CHAPITRE DIX
MANDAT D’ACIER

La tour de Nagaira continuait à brûler. Ses étages supérieurs étaient enveloppés de flammes blanches et furieuses qui s’élevaient de plus de cent pieds dans le ciel nocturne. Le halo surnaturel ainsi produit apparaissait comme une aurore boréale blanche à travers la lucarne de cristal sertie dans le plafond voûté de la cour intérieure du Drachau. La lueur projetait des motifs complexes mêlant ombre et lumière sur le sol dallé. Ces nœuds tourmentés attiraient l’attention de Malus qui oubliait quelques instants le seigneur indiscutable de Hag Graef. Chaque fois qu’il s’efforçait de se concentrer sur l’homme qui présidait depuis l’estrade au milieu de cette grande salle, les ombres se mettaient à tortiller dans le coin de son œil. Il avait l’impression de déceler des formes allusives qui n’avaient pas lieu d’être.

Malus et Urial avaient été menés en présence du Drachau, pour patienter sagement pendant que ce dernier écoutait les rapports de ses lieutenants et qu’arrivait le Vaulkhar. C’était tout ce que Malus pouvait faire pour rester sur ses pieds. Son corps était meurtri et les entailles dans son cuir chevelu avaient tant saigné que la tête lui tournait et qu’il était franchement affaibli. Mais le Drachau ne faisait rien pour rendre la situation plus confortable et Malus n’aurait jamais eu l’idée de demander un peu de compassion. La faiblesse n’était pas tolérée en présence du Drachau ; seuls les forts étaient dignes de se tenir dans son ombre et de patienter au bon vouloir du maître.

Le dynaste était incapable de dire depuis combien de temps il se tenait en silence, luttant désespérément pour rester debout et conscient. Au bout d’un moment, il entendit la porte à doubles battants s’ouvrir en grand et le seigneur de guerre de Hag Graef déboula comme la tempête, vêtu de son armure émaillée de rouge, avec l’antique lame nommée Charpeuse au flanc. Le fait que la seule présence de Lurhan n’engloutisse pas la grande cour comme une déferlante témoignait de la majesté des lieux. Malus percevait malgré tout la tension tandis que son père s’approchait, et il savait que l’auguste Vaulkhar bouillonnait.

Uthlan Tyr, le Drachau de Hag Graef, portait également une
armure de plaques complète. Non pas l’ancestral harnois qu’il arborait aux cérémonies comme le Hanil Khar ou sur le champ de bataille, mais cette armure ordinaire adaptée au quotidien et pourtant d’une valeur outrancière. Tandis que le Vaulkhar portait son casque sous le bras, le Drachau dédaignait le grand heaume de dragon de sa fonction, préférant attacher ses longs cheveux noirs en arrière avec un bandeau fin en or et les laisser tomber en cascade sur ses épaules. Il présentait un visage quasi adolescent malgré ses presque huit cents ans, et ses petits yeux luisaient comme des fragments d’onyx sous ses arcades prononcées. Lui et Lurhan étaient cousins éloignés et partageaient le nez aquilin et noble de leurs ancêtres, et un menton pointu qui exprimait l’orgueil. Contrairement au Vaulkhar, Tyr gardait la main sur le pommeau de sa lame dénudée dont la pointe ciselée reposait sur le parquet de l’estrade. C’était un draich, semblable à l’arme que Malus avait utilisée dans la tour, mais cette épée plus effilée et recourbée était manifestement l’œuvre d’un maître artisan. La lame était gravée de runes de puissance qui tranchaient l’acier aussi facilement que la chair. On racontait parmi les maisons de dynastes de Hag Graef que Lurhan avait participé à plus de batailles que sa tête comptait de cheveux, mais Uthlan Tyr avait tué bien plus d’hommes que lui. Pour le Drachau, faire couler le sang était aussi naturel, et nécessaire, que de respirer. Malus n’avait aucun doute sur le fait que sa vie, et probablement celle d’Urial, tenaient en équilibre précaire sur le tranchant acéré de cette lame.

Le Vaulkhar monta les marches de l’estrade et s’agenouilla devant son seigneur.

