tout haut :

 

« Des vers de terre, dit-elle, voilà ce qu’ils sont, des vers de terre voilà ce que nous sommes tous, Billy Chile, des vers qui ont acquis une colonne vertébrale et un cerveau il y a des ères de ça, au temps de l’Obscène ou du Messiezoïque ou je ne sais quand. » Même dans sa tristesse, Ella Mae ne résistait jamais à émettre ses mornes petites plaisanteries, qui m’attristèrent plus encore en cette journée de morne pluie et de fleurs de magnolias à l’agonie. « Nous n’en avons pas besoin, reprit-elle. De la colonne et du cerveau, je veux dire, mon chou. Ils nous rendent raides et lourds de la caboche, de sorte que nous ne savons plus nous coucher et n’être rien de plus que des vers de terre.

— Déshabille-toi », ai-je répondu en bâillant.

 

« Quel rapport avec quoi que ce soit ? questionna Tunny.

— Si tu ne comprends pas, rétorqua IZK-99 avec froideur, inutile d’en discuter avec toi. Je te recommande de lire l’étude critique pénétrante d’Arnold Cancrelat sur ce livre. Elle a été publiée dans le dernier numéro de Perce, flèche [21] ! La Revue de la Critique Pénétrante. Il consacre quatre pages à l’analyse des divers niveaux de sens de cette conversation entre Ella Mae et Billy Chile.

— Ooh, se lamenta Tunny. N’est-ce pas suffisant que j’aie la gueule de bois, un emploi qui est en train de me claquer dans la main à cause de toi et une dispute avec ma fiancée, il faut encore que tu mentionnes ce torchon ?

— Ce que tu es vulgaire. Voilà ce que c’est que de regarder la stéréovision. » Le robot s’assit dans un fauteuil qui émit des craquements alarmants sous son poids, croisa les jambes et feuilleta son livre. L’autre main porta une rose à son chimisenseur. « Exquis, murmura-t-il.

— Tu n’imagines pas que je vais m’abaisser à lire ce qu’on appelle de la fiction aujourd’hui, non ? ironisa Tunny avec un faible espoir de le mortifier suffisamment pour qu’il se décide à aller travailler. De futiles petites expérimentations de la technique permettant de décrire des façons de plus en plus complexes de s’apitoyer sur soi-même, quelle sorte de distraction est-ce là pour un homme ?

— Tu n’apprécies pas la condition humaine, voilà tout, dit le robot.

— Ah ! Et toi, tu crois que tu l’apprécies, espèce de masse prétentieuse de fer-blanc animé ?

— Oui, je le pense, grâce à mon étude des auteurs, poètes et critiques qui ont voué leur vie à l’exploration et à la description de l’humanité. Ta Miss Forelle est une belle âme. Depuis que j’ai eu sous les yeux mon premier exemplaire de cette publication trimestrielle extrêmement sensible qu’elle dirige, j’avoue ne pas comprendre ce qu’elle te trouve. C’est vrai, poursuivit IZK-99 d’un ton rêveur, que les liens entre vous ressemblent assez à ceux qui existent entre la nonne et le moteur diesel dans Regrets pour deux colombes, mais n’empêche… En tout cas, si Miss Forelle t’a finalement dit d’aller plonger ta tête censurée dans des déserts expurgés, et de mettre ensuite dans un endroit qui n’est pas fait pour ça la chose que la décence interdit d’imprimer, pour ma part je l’approuve entièrement. »

Tunny, qui n’avait pas été élevé dans du coton — il avait payé ses études en travaillant comme gardien de baleines et supervisé des équipes de construction sur Mars –, fut si abasourdi par le langage du robot qu’il fut tout juste capable de murmurer : « Mais non. Elle n’a rien dit de tel.

— Pas littéralement, bien sûr, expliqua IZK-99. Je citais seulement la scène de la répudiation dans Doucement descend le crépuscule. Par Stichling, tu sais… un écrivain presque aussi sensible que Brochet. »

Tunny serra les poings et les dents et combattit un violent désir de démolir le robot, plaque de métal par plaque de métal et transistor par transistor. Il ne pouvait pas, évidemment. Tunny était un solide jeune homme blond avec un visage sans beauté à l’air franc ; ses épaules tendaient sa blouse et les jambes sortant de son short avaient des muscles épais ; mais les robots ont des carcasses en aciers spéciaux et des circuits d’activation ultra-puissants. D’autre part, bien que sa situation de chef du service des estimations lui ait donné une autorité considérable dans la Société Anonyme des Développements Planétaires, ladite société ne le laisserait pas détruire une machine qui avait coûté plusieurs millions de dollars. Même si la machine refusait tout net de travailler et passait son temps à flâner dans l’usine, à lire, à méditer et à vitupérer l’infâme mentalité bourgeoise du personnel.

Tunny domina peu à peu sa colère. Il avait récemment songé à une approche nouvelle du problème ; autant l’essayer maintenant. Il se pencha en avant. « Écoute, Izaak, dit-il de la voix la plus modérée qu’il put prendre, as-tu jamais réfléchi que nous avons besoin de toi ? Que la race humaine entière a besoin de toi ?

— La race a besoin d’être aimée, répliqua le robot, et je suis prêt à offrir cet amour ; mais je m’attends à ce que l’habituelle impossibilité de communiquer nous entraîne dans la situation paradoxale classique de la solitude.

— Non, non, NON… hum… c’est-à-dire, la race humaine a besoin de ces minéraux que tu peux obtenir pour nous. Les ressources de la Terre se raréfient. Nous pouvons tirer de la mer la plupart des éléments, mais certains sont en concentration tellement diluée que les extraire n’est pas faisable du point de vue économique. En particulier, il y a le rhénium. Absolument vital dans les alliages et les composants électroniques qui ont à supporter une irradiation intense. Il a toujours été rare et à présent on en trouve si peu que plusieurs industries clefs sont en difficulté. Mais sur Mercure…

— De grâce. J’ai déjà entendu tout cela ad nauseam. Quelle importance a ce genre de questions destinées à la masse, impersonnelles, désuètes, quand on pense à l’âme isolée qui souffre. Non, inutile de chercher à me convaincre. Ma décision est prise. Pour les conséquences que peut avoir l’incapacité à faire un choix avec fermeté, je te réfère aux analyses freudiennes de Hamlet.

— Si tu t’intéresses aux individus, dit Tunny, tu devrais penser à moi. Je suis presque un de tes ancêtres, Dieu me le pardonne. J’ai été le premier à suggérer qu’on emploie un robot humanoïde avec une intelligence autonome pour le projet Mercure. Tout le programme de cette société concernant les cinq prochaines années est basé sur ton départ. Si tu ne pars pas, je serai renvoyé. Et les emplois ne s’obtiennent pas si facilement que ça. Voilà bien une âme isolée qui souffre, non ?

