II

 

Quelquefois il parlait de ses souvenirs, des hommes célèbres qu’il avait connus, des joutes brillantes dont il avait été témoin.

– Ah ! s’écriait-il, c’était l’empyrée de la politique alors. Quels gaillards nous étions ! Il y avait les Laberge, les Papin, les Morin, les Dorion, les Chauveau, les Loranger, les Drummond, les Cauchon, les Cartier, les McGee... Il fallait entendre les interpolations permuter d’un bord à l’autre de la Chambre ! Combats singuliers, combats pluriels, le public était toujours dans une captivité dont il ne pouvait s’extirper.

Ces souvenirs de Québec ne contribuaient pas peu à lui faire détester Ottawa, qu’il trouvait terre à terre, sans cachet, sans relief, sans poésie.

Rien de particulier ne l’y contrariait cependant.

Il avait la satisfaction d’avoir été l’une des chevilles ouvrières les plus importantes dans l’organisation intérieure des édifices publics.

Ses conseils et son activité avaient été précieux.

Il n’avait autour de lui que des amis.

On tolérait ses petits travers inoffensifs et chacun respectait son impeccable honorabilité.

Mais il n’aimait pas Ottawa ; et quand on lui eut accordé le repos qu’il avait si bien gagné pour le reste de ses jours, ce fut avec un soupir de délivrance qu’il reprit le chemin du vieux foyer.

Il est venu mourir, comme un patriarche, dans la bonne petite rue Sainte-Ursule, où il était né.

Mais, à quelque endroit qu’il fût allé s’éteindre, le brave Cardinal, bon, poli, honnête, charitable comme il l’était, ne pouvait laisser derrière lui que des regrets et des exemples de vertu.

Il fit des mots jusqu’à la fin.

À propos du jubilé de la reine, il disait :

– C’est bien beau de célébrer sa cinquantième année de jubilation.

La dernière fois que je l’ai vu, c’était près de la terrasse Frontenac, en face du vieux parlement, incendié quelques mois auparavant.

Nous échangeâmes une cordiale poignée de main, et je ne saurais oublier tout ce que je vis d’émotion se refléter dans son regard, pendant qu’il me montrait d’un geste silencieux et mélancolique le théâtre de sa gloire passée, les grands murs délabrés qui lui rappelaient tant de souvenirs.

En ce moment quelqu’un mettait la main sur mon épaule.

– Monsieur Cardinal, fis-je, laissez-moi vous présenter M. Charles Langelier.

– Ah ! monsieur Langelier, dit le bon vieillard, je suis heureux de vous rencontrer. Je vous connaissais de nom, mais je n’avais pas l’honneur de vous connaître d’optique.

Originaux et détraqués
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