— Mes hommes ont sécurisé la tour, annonça-t-il de la voix rauque de celui qui vient de crier ses ordres dans le feu de la bataille. Les serviteurs de Nagaira ont préféré se battre jusqu’à la mort plutôt que de se rendre. Il ne restait plus qu’une poignée d’esclaves vivants dans la tour et mes hommes s’occupent de les interroger. La… caverne… du sous-sol de la tour est un véritable charnier. Il semblerait qu’un troupeau d’au moins deux cents esclaves y ait été massacré, la plupart ayant manifestement subi les effets d’une puissante sorcellerie. Pire, on a également trouvé une soixantaine de dynastes tués par des lames empoisonnées ou des draichs des bourreaux du temple, ajouta-t-il en se tournant pour jeter un regard froid à Urial. Quand nous sommes arrivés, les dépouilles se faisaient mutiler par une bande de fiancées du temple.

Urial soutint le regard de son père avec son habituelle expression impassible. Au bout de quelques instants, le Vaulkhar se retourna vers son seigneur.

— Ce n’étaient pas de simples dynastes, Effroyablissime. Il s’agissait des fils et filles de quelques-uns de vos plus puissants alliés. Quand la nouvelle parviendra jusqu’aux leurs, les égouts baigneront dans le sang, je puis vous l’assurer.

Les yeux du Drachau passèrent méprisamment sur Malus et s’arrêtèrent sur Urial.

— Explique-toi, ordonna-t-il.

Un aristocrate plus modeste aurait fléchi sous le regard meurtrier de Tyr, mais Urial n’était aucunement intimidé.

— Je ne suis pas ici en tant que vassal, mais en tant que représentant du Temple de Khaine, répondit-il. Cette affaire concerne le temple et vous vous y mêlez à vos risques et périls.

Le visage de Lurhan devint blême de rage, mais Malus fut stupéfait de voir que le Vaulkhar contenait sa fureur. Chez le Drachau, le seul signe apparent de tension était une légère crispation de la main sur le pommeau de son épée. Son ton était égal lorsqu’il dit :

— Continue.

— Le Temple de Khaine a excisé un chancre qui se développait en plein cœur de la ville. Le culte de Slaanesh a répandu sa pourriture parmi les sphères les plus hautes de la noblesse de Hag Graef, y compris chez la fille du Vaulkhar, Nagaira.

— Méfie-toi, Urial ! C’est désormais toi qui danses sur le fil du rasoir, intervint Lurhan, la voix empreinte d’une menace sourde.

A-t-il peur d’être lui-même impliqué, se dit Malus ? Ou sait-il que la corruption de la secte est ancrée encore plus profondément dans sa maison et craint-il ce que va en dire le Drachau ? Malus était resté tellement concentré sur son propre complot qu’il avait mal anticipé à quel point les événements de la soirée seraient dommageables d’un point de vue politique. Si Urial choisissait bien ses mots, le Vaulkhar pourrait se retrouver agenouillé devant un bourreau dans la cour du temple. Le Drachau n’aurait d’autre choix que d’ordonner la mort de Lurhan, ne serait-ce que pour éviter le même sort si cette histoire parvenait aux oreilles du Roi-Sorcier.

Cette idée ralluma quelques flammes dans les veines de Malus. Lurhan et le Drachau avaient des raisons d’avoir peur, ce qui lui conférait un certain pouvoir sur eux.

— Ce sont de graves accusations, dit prudemment Tyr. Quelles sont tes preuves ?

Le regard d’Urial se fit menaçant.

— Des preuves ? fit-il. Nous sommes les enfants bénis de Khaine. Nous n’avons pas besoin de produire des preuves.

L’ancien acolyte leva la main pour devancer les protestations du Drachau furibond.

— Cela dit, je comprends que ces événements vous placent dans une position précaire, c’est pourquoi je vais vous donner quelques détails.

Il fit un geste de la tête en direction de Malus.

— Tout a commencé, entama-t-il, lorsque vous avez ordonné la torture de mon frère jusqu’à la mort pour ses récentes indiscrétions. Après que le Vaulkhar l’a tourmenté plus longtemps que n’y aurait résisté le plus endurant des druchii, il fut décidé qu’il avait accompli votre souhait de son mieux et Malus fut libéré et confié à sa sœur.

Le Drachau darda un regard sévère vers le seigneur de guerre, puis concentra de nouveau son attention vers Urial.

— Je sais tout cela, fit-il sinistrement.

Urial hocha la tête d’un air absent, tandis qu’il se concentrait sur l’enchaînement des événements qui se suivaient dans son esprit.