— Tu n’es pas capable de souffrir, dit Izaak. Tu es beaucoup trop coriace. Maintenant, laisse-moi donc avec mon roman. » Ses yeux luisants retournèrent au livre. Il continua à renifler la rose.

Le regard de Tunny revint aussi aux papiers gribouillés qui jonchaient son bureau, le résultat de journées passées à tenter de calculer un moyen de sortir de l’impasse où s’étaient fourrés les Développements Planétaires. Il n’arrivait pas à en trouver un seul. L’investissement dans Izaak était trop important pour une entreprise relativement petite comme cette société. Si le robot ne se mettait pas au travail, et vite, la société serait bientôt en pleine panade.

Dans son désespoir, Tunny avait même envisagé de nouveau l’antique idée tant rebattue de l’extraction minière par télécommande. Mais ce n’était pas possible — pas sur Mercure, où le soleil proche déversait sur tout appareil télécommandé assez de chaleur et de radiations pour garantir cinquante pour cent de chances qu’il y ait une panne en vingt-quatre heures. Ç’avait déjà été un sacré coup de veine que les gisements de rhénium aient été découverts, par un chimiodétecteur envoyé depuis la base souterraine. Pour les extraire, il fallait une créature dotée de sens, de mains et d’intelligence, présente sur place pour prendre des décisions et pour réparer l’outillage quand le besoin s’en faisait sentir. Pas un humain ; aucun écran antiradiation ne pouvait maintenir longtemps un homme en vie sous ce bombardement solaire. Le vol en haute accélération jusqu’à la base et retour, quand leur période était terminée, dans des vaisseaux spatiaux lourdement renforcés et protégés, soumettait les membres du personnel à l’exposition maximale admise pour une vie entière par le Bureau de la Sécurité Industrielle. Il fallait que le mineur soit un robot.

Seulement le robot refusait le travail. Aucun moyen, légal ou pratique, de le lui imposer contre sa volonté n’existait. Tunny se posa la main sur le front. Pas étonnant qu’il se soit tourmenté presque au point d’exploser, jusqu’à ce qu’hier soir il se dispute avec Janet et s’enivre hyperboliquement. Ce qui n’avait rien résolu.

Le téléphone sonna sur son bureau. Il appuya sur le bouton de réception. Le visage de William Barsch, le vice-président, surgit sur l’écran, rond, rouge et rageur.

« Tunny ! mugit-il.

— Je… heu-heu !… je veux dire, bonjour, monsieur. » L’ingénieur esquissa un faible sourire.

« Ne me donnez pas du bonjour comme ça, espèce de cervelle en mie de pain ! Quand est-ce que ce robot décolle ?

— Jamais », dit Izaak. À son rythme de lecture électronique, il avait fini le roman et quittait présentement son fauteuil pour regarder par-dessus l’épaule de Tunny.

« Je vous flanque à la porte ! hurla Barsch. Tous les deux !

— Je ne me considère nullement comme engagé, pour commencer, répliqua Izaak avec hauteur. Votre menace économique n’a rien d’épouvantable. Ma réserve d’énergie est prévue pour cinquante ans d’usage normal, après quoi je peux financer une recharge en assumant un emploi temporaire. Ce serait d’ailleurs intéressant de prendre la route, ajouta-t-il pensivement, comme ces gens dans ce vieux livre dont la Bibliothèque du Congrès m’a transmis une photocopie. Oui, mon vieux, on pourrait bien trouver le satori en allant devant soi, sans savoir où, sans savoir pourquoi [22]

— Tu ne trouverais pas grand-chose à l’heure actuelle, rétorqua Tunny. Monte au hasard dans un métro transcontinental et où te mène-t-il ? Là où son itinéraire l’indique. Les vagabonds ne cherchent pas l’illumination, ils passent leur temps à regarder la StéVi assis sur la pile de leurs allocations. » Il ne prêtait pas grande attention à ce qu’il disait, étant trop occupé à se demander si Barsch parlait sérieusement cette fois-ci.

« Je m’en rends compte, répliqua Izaak, bien que la plupart des nouvelles et des romans contemporains se situent dans des cadres plus académiques. Dans quelle décadence est tombée cette civilisation : pas de maladie physique ou mentale, pas de guerre, pas de révolution, pas de beatniks ! » Sa voix se fit pressante. « Je vous en prie, comprenez-moi, messieurs, je ne vous veux pas de mal. Je vous méprise, bien sûr, mais de la façon la plus cordiale. Ce n’est pas la peur qui me retient sur la Terre — je suis pratiquement indestructible — ni la solitude envisagée — je me réjouis d’être unique — ni non plus la perspective de l’ennui dans le sens habituel du terme — l’aptitude à exécuter le travail auquel vous pensez a été incorporée en moi. Non, c’est l’insignifiance absolue de la tâche. Au-delà des simples implications économiques animales, le rhénium n’a pas de sens. Truman Brochet n’aurait jamais conscience que le projet est en cours de réalisation, quant à écrire un roman sur ce sujet, n’en parlons pas. Arnold Cancrelat ne le mentionnerait même pas en passant [23] dans un de ses essais critiques sur l’état de l’âme moderne telle qu’elle se reflète chez les plus importants romanciers modernes. Ne saisissez-vous pas mon point de vue ? Puisque j’ai été fabriqué, par nécessité, avec une intelligence créatrice et le besoin d’accomplir mon travail convenablement, il faut que je fasse un travail que je puisse respecter.

— Tel que ? exigea de savoir Barsch.

— Quand j’aurai suffisamment lu pour sentir que je conçois bien les exigences de la technique littéraire, je chercherai un emploi parmi le personnel d’un périodique. Ou peut-être bien que j’enseignerai. À moins que je ne tente d’écrire un roman d’inspiration subjective.

— Fichez le camp de cette usine, ordonna Barsch dans un hurlement étouffé.

— Très bien.

— Non, attends ! s’écria Tunny. Heu… Mr. Barsch ne voulait pas dire ça. Reste chez nous, Izaak. Va lire une critique ou je ne sais quoi.

— Merci, j’y vais. » Le robot quitta le bureau, énorme, étincelant, irrésistible — et respirant toujours sa rose.

« Pour qui vous prenez-vous pour annuler mes ordres, espèce de débile ? lança Barsch d’un ton hargneux. Non seulement vous êtes licencié, mais je veillerai à ce que…

— Je vous en prie, monsieur, dit Tunny. Je connais cette situation. Par force. Voilà quinze jours que je vis avec, depuis le début. Peut-être ne vous rendez-vous pas compte qu’Izaak n’est pas sorti de cette maison depuis qu’il a été mis en marche. La plupart du temps, il se tient dans une pièce qui lui a été assignée. Il obtient ses livres, revues et autres machins par télécopie, envoyés par les bibliothèques publiques, ou directement par pneumatique des éditeurs et des libraires. Nous devons lui verser un salaire, vous savez — c’est une personne sur le plan légal — et il n’a besoin de le dépenser que pour ses lectures.

