PLAINTE POUR
LE GRAND DESCORT DE FRANCE
S’IL se pouvait un chœur de violes voilées
S’il se pouvait un cœur que rien n’aurait vieilli
Pour dire le descort et l’amour du pays
S’il se pouvait encore une nuit étoilée
S’il se pouvait encore
Une nuit de beau temps met les ombres d’accord
Comme l’aveugle tend les cordes sans connaître
L’instrument ni le ton du ciel à la fenêtre
Ah si tu veux chantons dans ce triste décor
Ah si tu veux chantons
Je reprends le même air Amour ô phlogiston
Que le vieillard Homère avec ses yeux fermés
Disait au monde sourd lui qui n’a pas aimé
Comme il faisait grand jour alors qu’en savait-on
Comme il faisait grand jour
Les femmes ont perdu l’image de l’amour
Dans leurs yeux défendus par des paupières Parme
Mais dimanche ou jeudi c’est tout un pour les larmes
Dans l’amour que je dis descend l’ombre des tours
Dans l’amour que je dis
L’ombre des tours qui tourne au cadran d’incendie
Sur le pavé des cours noires de la prison
Inscrit la ronde terne et lente des saisons
Ici le temps lanterne ici la mort mendie
Ici le temps lanterne
Comparer le bagnard ou le fou qu’on interne
Et le cœur qui saigna dans sa geôle de chair
Sait-il aux prisonniers parler sa langue d’air
Le ciel qui s’est baigné dans l’eau d’une citerne
Le ciel qui s’est baigné
Est-il assez grand deuil pour que vous reveniez
La mémoire s’effeuille au vent des derniers froids
Comme un épouvantail avec les bras en croix
L’oubli courbe sa paille aux doigts bruns des vanniers
L’oubli courbe sa paille
Les mois passent L’émoi passe et le cœur déraille
Mais le printemps pour moi murmurera toujours
Les mots d’un autre Mai parmi les mots d’amour
Je n’oublierai jamais pour ses fleurs la muraille
Je n’oublierai jamais
Les morts du mois de Mai