— Alors que Malus était soigné par Nagaira, soins ayant fait intervenir drogues et sorcellerie illicite soit dit en passant, elle a profité de son affaiblissement pour tenter de l’attirer au sein de cette secte avilissante.

La mine distante d’Urial s’effaça et il jeta un regard froid à son demi-frère.

— Malus et Nagaira, reprit-il, ont été partenaires, certains diront plus que partenaires, pendant quelque temps. Elle a puisé dans son savoir interdit pour le soutenir à plus d’une occasion. Je pense qu’elle avait l’intention de le convertir depuis un certain moment.

Tyr renifla de dégoût.

— Ce libertin ? À quoi bon ? Il n’a rien à offrir !

— On pourrait le croire, convint Urial d’une voix neutre. Et pourtant, on sait que la secte a donné une grande fête en son honneur peu de temps après son rétablissement et aussi qu’il fut présenté à leur hiérophante et invité à rejoindre leurs rangs.

Urial se tourna vers Malus. Son boitillement prononcé était bien le seul indice de l’épuisement qui accablait le druchii infirme.

— Dès qu’il en a eu l’occasion, Malus est venu me livrer ces renseignements, comme quiconque aurait dû le faire. Il a proposé un plan visant à profiter de la situation pour éliminer le cœur de la secte
implanté dans la ville.

— Il aurait dû venir me voir en premier ! grogna Lurhan. L’honneur de notre maison…

— L’honneur de votre maison ou de n’importe quelle autre ne saurait devancer les affaires du temple, coupa platement Urial. Il est de notre devoir de préserver la pureté de l’âme des druchii, de la garder des faiblesses de nos traîtres cousins d’Ulthuan. C’est non seulement le commandement de Khaine, mais également le souhait de Malékith en personne. Le contestez-vous ?

— Nous avons bien compris, Urial, intervint le Drachau. Continue.

— Malus nous a donné l’emplacement du site d’initiation, pressentant qu’il faisait partie des boyaux serpentant sous la cité. J’ai dépêché des éclaireurs dans les Terriers, qui ont localisé des tunnels ayant été condamnés pour isoler la caverne incriminée du reste du réseau. Après cela, fit-il en haussant les épaules, il resta à alerter le temple et mobiliser ses guerriers saints pour exécuter l’œuvre sacrée de Khaine. Nous avons fait céder les murs juste avant le point culminant de la cérémonie et avons tenté de faire prisonniers les apostats. Heureusement, fit-il avec un sourire maussade, ils ont préféré résister.

Soudain, la lueur blanche qui irradiait dans la nuit se mit à vaciller et s’évanouit. Le Drachau jeta un regard par la lucarne avec un soulagement apparent, puis il reporta son attention sur Malus.

— Qu’en est-il de ce hiérophante dont parle Urial ?

— J’ai combattu le hiérophante dans la salle d’initiation, répondit Malus d’une voix rauque. Bien que j’aie grièvement blessé le grand prêtre, il a réussi à s’échapper. Je pense néanmoins qu’il sera facile à localiser. Comme ses suppliants, il doit s’agit d’un noble de haut rang, quelqu’un de proche des puissants maîtres de la ville.

Malus regarda son père droit dans les yeux.

— Je pense qu’une fouille organisée de toutes les tours du Hag serait une bonne chose, mes seigneurs. Dénichez le dynaste à la gorge ravagée et vous aurez votre principal apostat. M’est avis que vous n’aurez pas à chercher bien loin.

— Qu’insinues-tu, grossier bâtard ? s’écria Lurhan en avançant d’un pas vers Malus, la main glissant vers la longue poignée d’os qui pointait au-dessus de sa hanche gauche. Tu trouves qu’il ne suffit pas que tu aies souillé notre honneur, pour que ta sœur t’imite ? Tu cherches vraiment à nous noyer dans la disgrâce ?

— Je n’insinue rien, répliqua Malus. Si vous êtes soucieux de l’honneur de votre maison, vous feriez bien d’envoyer vos troupes dans la tour de mon frère Isilvar. Sortez-le de ses antres de chair et demandez-lui ce qu’il sait de cette maudite secte. Mais je vous préviens ; il se peut qu’il ne soit pas en mesure de dire grand-chose.

— Silence ! rugit Lurhan en descendant les marches comme la foudre tandis que sa main se crispait sur la garde de sa lame.