— Et vous voulez continuer à lui offrir un loyer gratuit et à le laisser bousiller notre programme avec ses flâneries ?

— Eh bien, du moins n’enregistre-t-il pas d’autres stimuli. Pour le moment, nous sommes en mesure de prévoir ses excentricités. Mais qu’il se balade un jour ou deux en ville, avec un million d’impressions totalement nouvelles assaillant ses senseurs, et Dieu seul sait quelles conclusions il en tirera et comment il réagira.

— Hem. » Le teint de Barsch s’éclaircit légèrement. Il se mordilla la lèvre un instant, puis dit d’une voix plus normale : « O.K., Tunny, peut-être n’êtes-vous pas totalement incapable. Il est possible que vous ne soyez pas entièrement responsable de ce gâchis, vous ou votre fiancée. J’aurais probablement dû, moi ou quelqu’un d’autre, donner des directives plus strictes concernant ce à quoi il devait ou ne devait pas être exposé pendant les premiers jours suivant sa mise en fonctionnement. »

Vous auriez sûrement dû, songea Tunny qui garda toutefois le silence avec tact.

« Néanmoins, poursuivit Barsch en fronçant les sourcils, ce fiasco nous enfonce tous les jours plus avant dans le pétrin. Je viens de déjeuner avec Henry Lachs, l’éditeur de l’hebdomadaire d’informations. Il m’a dit que des rumeurs concernant la situation ont déjà commencé à filtrer. Il retiendra la nouvelle aussi longtemps qu’il le pourra, étant un de mes bons amis, mais cela ne durera pas. Il ne peut pas laisser Entropie perdre un scoop et quelqu’un d’autre ne tardera pas à être au courant.

— Ma foi, monsieur, je comprends bien que nous ne tenons pas à ce qu’on se moque de nous…

— Pire que ça. Vous savez pourquoi nos concurrents n’ont pas projeté d’exploiter cette mine de rhénium. Nous avons eu l’idée du robot les premiers et nous avons une longueur d’avance. Dès qu’on commence réellement à extraire du minerai, on obtient l’exclusivité de l’exploitation. Mais si nos concurrents apprennent ce qui nous est arrivé… eh bien, les Métaux de l’Espace ont déjà passé contrat pour un humanoïde. Il est d’ailleurs à moitié construit. Ils avaient l’intention de l’utiliser sur Callisto, mais Mercure donnerait un bien meilleur rendement. »

Tunny hocha la tête piteusement.

Le ton de Barsch baissa jusqu’à un niveau ronronnant de mauvais augure. « Pas encore d’idées sur un moyen de changer l’état du prétendu esprit de ce monstre cliquetant ?

— Il ne cliquette pas, monsieur », rectifia Tunny sans réfléchir.

Barsch devint pourpre. « Je me moque comme d’une guigne qu’il cliquette, crépite ou chante comme un soprano ! Je veux des résultats ! J’ai mis la moitié de nos ingénieurs à se creuser la cervelle pour trouver une solution au problème. Mais si vous, vous-même, personnellement, n’êtes pas celui qui le résout, nous allons avoir un nouvel estimateur en chef. Compris ? » Avant que Tunny ait eu le temps d’expliquer qu’il ne comprenait que trop bien, l’écran redevint neutre.

 

Il enfouit sa tête dans ses mains, mais cela non plus ne servit à rien. L’ennui, c’est qu’il aimait son travail, en dépit d’inconvénients dans le genre de Barsch. De plus, même s’il était sûr de ne pas devoir mourir de faim en cas de renvoi, les allocations de chômage ne suffiraient pas pour financer les éléments du train de vie auquel il s’était habitué, tels un voilier et un chalet dans les Rocheuses, ni d’autres genres d’éléments qu’il espérait ajouter à la liste, telle Janet Forelle. En outre, il redoutait l’ennui chronique des sans-emploi.

Il s’adjura de cesser de méditer et de s’atteler à résoudre l’énigme — non, ce n’était pas ce qu’il voulait dire non plus… Oh, tonnerre ! Il était d’un rendement nul à son bureau aujourd’hui. Surtout quand il se remémorait les paroles coléreuses qu’ils avaient échangées, Janet et lui. Il n’aurait probablement aucun rendement nulle part jusqu’à ce que la paix soit faite. Du moins une mission diplomatique lui éclaircirait-elle les idées, et sortirait-elle peut-être même son esprit de l’ornière dans laquelle il piétinait avec lassitude.

« Ooh ! » dit-il, se représentant son cerveau entouré d’une profonde ornière circulaire où cheminait une minuscule réplique de lui-même, courbée sous la charge d’une gueuse de fonte et chaussée de fers pesants. D’un geste précipité, il enfonça un bouton sur son récept. « J’ai à sortir, annonça-t-il. Dites-leur que je reviendrai dès que. »

Le bâtiment bourdonnait et murmurait quand il longea le couloir. Des portes ouvertes montraient des bureaux, des laboratoires, des machines de contrôle cliquetant comme des perdues. De temps à autre, il passait devant un technicien humain. Sortant sur le rebord du quatrième étage, il prit un descenseur jusqu’au deuxième où passait le tapis roulant qui allait en direction du nord. De douces bouffées d’air venues du sol lui balayaient le visage, car il régnait au-dessus de la ville un ciel gris de février et le chauffage municipal était obligé de fournir une bonne quantité d’ergs. Le lac Michigan, aperçu entre des gratte-ciel élancés gaiement coloriés, paraissait par contraste d’autant plus froid. Tunny trouva un siège sur le tapis, sans se préoccuper de la masse de gens voyageant sans but autour de lui, pour la plupart des chômeurs. Il bourra sa pipe et exhala de la fumée tout au long du trajet jusqu’à l’université de Chicapolis.

Une fois là, il dut changer plusieurs fois et se frayer un chemin parmi des foules plus jeunes, plus animées et plus motivées que celles rencontrées hors du campus. L’instruction, se rappela-t-il avoir lu, était la troisième industrie la plus importante du monde. Il lisait, quoi qu’en dise Izaak — de la littérature générale, des documents qui conservaient une certaine popularité ; de temps à autre, un roman, mais rien datant de moins de cinquante ans. « Je n’ai pas de préjugé contre ce qui s’écrit de nos jours, avait-il déclaré à Janet. J’estime seulement que ça ne devrait pas être autorisé à voyager à l’avant des voitures. »

Elle n’avait pas compris ce qu’il voulait dire, n’ayant qu’une connaissance très limitée de l’histoire américaine du milieu du vingtième siècle. « Si ton attitude ne provient pas d’un préjugé, c’est encore pire, avait-elle répondu. Tu es donc congénitalement incapable de percevoir les nuances de la réalité moderne.

