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La méditation est l’éveil de la félicité ; elle appartient aux sens et à la fois les transcende. Elle n’a pas de continuité parce qu’elle n’appartient pas au temps. Le bonheur et la joie des relations avec les choses, la vision d’un nuage qui porte sur lui la terre, et la lumière du printemps sur les feuilles, sont une félicité de l’œil et de l’esprit. Cette félicité peut être cultivée par la pensée et dotée d’une durée dans l’espace de la mémoire, mais ce prolongement n’est pas la félicité de la méditation, qui inclut l’intensité des sens. Les sens doivent être aiguisés et en aucune façon déformés par la pensée, par la discipline d’un conformisme et d’une morale sociale. La liberté des sens n’implique aucune complaisance : la complaisance est le plaisir de la pensée. La pensée est semblable à la fumée d’un feu et la félicité est le feu sans la fumée dont le nuage fait larmoyer. Le plaisir est une chose, la félicité est tout autre chose. Le plaisir est la servitude de la pensée et la félicité est au-delà et au-dessus de la pensée. Le fondement de la méditation consiste à comprendre la pensée et le plaisir, avec leur morale et la discipline qui réconforte. La félicité de la méditation n’appartient ni au temps, ni à la durée ; elle est au-delà des deux et n’est donc pas mesurable. Son extase ne se produit ni dans le regard du spectateur ni dans l’expérience du penseur.

La pensée ne peut pas la toucher avec ses mots, ses symboles, et la confusion qu’elle engendre ; elle n’est pas un mot susceptible de prendre racine dans la pensée et d’être façonné par elle. La félicité surgit du silence complet.

 

 

C’était une plaisante matinée avec des nuages légers et un ciel bleu et clair. Il avait plu et l’air était pur. Chaque feuille était neuve et le triste hiver était terminé ; chaque nouvelle feuille, dans le soleil scintillant, savait qu’elle n’avait aucune relation avec le printemps de l’année précédente. Le soleil brillait à travers les nouvelles feuilles, répandant une douce lumière verte sur le chemin mouillé qui, à travers les bois, menait à la route principale qui desservait la grande ville.

Des enfants jouaient par là, mais ils ne contemplaient jamais cette jolie journée de printemps. Ils n’en avaient pas besoin, car ils étaient le printemps. Leurs rires et leurs jeux participaient de l’arbre, de la feuille, de la fleur. Vous le sentiez, vous ne l’imaginiez pas. C’était comme si les feuilles et les fleurs prenaient part aux rires, aux cris et aux trajectoires du ballon. Chaque brin d’herbe, et le pissenlit jaune, et la tendre feuille si vulnérable, tout cela faisait partie des enfants, et les enfants étaient une partie de toute la terre. La ligne de séparation entre l’homme et la nature avait disparu ; mais l’homme sur la piste avec sa voiture de course et la femme qui revenait du marché n’en étaient pas conscients. Peut-être ne regardaient-ils jamais le ciel, la feuille tremblante, le blanc lilas. Ils portaient leurs problèmes dans leurs cœurs et le cœur ne regardait jamais les enfants ou la lumineuse journée de printemps. La grande pitié de cela était qu’ils procréaient ces enfants, lesquels bientôt deviendraient l’homme sur sa piste de course et la femme revenant du marché ; et le monde, de nouveau, s’obscurcirait. C’est en cela que résidait la douleur sans fin. L’amour, en cette feuille, s’envolerait au prochain automne.

 

 

C’était un homme jeune avec une femme et des enfants. Il avait l’air d’avoir fait des études très poussées, c’était un intellectuel, habile dans l’emploi des mots. Il était plutôt maigre et se trouvait confortablement assis dans le fauteuil – jambes croisées, mains repliées sur les genoux. Ses lunettes brillaient au rayon de soleil qui venait de la fenêtre. Il dit qu’il avait toujours été en quête, non de vérités philosophiques mais de la vérité qui est au-delà des mots et des systèmes.

Je suppose que vous cherchez parce que vous êtes insatisfait.

« Non, ce n’est pas exactement cela. Je suis insatisfait comme tout être humain, mais ce n’est pas la raison de ma quête. Ma recherche n’est pas de celles qui se font avec un microscope ou un télescope, et n’est pas non plus celle du prêtre pour son Dieu. Je ne puis dire ce que je cherche ; je ne puis mettre le doigt dessus. Il me semble que je suis né avec le besoin de chercher, et bien que je sois heureux en ménage, ma quête continue. Ce n’est pas une évasion. Je ne sais vraiment pas ce que je veux trouver. J’en ai parlé avec des philosophes qualifiés et des missionnaires venus d’Orient et ils m’ont tous dit de poursuivre mes recherches et de ne jamais m’arrêter. Après toutes ces années cependant, ce problème ne cesse de me troubler. »

Doit-on, en aucune façon, chercher ce qu’on ne connaît pas ? Ce qu’on cherche est toujours quelque chose, là-bas, sur l’autre rive, à une distance que le temps et de grandes enjambées sont censées pouvoir réduire. La quête et la découverte sont dans le futur – là-bas, juste au-delà de la colline. Telle est la signification essentielle de cette recherche. Le présent est ici, et la chose que l’on pense trouver est dans le futur. Le présent n’est pas pleinement actif et vivant, donc évidemment ce qui est au-delà de la colline est plus tentant et plus attirant. L’homme de laboratoire, s’il a l’œil collé au microscope, ne verra jamais l’araignée sur le mur, bien que le tissage de sa vie ne soit pas dans le microscope mais dans la vie du présent.

« Êtes-vous en train de dire, Monsieur, qu’il est vain de chercher, qu’il n’y a pas d’espoir dans le futur, que le temps est tout entier dans le présent ? »

Toute vie est dans le présent, non dans l’ombre d’hier ou dans le lumineux espoir d’un lendemain. Pour vivre dans le présent, on doit être libéré du passé et du futur. On ne trouve rien dans le lendemain, car demain sera le présent, et hier n’est qu’un souvenir. Donc la distance entre ce qui doit être trouvé et ce qui est est toujours allongée par la quête, quelque agréable et réconfortante qu’elle puisse être.

La perpétuelle recherche du but de la vie est une des curieuses évasions de l’homme. S’il trouve ce qu’il cherche, cela ne vaudra pas ce caillou sur ce chemin. Pour vivre dans le présent, l’esprit doit cesser d’être divisé par le souvenir d’hier ou par l’espoir d’un brillant demain. Il ne doit avoir en lui ni un demain ni un hier. Ce n’est pas là une assertion poétique, mais un fait. La poésie et l’imagination n’ont aucune place dans le présent actif. Non que vous déniez la beauté, mais l’amour est cette beauté dans le présent, un présent que vous ne pouvez pas trouver en le cherchant.

« Je crois que je commence à voir la futilité des années que j’ai passées dans ma recherche, des questions que je me suis posées et d’autres, et de la vanité des réponses. »

Le commencement est la fin, et le commencement est les premiers pas, et le premier pas est le seul pas.