Plus un pas ! Le Drachau bondit au niveau de Lurhan en le pointant de sa lame. Ressaisissez-vous, Vaulkhar. Il me semble que vos enfants ont raison : vous faites passer l’honneur de votre maison avant la sécurité de l’État, ce qui constitue une grave erreur. Il nous faut débusquer ce grand prêtre, et le plus tôt possible. Nous allons fouiller le Hag, comme Malus l’a suggéré, car il en va de notre intérêt. Maintenant, ordonna-t-il, parlez-moi de Nagaira.

Malus s’apprêta à répondre, mais Urial le devança.

— Elle nous a quittés, fit-il.

— Et l’incendie ? demanda le Drachau en hochant la tête.

— Engendré par une tempête du Chaos, Effroyablissime. Nagaira a libéré un puissant sort pour tenter de s’enfuir et de détruire les indices qui auraient pu nous mener jusqu’à son protecteur.

— Son protecteur ? fit le Drachau fronçant les sourcils. Tu parles du hiérophante ?

— Absolument pas, Terriblissime. Je parle de celui qui lui a enseigné les arts interdits de la sorcellerie et lui a fourni l’impressionnante bibliothèque qui occupait les derniers étages de sa tour. On savait depuis longtemps qu’elle faisait fi des lois du Roi-Sorcier, annonça Urial d’un regard accusateur vers Lurhan. Mais personne n’a rien fait contre. Probablement parce que personne n’avait réalisé qu’elle était devenue bien plus qu’une simple érudite de l’occulte… à moins que ce fût l’identité de son protecteur qui ait posé problème.

— Alors, dis-moi, Urial : qui serait cette personne ?

Les têtes se tournèrent au son de la voix froide et puissante. Eldire sembla fusionner dans les ombres mêmes et glissa sans un bruit sur le sol dallé, en direction de l’estrade. Personne n’avait entendu la grande porte s’ouvrir pour la laisser passer. Malus n’était d’ailleurs même pas sûr que ce fût le cas. L’expression féroce du Vaulkhar se volatilisa, sa fureur de l’instant précédent soudain oubliée. Le Drachau observait Eldire avec méfiance mais ne dit mot à l’arrivée inattendue de la prophétesse.

Urial faisait face à la sorcière, le visage dur et dénué d’expression.

— J’ai… ma théorie, mais pour l’instant aucune preuve. Cependant, il ne peut y avoir dans la ville qu’une poignée d’individus dotés du savoir nécessaire… et la majorité d’entre eux résident dans le couvent des sorcières.

— Je suppose, reprit fraîchement Eldire. Car il faudrait être un criminel contre l’État pour enseigner les arts occultes à ceux qui ne sont pas autorisés à les connaître. Il faudrait être comme toi, par exemple.

Malus se retint d’intervenir et prit soin de garder un visage aussi neutre que possible tandis que la tension s’installait. Urial se raidit et son expression se crispa, mais il ne fit pas de réponse.

— Tu te présentes à ma cour sans te faire annoncer, Yrila, siffla le Drachau.

— Je suis ici pour vous informer que le couvent de la cité a éteint l’incendie de la tour, fit sèchement Eldire. Je pensais que vous seriez heureux de l’entendre. Dois-je dire à mes sœurs de relancer les flammes en attendant que vous soyez prêts à nous recevoir ?

— Tu es bien impertinente, Eldire, grogna le Drachau. Parle-moi des dégâts.

— Les énergies libérées par le sort ont consumé la moitié de la tour ou presque. Si personne ne s’en était occupé, elle aurait continué à brûler tant qu’il y aurait eu de la pierre pour alimenter les flammes et toute la ville aurait été perdue.

Elle se retourna vers Urial.

— Si Nagaira avait effectivement un protecteur, reprit-elle, cela voudrait dire qu’il aura largement sous-estimé son pouvoir. Le sortilège qu’elle a libéré n’est pas censé être contrôlé par un seul sorcier. Dans l’état actuel des choses, il faudra démolir le reste de la tour, car la souillure de la magie du Chaos s’est infiltrée jusque dans ses fondations. Si nous laissons faire, cette corruption touchera toute la cité.

Le protecteur, se demandait Malus, ou la protectrice ? Le dynaste observait sa mère avec un respect nouveau… et un certain doute. Était-ce toi qui surveillais Nagaira ? Si tel est le cas, pourquoi ; et en quoi cela me concerne-t-il ?

Tyr assimilait les informations et hocha gravement la tête.

— Alors, tu as bien rempli ton devoir, Yrila. Qu’en est-il des corps des dynastes de la salle d’initiation ?