— Bah ! Je gagne ma vie à travailler avec les nuances de cette réalité moderne : les analyses de systèmes, les courbes de résistance et les orbites de fusées. Voilà ce dont souffre la fiction actuellement, et aussi la poésie. Il ne reste rien sur quoi écrire que les gens de lettres jugent important. L’unique problème sociologique d’une certaine conséquence est l’ennui général et on ne peut guère en tirer d’intrigue ou d’intérêt. Alors cela devient le grand jeu de la recherche de style… et de l’enquiquinement caractérisé.

— Félix, tu ne peux pas dire ça !

— Je le peux et je le dis, chérie. Naturellement, l’économie entre aussi dans l’équation. D’une part, depuis ces cent dernières années, les cinémas, la télévision et maintenant la StéVi ont chassé l’imprimé des yeux du public. (Hé, quelle splendide métaphore !) À part quelques revues d’information générale, l’édition n’est plus une entreprise commerciale. Et, d’autre part, dans une société aussi riche que la nôtre, éditer reste faisable dans des limites étroites : grâce aux subventions accordées par des universités ou des fondations, du fait de la vanité individuelle ou encore de celle de ces associations d’écrivains qui ont poussé comme des champignons au cours des dix dernières années. Seulement cette édition-là n’essaie pas d’être un divertissement populaire, elle a entièrement abandonné ce domaine à la StéVi et s’est consacrée à l’entretien d’une société académique d’admiration mutuelle.

— Quelle blague ! Laisse-moi te montrer la critique de Scomber sur Tench. Il l’éreinte.

— Ouais, je sais. Jouer les hommes supérieurs fait aussi partie du jeu. La question, toutefois, c’est que cette consanguinité mentale… non, pas même ça : ce… heu, je ferais mieux de laisser tomber cette métaphore-là… ce truc n’a jamais produit et ne produira jamais quelque chose qui vaille la peine qu’un être humain équilibré perde son temps avec.

— Oh, alors je ne suis pas un être humain équilibré ?

— Ce n’est pas ce que je veux dire. Tu le sais bien. Je pensais simplement, eh bien, tu comprends… la grande littérature a toujours eu pour fondement de pouvoir séduire les foules, Sophocle, Shakespeare, Dickens, Mark Twain…

Mais le feu était irrémédiablement mis aux poudres. Une chose mena grand train à une autre, jusqu’à ce que Tunny sorte en fureur ou soit éjecté — il ne se rappelait pas très bien — et retombe sur ses pieds au Bar de la Comète Filante.

Ce n’est pas que Janet fût du genre vieille barbe, se remémora-t-il en approchant de la masse imposante du bâtiment d’anglais. Elle était jolie comme un cœur, elle partageait son goût pour les voiliers, la square danse [24], les petits bistrots et beaucoup d’autres choses ; elle était intelligente aussi, et leurs discussions étaient généralement animées mais très amusantes pour tous les deux. Toutefois ils s’attaquaient d’habitude à des sujets moins personnels que le débat de la veille. Janet, fille de poète et secrétaire de département à l’Université, prenait sa revue très au sérieux. Il ne s’était pas rendu compte à quel point.

Le tapis roulant atteignit le but que visait Tunny. Il tapota sa pipe pour la vider et traversa les bandes de décélération en direction du rebord. L’ascenseur l’emporta au quarante-neuvième étage, où les publications de l’Université avaient leurs bureaux. Il régnait là plus d’activité humaine que partout ailleurs ou presque. Écrire et éditer demeuraient des fonctions accomplies par des gens, aussi complètement automatisées que soient l’impression et la reliure. En dépit de sa résolution, Tunny avança lentement dans le couloir, observant avec plaisir les jeunes étudiantes zélées en minijupes et chemisiers aux couleurs vives. Il prit avec un moindre plaisir note des jeunes étudiants zélés. Chez eux, très peu de chose évoquait Eschyle le militaire ou Marlowe le débauché, Melville le marin ou Mencken le flamboyant iconolaste ; ils avaient en général le teint pâle, les cheveux longs et l’expression de qui se passionne pour la porté symbolique d’une virgule délibérément omise.

La porte marquée Perce, Flèche ! s’ouvrit pour lui et il entra dans un petit bureau minable bourré de papiers, de livres, de bandes magnétiques et de numéros invendus de la revue. Janet était assise au bureau, derrière une machine à écrire mécanique et une pile d’épreuves en placard. Elle était petite, elle aussi, pleine de vitalité, extrêmement bien balancée, avec des cheveux noirs ondulés qui lui tombaient jusqu’aux épaules, et de grands yeux couleur du Gulf Stream. Tunny s’arrêta et ravala sa salive. Son cœur commença à battre la chamade.

« Salut », dit-il au bout d’une minute.

Elle leva les yeux. « Que… Félix !

— Je, heu, heu, je suis navré pour hier, dit-il.

— Oh, chéri. Tu crois que je ne le suis pas ? J’avais l’intention d’aller te retrouver. » Elle le fit, avec des résultats qui furent satisfaisants pour les deux parties en cause, quelque écœurants qu’ils aient pu paraître à un observateur étranger.

Après un temps assez long, Tunny se retrouva dans un fauteuil avec Janet sur les genoux. Elle se blottit contre lui. Il caressa ses cheveux et murmura d’un ton pensif : « Bah, la cause de tout, je suppose, c’est que chacun de nous s’est subitement rendu compte à quel point l’autre tenait à son dada. Mais nous pouvons vivre avec ce désaccord entre nous, hein ?

— Sûrement, acquiesça Janet en soupirant. Sans compter que je n’ai pas réfléchi une minute que tu avais tant de tracas, avec ce robot et le reste, et que cette affreuse histoire est arrivée par ma faute.

— Grands dieux, non. Comment pouvais-tu prévoir ce qui s’est passé ? Si quelqu’un est responsable, c’est moi. Je t’ai emmenée là-bas et je n’avais qu’à te conseiller la prudence. Seulement je ne savais pas non plus. Personne peut-être n’y aurait songé. On ne connaît pas encore parfaitement les robots comme Izaak. Très peu ont été construits, on en a si rarement besoin.

— Je ne comprends toujours pas bien la situation. Simplement parce que j’ai bavardé avec lui une heure ou deux — le pauvre diable, il était tellement intéressé, tellement enthousiaste — et parce que je lui ai envoyé ensuite quelques livres…

— Justement. Izaak venait d’être mis en circuit depuis quelques jours seulement. La plupart de ses connaissances lui ont été incorporées à l’origine, pour ainsi dire, mais il y avait aussi la question de… mettons de la stabilisation psychologique. Jusqu’à la fin des séances d’endoctrinement, qui sont destinées à fixer sa personnalité selon le schéma souhaité, un robot humanoïde est extrêmement sensible aux impressions nouvelles. Comme un bébé. Ou la façon dont les idées s’impriment chez certains oiseaux serait peut-être une meilleure analogie : présente à un oisillon pratiquement n’importe quel objet à un certain stade critique de son développement et il décidera que cet objet est sa mère, il le suivra partout. Je n’avais jamais imaginé, toutefois, que la critique littéraire moderne pouvait avoir cet effet-là sur un robot. Elle semblait tellement étrangère à tout ce pour quoi il avait été fabriqué. Le fait que j’avais négligé, je le vois maintenant, c’est qu’Izaak est pleinement humanoïde. Il n’est pas conçu pour être programmé, il a une intelligence autonome. Manifestement plus indépendante qu’on ne s’en doutait.

