LANCELOT
CE siècle a sur la mort quarante-deux fenêtres
Les nègres se sont tus dans Montmartre obscurci
Le jeune amour n’a plus les sanglots de la scie
Songe des jours naissants vais-je vous méconnaître
Aimant passionnément les dessins animés
Les fados portugais et le film en couleurs
La beauté d’aujourd’hui porte de sombres fleurs
Et parle du soleil avec des yeux fermés
On ne sait plus par cœur les paroles latines
On ne sait plus jouer de la muse de blé
La machine du temps monstre mal assemblé
Prend à l’aube d’hiver le genre guillotine
Ah se griser des airs italiens qu’aima
Stendhal Le violon ne peut plus satisfaire
Qui saisit dans ses doigts la musique des sphères
Et rivalise avec l’orgue de cinéma
Perfectionnement des polkas mécaniques
La radio descend du ciel sans escalier
Dans le malheur commun mon malheur singulier
Tourne de ville en ville une aiguille ironique
J’écoute les appels d’un monde qui se noie
Un fou rire nerveux des pleurs à tour de rôle
J’écoute la grand-messe après le music-hall
Madame Butterfly et le Tango Chinois
Rêve des jeunes gens qui vont au cours de danse
Univers camouflé par les mots des chansons
Va cacher tes sanglots dans les draps des boxons
J’ai soupé des flonflons de cette décadence
Il se fait de nos jours de folles chanteries
On dirait que le ciel est troué de clameurs
Cependant celui-là rime sa male humeur
Celui-ci dit des fleurs l’autre des féeries
Ce jongleur disputant d’iambe et d’anapeste
L’équarrisseur déjà l’emporte à son crochet
Qu’il agite toujours ses fragiles hochets
Et regarde les morts sans comprendre la peste
Roucoule oiseau tandis que le bateau se fend
Le naufrage est acanthe ou peintre ou saxifrage
Pour le musicien saxophone est l’orage
L’an mil a-t-il troublé dans leurs jeux les enfants
Mais quel chant éternel à ces échos modernes
Mêle une plainte amère et marie au destin
Les instruments nouveaux de nos nouveaux instincts
J’ai des secrets pareils à des drapeaux en berne
On peut me harceler que suis-je qu’ai-je été
Je me souviens d’un ciel d’un seul et d’une reine
Et pauvre qu’elle soit je porterai sa traîne
Je n’ai pas d’autre azur que ma fidélité
Je suis ce chevalier qu’on dit de la charrette
Qui si l’amour le mène ignore ce qu’il craint
Et devant tous s’assit parmi les malandrins
Comme choisit mourir Jésus de Nazareth
Ma Dame veut savoir que rien ne m’humilie
Par elle demandé tout s’en métamorphose
Elle exige de moi de si terribles choses
Qu’il faut que mon cœur saigne et que mon genou plie
On me verra trembler mais non pas lui faillir
Toujours placer amour plus haut qu’honneur Certain
Que la nuit n’est pas longue à cause du matin
Et je saurai baisser le front pour obéir
Sortir nu dans la pluie et craindre le beau temps
Si je suis le plus fort le plus faible paraître
Me tenir à côté de l’étrier du traître
Et feindre la folie ainsi que fit Tristan
Soleil du devenir brûlante discipline
J’aime et ne dirai qui d’une amour aveuglée
Et comme Baudelaire aima la sang-mêlée
Riez gens sans amour qu’à rire tout incline
Vous pouvez me frapper en voici la saison
Riez de mon silence et souillez ma figure
Je ne pratique pas le pardon des injures
Lorsque je ne dis rien c’est que j’ai mes raisons
Et pareil à l’oiseau que l’on cloue à la porte
Ce que vous affirmez regardez je le nie
Vous êtes sûrs de vous étant les impunis
Je ne répondrai pas aux gens de votre sorte
Puisque vivre n’a su me saouler de la vie
Et qu’on n’est pas tué d’une grande douleur
Préparez les couteaux Voici le rémouleur
François le roi François n’est pas mort à Pavie
Souffrir n’a pas de fin si ce n’est la souffrance
Qui s’engendre et se meurt comme un phénix navré
Ses feux embraseront ce monde à réméré
La cendre en gardera le parfum de la France
Et les passants du ciel en parleront entre eux
Ô terre où je naquis couleur de mes blasphèmes
En étrange pays dans mon pays lui-même
Je sais bien ce que c’est qu’un amour malheureux