Eldire sourit.

— Les corps des cultistes ont été donnés aux flammes, mon seigneur. Cela apparut comme la bonne chose à faire.

— Vous les avez brûlés ? Tous ? fit le Drachau incrédule. C’est monstrueux ! Leurs parents vont se révolter dès qu’ils vont le savoir !

— Pour l’instant, ces cultistes sont portés disparus, pas encore morts, dit sèchement Eldire. La magie du Chaos les a entièrement consumés. Ce qu’il restait d’eux ne suffisait même pas à les identifier comme druchii. Demain, la rumeur du Hag racontera que Nagaira et sa maison ont disparu dans un incendie magique, ce que mon époux comme le temple, ajouta-t-elle en fixant tour à tour Lurhan et Urial, ne manqueront pas de décrire comme le sort qui attend ceux qui touchent aux arts interdits. On nous promettra une enquête et des châtiments seront garantis pour tous les sorciers illicites de la ville. Si vos alliés souhaitent alors se faire connaître et reconnaître publiquement que leurs fils et leurs filles étaient présents dans la tour au moment de l’incendie, je serai très étonnée.

Le Drachau se rassit dans son trône pour se caresser pensivement le menton.

— Et la présence des bourreaux, sans parler des fiancées de Khaine ?

Urial haussa les épaules.

— Ils sont arrivés par les Terriers et sont repartis de la même manière. Seuls mes serviteurs et les troupes du Vaulkhar ont été vus à l’entrée de la tour et l’on peut avancer en toute honnêteté qu’ils étaient là pour mettre fin à la sorcellerie de Nagaira.

Tyr acquiesça un sourire espiègle se dessinant sur ses lèvres.

— C’est donc l’histoire que nous allons raconter, déclara-t-il. Il y aura à n’en pas douter quelques plaintes çà et là, mais le temps et quelques faveurs en viendront à bout. Cela ne nous laisse qu’une question à régler.

— Laquelle, effroyable seigneur ? demanda Malus.

Il avait ses propres questions à aborder si l’occasion se présentait.

L’expression du Drachau se fit glaciale.

— Savoir s’il faut te tuer tout de suite ou t’exécuter publiquement comme adorateur de Slaanesh.

— M’exécuter ? La secte a été éradiquée grâce à moi…

Il se tourna vers Urial en quête de soutien, mais l’ancien acolyte ne dit mot et regardait le Drachau avec inquiétude.

Uthlan Tyr eut un sourire cruel.

— Tu connais la loi, Malus. Tout druchii qui goûte au fruit défendu de Slaanesh doit mourir. Tu as toi-même admis y avoir touché, n’est-ce pas ?

— Mais vous ne pouvez me faire exécuter sans admettre que la secte était implantée dans la ville, sous votre nez, répliqua Malus. Et alors, vos alliés demanderont votre peau, effroyable seigneur.

Tyr se leva de son fauteuil.

— C’est pourquoi nous allons te tuer tout de suite, loin des regards indiscrets.

Le Drachau ignora le regard meurtrier d’Eldire et se tourna vers Lurhan et Urial.

— Vous avez des objections ? demanda-t-il.

Lurhan jeta un regard vers Eldire, puis se retourna vers son seigneur.

— Mon devoir est de servir, fit-il trahissant une certaine nervosité. Faites comme bon vous semble, effroyable seigneur.

Le Drachau hocha la tête en signe d’assentiment.

— Urial ? enchaîna-t-il.

Urial regardait Malus avec intensité. La colère, le désir et la frustration se bousculaient derrière ses yeux. Il finit par se tourner vers le Drachau en secouant la tête.

— Ce n’est pas le moment. Il est encore un agent du temple et vous n’avez pour l’instant aucun pouvoir sur lui, Uthlan Tyr.

Tyr eut l’air révolté, écarquillant les yeux de surprise.

— Tu es devenu fou ? N’as-tu pas couru après son sang tout l’hiver ?

Le Drachau tendit sa propre épée à Urial.

— Tiens. Tranche-lui la tête toi-même. Baigne-toi dans son sang souillé ! N’est-ce pas ce que tu veux ?

Les mâchoires d’Urial se crispèrent. Un sourire amer déforma ses lèvres.

— Mes actes servent le bien du temple, dit-il. Il lui reste une tâche à accomplir pour moi. En attendant, nul ne le menacera tant que je serai en vie.