— N’existe-t-il aucun moyen de le guérir ?

— Pas que je sache. Ses constructeurs m’ont dit que tenter d’effacer les schémas des synapses ruinerait entièrement son cerveau. D’ailleurs, il ne tient pas à être guéri, et il jouit de la plupart de nos droits civiques. Nous ne pouvons pas le contraindre.

— Je voudrais tant pouvoir faire quelque chose. Est-ce que cela risque vraiment de te coûter ta place ?

— J’en ai peur. Je vais me battre pour la garder, mais…

— Bah, dit Janet, nous aurons toujours mon salaire.

— Pas question. Aucune épouse ne m’entretiendra.

— Allons, allons. Jusqu’à quel point un homme peut-il se montrer médiéval ?

— Un point très avancé », répliqua-t-il.

Elle essaya de discuter, mais il lui coupa la parole de la façon la plus efficace et la plus agréable. Un certain temps passa. Finalement, avec un léger sursaut, elle regarda l’heure.

« Ciel ! Je suis censée être en train de travailler. Je ne tiens pas à me faire renvoyer, dis donc ! » Elle se leva d’un bond, un spectacle qui compensa légèrement le fait qu’elle quittait ses genoux, elle remit ses cheveux en ordre, l’embrassa encore une fois et franchit la porte à toute vitesse.

Tunny resta assis. Il n’avait envie d’aller nulle part, et moins encore chez lui. Les logis de célibataires sont parfaits en soi mais, après un certain stade dans la vie d’un homme, ils deviennent diablement sinistres. Il tâtonna à la recherche de sa pipe et la ralluma.

Quelle chic fille était Janet, songea-t-il. Astucieuse aussi. Son absorption dans ces savant jeux de mots contemporains était finalement tout à son honneur ; elle ne se contentait pas de rester dans les rayons poussiéreux de livres écrits depuis des siècles, et les jeux de mots étaient les seuls jeux qui subsistaient. Dans un vrai milieu littéraire, elle aurait pu accomplir de grandes choses, au lieu de perdre son temps avec… quelle était donc la dernière ineptie ? Tunny se leva et alla d’un pas nonchalant vers le bureau de Janet. Il jeta un coup d’œil aux épreuves. Quelque chose par Arnold Cancrelat.

 

… la structure serrée, contractée de façon presque fœtale, de ce récit, équilibrée à la perfection dans le flux et le reflux de mots formant et dissolvant des images comme le jeu des ondes sur l’eau, marque un nouveau progrès important dans la tradition d’Arapaima modifiée par l’école de Barbel. Néanmoins, il est nécessaire d’affirmer qu’un symbolisme tertiaire imparfait existe, en ce que les connotations du mot initial, dans la longue citation empruntée à Pollack qui ouvre le troisième des onze chants en lesquels l’histoire est divisée, ne sont pas tant négatives, comme le pense l’auteur, que…

 

« Bla-bla-bla, marmotta Tunny. Et on dit que les ingénieurs ne savent pas écrire l’anglais correctement. Si je n’étais pas capable de faire mieux que ça avec un hémisphère cérébral attaché derrière le dos, je… »

Arrivé à ce stade il s’arrêta net et fixa le vide tandis qu’une folle conjecture prenait de plus en plus corps. Sa mâchoire tomba. Sa pipe aussi. Il ne s’en aperçut pas.

Cinq minutes après, il passa fougueusement à l’action.

Quatre heures plus tard, sa tâche de secrétaire terminée pour la journée, Janet revint continuer sa correction d’épreuves. Quand la porte s’ouvrit, elle chancela. L’air était quasi irrespirable. À travers un brouillard bleu, elle distinguait à peine son cher et tendre, barbouillé, échevelé, fumant tel un volcan en éruption, courbé au-dessus de sa machine à écrire et pianotant sur les touches comme un enragé.

« Par tous les diables de l’espace ! s’exclama-t-elle.

— Une minute encore, chérie », dit Tunny.

En fait, il passa encore onze minutes et trois secondes d’horloge à souffrir sur ses quelques dernières phrases. Puis il tira le feuillet hors du rouleau, le jeta sur une pile d’autres feuillets et tendit le lot à Janet. « Lis ça.

— Quand mes yeux auront cessé de picoter », répliqua Janet en toussant. Elle avait branché le conditionneur d’air sur le maximum et s’était assise au bord d’une chaise pour attendre. En dépit de sa réponse, elle prit le manuscrit. Mais elle lut les quelques milliers de mots avec une surprise grandissante. À la fin, elle reposa lentement les papiers et demanda : « Est-ce que c’est une blague ?

— J’espère que non, dit Tunny avec ferveur.

— Mais…

— Ton prochain numéro doit sortir quand ? Dans deux semaines ? Pourrais-tu avancer la publication et insérer ça ?

— Quoi ? Non, bien sûr, que je ne peux pas. Tu comprends, chéri, je suis déjà obligée de rejeter tant de textes sérieux par simple manque de place que cela me fend le cœur et… j’ai des obligations envers eux, ils me font confiance…

— Soit. » Tunny se frotta le menton. « Que penses-tu de mon essai ? Sur le simple plan de l’écriture.

— Oh… hem… ma foi, il est clair et vigoureux, mais naturellement le langage particulier de la critique…

— O.K. Révise-le, introduis le jargon nécessaire. Choisis aussi un ensemble convenable de tes meilleurs textes éliminés, suffisamment pour composer un bon numéro. Ces types se verront finalement imprimés. » Tandis que Janet ouvrait des yeux bleus ébahis encore que ravissants, Tunny pianota des chiffres sur le clavier du téléphone.

« Oui, je veux parler à Mr. Barsch. Non, je me fiche comme d’un neutrino qu’il soit en conférence. Dites-lui que Félix Tunny a peut-être bien la solution au problème du robot… Allô, patron. Écoutez, j’ai eu une idée. Cela ne coûtera même pas très cher. Pouvez-vous mettre la main sur une imprimerie ce soir ? Vous savez, une maison où l’on tire un nombre restreint d’exemplaires pour une petite revue éphémère ?… D’accord, je vous prends de court. Mais n’avez-vous pas dit qu’Henry Lachs est un de vos amis ? Eh bien, abusez de son amitié… »

Après avoir coupé la communication, Tunny se retourna d’un bond, saisit Janet dans ses bras et s’écria : « Allons-y !

— Où ? » s’enquit-elle, non sans raison.

 

Le pneuma fit ouirr-ping ! et projeta plusieurs envois sur l’étagère à courrier. IZK-99 finit de lire Néo-Babbitt : L’Entrepreneur en tant que symbole de futilité dans la littérature moderne [25], traversa sa chambre d’une seule enjambée et examina rapidement les enveloppes. Les habituelles deux ou trois lettres de cinglés et de demandes d’autographes — les robots totalement humanoïdes étaient des célébrités — plus une circulaire vantant les mérites d’un produit pour nettoyer le métal et… attends voir… une revue. Agrafée à cette revue, il y avait une carte portant l’en-tête de la Société Littéraire Mañana [26]. « … nouvelle association d’auteurs… revue trimestrielle subventionnée par une fondation… service de presse envoyé à quelques personnes dotées de goût et de discernement, en qui nous voyons des souscripteurs potentiels… » Le format avait une souple dignité, avec une couverture unie ainsi libellée :

 

Volume Un

Numéro Un

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le bulletin de

la critique analytique

 

Alléché et immensément flatté, IZK-99 le lut aussitôt, en 148 secondes ; si vite qu’il le parcourut deux fois, puis resta un moment sous le coup de l’étonnement. Le contenu de la revue était par ailleurs classique, mais ce long article… Il rechercha l’article et le lut à nouveau, lentement, attentivement.

TONNERRE PAR-DELÀ VÉNUS, par Charles Pilchard,

Presses de la Sagesse (Newer York, 2026), 214 pages.

Prix : $ 6.50.

Compte-rendu par Pierre Hareng [27]

Département de littérature, Université Miskatonique

Depuis des années, je fais partie de cette élite qui analyse, dissèque et évalue, ce qui en vérité est une belle tâche. Cependant, tout a ses limites. Un jour ou l’autre, chacun de nous reçoit un choc, comme l’a dit de si poignante façon Poorboy dans Pas si tendre est le roc. Brusquement, une nouvelle planète entre dans notre champ de vision, un nouveau monde s’ouvre, un nouvel élément est découvert, et nous restons là avec en main des outils qui sont non seulement insuffisants pour accomplir le travail mais encore inadaptés. Comme ces lecteurs chanceux qui étaient là au moment où Joyce a inventé le flot de la conscience, où Kafka a plongé de si grand cœur dans le symbolisme du cauchemar absolu, où Faulkner a esquissé la beauté artistique de l’humble épi de maïs, où Durrell a aboli le flot de la conscience, nous aussi nous voilà soudain au seuil d’une révolution.

On n’a encore jamais entendu parler de Charles Pilchard. Les détails intimes de sa biographie, la démonstration de la correspondance parfaite de ces détails avec son œuvre fourniront matière à des générations de recherches savantes. Aujourd’hui, toutefois, nous sommes confrontés à l’événement même. Car Tonnerre par-delà Vénus est bien un événement qui bouleverse l’esprit, ébranle les sentiments et pourtant, en même temps, concrétise un style si sûr, un art si consommé, que même Brochet n’a pas peint de miniature plus exacte.

En surface, le canevas est d’une simplicité presque insultante. Il est, en fait, franchement traditionnel — le motif de la Quête sous des apparences modernes — oserais-je dire que cela ferait un stéréodrame ? Il est difficile d’imaginer le véritable courage requis pour utiliser une forme si primitive que beaucoup la jugeront peut-être incompréhensible. Pourtant, c’est par cette évocation même des grands fantômes de l’Odyssée, du roi Arthur et de don Juan, que l’auteur se trouve immédiatement en mesure d’explorer l’enfance (implicitement ; il n’est jamais grossièrement explicite) avec autant de sensibilité captivante que nos plus habiles spécialistes de ce genre romanesque. Cependant, à la différence de ceux-ci, il ne se borne pas à un protagoniste enfant. Il réalise ainsi un prodige de contraction du temps qui, par la richesse des implications symboliques, soutient fort bien la comparaison avec la célèbre utilisation qu’a faite Betta de l’image de la pendule arrêtée dans Le Vieillard et le Parapluie. Comme le proclame le héros lui-même quand il est pris au piège dans ce tunnel en train de s’effondrer qui vaut tellement mieux que l’image tombe/entrailles tant rebattue : « O.K., planète stupide, tu m’as pincé à l’endroit sensible mais, par le ciel, j’ai joui de plus de bon temps dans la vie que tu n’en as jamais connu. Et je te rattraperai au tournant ! »

Le fait qu’il triomphe ensuite effectivement du terrible environnement vénusien, qu’il détruise alors la base du pirate puis achève de réaliser le programme prévu pour rendre l’atmosphère semblable à celle de la Terre (un plan dont un ami ingénieur me dit qu’il est en ce moment sérieusement à l’étude) devient ainsi infiniment plus qu’une victoire mécanique. C’est la complétion du cercle : le héros, qui a commencé en étant fort, viril et fier, retrouve finalement cet état. Cela a des implications ironiques assez claires, mais l’utilisation adroite dans le récit d’instruments comme le pic qui lui sert tantôt d’outil, tantôt d’arme ou de croc de marinier quand lui et l’héroïne doivent traverser le fleuve de lave (pour ne prendre qu’un exemple au hasard parmi ces trésors) ajoute à la fois un accent et un commentaire qu’il faut lire à plusieurs reprises pour en apprécier la valeur.

Et ainsi de suite.

Quand il eut fini, IZK-99 revint en arrière et relut l’article attentivement une quatrième fois. Puis il pianota sur les touches du téléphone. « La Bibliothèque publique », dit la femme sur l’écran.

 

Tunny entra dans le bureau de Perce, Flèche ! et resta un instant à observer Janet qui tapait à la machine sur un rythme de mitraillette. Son bureau était encombré de papiers, de mégots et de matériel pour faire du café. Des cernes noirs sous ses yeux témoignaient de son épuisement. Elle n’en continuait pas moins à s’échiner avec vaillance.

« Salut, chérie, dit-il.

— Oh… Félix. » Elle leva la tête et cligna des paupières. « Bonté divine, est-il si tard ?

— Oui. Navré de ne pas avoir pu venir plus tôt. Comment ça marche ?

— Bien… je pense… mais, chéri, c’est vraiment horrible.

— À ce point-là ? » Il s’approcha d’elle, s’arrêta pour un baiser, et prit la photocopie qu’elle adaptait.

 

« Le désintégrateur était braqué sur la poitrine de Jon Dace. Derrière le canon béant, il y avait la face ricanante blanche comme un champignon de couche et les yeux jaunes fendus de Hark Farkas. « Pas un geste, cochon de Terrien ! » ordonna le pirate d’une voix sifflante. Les larges épaules de Jon se carrèrent. La fureur s’empara de lui. Son regard vif virevolta, en quête d’une possibilité d’échapper à ce piège mortel… »

 

« Hem, vouais, c’est passablement démodé, convint Tunny. D’où est-ce tiré ? Oh, oui, je vois. Super-Science-Fiction, mai 1950. Tu n’as rien pu trouver de mieux ?