Le Drachau secoua la tête.

— Tu es un imbécile, Urial ! fit-il en abaissant son arme. Je ne suis pas un oracle, mais je puis t’assurer que tu n’auras jamais une si belle occasion. C’est la deuxième fois que tu échappes à la mort en filant entre mes doigts, ajouta-t-il en fixant Malus. Ta chance finira bien par tourner, Darkblade.

Malus sourit, conscient de l’occasion qui se présentait.

— Vous avez assurément raison, effroyable seigneur. C’est pourquoi il me faut profiter de ma chance tant que je peux le faire. J’insiste pour que vous me présentiez un mandat d’acier.

Uthlan Tyr éclata de rire.

— Et tu veux que je te cède mes concubines et ma tour, aussi ?

— Non, ce ne sera pas nécessaire, répondit Malus d’un ton calme et égal. Le mandat suffira.

— Assez d’impertinences, gronda Lurhan en levant le poing. Le Drachau doit se soumettre aux exigences du temple, mais ce n’est pas mon cas !

— Non, tu as d’autres serments à respecter, intervint Eldire. Et les conséquences seraient bien plus terribles si tu venais à les enfreindre.

Lurhan s’arrêta net, le visage blême. L’angoisse de Tyr grandissait au fur et à mesure de l’échange. Il se tourna vers Malus, l’expression débarrassée de tout humour.

— Qu’est-ce qui te fait penser que je pourrais donner autant de pouvoir à quelqu’un comme toi ?

— Bien des choses : je cherche à servir l’État par mes efforts et à ramener honneur et gloire à cette ville comme à vous. Cela achèterait également mon silence quant à ce qui s’est réellement déroulé à la tour, bien sûr.

— De quels efforts parles-tu ? As-tu l’intention de boire tout l’alcool de la ville ou d’épuiser tous les établissements de chair du quartier des Corsaires ?

Malus surprit Tyr par la jovialité de son rire.

— Vous seriez prêt à me délivrer un mandat pour cela ? Je me ferais un plaisir de l’accepter. Non, j’ai besoin de votre autorité pour monter une expédition. Il me faudra des navires, des marins et des pillards expérimentés, et dans les plus brefs délais.

— Dans quel but ?

Le dynaste réfléchit soigneusement à sa réponse.

— J’ai récemment découvert l’île perdue de Morhaut, fit-il, et j’ai l’intention de repousser les Écorchards de la mer septentrionale.

Uthlan Tyr secoua la tête incrédule.

— C’est impossible. Où as-tu trouvé cela ?

— Cela a peu d’importance, répondit Malus. Réfléchissez plutôt à ce que je propose. Les Écorchards harcèlent nos navires de pillage et nous concurrencent dans ce domaine. Si mon entreprise porte ses fruits, nous doublerons nos récoltes pour les années qui viennent. Et je n’ai pas besoin de rappeler à quel point cette île est légendaire, pour les navires et les trésors qui se sont échoués sur ses rivages. En tant que rédacteur du mandat, non seulement vous partagerez cette gloire, mais aussi le butin. Les richesses de notre ville ont grandement souffert durant le long conflit contre Naggor et cela pourrait changer en l’espace de quelques mois. Je n’ai besoin que du mandat.

Le Drachau s’apprêtait à protester, mais Malus perçut l’étincelle qui commençait à poindre dans l’œil de son suzerain.

— Tu n’as aucune chance. Les Écorchards t’auront tué que tu seras encore à un mille de leurs côtes.

— Pour quelqu’un qui était prêt à me faire exécuter, vous me
surprenez par cette sollicitude soudaine.

Le Drachau se tourna vers Urial.

— Et que pense le temple de cette mission suicide ? Ne viens-tu pas de me dire qu’il avait une tâche à accomplir pour toi ?

Urial soupira.

— Rédigez donc ce mandat, Uthlan Tyr. Cela ne me plaît guère plus qu’à vous, mais c’est aussi par ce biais qu’il sert les intérêts du temple.

La main du Drachau se crispa sur son épée.

— Je suis donc cerné de tous les côtés, fit-il vaguement exaspéré. Très bien, Malus, tu auras ton mandat d’acier. Qu’il t’apporte abondance de sang et de flammes.

— Je n’en doute pas une seconde, effroyable seigneur, répondit Malus la mine triomphante. Et je jure que vous en partagerez les fruits au bout du compte.