— Si. Certains de ces vieux romans d’anticipation sont très bons pour autant qu’on accepte leurs conventions. » Janet ordonna au percolateur de verser deux tasses de café. « Mais, d’autres, beuh ! Seulement j’avais besoin d’une scène d’affrontement, et c’est la première qui m’est tombée sous la main. Le temps manque pour établir une sélection sérieuse.

— Qu’est-ce que tu en as fait ? » Tunny lut le manuscrit de Janet :

 

« L’arme ouvrit dans sa direction une gueule cerbéroïde. Derrière, la face de son ennemi était blanche comme une neige silencieuse, une neige secrète, où les yeux (des perles mortes éternelles) reflétaient en miniature la tempête de sable couleur de cougouar qui ululait à l’horizon. »

 

« Hé, pas mal. Couleur de cougouar, j’aime ça. »

 

« Il y eut un sifflement : “Garde la pose, ça vaudra mieux, ami-étranger-frère que je dois envoyer devant moi dans le tunnel.” Les épaules de Jon se raidirent. D’une voix lente, il répondit… »

 

« Heu, chérie, franchement, ce juron fera rougir un bulldozer.

— Quel contenu intellectuel peux-tu avoir sans grossièretés ? » questionna Janet, déconcertée.

Tunny haussa les épaules. « Peu importe, en fait. Le temps manque, comme tu dis, pour lécher ce truc, et Izaak ne verra pas la différence. Pas après le smörgâsbord d’auteurs et de critiques qu’il vient d’avaler… sans compter son peu d’expérience de ce que sont les humains réels par rapport à ceux des romans.

— Le temps manque pour écrire ce truc, corrigea Janet dont les coins de la bouche se relevèrent. Où diable as-tu trouvé ce que nous sommes en train de plagier ? Je ne me doutais pas qu’il existait une pareille école romanesque.

— Je la connaissais vaguement pour l’avoir vue mentionnée dans les livres du XIXe et du XXe siècle que j’ai lus. Mais, à franchement parler, dans le cas présent je me suis contenté de demander à la Bibliothèque de chercher dans ses microfilms les publications de récits d’aventures de cette période et de m’en photocopier pour un million de mots. » Tunny s’assit et tendit la main vers sa tasse de café. « Ouf, je suis vanné !

— Pénible, la journée ? demanda Janet à mi-voix.

— Oui. Le pire a été d’empêcher Izaak de me tanner.

— Comment l’as-tu fait patienter ?

— Oh, j’avais mis son téléphone sur écoute. Il a appelé d’abord la bibliothèque du coin, pour une photocopie. Comme elle n’avait pas le film, il a appelé une boutique spécialisée qui vend des romans entre autres choses. Seulement, à ce stade, je l’ai aiguillé sur un ami à moi qui a feint d’être un employé du magasin. Ce type a dit à Izaak qu’il allait téléphoner à Newer York pour commander à l’éditeur un volume relié. Depuis, le pauvre diable se ronge les ongles, ou du moins le ferait si un robot le pouvait, et il trépigne… principalement dans mon bureau.

— Tu crois que nous pouvons répondre à ses espérances ?

— Sais pas. Mon espoir est que cette attente forcée rendra l’objet encore plus précieux. Évidemment, quelques critiques supplémentaires seraient d’un bon appoint. Es-tu sûre que tu ne peux pas en passer une dans Perce ?

— Je te l’ai dit, nous manquons tellement de place…

— J’en ai parlé à Barsch. Il paiera le supplément de pages et d’impression.

— Hm-m-m… les supercheries littéraires ont une vieille et honorable tradition, effectivement, hein ? Mais, oh ! chéri… j’hésite.

— Barsch a convaincu Henry Lachs, dit adroitement Tunny. Il y aura une critique dans Entropie. Tu ne voudrais pas te faire griller par un minable périodique petit-bourgeois, hein ? »

Janet rit. « D’accord, tu as gagné. Soumets ton article et je le passerai.

— Je suis prêt à me soumettre à toi n’importe quand », dit Tunny. Au bout d’un moment : « Ma foi, je me sens mieux maintenant. Je vais continuer ça pendant que tu fais un somme. Voyons, dans quel pétrin avons-nous laissé notre héros téméraire ? »

 

« Ce roman aussi vigoureux que sensible… le plus étonnant usage de l’action pour servir au développement qu’on ait vu depuis Conrad, et il faut dire que Conrad peignait avec timidité en comparaison des touches énormes, hardies, brillantes et pourtant appliquées avec minutie sur la toile de Pilchard… cette œuvre séminale, passez-moi l’expression… le caractère métrique de l’ensemble, si subtil que le fait que le livre est un poème construit avec rigueur échappera à de nombreux lecteurs… »

« Perce, Flèche ! »

 

« Il y a deux cents ans, sous les ombrages de la paisible ville d’Amherst (Massachusetts), la poétesse célibataire Emily Dickinson (1830-1886) écrivait de l’âme :

 

Impassible, elle voit le carrosse qui s’arrête

devant sa grille basse ;

Impassible, un empereur qui s’agenouille

sur son paillasson.

 

« Dans le bref poème dont ces vers sont une strophe, elle exprime un sens du quant-à-soi et une discrète indépendance qui, par la suite, ont disparu de la scène américaine aussi complètement qu’Amherst a été engloutie dans le complexe métropolitain de l’Atlantique.

« Il pourra paraître bizarre de comparer cette timide demoiselle distinguée de filiation puritaine avec Charles Pilchard et son premier roman explosif, hautement sujet à controverse. Cependant, le rapport existe. Le Leitmotiv [28] de Tonnerre par-delà Vénus n’est pas l’histoire à proprement parler. Cette histoire est certes unique, d’une originalité saisissante dans son utilisation de la lutte matérielle pour dépeindre la nuit noire de l’âme. Certains diraient même trop saisissante. Ébloui, le lecteur risque de ne pas voir les nombreuses strates de sens sous-jacentes. Mais Emily Dickinson comprendrait la réserve distante, l’indépendance d’âme qui anime le héros Jon Dace.

» Grand (un mètre quatre-vingt-neuf), robuste (cent deux kilos), les cheveux clairsemés, Charles Pilchard, âgé de trente-huit ans, est lui aussi farouchement attaché à l’intimité de sa vie privée. Il a écrit une thèse universitaire sur Rimbaud mais n’a jamais enseigné. Au lieu de cela, il a vécu d’allocations de chômage pendant plus de dix ans tout en travaillant à son œuvre monumentale. (Photo de Charles Pilchard, sous-titrée : “Lui ne va pas en carrosse”.) Deux fois marié, divorcé une fois, il n’a pas de domicile fixe, il se présente, tel Jon, comme “nageant dans l’océan appelé Humanité”. Il a sondé en profondeur les abysses de cet océan. Cependant, il n’en a pas émergé avec le négativisme pointilleux des pessimistes d’aujourd’hui. Car s’il ne méconnaît nullement la tragédie humaine, Pilchard est finalement un optimiste triomphant… »

 

Le robot arriva si bruyamment que Félix Tunny l’entendit alors qu’il était encore au milieu du couloir. L’ingénieur se détourna de son bureau et attendit. Ses doigts agrippèrent les accoudoirs de son fauteuil avec tant de force que les ongles blanchirent.

« Salut, Izaak, réussit-il à dire. Voilà bien deux jours que je ne t’avais pas vu.

— Non, expliqua le robot, j’étais dans ma chambre, je réfléchissais. Et je lisais.

— Tu lisais quoi ?

— Tonnerre par-delà Vénus, évidemment. Lu et relu. Est-ce qu’on lit autre chose ? » Un doigt d’acier tapota le volume. « Tu l’as lu aussi, n’est-ce pas ? questionna Izaak d’un ton de défi.

— Ma foi, tu sais comment cela se passe, répliqua Tunny. La vie est plutôt agitée ici, avec ces projets de la société qui tombent à l’eau et le reste. J’avais l’intention de m’arranger pour m’y attaquer un de ces jours.

— Un de ces jours ! grogna Izaak. Je suppose que tu finiras par t’arranger pour remarquer le soleil et les étoiles.

— Tiens, je croyais que tu étais au-dessus de ces vulgaires détails matériels », commenta Tunny. L’heure du dénouement avait sonné. Sa gorge était si sèche qu’il pouvait à peine parler.

Izaak n’y prêta pas attention. « Procéder à une réévaluation s’est révélé nécessaire, déclara-t-il. Ce livre m’a ouvert les yeux comme il a ouvert ceux des critiques qui ont d’abord attiré mon attention sur sa subtilité, sa profondeur, sa signification universelle et son analyse intensément individuelle. Pilchard a écrit le livre de notre siècle comme Homère, Dante et Tolstoï ont écrit les livres de leur époque. Il explore ce qui est significatif aujourd’hui aussi bien que ce qui est significatif pour tous les temps.

— Bravo pour Pilchard.

— La conquête de l’espace, comme le démontrait l’article dans Pipette, est aussi la conquête de soi. Le microcosme ouvre sur le macrocosme qui réfléchit et re-réfléchit l’observateur. Cela est le premier exemple du type de livre qui sera écrit et discuté dans les cent prochaines années.

— Ça se pourrait bien.

— Seul un abruti congénital saluerait cette réussite avec aussi peu de chaleur que toi, s’exclama Izaak. Je serai ravi de ne plus te revoir.

— T-t-tu t’en vas ? Où ? » (Tiens bon, garçon, compte à rebours jusqu’à zéro !)

« Sur Mercure. Avise Barsch et fais préparer mon vaisseau spatial. Je ne désire nullement retarder une expérience aussi importante. »

Tunny se laissa aller comme un sac de son dans son fauteuil. « Surtout pas, murmura-t-il. Ne perds pas une minute.

— Je pose une condition, c’est que, pour la durée complète de ma mission, tu m’envoies par les navettes-cargos toutes les autres œuvres de Pilchard qui paraîtront, plus les revues trimestrielles auxquelles je suis abonné et les autres exemples du genre littéraire dont il s’est fait le pionnier et que je commanderai en me fondant sur les critiques que j’aurai lues. Ils devront être transcrits sur métal, tu le comprends, à cause de la chaleur.

— Bien sûr, bien sûr. Ravi de pouvoir rendre service.

— À mon retour, déclara Izaak d’une voix béate, je serai qualifié de façon tellement unique pour critiquer les nouveaux romans qu’une université me confiera sûrement une publication trimestrielle littéraire. »

Il se dirigea vers la porte. « Il faut que j’aille prendre des dispositions pour que Tonnerre par-delà Vénus soit transcrit sur acier spécial, dit-il.

— Pourquoi pas sur des tables de pierre ? marmotta Tunny.

— Ce n’est pas une mauvaise idée. Peut-être que je m’y déciderai. » Izaak sortit.

Quand il fut parti pour de bon, Tunny poussa un cri de joie. Pendant un moment, il dansa dans son bureau comme un Indien en transe, puis il se jeta sur le téléphone. Il allait appeler Barsch et lui dire… Non, au diable Barsch. Janet méritait d’être la première à connaître la nouvelle.

Elle partagea sa joie par écrans interposés. La regarder, songer à leur avenir, mit Tunny d’humeur plus sérieuse. « Ma conscience me gêne un peu, confessa-t-il. Ce sera un coup pour Izaak, là-bas sur Mercure, de voir que sa meilleure des écoles littéraires ne se développera jamais.

— N’en sois pas trop sûr, répliqua Janet. Justement… eh bien, je m’apprêtais à te téléphoner aujourd’hui. Nous sommes de nouveau dans le pétrin, j’en ai peur. Tu te souviens de ce bureau avec secrétaire que nous avons loué pour avoir l’air d’être les Presses de la Sagesse au cas où Izaak voudrait vérifier ? La secrétaire ne sait plus où donner de la tête. Le téléphone ne cesse de sonner. Des milliers de gens appellent déjà, furieux parce qu’ils n’arrivent à trouver nulle part Tonnerre par-delà Vénus. Elle leur a raconté un bobard, comme quoi il y avait eu une explosion accidentelle dans l’entrepôt, mais… Qu’est-ce que nous pouvons faire ?

— Ouille. » Tunny resta silencieux un instant. Son esprit travailla fiévreusement. « Nous avons imprimé des exemplaires en supplément, non ? finit-il par dire.

— Une demi-douzaine à peu près. J’en ai donné un à Arnold Roach. Il le voulait absolument, après avoir lu les autres articles. Il a maintenant l’intention de rédiger pour le Mensuel du Pacifique un papier sensationnel où il soulignera par toutes sortes de commentaires sarcastiques qu’Entropie n’a rien compris au livre. Plusieurs autres critiques que je connais m’ont suppliée d’au moins leur prêter mon exemplaire personnel. »

Tunny frappa son bureau d’un large poing. « Il n’y a qu’un moyen d’en sortir, conclut-il. Imprime un million d’exemplaires et tiens-toi prête à en sortir davantage. Et je ne parle pas de bandes enregistrées pour bibliothèques, non plus. Je pense à de vrais volumes reliés.

— Quoi ?

— J’ai le pressentiment que le roman populaire revient à la mode depuis cette semaine. Notre livre est peut-être mal ficelé, mais il met en scène quelque chose de réel, quelque chose qu’au fond du cœur les gens jugent important. Si j’ai raison, alors les romans, comme celui-là vont pulluler, beaucoup rapporteront des sommes folles et quelques-uns seront peut-être même bons… Seigneur, Seigneur ! s’exclama Tunny d’un ton pénétré. Nous ne connaissons absolument pas notre propre force, toi et moi.

— Unissons-nous, suggéra Janet, et nous verrons bien. »

The Critique of Impure Reason

Traduit par Ariette Rosenblum